Introduction
Hébertne commençaitjamaisun rtr/vlrt pdu Père Duchêne san. %y m ettre quelques l./bu/rc> zetquelques r:bou...
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Introduction
Hébertne commençaitjamaisun rtr/vlrt pdu Père Duchêne san. %y m ettre quelques l./bu/rc> zetquelques r:bougre>.Ces
grossièretésnesignt fiaientrien,maist?//t?. :signalaient.Or/tpf? Touteunc situation révolutionnaire.Wpf/ékdonc l'exempled' une
écrituredontlafonctionn' tnîfplusseulementdecommuniquer oud'exprimer,maisd'imposerunau-deltiduIangagequiestt)
lafoisl'HistoireetIepartiqu'onyprend. 11n'yapasdelangageécrit&t 7rJ>'aftiche,etcequiestvraidu Père Duchêne,l'estégalementde la Littérature.Elle aussidoit
signalerquelquechose,di yérentde. î:7r!contenuetdesaJtpn' nc individuelle,etquiestsa propre clôture,ce par quoipr/cjs'tfment elle s'impose comme Littérature.D 't p! è un ensemble Jtl signes tl rl??tjk îsans rtzprK??'favec l' idée,Ia IangueniIe, ç/ y/t?,et
#c, çr//ît ?5't jdchnirdansl'épaisseurdetous/t ?. çmodesd' expression possibles,Ia solituded'un Iangage rituel.Cet:?rJr: sacral des Signes écrits pose Ia Littérature comme rdr;trinstitution et tend évidemmenttll'abstraire de l' H istoire,caraucuneclôture
nesefondesansuneidéedept frtwr//rtj;orc' est/t)ol jl'Histoire estrefuséequ'elleagitIe#/u. çclairement;ilcu îfdoncpossible de tracerunehistoiredu Iangage littérairequin'estnil'histoire de la langue,nicelle des s' /y/as,mais seulementl'histoire de. % Signesde Ia Littérature,etl' onpeuttuctprnplé'rquecettehistoire
ft/r?rlc//t?manlfestet)safaçon,quin'estpaslamoinsclaire,sa liaisonavecl'Histoireprqfonde. 11s'agitbienentendtld'uneIiaisondontIaformepeutvarier
.
avec I' H istoireelle-même;iln'estpasnécessairederecourirt ' k undéterminismedirectpoursentirl'Histoireprésentedansun
10
Ledegrézérodel'écriture
destinJé?5'écritures:cettesortedefrontfonctionnelquiemporte lesévénem ents,lessituatiotlsetlesidéesle long du tempshistorique,propose icimoins des c-/ /àfu îque leslimitesd'un choix. L'HistoireestalorsdevantI'écrivain comme l'avènementd' une option nécessaire entre plusieurs m orales du langage; elle
Introduction
l1
min,qu'illuifautregarder,affrotlter,assumer,etqu'11nepeut jamaisdétruiresansse détruirelui-mêmetvp/zlrrlc écrivain.1z7 Formesesuspenddevantleregardcommeunobjet;t?uT?ïqu'on j' asse,ellet? u çrun scandale:splendide,elleapparaîtdémodée;
I'obliget llsignl h' erlaLittératureselondespossiblesdontiln'est
anarchique,elle estasociale, 'particulièreparrapportau temps ou t zl ?.xhommes,de n'importequelle manièreelle estsolitude. Toutle x/. k' *'siècle a pf/progresserccphénomène dramatique
bourgeois(c'est-à-direclassiquesetromantiques),laft/rr>ltrne
deconcrétion.ChezChateaubriand,cen'estencorequ'unfaible lgpyf,lepoidslékerd'une euphoriedu langage,Jf,1t?sorte de narcissisme t pr kl'kriture sesépare t lpeine desafonction instrumentaleetnefaitqueseregarderelle-même.Flaubert. -pour
paslemaître.Onverra,parexemple,quel'unitéidéologiquede la bourgcoisie a produituneécriture unique,ett ?lI'aux temps
pouvaitérrc déchiréepuisque la conscience ne l'étaitpas; et qu'au contraire,J@' , î l'instant t?? ) fl'écrivain a cessé J' érrp un témoin del'universelpourdevenirune consciencemalheureuse
(vers1850. ),sonpremiergesteaJltfdechoisirl' engagementde saforme,soiten assumant,soiten refusantl'écriture de son passé. L Vcriture classique a donc Jc/tz/t j et la Littérature
entière,deFlaubertttnosjours,estdevenueuneproblématique du langage.
C'esttècemomentrrlt ?rrlpqueIaLittérature(lemotestnépeu detempsavant)atjrtjconsacréedesnitivementcommeunobjet. L'artclassique nepouvaitse sentir comme un langage,ilétait Iangage, c'est-à-dire transparence, circulation sans J/pt gt
concoursl' tftftzfd' unEsprituniverseletd'unsignedécorattfsans épaisseur etsansresponsabilité;la clôture de ce langage était sociale etnon denature.On saitque vers Jt7-/iW duxkr/siècle,
ne marquer icique lesmoments typiquesdeceprocl' s- a cons-
titué dejinitivement la Littérature en objet,par l'avènement d'une valeur-travail: la forme estdevenue le terme d'une qfabrication> p,comme unepoterieouunjoyau (ilfautIireque lafabricationt?rlfuttrsignl jiée> p,c'est-à-direpourlapremière foislivréecommespectacleetimposée).M allarmé,enhn,acouronné cette construction de la Littérature-objet,par I'acte ultimedetoutesIesobjectivations Iemeurtre:on m ïrquetout l'ejjbrtde Mallarmé a porté sur une destruction du langage, dontla Littératurene seraitpn quelque sorte que le cadavre. Partie d'un néantt?? lfIa pensée semblaits'enlever heureusementsurle décordesmots,l'Jcrfff /rt ?a ainsitraversé tous les
loppe unpouvoirsecond,indépendantdeson économ ieetdeson
états d'une solidihcation progressive: d'abord objet d'un regard,puis d'un faire, et enhn d'un meurtre, elle atteint aujourd'huiun Jcrr/ïcravatar,l' absence:dans ces écritures
euphémie;ellefascine,elle dépayse,elle enchante,elle a un
neutres, appelées ici rle degré zéro de l'écriturep>, on peut
poids;onnesentplusIa LittératurecommeunmodedecircuIation socialementpr!' p!' JJk qI /,m aiscomme un langageconsis-
facilementdiscernerIe mouvementmêmed'unenékation,et
tant,profond,plein desecrets,donné t lllafoiscomme réptret
Littérature,tendantdepuis un siècle t è transmuersa surface dans une /brrrlc sans lltfr/ll ' fl,ne trouvaitplus depureté que dansl'absencedetoutsigne,proposantenhnI' accomplissement
cettetransparencevientt lsetroubler;laformelittéraireJtjpt?-
com m e m enace.
Ceciestdeconséquence.laJtpn' ndlittérairepeuttCJSIIFAFII//. C provoquer les sentimentsexistentielsquisontattachés au crp/ , fx
detoutobjet:sensde l'insolite,familiarité,J/gt pr kl,complai-
l'impuissance tt I'accomplir dans une durée, comme si la .
de ce rêve orphéen : un écrivain sans Littérature.L'écriture blanche,celle de Cam us,celle de Blanchotou de Cayrolpar
sance,usage,meurtre.D epuis centans,toute écriture estainsi
exemple,ou l'écritureparléede Queneau,c'estlederrtierépi-
un exerciced'apprivoisementouderépulsion enface decette Forme-objetquel'écrivain rencontrefatalementsurson che-
sode d'une Passion de l' écriture, quisuitpas ttpas le déchirementde la conscience bourgeoise.
12
Ledegrézérodel' écriture
Cequ'onveutici,c'estcytyr/fut ?rcetteliaison;c't?A'rafjirmer l'existenced'uneréalité/O 'FTNPJJCindépendantedeIaJtknput ?et zyt ?rdemontrerquecyr/tztroisil' m edimension duk s' r-v/p;c'cstcmçt de la Ftprzntrattache elle cIu5'. $f, non k sclr?. s un tragique supplé-
mentaire,l'écrivaintèsa u îtptrft frtj;c'estc/l#?7fairesentirqu'il n' y apasdeLittératuresansuneM oraleJu langage.f.zs'limites
matérielles de cetessai(dontqtlelquespages (#lrparu dans Combaten 1947 eten 1950)indiquentassez qll'ilne s'agit que J'f/np introduction ( ) ce que pourrait être unp H istoire
del' Ccriture.
Prem ière partie
Qu'est-cequel'écriture?
0n saitque lalangue estun corpsdeprescriptionsetd'habitudes,comm un à.touslesécrivainsd'uneépoque.Cela veutdire quelalangue estcom me uneN ature quipasse entièrementà traversla parole de l'écrivain,sanspourtant1uidonner aucune form e,sansmêm elanourrir:elleestcom meun cercle abstrait de vérités,hors duquelseulementcomm ence à se déposerla densitéd'unverbesolitaire.Elleenfermetoutelacréationlitté-
raireà.peuprèscommeleciel,lesoletleurjonctiondessinent pourl'homm eunhabitatfamilier.Elleestbienm oinsuneprovision de matériaux qu'un holizon,c'est-à-dire à la fois une limiteetunestation,enun motl'étenduerassuranted'uneéconomie.L'écrivainn'y puiserien,à.lalettre:lalangueestplutôt pour1uicomm eunelignedontlatransgressiondésignerapeutêtre une surnature du langage:elle estl'aire d'une action,la définition etl'attented'un possible.Ellen'estpaslelieu d'un engagem entsocial,m aisseulementun réflexesanschoix,lapropriétéindivisedeshomm esetnon pasdesécrivains;ellereste
endehorsduritueldesLettres;c'estunobjetsocialpardéfini-
tion,non par élection.Nulne peut,sans apprêts,insérer sa libeltéd'écrivaindansl'opacitédelalangue,parcequ'àtravers elle c'est l'Histoire entière quise tient,complète etunie à.la m anière d'une Nature.Aussi,pourl'écrivain,la langue n'estellequ'unhorizonhum ainquiinstalleauloin unecertaine-/àmf-
liarité,toute négative d'ailleurs:dire que Camus etQueneau
parlentla m êm e langue,ce n'estque présumer,parune opé-
rationdifférentielle,toutesleslangues,archakkuesou futuristes, qu'ilsneparlentpas:suspendueentredesform esaboliesetdes
16 LeJtwr/zérodel'écriture fonnes inconnues,la langue de l'écrivain est bien m oins un fondsqu'unelimiteextrêm e;elleestlelieu géom étliquedetout ce qu'ilne pourraitpasdire sansperdre,telOrphéeseretournant,lastable significaticm de sadémarcheetle gesteessentiel desasociabilité. La langue est donc en deçà de la Littérature.Le style est presque au-delà :desim ages,un débit,un lexique naissent du corpsetdupassédel'écrivainetdeviennentpeuàpeu1esautomatism esmênlesdeson art.Ainsisousle nom de style,seform e un langage autarciquequineplongequedanslamythologiepersonnelle etsecrète de l'auteur,dans cette hypophysique de la parole,où se forme le prem iercoupledesmotsetdeschoses,où s'installentune fois pour toutes 1es grands thèm es verbaux de
sonexistence.Quelquesoitsonraffinement,lestyleatoujours quelquechosedebrut:ilestunefol' m esansdestination,ilestle produitd'une poussée,non d'une intention,ilestcomme une dimensionverticaleetsolitairedelapensée.SesréfJrencessont au niveau d'unebiologieoud'un passé,non d'uneHistoire:il estla>).Onvoit qu'ici l'écriture fonctionne cornme une bonne conscience et qu'elle apourmission defaire coïnciderfrauduleusem ent1'0:-
sursis entre la dénomination etle jugement,et la clôture du
ginedufaitetsonavatarlepluslointain,endonnant2tlajustit' i-
langageestparfaite,puisque c'estfinalementune valeurquiest donnée com me explication d'une autre valeur;parexemple,on diraque telcriminela déployé une activité nuisible aux intérêts
cation de l'acte,la caution de sa réalité.Ce faitd'écriture est d'ailleurs propre 2ttous 1es régim es d'autolité;c'est ce qu'on pourrait appeler l'écriture policière ' . on sait par exemple le contenu étem ellem entrépressifdu m otL(Ordre p.
de l'ztat;ce quirevienth.dire qu'un criminelest celuiqui commetun clim e.On le voit,ils'agitd'une véritabletautologie, procédé constantde l'écriture stalinienne.Celle-ci.en effet,ne vise plus 2tfonder une explication m arxiste des faits,ou une rationalité révolutionnaire desactes,mais2tdonnerle réelsous
communisme français (substitution de >quiestacteur.Pourquoi?Le seplaceau-delàdelaconventionettente dence (telest l'aspectretors de certains récits gidiens).De m ême,l'emploidu romanesque engage deux éthiques opposées:puisque la troisièm e personne du rom an représente une convention indiscutée,elle séduit1es plus académiques et
lesmoinstourmentésaussibien que lesautres,quijugentt' inalementla convention nécessaireà.lafraîcheurdeleurœuvre.De toute manière,elle estle signe d'un pacte intelligible entre la sociétéetl'auteur;m aiselleestaussipourcedernierleprem ier moyen de faire tenir le m onde de la façon qu'il veut.Elle est donc plusqu'une expérience littéraire:un acte hum ain quiliela création à,l'Histoire ou à.l'existence. Chez Balzac,par exemple,la m ultiplicité des 44il$$,toutce vaste réseau de personnes minces parle volume de leurcorps, m aisconséquentesparla duréede leursactes,décèle l'existence d'un m onde dont l'Histoire est la première donnée.Le >
balzacienn'estpasletermed'unegestationpartied'un xxje>> transform é et généralisé; c'est l'élément originel et brut du roman,le m atériau etnon le fnlitdelacréation :iln'y a pasune histoire balzacienne antérieure à,l'histoire de chaque troisième m rsonneduroman balzacien.Le 4:il>deBalzacestanalogue au quiestencorelaformelaplust' idèlede l'anonym at,l'hom me-auteur conquiertpeu à peu le droità.la troisième Personne,au furet à mesure que l'existence devient destin,etle soliloque Rom an.1cil'apparition du 44il>>n'estpas
&zdegréz/rt ade lVcriture le départ de l'Histoire.elle est le terme d'un effortqui a pu dégager d'un m onde personnel d'humeurs et de mouvem ents .
uneformepure.silnificative,donc aussitôtévanouie,grâceau décorparfaitem entconventionneletm ince de Ia troisième per-
sonne.C'est12tcertainementle trajetexemplaire despremiers rom ansdeJean Cayrol.M aistandisque chez lesclassiques- et
l'onsaitquepourl'écritureleclassieismeseprolongejusqu'à Flaubert- leretraitde lapersonne biologiqueatteste uneinstallation de l'homm e essentiel, chez des romanciers com me Cayrol,l'envahissementdu t4il$6estune conquête progressive
mende contre l'ombre épaisse du txjep existentiel; tant le Roman,identifié parses signes 1esplus formels,estun acte de sociabilité ;ilinstitue la Littérature. M aurice Blanchota indiqué 2tproposde Kafkaque l'élabora-
tion du récitimpersonnel(on remarqueraztproposdece ten' ne
qu:la (btroisièmepersonne>>esttoujoursdonnée commeun degrénégatifdelapersonne)étaitun actedetidélitéà.l'essence du langage,puisque celui-citend naturellementvers sa propre destruction.On comprend alorsque le festnécessaire 2tl'amenuisement delapersonne,maisrisque 2tchaqueinstantdel'encom brerd'une épaisseurinatti zndue.LaLittératureestcom melephosphore:elle blille le plus au momentoù elle tente de mourir.M ais comme d'autrepart,elle estun actequiimplique nécessairementladurée -
surtoutdansleRoman-,iln'yajamaist' inalementdeRoman
sans Belles-lwettres.Aussila troisième personne du Rom an estellel'undessignes1esplusobsédantsdecetragiquede I'écriture, né au siècle dernier, lorsque, sous le poids de l'Histoire, la
Littératures'esttrouvécdisjointedelasociétéquilaconsomme. Entre latroisième personne de Balzac etcelle deFlaubert,ily a
toutun monde (celuide 1848):1à une Histoire âpre dansson sm ctacle,m aiscohérente etsûre,le triomphe d'un ordre;iciun al4,qui,pour échapper à,sa m auvaise conscience, charge la convention ou tente de ladétnlire avecemportem ent.Lam odernitl commence avec la recherche d'une Littérature impossible.
L 't /ca rfrure#u Roman
Ainsi l'on retrouve,dans le Rom an,cet appareil 2tla fois destructifetrésurrectionnelpropre21toutl'artmoderne.Cequ'il s'agitde détruire,c'estla durée,c'est-à-dire la liaison ineffable de l'existence :l'ordre,que ce soitceluidu continu poétique otl celuidessignes romanesqucs,celuide la terreurou celuide la vraisemblance,l'ordre estun meuftre intentionnel.M aisce qui reconquiertl'écrivain,c'estencore la durée,carilestimpossible de développerune négation dans le temps,sansélaborer un al' t positif,un ordre quidoitêtre à.nouveau détruit.Aussilesplus grandes œuvres de la m odernité s'anftent-elles le plus longtemps possible,parune sorte de tenue miraculeuse,au seuilde la Littérature,dans cetétatvestibulaire où l'épaisseurde la vie estdonnée,étirée sanspourtantêtre encore détruite par le couronnementd'un ordre dessignes:parexemple,ily a lapremière personne de Proust,donttoutel'œuvretient2tun effort,prolongé et retardé vers la Littérature.11y a Jean Cayrolquin'accède volontairement au Rom an qu'au terme le plus tardif du soliloque,comm e si l'acte litttjraire,suprêmement ambigu,n'accouchaitd'une création consacrée parla société qu'au m om ent
otlilaréussih.détruireladensitéexistentielled'uneduréejusqu'alors sans signification. Le Rom an estune M ol4;ilfaitd:la vie un destin,du souvenir un acte utile,etde la durée un temps dirigé etsignificatif. M aiscettetransformation nepeuts'accomplirqu'auxyeux dela socié .té.C'estla société quiimpose le Roman,c'est-à-dire un complexe de signes,com me transcendance etcom me Histoire d'une durée.C'est donc à l'évidence de son intention,saisie dans la clarté des signes romanesques,que l'on reconnaît le pacte quilie partoute lasolennité de l'al' tl'écrivain à.la société. Le passé simple etlatroisièm epersonne du Roman nesontlien d'autrequecegestefatalparlequell'écrivain montredu doigtle m asque qu'ilporte.Toute la Littérature peutdire' .44Iuarvatus
prodeop,jem'avanceendt jsignantmon masquedudoigt.Que ce soitl'expérience inhum aine du poète,assumantlaplusgrave desruptures,celledu langage social,ou quecesoitlem ensonge
34 Le degré zéro de l'écriture crédible du rom ancier,lasincérité aicibesoin designesfaux,et évidem mentfaux,pourdureretpourêtre consomm ée. Le produit,puisfinalem entla source de cette am biguïté, c'estl'écriture.Ce langage spécial,dontl'usage donne à. l'dcrivain une fonction glorieusem aissurveillée, m anifeste une sorte de servitude invisible dans les prem iers pas, quiestle propre de toute responsabilité :l'écriture,libre à. ses débuts,est finalem entle lien quienchaîne l'écrivain à. une Histoire elle-même enchaînée :la société le m arque des signesbien clairs de l'artafin de l'entraînerplussûrementdans sapropre aliénation.
F a-t-ilune écriture poétique . ?
Auxtempsclassiques,laproseetlapoésie sontdesgrandeurs, leur différence est m esurable; elles ne sont niplus ni moins éloignées que deux nombres différents,comme eux contiguës,
maisautresparladifférencemêmedeleurquantité.Sij'appelle prose un discoursm inimum ,véhicule le plus économique de la
pensée,etsij'appellea,b,c,desattributsparticuliersdulangage,inutiles m ais décoratifs,tels que le mètre,la rime ou le rituel des images,toute la surface des mots se logera dans la doubleéquation deM .Jourdain : Poésie = Prose + a + b + c Prose = Poésie- a- b - c
D'où ilressortévidemmentquelaPoésieesttoujoursdifférente delaProse.M aiscette différence n'estpasd'essence,elle estde quantité.Ellen'attentedoncpas2tl'unité du langage,quiestun dogme classique.On dose différem ment les façons de parler selon lesoccasions sociales,ici,prose ou éloquence,1à,poésie ou préciosité, tout un rituel m ondain des expressl bns, m ais partoutun seullangage,quiréfléchitlescatégorieséternellesde l'esplit.La poésie classiquen'étaitsentiequecomme unevaria-
tionom ementaledelaProse,lefruitd'unart(c'est-à-dired'une
technique),jamaiscomme un langage différentou comme le produit d'une sensibilité particulière.Toute poésie n'est alors que l'équation décorative, allusive ou chargée, d'une prose virtuellequigîten essenceetenpuissance dansn'importequelle façon de s'exprim er.44Poétique >>, aux temps classiques, ne
36 Le degré zéro de/'tj krïrur. c désigneaucune étenduenaucune épaisseurparticulière du sentiment,aucune coht crence,aucun universséparé,mais seulement l'intlexion d'une technique verbale, celle de >uneréalitéineftecommeunobjet,sur laquelle l'écrivain n'auraitde pouvoirque parson al' td'accom m oder1es signes. Ces auteurs sans style - M aupassant,Zola,Daudetet leurs épigones- ontpratiquéuneécriturequifutpoureuxlerefugeet l'exposition des opérations artisanales qu'ils croyaient avoir chassées d'une esthétique purem ent passive. On connaît 1es
déclarationsdeMaugassantsurletravaildelaforme,ettousles procédésnaïfsde l'Ecole,grâce auxquels la phrasenaturelleest transformée en unephrase artificielle destinée à.témoignerdesa tinalité purementlittéraire,c'est-à-dire,ici,du travailqu'elle a coûté.On saitque dansla stylistiquede M aupassant,l'intention d'artestrésen'ée àlasyntaxe,lelexiquedoitresteren deçztde la Littérature.Bien écrire - désorm aisseulsigne du faitlittérairec'estnaïvem entchangerun complém entde place,c'estm ettre un m ot rren valeurn, en croyant obtenir par 1à un rythm e >Onvoit qu'icirienn'estdonnésansm étaphore,carilfautsignalerlour-
dementau lecteurque ,etc.;lapréciositéestrefouléedulexiquedanslasyntaxe, et c'estle découpage artificieldes compléments,com me chez
M aupassant,quiimpose laLittérature (p,noussentonsbienquenous som mesicidans un ordre du langage quin'estplusceluide la maxime' ,quelque chose m anque,quiestla frappe,le spectacle mêm edelaparole,brefla citation ;m aisaussiquelque chose est là,de nouveau,ztquoila m axime ne nous a pas habitués:une certaine fragilité,une certaine précaution du discours,un langage plus délicat,plusouvertà.labonté,comme si,h.l'inverse, la m axime ne pouvaitêtre que méchante- comme sila fermeturede lam axim eétaitaussiune fermeturedu cœur.11y a ainsi dansl'œuvrede La Rochefoucauld quelquesmaximesouvertes,
quelquesmaximes-discours(même siellessontpeuétendues); ce ne sontpas,en général,cellesque l'on cueillera,caren elles aucune pointe n'accroche;ellesne sontque 1es bonnes ménagèresdu discours;lesautresy règnentcommc desdéesses. Pour ces autres,en effet, la stnlcture est là,qui retient la sensibilité,l'épanchem ent,le scrtlpule,l'hésitation,le regret,la persuasion aussi,sousun appareilcastrateur.La maxime estun
objetdur,luisant- etfragile-commelecorseletd'un insecte;
substantives,mais parfois aussiadjectives ou verbales,dont chacune renvoie ztun sens plein,éternel,autarciquem urrait-on dire:amour,pt 7mî&?rl,orgueil,blesser,tromper,délicat,impatient,voilzt1es sens ferm és sur lesquels s'éditie la m axime.Ce quidétinitcesessencesforrnelles,c'estsans doute,t' inalement,
qu'ellessont1estennes (lesrelata)d'unerelation (de comparaison ou d'antithèse);maiscette relation a beaucoup moins d'apparence que ses composants; dans la maxime,l'intellect perçoitd'abord dessubstancespleines,non le flux progressifde
lapensée.Sije1is:wToutlemondeseplaintdesamémoire,et personnedesonjugement>>,rrlonesplitestfrappéparlaplénitudedecestennessolitaires:mémoire,jugement,seplaindre; et comm e, m algré tout, ces mots-vedettes s'enlèvent sur un
certainfondplusmodeste,j'ailesentiment(d'ailleursprofondémentesthétique) d'avoir affaire ztune vélitable économie métrique de la pensée,distribuée dans l'espace tixe et5niqui
1uiestimparti(1a longueurd'une maxime)en tempsforts(les
74
Nouveattx essaiscritiques
wReflexionsouSentencesetmaximes>>
75
substances,lesessences)etentempsfaibles(mots-outils,mots relationnels);on reconnaîtraaisémentdanscette économie un
tandisquelepremierterme (lesvertus)n'esten sommequela
substitutdes langages versifiés:ily a,on le sait,une affinité particulière entre le versetla m axim e,la communication aphoristiqueetlacommunication divinatoire. Et de mêm e que le vers est essentiellem ent un langage mesuré,de même lestempsfortsd'une maxime sontprisonniers d'un nombre :on a des maximes à deux,trois,quatre,cinq ou
significative.Cetermeimpair(c'estlemêmedanslesmaximes à cinq ou à.sept temps) a donc une fonction singulière,
septtemps,selon lenombre desaccentssémantiques.Sije 1is: wl' amourpropreestIeplusgranddetouslesjlatteurs>,larelationd'identitémedésigneseulementdeux termesforts(amourpropreet-f/ srrcur);maissijelis:(6Iebonheuretlemalheurdes homm es ne dépendentpas moins de leur humeur que de la
fortune> z,jevoisbienquej'aiaffaireicih.unemaximeh.quatre
référence générale par rapport h.laquelle la relation devient h.lafoisgénérale,distante etpourtantfondam entale :en logique
ancienne,on diraitquec'estlesujetde lamaxime(cedontelle parle),alorsque1estermespairsensontleprédicat(cequ'ondit dusujet);enlogiquemoderne,c'estunpeucequ'onappelleun parcours de sign6cation,c'est-à-dire la classe référentielle d'objetsàl'intérieurdelaquelle laconfrontation decertains caractèresn'estpasabsurde :carselon la véritém omentanée de la maxime,l'opposition de la bonne etde la mauvaise fortune n'esten quelque sorte valide qu'au regard des vertus.Ainsile terme impair occupe une place suffisam mentexcentrique pour
temps. Ces nombres ne sont pas d'importance égale ' , toute maxime tend évidemm ent,selon le canon de l'artclassique,h. l'antithèse,c'est-à-dire 2tla symétrie;ce sontdonc les m ètres
quelastructuredelamaximesoiten définitivetoujourspaire-
pairs(ils'agittoujoursdemètres44sémantiquesp)quisaturent
Ce caractère obstinémentduelde la structure estimportant, carilcomm andelarelation quiunitsestermes;cetterelationest tributaire de laforce,delararetéetdelaparitédestempsqu'elle enchaîne.Lorsqu'un langage - et c'estle cas de la m axim e propose quelquesterm esdesensfort,essentiel,ilestfatalquela relation s'absorbeen eux :plus lessubstantifs sontforts,plusla relation tend 2tl'im mobilité.C'estqu'en effet,sil'on vous pré-
le plus naturellem entla maxime.Le mètre quaternaire estsans doute le plusaccom pli,carilpermetde développeruneproportion,c'est-à-dire à.la fois une harm onie etune complexité;les exemplesensontnom breuxchezLaRochefoucauld,fondésrhétoriquement sur la m étaphore; ce sont des maximes com me: < çL' élévation estau mérite ce que la parure estaux bellespersonnes> y,o? . lles quatre termes forts sont liés entre eux par un rapportde compensation.C 'est1à un exemple plivilégié d'économ ie binaire;m ais les autres types de maximes,malgré les
apparences,rejoignenttoujours,enfait,uneorganisationà.deux
c'est-à-direbinaire,puisque étantpairs,lestermesde la relation
peuventtoujoursêtredistribuésen deuxgroupesopposés.
sente deux objetsforts ('entendsdes objets psychologiques), parexemple Ia sincérité etla dissimulation,le rapportquis'ins-
taure spontanémententreeux tend toujoursà.êtreunrapport im mobilede manifestation,c'est-à-dired'équivalence :lasincé-
term es;c'estlecasde touteslesm aximesà.nombreimpairde
rité équivaut(ou n'équivautpas)à.la dissimulation:la force
tempsforts;cardanscesmaximes,letermeimpairatoujours
mêm e des term es,leur solitude,leur éclatne permettentguère d'autre mise en rapport,quelles qu'en soientles variations terminologiques.11s'agiten som me,parl'étatm êm e de la structure,d'une relation d'essence,non de faire,d'identité,non de transform ation ;effectivementdanslam axime,lelangage atou-
unefonctionexcentrique;ilresteextérietlrztla structurepaireet
nefaitquelacoiffer;sijelis:eIlfautdeplusgrandesvertus poursoutenirla bonnefortunequeIa mauvaise>>,jevoisbien qu'ilyatroistempsforts(vertus,bonnefortune,mauvaisefortune);maiscestroistermesne reçoiventpasle mêmeaccent: 1esdeuxderniers(bonneetmauvaisefortune)forment1espiliers véritablesdelarelation (ilsserventh.construireuneantithèse),
(
joursuneactivitédéfinitionnelleetnonuneactivitétransitive; un recueilde maximesesttoujoursplusou moins(etcela est flagrantpourLaRochefoucauld)undictionnaire,nonunlivrede
76 Nouvcaux cu îs wïc çcritiques recettes:iléclaire l'être decellainesconduites,non leursm odes ou leurstechniques.Cette relation d'équivalence estd'un type
assez archaïque:définir les choses (à l'aide d'une relation immobile),e'esttoujours plus ou meins les sacraliser,etla maximen'y manquepas,endépitdesonprojetrationaliste. Lam axim eestdoncfol4généralem entsoumise2tune relation
d'équivalence:un termeJ, 't7u/(ounevautpas)1'autre.L'étatle plusélémentairede cetterelation estpurem entcomparatif:la
maxime confronte deux objets,parexemple Iaforce etIa volonté,etsecontente de poserleurrapportquantitatif:tNous
avonsplusdeJprctrquedevolontéz p;cemouvementest1'0rigined'un nombre importantde m axim es.On trouve ici1estrois degrésde la comparaison :plt ls,autant, moins;mais comme la
maximesel 4 surtoutun projetdedénonciation,cesontévidemm entlescomparatifscritiquesquil'em portent:la maxime nous dit qu'il y a dans telle vertu plus de passion que nous ne croyons:c'est12 tson proposhabituel.On le voit,ce propos, si l'on accepte un instantd'en psychanalyserla structure, se fonde tout entier sur une im agination de la pesée;comm e un dieu,
l'auteurdesmaximessoupèse desobjetsetilnousditlavélité des tares' ,peser esten effetune activité divine, toute une iconographie - etfortancienne - en témoigne.M ais La Rochefbucauld n'estpasun dieu;sapensée,issue d'un m ouvem ent
rationaliste,resteprofane:ilneptsejamaisuneFautesingulière etmétaphysique,m aisseulem entdesfautes,pluriellesettem po-
relles:c'estunchimiste,nonun prêtre(maison saitaussique dans notre imagination collective le thèm e divin et le thème
savantrestenttrèsproches). Au-dessusdel'étatcom paratif,voicilesecondétatdelarelation d'équivalence:l'identité;c'est sans doute un étatm ieux fermé,plus mûr,pourrait-on dire,puisqu'icion ne se contente
pasdeprésenteretdeconfronterdeuxobjetspoureninférerun rapport grossiè .rement quantitatif; on définit ce rappol' t en essence,nonplusen quantité;onpose que ceciestcela,parsubstance etpourl'éternité,que lIa modération t?s' rune crainte>p,
que f tl'anlour-propre cst? . ///jlatteur>p,que 6(l'envie tB'fune fureurp >,etc.Ce sontlà desexemplesd'identitéssimples,tout
77 unies,disposées comme un cheminem ent régulier d'essences dansle monde de la vérité imm obile.M aisparfoisaussil'équi-
valenceestplusemphatique:rfNousnentplzydonnonspas(aux gensplusplffour//$ 'quenous)pt pffrlebienquenousleurvoulons faire,ditLaRochefoucauld,tnal' spourlebienquenousvoulons rétrtrpt/ïrp;onrenforceainsilapropositionpositive(lebienque nous voulons recevoir) par la représentation même de son contraire (Iebien queryt?r/A'voulonsfaire);c'estcemouvement à.la fois opposé et convergent que l'on retrouve dans des maximesd'apparencepourtantpeu égalitaire ::Leshommesne vivraicntpas longtemps en société,s'ilsn'étaient/t?. s'dupesles unsdesJlkrrc. v>>;cequiveutproprementdire:1eshomm essont dupes1esunsdesautres,sansquoiilsnevivraientpasen société. M aislarelation laplus significative,au pointqu'ellepourrait passer pour le modèle même de la m axim e selon La Rochefoucauld,e'estla relation d'identité déceptive,dontl'expression courante estla copule restrictive:n'estt ?.wf. , t' 7clémence des .pt
princesn'ests't plfpcrlfqu'unepolitiquepourgagner l' ayection des peuples>p,ou ela c't ppku çrc/rgc. c des sages n'estque l'artde
rofermerJt?r/? 'agitationdanslec'trrfr> z;1esexemplessontici abondantsetclairs;on y reconnaîtfacilementce qu'on appelle-
raitaujourd'huiune relation démystifiante,puisque l'auteur, d'un mot,réduitl'apparence (la clémence,la constance)à.sa réalité(unepolitique,unt grr).N'estqueestensommelemotclef delamaximecarilnes'agitpasicid'unsimpledévoilement(ce qu'indique parfoisl'expression en cJ J 'et,ausensde:enr/(7/ïfll; cedévoilementestpresquetoujoursréducteur;iln'expliquepas, ildéfinitleplus(l'apparence)parlemoins(leréel)1.On serait tenté de faire de cette relation déceptive (puisqu'elle dt koit l'apparence au profitd'uneréalité toujoursmoinsglorieuse), .
l'expression logique de ce qu'on a appelé le pessimisme de La Rochefoucauld ;sansdoute larestriction,sulloutsielle pal' tdes 1.On notera curieusement que si le n'est tyrft,est bien démystifiantdans l'ordredesessences,ildevientmystifiantdansl'ordredu faire.11n'ya qu't)...est le mot plein d'assurance,d'illusion et de ridicule de tous 1es généraux en chambre,
Nouveaux essais critiques vertuspouraboutiraux hasardsetaux passions,n'estpaseuphorique:c'esten apparenceun mouvementavaricieux,contraint, ilrogne surla générosité du m ondc,Sa diversité aussi;m aisce pessimism eestambigu;ilestaussilefruitd'uneavidité,sinon d'explication,du moinsd'explicitation;ilparticiped'unecertaine désillusion sans doute, conform e à. la situation aristocratiquedel'hom m edesm aximes;maisaussi,sûrem ent,d'un m ouvem entpositifde rationalisation,d'intégration d'élém ents disparates:lavision de LaRochefoucauld n'estpasdialectique, ctc'esten cela qu'elle estdésespél fe;m aiselle estrationnelle, etc'esteneela,eomme toutephilosophiede laclarté,qu'elleest progressive' ,copiantLaRochefoucauld lui-m ême,on pourrait dire souslaformerestrictivequiluiétaitchère:lepessim isme dc La Rochefoucauld n'estqu'un rationalism eincomplet.
wReïlexionsouSentencesetmaximespp tuée en spectacle;com me tout spectacle,celui-ci vise à.un
plaisir(hérité detoute une tradition précieuse,dontl'histoire n'estplusà.faire);maisleplusintéressant,c'estquecommetout spectacle aussi,mais avec infinim entplus d'ingéniosité puisqu'ils'agitdelangageetnon d'espace,lapointe estuneform e
derupture. 'elletendtoujoursàfermerlapenséesurunpanache, surcem omentfragile où le verbe se tait,touche à.lafois au silenceeth.l'applaudissement.
Lapointeest,eneffet,presquetoujoursh.lafindelamaxime. Souventm ême,comm e toutbon artiste,La Roehefoucauld la prépare- sans qu'on s'en doute;la maxime comm ence en dis-
coursordinaire(cen'estpasencoreun:maxime);puislapointe seramasse,éelateetfennelavérité.Cepassagedtldiscoursà,la
pointeestd'ordinairesignaléparunehumbleconjonction:cl; ce etn'ajouterien,contrairementà.safonction habituelle;il ouvre,ilestlerideau quiseretire etdécouvrelascène desmots:
Lestermesetlarelation de lam axim eunefoisdécrits,a-t-on
épuisésaforme?Nullement.C'est,je crois,uneerreurque de supposer à.une ceuvre deux seulspaliers:celuide la forme et celuidu contenu ;la forme elle-m êm epeutcomporterplusieurs niveaux :lastructure,on l'a vu,en estun ;m aison avu aussique pouratteindre cette structure,ilfallaiten quelque sorte dégager la m axim e de sa lettre,forcer sa terminologie,le donné imm édiatdela phrase,acceptercertainessubstitutions,certainessimplifications;c'estmaintenantauniveau leplussuperficielqu'il fautrevenir;carlastl-ucttlre delam axim e,pourform ellequ'elle soit,estelle-m ême habillée d'une form esubtile etétincelante,
quienfaitl'éclatetleplaisir(i1y aunplaisirdelamaxime);ce vêtementbrillantetdur,c'estlapointe.Sije1is:rrC'estune espèce de coquetterie de faire remarquer qu' 42,7 n'en fait jamais>z,je sensiciuneintentionesthétiqueh.mêmelaphrase;
jevoisqu'elleconsisteàfaireservirlemotdecoquetterieh.deux projetsdiffdrents,endécrochantpourainsidirel'undel'autre, en sorte que ne pasfaire de coquetterie devienne h.son tourune
coquetterie;bref,j'aiaffaire 2tune véritable constnlction verbale:c'estla pointe (que l'on retrouve aussidans les vers). Qu'est-cequ'unepointe?C'est,sil'on veut,lamaximeconsti-
rLafélicitéestdanslegt plf,etnonpasdansleschoses;etc'est paravoirce qu'on aime qu'on aime etnon paravoirce queles autres trouventaimableAz:toute lafin,avec son antithèse etson identitéinversée,estcomm eun spectaclebrusquem entdécouvert.Carc'estévidem mentl'antithèsequiestlafigurepréférée delapointe;ellesaisittouteslescatégoriesgram maticales,les
substantifs (par exemple ruine/établissement, raison/nature, humeur/esprit,etc. ),lesadjectifs(grand/petit)et1espronoms d'apparencelaplushumble (l'un/l'autre),pourvu qu'ilssoient m isenopposition signifkative;etau-delàdelagramm aire,elle peutsaisir,bienentendu,desm ouvem ents,desthèmes,opposer,
parexemple,toutesles expressions du au-dessus (s'élever)h, toutes celles du au-dessous (abaisser).Dans le monde de la m axime,l'antithèse estune force universelle de signification,
au point qu'elle peutrendre spectaculaire (pertinent,diraient les linguistes) un simple contraste de nombres;celui-cipar exemple :w 11n' y a qued'unesorted' amour,maisily en a mille
différentescopies>,oùc'estl'oppositionun/millequiconstitue lapointe.0nvoitparlàquel'antithèsen'estpasseulementune figure emphatique,c'est-à-direen som m eun simpledécorde la pensée;c'estprobablementautre chose etplus;une fw on de
Nouveaux c. î, slf5'critiques
faire surgirle sensd'une opposition de termes;etcom me nous savonspar1esexplorationsrécentesde la linguistique que c'est
1àleprocédéfondamentaldelasignitication(etcerlainsphysiologistesdisentmêmedelaperception),nouscomprenonsrnieux que l'antithèse s'accorde sibien 2tces langages archaïques que sontprobablementleversetl'aphorisme;elle n'estau fond que le m écanism e tout nu du sens et com me,dans toute sc/ciété évoluée,le retouraux sourcesfonctionne tinalementcom me un spectacle surprenant.ainsil'antithèse estdevenue une pointe, c'est-à-dire le spectaclem ême du sens. A//cm cr,c'estdonc là l'un desdeux procédés de la pointe. L'autre,quiluiest souventcom plém entaire,quoique opposé,
c'estde répéter.La rhétoriqueconventionnelle proscrivait(et prosclitencore)1esrépétitionstroprapprochéesdumê .memot; Pascals'étaitmoqué de cette 1oitoute form elle en dem andant qu'on n'oubliepasle senssousprétexte de faireharm onieux :il y adescas où ilfautappelerParis,Paris,etd'autrescapitale de la France :c'estle sensquirègle la répétition.La m axime,elle, va plus loin :elle aime 2treprendre un terme,surtout sicette répétition peutm arqucrune antithèse:t:On pleure pouréviter Ia honte de nepletlrerpaszz;cette répétitionpeutêtrefragmentaire,ce quipermetde répéterune partie du rnotsansrépéterle
motlui-même:wL'intérêtparlert purcysortesdelangucs etjoue toutcs sortcs de personnages, même celui du Jtfyïnr/rtcucizp; reprenant encore ici l'explication des linguistes,on dira que l'opposition du sensestd'autantplusflagrantequ'elle estsoutenue parun accidentverbalparfaitementlimité :c'estseulement
lepréfixequiopposeintérêtàdésintéressé.Lapointeestunjeu, sansdoute;maiscejeuestauserviced'unetrèsanciennetechnique,celledusens;ensortequcbienécrire,c'estjoueravec1es motsparcequejoueravec1esmots,c'estfatalementserappro-
i $ ' . ,
cher de ce dessin d'opposition quirègle fondamentalement la naissance d'une signification. On le voit bien par certaines constnlctions com plexes,où 1es répétitions s'étendentets'enchevêtrent si obstiném ent que ce que l'on pourrait appeler la faille oppositionnelle s'y voitspectaculairement:le senséclate au milieu d'une nappe d'insignifiances' ,ainside cette m axim e:
i t
wRéflexionsouSentencesetrz?tw' rïrNtr. îz p ws Iz/philosopllie triomplle Jfyérrlcnf des z' zk/u. v passés et des rrlcèfv (ipt?rlf' r,mais /f?îmatfxJprt /kt dn/x triomphcntd' elleAz:une brusque dissymétrie vienticidéranger etparconséquentfaire signifiertoutle train dessym étriesenvironnantes1.
Lcs formes posées, il est peut-être possible m aintenant d'approcherlescontenus.C'est2 tlarelation d'identitérestrictive
(...n'( a>'rque...),dontonaindiquél'effetdéceptif,démystifiant, qu'il fautessentiellcm entrevenir,car quelles qu'en soient1es variations syntaxiques,c'esten elle que la structure verbale de
la maximeetlastructurementalede son auteurse rejoignent. Elle unitdesterm esforts.M aisdu pointde vue du sens,quels sontces termes forts? Le premierterme,celuiquivienten tête de la m axim e,celui précisém ent qu'il s'agit de décevoir,de dégonfler,estoccupé parce que l'on pourraitappeler laclasse
desvertus(la clémence,la Twf//tkrlc' t? ,laforced'âme,Ia . îfnctjrité,leméprisdeIamort);cesvertus,cesontdonc,sil'onveut, desirrcalia,desobjetsvains,desapparencesdontilfautretrouverlaréalité;etcette réalité,c'estévidemm entle second terme quila denne,1uiquia lacharg:derévélerl'identitévéritable des vertus;ce secondterm eestdonc occupé parce quel'onpourrait
appelerlaclasse desrealia,desobjetsréels,quicomposentle monde dont1esvertusne sontque 1essonges.Quelssontces realia qtlicom posentl'hom me?llspeuventêtrede troissortes:
ily a d'abord etsurtout1espassions (la vanité,la fureur,la paresse, l'ambition, soumises à.la plus grande de toutes,
l'amour-proprt);ily aensuite 1escontingences:c'esttoutce quidépend(ltIhasard (etpourLaRochefoucauld,c'estl'undes plusgrandsmaîtresdumonde):hasarddesévénements,quela
langueelassiqueappelleIafortune,hasarddu corps,delasubjectivitéphysique,quecettemêmelangueappellel'humeur' ,ily 1.C'estcedontrendra compte une simple mise en équation de la maxime.
Soita:laphilosophie,b:triompht, rJc,():lesrr zt /f/ x(l,2,3:passés:prt .sentset j l tvenir).Onobtientlafaussesymétriesuivante: ab cI3/e2b a
82 Nouveaux essaiscritiques a enfin une dernièreclasse de réalitésdéfiniesparleurcaractère interchangeable; elles rem placent occasionnellement 1es passions ou les contingences,d'une façon plus indéfinie;ce sont desréalitésatténuées,expression d'unecertaineinsignifiance du
monde;cesontlesactions,lesJc/tkulç,leseffets,motsgénéraux, peu m arqués,suivis d'ordinaire d'une relative quien m onnaye
le sensmaisaussilebanalise(q...un assemblaged'actionset d'intérêtsquelafortuneounotreindustriesaventarranger>); etcom me cesm otstiennentlaplace d'un term e sanscependant le remplird'un sensvéritable,on pourraitreconnaître en eux des m otsmana,fortsparla placequ'ilsoccupentdanslastructurede lam axim e maisvides- ou presque- de sens1.
Entre1esirrealia(vertus)etlesrealia(passions,contingences, actions),ily a un raplx)rtde masque;lesunes déguisentles autres;on saitquele masque estun grand thème classique (1a langueneparlaitpasalorsdemasquemaisdevoileoude/tzrtfl; toutela secondem oitié du xvllesièclea ététravailléeparl'ambiguïtédessignes.Commentlire l'homm e?Latragédieracinienne estpleine de cette incertitude:lesvisagesetles conduites sont
dessignauxéquivoques,etcetteduplicitérendlemonde(Iemondain)accablant,au pointquerenoncerau monde,c'estsesoustraire à.l'intolérable inexactitude du code humain.Cette ambiguïté dessignes,LaRochefoucauld la faitcesseren démasquant lesvertus;sansdoute,d'abord etle plussouvent,lesvertusdites
pakbnnes(parexempleleméprisdelamort),ramenéesimpitoyablement2tl'amotlr-propre ou à l'inconscience (cette réduction
étaitunthèmeaugustinien,janséniste);maisensommetoutes1es vertus;car ce quiimporte,c'estd'apaiser,fût-ce au plix d'une vision pessimiste,l'insupportable duplicité de ccquise voit;or laisser une apparence sans explication réductlice,c'est laisser vivre un doute;pourLa Rochefoucauld,la définition,sinoire soit-elle,a certainem entune fonction rassérénante' ,m ontrerque l'ordre moraln'estquelemasque d'un désordrecontingentesten définitiveplusrassurantqued'en resterh.un ordre apparentmais
q vReïlexlonsouSentencesetmaximespp
83
singulier; pessim iste dans son résultat, la démarche de La Rochefoucauld estbénéfique dansson procédé:elle faitcesser, à chaque maxime,l'angoisse d'un signe douteux. V oilàdonc ununiversquinepeuts'ordonnerquedanssaverticalité.Au seulniveau des vertus,c'est-à-dire desapparences, aucune structure n'est possible, puisque la structure provient précisémentd'un rapportde vérité entrelem anifeste etlecaché. 11s'ensuit que les vertus,prises séparém ent,ne peuventfaire
l'objetd'aucunedescription' ,onnepeutcoordonnerl'héroïsme, la bonté,l'honnêteté etla reconnaissance,parexemple,pouren faire une gerbe de m érites,même sil'on se proposaitde dém ystifierensuitele bien en général;chaque vertu n'existe qu'àpartirdu momentoù l'on atteintce qu'elle cache' ,l'homm e de La Rochefoucauld nepeutdonc se décrire qu'en zigzags,selonune sinusoïdequiva sanscesse du bien apparent2tla réalité cachée. Sansdoute y a-t-ildesvertusplusimportantes,c'est-à-dire pour LaRochefoucauld plusobsédantes:m aisce sontcellesprécisémentoùl'illusion,quin'estqueladistancede la surfaceau fond, estla plusgrande:lareconnaissance parexemple,où l'on pour-
raitpresquevoiruneobsessionnévrotiquedelapenséejanséniste,sanscesseaccabléeparl'intimidationdelafidé -lité(onle voitbien chezRacineoùlat' idélitéamoureuseesttoujoursune valeurfunèbre).etd'unemanièreplusgénéraletoutes1esattitudesde bonne conscience,généraliséessouslenom demérite:
prom sition déjàtoutemoderne,le mériten'esten sommepour LaRochefoucauld que de lam auvaise foi. Ainsinulsystèmepossibledesvertus,sil'onnedescendaux réalitésdontellesnesontqueleretournement.Lerésultatparadoxalde cette dialectique,le voici:c'estt'inalementle désordre
réelde l'homme (désordre despassions,desévénements,des humeurs),quidonne 2tcethomme son unité.On nepeuttixer une structuredesvertus,carcenesontquedesvaleursparasites; m aison peutbien plusfacilem entassignerun ordre au désordre
desrealia.Quelordre?non pasceluid'uneorganisation,mais celuid'une force,ou mieux encore d'une énergie.Lapassion et
1.Surla définition du mana,2tlaquell e je fai s allusion ici,je renvoie à. CI.Lévi-strauss,lhtroduction tl/'œuvredeA' ft7I?. î-ç.
lafortunesontdesprincipesactifs,ledésordre/lïrlemonde:le désordre descontingencescrée,vaillequevaille,laseuleviequi
84 Nouveaux essaiscritiques nous soit impartie. Devant 1es passions et les hasards, La Rochefoucauld m ontre de l'éloquence, il en parle presque comm ede personnes;ces forces s'organisenten hiérarchie;les comm 4ndanttoutes,l'am our-propre.Cetamour-propre a 2tpeu près les propriétés d'une substance chimique - on pourrait presque dire m agique - puisque cctte substance est 2 1 la fois
vitale etunitaire:elle peutêtre infinitésimale(ce qu'indiquent
1esadjectifssubtil,hn,cé?c./ ' lp' ,délicatj,sansperdredesaforce, bien au contraire; elle est partout, au fond des vertus, bien
entendu,maisaussiaufonddesautrespassions,commelajalousieout'ambition,quin'en sontquedesvariété .s:elletransmute tout,les vertusen passions,m aisaussiparfois,tantson pouvoir est illimité,les passions en vertus,l'égoïsme par exemple en bonté;c'estunProtée;comm epuissancededésordre,lapassion
(oul'amour-propre,c'estlamêmechose)estundieuactif,tourm enteur' , par son action incessante, à la fois multitbrme et m onotone,il met dans le mondc une obscssion,un chant de basse dont la profusion des conduites diverses n'est que le contrepoint:le désordre l fpété esten somme un ordre,le seul quinous soitconcédé ..Or,ikforce de constituer la passion en principe actif,La Rochefoucauld ne pouvait qu'apporter une attention aiguë,subtile,inquiète,étonnée aussi,aux inertiesde l'homm e,àtces sortes de passions atones,quisont comme le
négatifou mieux cncorelescandaledelapassion:lafaiblesse etlaparesse;ily aquelquesmaximespénétrantessurcesujet' , com mentl'homm epeut-ilêtreztlafois inactifetpassionné?La Rochefoucauld aeu l'intuition de cette dialectique quifaitdela négativitéune force;ilacomprisqu'ily avaitdansl'hom meune résistance 2 1la passion,maisque cette résistance n'étaitpasune vertu,un effortvolontaire du bicn,qu'elle étaitau contraireune secondepassion,plusruséequelapremière;c'estpourquoiilla considère avec un pessim isme absolu ;1espassionsactivessont finalement plus estimables,parce qu'elles ont une form e;la
paresse(oulafaiblesse)estpluscnnemiedelavertuquelevice, elle alimente l'hypocrisie,joue 2tla frontière des vertus,elle prend par exemple le masque de la douceur;elle est le seul défautdontl'hom me ne puisse se corriger.Sa tare fondamen-
wRXlexionsouSentetlcesetmaxilnes) >
85
tale,c'estplfcisément,parson atonie,d'empêcherladialectique mêmedubien etdum al:parexem plc,onnepeutêtrebonsans une certaine m échanceté;mais lorsque l'homm e se laisse saisir parla paresse de la mlchanceté,c'estla bonté mêm e qui1uiest inéluctablem entdérobée.
Onlevoit,ilyadanscetédiflceprofondunvertigedunéant: descendantde palier en palicr,de l'hérok 'sme 2tl'ambition,de
l'ambition2tlajalousie,onn'atteintjamaislefonddel'homme, onnepeutjamaisendonnerunedéfinitiondernière,quisoitinfductible ;quand l'ultime passion a été désignée,cette passion elle-même s'évanouit, elle peut n't ètre que paresse, inertie, néant' ,la maxime estune voie intinie de déception;l'hom me n'estplusqu'un squelette de passions,etce squelette lui-même n'estpeut-êtrequelefantasnled'un rien :l'homme n'cu îr/pc/u s 'sûr. Ce vertige de l'irréelestpeut-être larançon de toutes lesentreprises de démystification,en sorte qu'à la plus grande lucidité correspond souvent la plus grande irréalité. D( jbarrassant l'homm e de ses m asques,comm ent,où s'arlfter? La voie est d'autant mieux ferm ée pour La Rochefoucauld que la philosophie de son temps ne luitburnissaitqu'un monde composé d'essences;la seule relation que l'on pouvaitraisonnablement supposer2tcesessencesétaitunerelation d'identité,c'est-à-dire une relation immobile,ferm t g aux idées dialectiques de retour, de circularité,de devenirou detransitivitk j;ce n'estpasque La Rochefoueauld n'aiteu une certaine im agination de ce qu'on appelait alors la contrariété; sur ce point, certaines de ses maximes sontétrangementm odernes;admis la séparation des essences m orales ou passionnelles,il a bien vu qu'elles pouvaientnouercertainséchanges,quelem alpouvaitsortirdu bien,
qu'un excès pouvaitchanger la qualité d'une chose;l'objet même de son frpessim isme>),c'esten définitive,au boutde la m axim e,horsd'elle,le monde,1esconduitesquel'onpeutou ne
peutpas y tenir,bref l'ordre du faire,comme nous dirions aujourd'hui)cepressentimentd'unetransformationdesessences fatales par la praxis hum aine, on le voit bien dans la distinction fréquente que La Rochefoucauld é .tablit entre la
substance d'un acte (aitner,louer)etson mode d'accomplis-
Nouveaux essais critiques
sement:rtOncroitquelquefoisJ/ézi' rlaf/tkrfcr/c,maisonrlphait queIamanièredejlatterpp;ouencore:qL'amour,toutagréable qu'ilest,plaîtencore/J/I/. îpar/T?A'manièresJt???/ilse montreque par /f/à-?' >lt?>?/T?.lpM ais au m om entmême où La Rochefoucauld semble affirmer le m onde en récupérantztsa façon la dialec-
tique,unprojetmanifestementmoralintervient,quiimmobilise ladescription vivante sousladéfinition terroriste,le constatsous 1esambigui' tésd'uneloi,quiestdonnée h.la foiscomm em orale etphysique.Or,cette impuissance 2tarrêterà un certain m om ent ladéception du m onde,elle esttoutentièredansla forme m ême desM aximes,danscette relation d'identitérestrictive,àlaquelle ilfautdone une fois de plus revenir.Carsiles vertus oceupent le premierterme de la relation et1espassions,contingences et actions le second term e,et sile second terme estdéceptifpar
rapport au premier, cela veut dire que l'apparence (ou le masque)constituelesujetdu discoursetquelaréalitén'en est que le prédicat;autrementdit,le monde entierest vu,centré, dirait-on en term es de photographie, sous 1es espèces du paraître,dontl'être n'estplusqu'un attribut;certesladém arche
deLa Rochefoucauld semble 2tpremière vue objectivepuisqu'elle veutretrouver l'être sous l'apparence,le réeldes pas-
sionssousl'alibidesgrandssentiments;maisce quiestprojet authentique de vérité reste pourainsidireim mobilisé,enchanté dansla form e de la m axim e:La Rochefoucauld a beau dénoncer1es grandes entitésde la vie morale com me de purs songes,
iln'enconstituepasmoinscessongesensujetsdudiscours,dont finalementtouteI'explicatl bn conséquentereste prisonnière:1es vertussontdes songes,maisdessongespétrifiés:cesmasques occupenttoute la scène;on s'épuiseà 1espercersanscependant
jamais1esquittertout2tfait:lesMaximessontà.la longue comm eun cauchem arde vérité.
wReylexionsouSentencesetmaximes>z 87 nousapprennentt ènousconnaîtrenous-mêmes,qu'eneutlefou d' Athènesde seplaindre du médecin quil'avaitguéridel'opinion d'être riche.>>La Rochefoucauld aborde ici,de biaisetpar une référence d'époque aux m oralistes de l'Antiquité,le statut m êm edu démystificateurau sein du groupeque toutà lafoisil exprime etilattaque.L'auteurdes maximes n'estpasun écri-
vain;ilditlavérité(dumoinsilenaleprojetdéclaré),c'estlà sa fonction :il préfigure donc plutôtcelui que nous appelons l'intellectuel.Or,l'intellectuelesttoutentierdéfiniparun statut contradictoire;nul doute qu'ilne soitdélégué par son groupe
(icilasociétémondaine)ztunetâcheprécise,maiscettetâcheest contestatrice;en d'autres termessla société charge un hom me, un rhéteur,dese retournercontre elle etde la contester.Telest le lien ambigu quisem ble unirLa Rochefoucauld 2tsa caste;la m axim e est directem ent issue des Salons,m ille tém oignages historiques le disent;etpourtantla m axime ne cesse de contester la m ondanité;toutse passe comm e sila société mondaine s'octroyaità.traversLa Rochefoucauld le spectacle de sa propre contestation ;sansdoute cette contestation n'est-elle pas véritablementdangereuse,puisqu'elle n'estpaspolitique,m aisseulementpsychologiquu,autorisée d'ailleursparle climatchrétien; comm entcette aristocratie désabusée aurait-elle pu se retourner contre son activité mêm e,puisque cette activité n'étaitpas de travailmaisd'oisiveté? Lacontestation deLaRochefoucauld,à. la foisâpre etinadéquate,définitassez bien 1eslimites qu'une caste doitdonnerà sapropre interrogation siellela veutltla fois purifiante etsansdanger:1es limites même de ce qu'on appelleratroissièclesdurantlapsychologie. En somm elegroupe demande 2tl'intellectuelde puiseren luimêm e les raisons- contradictoires- de le contester et de le représenter, et c'est peut-être cette tension, plus vive ici qu'ailleurs,qui donne aux M aximes de La Rochefoucauld un
caractèredéroutant,dumoinssinouslesjugeonsdenotrepoint La démystification infinie que 1esM aximesm ettenten scène même : il y a des m axim es sur les m aximes; celle-ci par
de vue m oderne ;l'ouvrage, dans son discontinu,passe sans cesse de la plus grande originalité 2tlaplusgrande banalité;ici desm axim es dontl'intelligence,la modernité mêm e,étonne et
exemple:6(On a tr /l/ri/lkrde. îl(k/çde seplal hdre de ceux qui
exalte;12tdestruismesplats(cequineveutpasdirequ'ilssoient
nepouvaitlaisseràl'écart(à l'abri)lefaiseurdemaximeslui-
88
Nouveaux t ?, s ' . î(?9 critiques
justes),ilestvraid'autantplusneutresquetouteunelittérature lesadepuisbanalisésjusqu'àl'écœurement;lamaxim:cstun êtrebl frons,icitragique,1àbourgcois;endépitdesafrappeaustère,de son écriturecinglante etpure,elleestessentiellem entun
Lesplanchesde /'wEncyclopédie>>
discours ambigu,situé à la frontière de deux mondes.Quels mondes?Onpeutdire:celuidelamortetceluidujeu.Ducôté delam ort,ily alaquestion tragiqueparexcellence,adresséepar
l'hommeaudieumut )t:quisuisje?C'estlaquestionsanscesse formuléeparle héros racinien,ériphyle parexemple,quine cessede vouloirseconnaître etquien meurt;c'estaussilaquestion desM aximes:ily estrépondu parle tenible,parle funèbre n'est que de l'identité restrictive,et encore,on 1'a vu,cette
réponse est-elle peu sûre,ptlisque l'homme ne quittejamais franchementle songe de la vel-tu.M aiscette question moltelle,
c'estaussi,parexcellence,laquestiondetous1esjeux.Eninterrogeantœ dipesurl'être de l'hom me,leSphinx a fondé à.lafois
le discours tragique etle discoursludique,lejeu de la mol4 (puisquepourœdipelamortétaitleprixdel'ignorance)etlejeu desalon.Quiêtes-vous?Cettedevinetteestaussilaquestiondes
Notrelittératureamistrèslongtempsàtdécouvrirl'objet;il fautattendre Balzac pourque le roman ne soitplus seulement l'espace de purs rapports humains,mais aussi de matières et
d'usagesappelésàjouerleurpartiedansl'histoiredespassions: Grandeteût-ilpu être avare (littérairementparlant),sans ses boutsdechandelles,sesm orceauxdesucreetsoncrucitixd'or? Bien avantla littérature,î'Encyclopédie,singulièrementdansses planches,pratiquece que l'on pourraitappelerune certainephi-
losophiedel'objet:c'est-à-direqu'elleréfléchitsursonêtre,
M aximes; on l'a vu,tout,dans leur stnlcture,esttrès proche
opèreà.lafoisunrecensementetunedéfinition;ledesseintech-
d'unjeuverbal,nonpas,bienentendu,d'unhasarddcsmotstel
nologiqueobligeaitsansdoute h.décrire desobjets;maisen
que pouvaientle concevoirlessurréalistes,eux aussid'ailleurs faiseursdem axim es,m aisdu moinsd'une soum ission du sensà. certainesform espré-établies,com me silarègleformelleétaitun instrument de vérité.On sait que les m axim es de La Roche-
séparantles images du texte,z'Encyclopédie s'engageait dans
foucauldsonteffectivementnéesdejeuxdesalons(portraits, devinettes,sentences);et cette rencontre du tragique et du mondain,l'un frôlantl'autre,cen'estpaslam oindredesvérités que nousproposentlesM aximes:leursdécouvertespeuventici et l2tpasser, emportées par l'histoire des hommes, mais leur
projetreste,quiditquelejeutouche2tlamol4dusujet1.
une iconographie autonome de l'objet,dont nous savourons aujourd'huitoutelapuissance,puisquenousneregardonsplus cesillustrations2tdesfinspuresde savoir,com me onvoudraitle montrerici.
Lesplanchesdel'Encyclopédieprésententl'objet,etcette présentation ajoutedéjàà.lafindidactiquedel'illustrationune justit scationplusgratuite,d'ordreesthétiqueouonilique:onne sauraitmieux comparerl'im agerie de î'Encyclopédie qu'à l'une de cesgrandesexpositionsquisefontdanslem onde depuisune centaine d'annéesetdont,pourl'époque,l'illustration encyclo-
pédiquefutcommel'ancêtre:ils'agittoujoursdanslesdeuxcas àlafoisd'un bilan etd'un spectacle :ilfautallerauxplanchesde
k'Encyclopédie(sansparlerdebiend'autresmotifs)commeonva 1.PréfaceztLa Rochefoucauld,Réflexionst pz/Sentettcesetr? 3rC. T r? 'rdt ?. ç,Club
françaisdu livre,l961.
aujourd'huiauxexpositionsdeBruxellesoudeNew York.Les objetsprésentés sontà lalettreencyclopédiques,c'est-à-dire
90 Nouveauxessaiscritiques qu'ilscouvrenttoute la sphère desm atièresm ises en forme par l'hom me: vêtements,voitures,ustensiles, arm es,instruments, meubles,toutce que l'hom me découpe danslebois,le métal,le verreou lafibre esticicatalogué,du ciseau h.lastatue,de la fleur
m ificielleaunavire.Cetobjetencyclopédiqueestordinairement saisiparl'imageà.troisniveaux:anthologiquelorsquel'objet,
Lesplanchesde/'wEncyclopédie>> 9l parleurmatière,résistantemaisnon cassante,constructiblemais non plastique.Rien ne montremieux cepouvoird'humanisation du boisque1esmachinesdej'Encyclopédie;danscemondede
latechnique(encoreartisanale,carlagrandeindustrien'estpas née),lamachineestévidemmentunobjetcapital;orlaplupart
isolé detoutcontexte,estprésenté en soi;anecdotique,lorsqu'il est p 97 com munication intellectuelle :le sensn'estachevéquelorsqu'il est en quelquc sorte naturalisé dans une action com plète de l'hom me;pourj'Encyclopédie aussi,iln'y a de message qu'en situation.On voitpar 1à combien t' inalem ent le didactism e de L'Etlcyclopédie est ambigu :très tbrt dans la partie inférieure
(paradigmatique)delaplanche,ilstldilueztsonniveau syntagmatique,rejoint(sans se perdre vraiment)ce qu'ilfautbien appelerla vérité romanesqu: de toute action humaine.i son étage dém onstratif, la planche encyclopddique constitue une langue lwlïct z/c,faite depursconcepts,sans mots-outilsnisyntaxe;ztl'étage supérieur,cette langue radicalc devientlangue humaine, elle perd volontairement en intelligible ce qu'elle gagne en vécu. La vignette n'a passeulementune fonction cxistentielle,m ais aussi,sil'on peutdire,épique;elle estchargée dercpré .senterle
termeglorieuxd'ungrandtrajet,celuidelamatièretransformée, sublim ée parl'hom me,2ttraversune série d'épisodcsetde stations:c'estce que symbolise parfaitcmentla coupe du moulin, où l'on voitlegrain chem inerd'étageen étage pourse résoudre en farine. La démonstration apparaît encore plus forte lorsqu'elleestvolontairementartificielle :parlaporte ouvcrted'une boutiqued'armes,on apewoitdansla ruedcux homm esen train deferrailler:la scène estpeu probable,logiquecependantsil'on
veutmontrerletermcultimedel'opération(sujetdelaplanche), quiestlefourbissage:ily a un trajetde l'objetquidoitêtre honoréjusqu'aubout.Cetrajetestsouventparadoxal(d'oùl'in-
desconstellations(leBouvier,leDauphin,laBalance,leChien).
térêtqu'ily a2ten bienmontrerlestermes);unemasseénorme
Cependantlavignette,condensé de sens,offreaussiune résistance au sens,etl'on peutdirequec'estdanscettelfsistance que paradoxalem entle langage de la planche devient un langage complet,un langage adulte.11esten effetévidentque pour un lecteur de l'époque la scène elle-m ême comporte souvent très peu d'informations neuves: qui n'avait vu une boutique de pâtissier,une campagne labourée, une pêche en rivière? La
l'objetfini,sidifférentde l'appareilquiluia donnénaissance, estplacéenregard;l'effetetlacause,juxtaposés,formentune figure du sens parcontiguïté (qu'on appelle métonymie):la charpente du métiersigns'efinalementla tapisserie.Le paradoxeatteintsoncomble(savoureux)lorsqu'onnepeutplusper-
fonction dela vignetteestdonc ailleurs:le syntagme (puisque c'estde1uiqu'ils'agit)nousditici,unefoisdeplus,quelelangage (à plusforte raison le langage iconique)n'estpaspure
deboisetde cordagesproduitune gracieuse tapisserie à.t -leurs:
cevoiraucun rapportde substance entre la matière de départet
l'objetd'arrivée:chezlecartier,lescartes2tjouernaissentd'un vide,le trou du carton ;dansl'atelierdu tleuriste artificiel,non seulementrien nerappellelafleurm aisencorelesopérationsqui
98 Nouveaux pu î. ît7f5'critiques s'y mènentsontconstamm entantipathiquesztl'idée defleur:ce sontdespoinçonnages,descoupsdem arteau,desdécoupagesh. l'emporte-pièce : quel rapport entre ces épreuves de force et la fragile efflorescence de l'anémone ou de la renoncule? Précisémentun rappol' thumain,celuidu faire tout-puissantde l'homm e,quide rien peutfaire tout. Lu'Encyclopédie tém oigne donc constam mentd'une certaine épopée de la m atière,mais cetteépopée estaussid'une certaine
Lesplanchesde l':Encyclopédiep A 99 teurs;vous allez de la nature à la socialité;mais sivouslisez l'image dehauten bas,en partantde lavignette,c'estle cheminem entde l'espritanalytique que vous reproduisez)le m onde
façoncelledel'esprit:letrajetdelamatièren'estautrechose,
delecture:uneimageesttoujoursprivéedevecteurlogiqtle(des
pourl'encyclopédiste,quelecheminementdelaraison :l'image a aussiune fonction logique.Diderotleditexpressémentà.proposde la machine à.faire desbas,dontl'im ageva reproduire la structure :rOn peutla regardercomme un seuletunique rai-
expériences récentestendent2tle prouver);celles de l'17 >?c' y-
vousdonnedel'usuel,del'évident(c'estla scène);avec l'encyclopédiste,vousdescendez progressivem entaux causes,aux matières,aux élém entspremiers,vous allez du vécu au causal,
vousintellectualisezl'objet.Leprivilègedel'image,opposéeen
celah.l'écriture,quiestlinéaire,c'estden'obliger21aucunsens
dispose le h:la vignette (1e syntagme) sertde
clopédie possèdentune circularité précieuse:en peut1es lire 2 t partir du vécu ou au contraire de l'intelligible :le m onde réel n'est pas réduit,ilest suspendu entre deux grands ordres de réalité,à.la vérité infductibles. Tel est le système informatif de l'image encyclopé .dique. Cependant l'inform ation n'estpas close avec ce que l'image pouvaitdire au lecteurdeson époque :le lccteurmoderne reçoit luiausside cette image ancienne des inform ations que l'encyclopédiste ne pouvait prévoir: inform ations historiques tout d'abord :ilestassez évidentque lesplanchesde L'Encyclopédie sontune mine de renseignementsprécieux surla civilisation du
conclusion.Ce caractère logique de l'im age a un autre m odèle, celui de la dialectique :l'im age analyse,énumère d'abord les
xvlllesiècle(toutau moinsdesapremièremoitié);information rêveuse,sil'onpeutdire,ensuite:l'objetd'époque t jbranleen
élémentséparsdel'objetoudel'opérationet1esjettecommesur
nous des analogies proprement modernes;c'est l2tun phéno-
une table sous les yeux du lecteur,puis les recompose,leur
mène de connotation (la connotation,notion linguistique précise,estconstituéeparledéveloppementd'unsenssecond),qui justifieprofondémentl'éditionnouvelledesdoctlmentsanciens.
s' tprlrltrrrltrnrdontlafabrication del'ouvrage estla conclusion; aussi règne-t-il entre ses parties une si grande dépendance
qu'en retrancheruneseule,tpualtérerlaformedecellesqu'on jugelesmoins importantes,c'estnuïrc(itoutIe mécanisme.> On trouve iciprophétiquement form ulé le principe mêm e des ensemblescybernétiques;la planche,image de la m achine,est bien à.sa façon un cerveau ;on y introduitde la matière etl'on
adjoignantmême pourfinirl'épaisseurde la scène,c'est-àdire de la vie.Le m ontage encyclopédique estfondé en raison : ildescenddansl'analyse aussiprofondém entqu'ilestnécessaire
Prenez par exem ple la diligence de Lyon; L'Encyclopédie ne
pourr :apercevoirIesélémentssansconfusion>(selonunautre
pouvait viser à.rien d'autre qu'à la reproduction objective
motde Diderot,h.propos précisémentdes dessins,fruits d'en-
-
quêtessurplace menéespar1esdessinateursdanslesateliers): l'im age estune sorte de synopsis rationnel:elle n'illustre pas
seulementl'objetousontrajet,maisaussil'espritmêmequile pense;ce double m ouvem entcon-espond à.une double lecture; sivouslisez laplanchede basen haut,vousobtenez en quelque
sorteunelecturevécue,vousrevivezletrajetépiquedel'objet, son épanouissem entdans le m onde complexe des consom ma-
m ate,pourrait-on dire - d'un certain moyen de transport;oril se trouve que ce coffre m assifetferm é éveille toutde suite en nouscequel'on pourraitappeler1essouvenirsdel'imagination : histoiresde bandits,enlèvem ents,rançons,transferts nocturnes deprisonniersm ystérieux,etmêm eplusprèsde nous,westerns, toutle mythehéroïqueetsinistrede la diligence estl2t,danscet
objetnoir,donné innocemment,comme auraitpu le faire une photographie de l'époque.11y a une pwfondeur de l'image
Nouveaux essaiscrïrït zut?. î
encyclopédique,celle-làzrkt lmedu tenlpsquitransformel'objet en m ythe. Ceciam èneztcequ'ilfautbien appclerla Poétiquedel'image encyclopédique,sil'on acceptede détinirla Poétiquecomme la sphère desvibrations infiniesdu sens,au centre de laquelle est
placél'objetlittéral.Onpeutdirequ'iln'y apasuneplanchede
Lesplanchesde/'t:Encyclopédiezz
pasletraumatismeoriginelattachéztcetobjet.11yaunecertaine horreuretunecertainefascinationcommunes2tquelquesobjets etquifondentprécisé .mentcesobjetsen uneclassehomogène, dontlaPoétiqueaftirme l'unité.etl'identité.C'estcetordrepro-
fond delamétaphore quijustifie-poétiquement-lerecoursà. unecertaine catégoriedu monstrueux (c'estdu moins,selonla
k'Encyclopédie quine vibrebien au-delà de son proposdém onstratif.Cette vibration singulière estavanttoutun étonnement.
loi de connotation, ce que nous percevons devant certaines
Certcs,l'iluage encycloptjdique esttoujoursclaire;maisdans
matique matrice ou celuidu buste aux brascoupés,ztla poitline
une rdgion plusprofonde de nous-mêmes,au-delàde l'intellect, ou du moins dans son profil, des questions naissent et nous débordent.Voyez l'étonnante image de l'homm e réduit 2 tson
ouvefte,auvisagerévulsé(destinéà.nousmontrerlesartèresdu thorax);monstressurréalistes(cesstatuesé ,questresgainéesde cireetde liens),objetsimmensesetincompréhensibles(àmi-
réseaudklveines;l'audaccanatomiquerejointicilagrandeinterrogation poé .tiquet ztphilosophique:Qu'est-cegut?c'est?Quel
chemin entre le basetle portemanteau,etquinesontnil'un ni
nom donner?Commentdonnerunnom ?M illenom ssurgissent, se délogent1csuns1esautres:unarbre,un ours,un m onstre,une chevelure,uneétoffe,toutcequidëborde la silhouette hum aine, la distend,l'attire vers des régions lointaines d'elle-même,lui faitfranchir le partage de la nature;cependant,de même que dansl'esquisse d'un m aître,le fouillisdescoups de crayon se résout finalem ent en une forme pure et exacte,parfaitem ent signifiante,delzlênleicitoutis 1esvibrationsdu sensconcourent
h.nousimposerune certaineidée de l'objet)danscette forme d'abord humaine,puis anim ale,puis vtgétale,nousreconnais-
sonstoujoursune sorte desubstanceunique,veine,cheveu ou fil,etaccédons2tcette grande matièreindiffdrenciée dontlapoésie verbale ou picturale est le mode de connaissance :devant
l'homme de ï'Encyclopeklie,ilfautdire Iejibrvux,commeles anciens Grecs disaientI'llumidc ou Ie c' /?fkul ou le rond :une certaine essence de 1a znatière t zsticiaffirmée. 11ne peut en effet y avoir de poésie anarchique.L'iconographie de k'Encyclopédie estpoétique parce que les déborde-
mentsdu sensy onttoujoursune certaine unité,suggèrentun sensultim e,transcendantàtouslesessaisdu sens.Parexemple: l'im age de la m atrice est' à.vraidire assez énigmatique;cepen-
dantsesvibrationsmétaphoriques(ondiraitun bœufécorchéà l'étal,un intérieurde corpsquisedéfaitetflotte)ne contredisent
planches):monstresanatomiques,commec'estlecasdel'énig-
l'autredanslemétier2tbas),monstresplussubtils(assiettesde poison auxcristauxnoirsetaigus),toutescestransgressionsde lanaturefontcomprendrequelepoétique(carlemonstnleuxne
sauraitêtrequelepoétique)n'estjamaisfondéqueparundéplacement du niveau de perception : c'est l'une des grandes
richessesde k'Encyclopédie que de varier(au sensmusicaldu
terme)leniveauauquelunmê -meobjetpeutêtreperçu,libérant ainsilessecretsm êmesde la forme :vue au microscope,la puce devientun horrible monstre,caparaçonné de plaquesdebronze, munid'épinesacérées,à la tête d'oiseau méchant,etcem onstre atteintau sublime étrange des dragons mythologiques;ailleurs etdans un autre registre,le cristalde neige,grossi,devientune fleur compliquée et harmonieuse.La poésie n'est-elle pas un certain pouvoirde disproportion,com me Batldelaire 1'a sibien VU en décrivant 1es effets de réduction et de précision du hachisch ?
Autre catégorie exemplaire du poétique (2tcôté du mons-
tmeux):unecertaineimmobilité.Onvantetoujourslemouvement d'un dessin. Cependant, par un paradoxe inévitable, jbimagedu m ouvementnepeutêtre qu'anétée;poursesignifier lui-m ême,lemouvementdoits'im mobiliserau pointextrê .mede sa course' ,c'estce repos inouk' ,intenable,que Baudelaire appelaitla vérité em phatique du geste etque l'on retrouve dans la peinture démonstrative,celle de Grosparexemple' ,à.ce geste
l02 Nouveaux &5' m f5'critiques suspendu,sur-signifiant,on potlrraitdonner le nom de numen, car c'estbien le geste d'un dieu qui crée silencieusement le destin del'homm e,c'est-à-direlesens.DansL'Encyclopédie,les gestesnum ineux abondentcarcequefaitl'hom mene peuty être insignifiant.Dansle laboratoire dechinlie,parexemple,chaque personnage nousprésentedesactes Iégèrenlentim possibles,car 2tla vérité un acte ne peutêtre 2tla foisefficace etsignifiant,un geste nepeutêtre tout2tfaitun acte:le garçon quilave lesplats, curieusement,ne regarde pas ce qu'ilfait;son visage,tourné versnous,laisse 2tl'opération qu'ilmène une sorte de solitude dém onstrative;etsiles deux chim istes discourententre eux,il estnécessairequel'und'eux lèveledoigtpournoussignifierpar ce geste emphatique le caractère docte de la conversation.De m êm e,dansl'école deDessin,1esélèves sontsaisisau m om ent
presqueimprobable(àforcedevérité)deleuragitation.11yaen effetunordrephysiqueol ' tleparadoxedeZénond'zléeestvrai, . où laflèchevole etnevole pas,vole denepasvoler,etcetordre
estceluidelapeinture(icidudessin). On le voit,la poétique encyclopédique se définittoujours com me uncertain infalism e.C'estlagagetlredeL'Encyclopédie
(danssesplanches)d'être2tlafoisuneœuvredidactique,fondée
enconséquenccsuruneexigencesévèred'objectivité(de>La vieillesse estun temps otll'onm eurtà.m oitié,elleestlam ortsanslenéant.Cepara-
doxe a un autre nom,c'estl'Ennui(de M mede Rambouillet vieillissante:e11y avaitl/jtèlongtempsqu'ellen'existaitplus, tèmoinsdecompterdesjoursquiennuient>z);l'ennuiestl'ex-
pression d'un tempsen trop,d'une vie en trop.Dans cettedéréliction,quiest chantée tout au long de la Vie de Rancé sous
couvertde piété (Dieu estun moyen commode pourparlerdu néant),on reconnaîtra un thème adolescent2 la vie me fut fn-ff ètjt?.- Quefaisje dansle monde?;par ce sentimentprofondémentexistentiel(etmêmeexistentialiste),laWt?deRancé, sousl'appareilchrétien,faitpenserztf.. tkNausée;lesdeux expériences ont d'ailleurs la même issue : écrire: seule l'écriture peutdonner du sens à l'insignifiant;la différence,c'estque la déréliction existentielle est infligée à.l'hom me d'une façon métaphysique,par-delà1esâges;Chateaubriand,lui,estde trop par rapporth.un temps antérieur,à.un être de ses souvenirs; lorsque le souvenir apparaîtcom me un système completde
représentations(c'estlecasdesMémoires),lavieestterminée, lavieillessecommence,quiestdutempspur(jenesuisplusque le temps);l'existencen'estdoncpasrégléeparla physiologie
108 Nouveatlx essais critiques mais parla m ém oire;dès que celle-cipeutcoordonner,struc-
turer(etcelapeutarrivertrèsjeune),l'existencedevientdestin, maisparlà mêmeprend fin,carle destinnepeutjamaisse conjuguerqu'aupasséantérieur,ilestuntempsfermé.étantle regard quitransform e la vie en destin,la vieillesse faitde la vie une essence m ais elle n'est plus la vie.Cette situation para-
Cllateaubriand:tfW trdeRancé>>
109
nullementprojective (ou du moins son projetesttrès particulier);certesilexistecertainesressemblancesentre Rancéet Chateaubriand ;sansparlerd'uneffstaturep comm une,leretrait
mondain de Rancé (sa conversion) double la séparation du monde imposée (mythiquement) à Chateaubriand par la vieillesse :tous deux ontune arrière-vie' ,mais celle de Rancé
doxale faitde l'homme quidure un être dédoublé (Chateaubriand parle deL'arrière-b'ie de Rancé),quin'atteintjamais h.
estvolontairementmuette,en luile souvenir (de sajeunesse brillante.lettrée,amoureuse)nepeutprécisémentparlerquepar
une existence complète :d'abord 1eschimères,ensuite lessou-
la voix de Chateaubriand,quidoitse souvenirpourdeux;d'où
venirs,maisjamaisen somme lapossession:c'estla dernière impasse de la vieillesse:1es chosesne sontque lorsqu'elles ne
l'entrelacs,nondesentiments(Chateaubriand sesenth.vraidire peudesympathiepourRancé),maisdessouvenirs.L'immixtion
sontplus;r tM trursd' autrefois,J, ' t/r/u :nerenaîtrezpas;etsiptpu. î
deChateaubriand danslaviedeRancén'estdoncnullementdif-
renaissiez,retrouveriez-vousle charmedotltvousa parc sesvotre
fuse,sublime,imaginative,enun mot>11y a dans ce ressassementbrisé,quiestle contraire d'une assim ilation,etparconséquent,selon le senscourant,d'une >Chateaubliand saitbien qu'ildépassera sa vie' ,m aisce n'estpas l'impossible hum ilité qu'il veut nous faire entendre; ce que l'urne, la Norvège,le ventglissenten nous,c'estquelque chose du nocturne etde la neige,une certaine désolation dure,grise,froide, bref autre chose que l'oubli,qui en estle simple sens anago-
gique.Lalittérature n'esten sommejamaisqu'uncertainbiais, dans/ct yrfc/on seperd;elle sépare,elle détourne.Voyez la mol4 de M rr ' cde Lamballe :t:Sa vie s'envola comme cé passereau
d'une barquedu RIllne qui,h/tnîîtftjmort,faitpencheren se débattantl'cu çt yut/-trop tr/ltkrp/> p;nous voicibizanementtrès loin de laRévolution. Telle est,semble-til,lagrandefonction de la rhétoriqueetde
sesfigures:faireentendre,enrrlérrlt?temps,autrechose.Quela ViedeRancésoituneœuvrelittéraire(etnon,ounonpasseulement,apologétique),celanousentraînetrèsloin de lareligion,
.
eticiledétourestencoreunefoisassum éparune t' igure :l'antithèse.L'antithèse est,selon Rousseau, vieille com me le langage;maisdans la Viede #c?r!cW,qu'elle structure entièrement,
phore ne rapproche nullement des objets, elle sépare des
elle ne sertpasseulementun dessein démonstratif(1afoirenverselesvies),elleestun véritable4droitdereprisepdel'écli-
mondes;techniquement(carc'estlamêmechosequedeparler
vain surle temps.Vivantsaproprevieillessecomm eune forme,
technique ou métaphysique),on diraitaujourd'huiqu'elle ne porte pas surun seulsignifiant(commedans lacomparaison
Chateaubriand nepouvaitsecontenterdelaconversion
tanttoussabontéetsapauvreté,cejauneestaussitoutsimplementjaune,ilneconduitpasseulementunsenssublime,bref intellectuel,ilreste,entêté,au niveau descouleurs(s'opposant parexempleaunoirdelavieillebonne,ztceluiducrucifix):dire un chatjauneetnon un chatperdu,c'estd'une certainefaçon l'actequiséparel'écrivaindel'dcrivant,nonparcequelejaune < ffaitimage$$,mais parce qu'ilfrappe d'enchantem ent le sens intentionnel,retournelaparoleversunesorted'en t/trjr tkdu sens;
le chatjaune ditlabonté de l'abbé Séguin,mais aussiildit moins,etc'esticiqu'apparaîtle scandale de la parole littéraire. Cette parole esten quelque sorte douée d'une double longueur
d'ondes;lapluslongueestcelledu sens(l'abbé Séguinestun sainthomme,ilvitpauvrementencompagnied'unchatperdu); la pluscourte ne transm etaucune information,sinon la littérature elle-mêm e:c'est la plus mystérieuse,car,2tcause d'elle, nous nepouvonsréduire la littérature ztun système entièrement déchiffrable ' .la lecture,la critique ne sontpas de puresherméneutiques.
Occupétoutesaviedesujetsquinesontpasproprementlittéraires,la politique,la religion,le voyagc,Chateaubriand n'en a pas moins été toute sa vie un écrivain dc plein statut:sa
conversion religieuse (de jeunesse), il l'a immédiatement convertieen littérature (Le Géniedu christianistne);de même poursafoipolitique,sessouffrances,savie;ila pleinementdisposé dansnotre langue cette seconde longueurd'ondesquisuspend la parole entre le sens et le non-sens. Certes,la prose-
spectacle (z'épidictique, comme disaient les Grecs) est très ancienne,elle règnechez tousnosClassiques,cardèslorsque la
Lechatjaunedel'abbe'k vcef glfl'n
rhétoriquenesertplusdesfinsjudiciaires(quisontsesorigines), elle ne peut plus renvoyer qu'à elle-mê.me et la littérature com mence, c'est-à-dire un langage mystérieusem ent tautolo-
DanssaPréface,Chateaubriand nousparlede son confesseur, l'abbé Séguin,surl'ordre duquel,parpénitencepila écritla J'ftr
gique(lejauneestjaune);cependantChateaubriand aide2tins-
deRancé.L'abbé Séguinavaitun chatjaune.Peut-êtrecechat jauneest-iltoutelalittérature' ,carsilanotationrenvoiesans douteà.l'idéequ'unchatjauneestunchatdisgracié,perdu,donc trouvé,etrejointainsid'autresdétailsdelaviedel'abbé,attes-
dans notre littérature,la parole-spectacle (celle des écrivains classiques,parexemple)n'allaitjamaissanslerecours2 1unsystème traditionnel de sujets (d'arguments),qu'on appelait la
tituerune nouvelle économ ie de la rhétorique.Jusque très tard
topique.On avu que Chateaubriand avaittransformé le toposde
116 Nouveaux essaiscritiques la vanitas etque la vicillesse étaitdevenue chez 1uiun thèm e existentiel' , ainsi apparaît dans la littérature un nouveau problèm e,ou,sil'on préfère,une nouvelle forme :le mariage de l'authenticité etdu spectacle.M aisaussil'impassese resserre. La Vie desti /?tct jireprésente trèsbien cette impasse.Rancéest un chréticn absolu;comm etel,sclon son proprem ot,ildoitêtre
sanssouvenir,sans?' nf /rrlt pfrt ?etsansressentiment' ,onpeutajouter:sanslittérature.Certes,l'abbédeRancéaécrit(desœuvres rcligieuses);ilamêmeeu descoquetteriesd'auteur(retirantun manuscritdes flammes);sa conversion religieuse n'en a pas
moinsétéunsuicided'écrivain' ,danssajeunesse,Rancéaimait
Chateaubriand :w Vie deRancé > z 117 m orale du langage :c'estce passage risquéquiestla littérature.
X quoidoncsert-elle?X quoisertdedirechatjauneaulieu de chatpprlu? d'appeler la vieillesse voyageuse de nait? de arlerdes palissadesd'orangersde Valence 2tpropos deRetz? A quoi sert la tête coupée de la duchesse de M ontbazon?
Pourquoitransformerl'hulnilitédeRancé(d'ailleursdouteuse) en un spectacledouédetoutel'ostentation du style(styled'être dupersonnage,styleverbaldel'écrivain)?Cetensembled'opérations,cettetechnique,2tl'incongruité(sociale)de laquelleil fauttoujoursrevenir,sertpeut-êtr: 2tceci:t j nloins sotfxrir.
littèraire,Chateatlbrianddoitcependantdonnerunevielittéraire: c'est1à leparadoxe dc la Vie deRancé etce paradoxe estgénéral,entraîne bien plus loin qu'un problème de conscience posé
Nous ne savons pas si Chateaubriand reçut quelque plaisir, quelque apaisementd'avoir écritla Vie de Aclnctf;m ais h.lire cette œuvre,etbien que Rancé lui-m ême nous indiffère,nous comprenonslapuissanced'un langage inutile.Certes,appelerla vieillesse Ia voyageuse de rluffne peutguérir continûmentdu m alheurdevieillir;card'un côté ily a le tempsdesm aux réels
parunereligiondel'abnégation.Touthommequiécrit(etdonc quilit)aenluiunRancéetunChateaubriand;Rancé1uiditque
quinepeuventavoird'issuequedialectique(c'est-à-direinnommée),etde l'autre quelque métaphorequiéclate,éclaire sans
son moinesatlraitsupporterle théâtre d'aucune parole,saufà.se perdre:dire Je,e'estfatalementouvrirun rideau,non pastant
agir.Etcependantcetéclatdu m otmetdansnotrem ald'être la secousse d'une distance: la nouvelle forme est pour la souffrance com me un bain lustral:usé dèsl'origine danslelangage
les lettres, y brillait même' , devenu m oine et voyageant, il
t:nJ/crfrninefaitdeJ' ournal)>(noteChateaubriand).7$ cemort
dévoiler(ceciimportedésormaisfortpeu)qu'inaugurerlecérémonialdel'imaginaire;Chateaubriand de sOn côté1uiditque1es souffrances,les m alaises,lesexaltations,bref le pur sentiment d'existence de ce moine peuventque plongerdans le langage, que l'âme y(au sensbiologique du terme),danslequelilfautseplonger,baignantindéfiniment
l23
dire:parson h (Contre Sainte-Beuve,Paris, Gallimard,1954,p.3l6). 3.Cf. U. W einreich, 41On the Semantic Structure of Language>h, dans
J.H.Greenberg,Universal s of Jzl rlpldt /c çc (Cambridge,Mass. ,The MIT Press, 1963;2:éd.1966),p.147.
1.f <Maisplustard,jetrouvesuccessivementdansladuréeenmoidecemême nom,septouhuitfiguresdifférentes...p(fz CôtédeGf/crrsa?l/cs,édi tioncit ée, 1,p.14). 2.Du ctgrtfde chezs'wisnr!,édition citée,11,p.234. 3.Ibid.,p.230.
124 Nouveat lx essaiscritiques dilater,combler1esintersticesde son armature sém ique d'une
infinitéderajouts.Cettedilatationsémiquedunom proprepeut être définie d'une autre façon :chaque nom contientplusieurs hsurgiesd'abord d'unem anièrediscontinue, enutique, m aisquinedem andentqu'à se fédéreretà formerdela sorteun
petitrécit,carraconter,cen'estjamaisquelierentreelles,par procèsmétonym ique,unnombre réduitd'unitéspleines:Balbec recèle ainsi non seulement plusietlrs scènes, mais encore le mouvement qui peut1es rassembler dans un même syntagme nanutif,carses syllableshétéroclitesétaientsans doute nées
d'unemanièredésuètedeprononcer,r :quejenedoutaispasde rt?frt plfpt?rjusquechezl'aubergiste quimeAzrvfrt7ïfdu cw.Jp'au
laittk mon arrivée, zr/t?nletlantvTpfr Ia mcr Jt jc/lclîrlt/ devant
l'église et t 7lft?l/t?/je prêtais l't zwp( . 'r disputeur, solennel t?f médit h alJ'J/npersonnageJtr/bh//c/rfl>>.C'estparcequeleNom -
propre s'offre à.une catalyse d'une richesse infinie, qu'ilest possiblede direque,poétiquem ent,toutelaRecherche estsortie de quelquesnoms2. Encore faut-il bien 1es choisir- ou les trouver. C'est ici qu'apparaît,dansla théorie proustienne du Nomsl'un des pro-
Proustetlesnotns 125 système est d'une façon ou d'une autre un système m otivé, fondésurunrapportd'imitation entrelesignifiantetlesignifié. Codeur et décodeur pourraient reprendre ici à.leur compte l'affirmation de Cratyle:lfzlpropriété du nt ??' rlconsiste th I représenterla chosetelletylf'elle est.p ,Aux yeux deProust,qui ne faitque thé .oriser l'artgénéraldu romancier,le nom propre
estune simulation ou,comme disaitPlaton (ilestvraiavec défiance),unerffantasmagorie>>. Les m otivations allégul jes par Proust sont de deux sortes, naturellesetculturelles.Lespremièresrelèventde laphonétique symbolique1.Cen'estpaslelieudereprendreledébatdecette
question (connue autrefoissousle nom d'harmonieimitative), où l'on retrouverait,entre autres,les noms de Platon,Leibniz, Diderot et Jakobson2. On rappellera seulement ce texte de Proust,moinscJ .lèbre maispeut-être aussipertinentque le sfmnetdes44Voyellesh>:t:...Bayeux,. 5 'fhautedanssa nobleden-
tellertpr/gcérrtretdontJpfaîteestillunlinéparlevieilordeS' J dernière syllabe; Vitré, Jt ?/lr l'accent aigu losangeait de boisnoir le vitragc t' /Nc/tv?,'le Jti wrLamballe qui,dans son blanc, ps du ..j t7à?l7c coquille J'(t?f? /'au grisperle;Coutances,
blèmesmajeurs,sinon delalinguistique,dumoinsdelasémio-
cathédralenorntande,gucsa Jtp/lft pnt gà/trh' nale,grasse t?fjau-
logie ' .la m otivation du signe.Sansdoute ceproblème est-ilici quelquepeu artiticiel,puisqu'ilne se pose en faitqu'au roman-
nissante,cipffronneparune tourdebeurre > p,etc3.Lesexemples
der,quia la liberté (maisaussile devoir)de c. réerdes noms propresà la fois inéditsetrfexactsp ;mais 2tla vérité, le narra-
d'attribuer à.l'opposition i/o le contraste traditionneldu petit/ grosou deb'aigu/rond,com meon le faitd'ordinaire:c'esttoute
teuretleromancierparcourenten sensinverselemêmetrajet;
unegammedesignesphoniquesquiestdécriteparProust),ces
l'un croîtdéchiffrerdanslesnomsquiluisontdonnt. sune sorte d'aftiniténaturelle entre lesignifiantetle signifié,entre la couleurvocalique de Parnle etla douceur mauve de son contenu ; l'autresdevantinventerquelquelieu à.lafoisnonuand,gothique et venteux, doit chercher dans la tablature générale des phonèmesquelquessonsaccordés2tla combinaison decessignitiés; l'un décode,l'autre code,mais ils'agitdu même système etce
exenlples m ontrent bien que d'ordinaire la m otivation phonétiquene se faitpasdirectem ent:le décrypteurintercale entrele sonetlesensunconceptintermédiaire,mi-m atériel,m i-abstrait, quifonctionne comme une clefetopère le passage,en quelque
de Proustsparleurlibertéetleurrichesse (i1nes'agitplusici
1.W einreich(( ?/?.cit.)anot k jquelesymbolismephonétiquerelèvedel'hypersdluanticitédu signe.
2.Plat on.Cratyle;Leibniz,Nouveaux( ?. î. s ' ( 7f5'(111,2. )'Diderot,Lettresurles sottrdst?/muets;R.Jakobstan,Essais#c linguistique(jzgl/g/w/t?. 3.Du ct'i/édec-/?czSwann,éditioncitécsl1,p.234.Onremarqueraquelamotivation alléguée par Proustn'estpas seulcrnentphonétique,maisaussi,parfois, graphique.
126 Nouveaux essais critiques sorte démultiplié,du signifiant au signifié :siBalbec signifie affinitairementun complexe de vagues aux crêtes hautes,de falaisesescarpéesetd'architecturehérissée,c'estparcequel'on disposed'unrelaisconceptuel,celuidu rugueux,quivautpour le toucher,l'ouïe,la vue.Autrementdit,la m otivation phonétique exige unenomination intérieure:lalanguerentre subrepticement dans une relation que l'on postulait- m ythiquem entcom me im médiate:la plupal' tdesm otivationsapparentesrepo-
sentainsisurdesmétaphoressitraditionnelles(lerugueu appliqué au son)qu'elles ne sontplussenties comme telles,ayant passétoutentièresducôtédeladénotation;iln'empêchequela motivation se détermine au prix d'une ancienne anomalie sém antique,ou,si l'on prétère,d'une ancienne transgression. Carc'estévidem ment2tla m étaphore qu'ilfautrattacher les phénom ènes dephonétism e sym bolique,etilne serviraità.rien d'étudierl'un sansl'autre.Proustfourniraitun bon m atérielà. cette étude com binée :ses motivations phonétiques impliquent
presque toutes (saufpeut-être pourBalbec) une équivalence entre le son et la couleur:ieu est vieil or,é'est noir,an eSt
jaunissant,blondetdoré(dansCoutancesetGuennantes),iest pourpre '.C 'estl2 . tune tendance évidem mentgénérale:ils'agit de faire passerdu côté dI J son destraitsappartenantà. lavue(et plusparticulièrem entztlacouleur,enraison desanatureà.lafois
vibratoireetmodulante),c'est-à-dire,ensomme,deneutraliser l'opposition de quelquesclasses virtuelles,issues de la sépara-
tiondessens(maiscetteséparationest-ellehistoriqueouanthropologique?D equanddatentetd'oùviennentnos>? Une étuderenouveléede la métaphoredevraitdésorm aispasser, semble-t-il,par l'inventaire des classesnominales attestéespar
lalinguistiquegénérale).Ensomme,silamotivationphonétique implique un procès métaphorique,etpar conséquentune transgression,cette transgression se fait en des points de passage éprouvés,com melacouleur:c'estpourcela,sansdoute,que1es 1.(Conlres' é' làn/c-/?y'f/vy,édi tioncitéesp.195).
Proustetles noms 127 m otivations avancéesparProust,touten étanttrèsdéveloppées,
apparaissent4fjustesp. Reste un autre type de m otivations,plus> la chose,et comm e c'estévidem mentimpossible,du m oinscopierla façon dontla langue elle-même a créé certains de ses noms.L'égalité du nom propre etdu nom commun devantla création estbien illustrée par un cas extrême :celuioù l'écrivain fait semblant d'user de mots courants qu'il invente cependant de toutes pièces:c'estle casdeJoyce etde M ichaux ;dansle Voyage en GrandeGarabagne,unm otcom mearpette n'a- etpourcause aucun sens m ais n'en est pas m oins em pli d'une signification diffuse.en raisonnonseulementde soncontexte,m aisausside
sasujétionà.unmodèlephoniquetrèscourantenfrançais'.11en est ainsi des noms proustiens. Que Laumes, Argencourt, Villeparisis,Combray ou Doncières existentou n'existentpas,
ilsn'enprésententpasmoins(etc'estcelaquiimporte)cequ'on a pu appelerune 44plausibilité francophonique$$:leurvéritable signifié est:France ou,m ieux encore la >;leurphonétism e,etaum oinsà.titreégalleurgraphism e,sontélaborésen conform ité avec des sonsetdesgroupesde lettresattachés spé-
cifiquement à la toponymie française (et même,plus précisément,francienne):c'estla culture (celle des Français)qui imposeauNom unem otivationnaturelle:cequiestim itén'est certes pas dans la nature, mais dans l'histoire, une histoire cependantsiancienne qu'elleconstituelelangagequienestissu 1.Cesmotsinventésontétébienanalysljs,d'unpointde vuelinguistique,par
DelphinePerret,danssathèsede3ecycle:L-tudedelalrlt j'l fclittéraired' aprh leq vVoyageenGrandeGarabagnep zJ'HenriMichaux(Paris,Sorbonne,19651966).
128 Nouveaux e' u t/jy critiques en véritable nature.source de m odèles etde raisons.Le nom propre,etsingulièrementle nom proustien,a donc une signification comm une :ilsignifieau moinsla nationalitéettoutesles images quipeuvent s'y associer.11peut mêm e renvoyerà des
Proustetles??(?rl?. î 129 Proustcctte fonction œcumé.nique,résum anten somm e toutle langage,c'estque sa structure ctfncide avec celle del'œuvre mê .me : s'avancer peu 2t peu dans 1es significations du nom
signifiésplusparticuliers,commelaprovince(nonpointentant querégion,maisen tantquemilieu),chezBalzac,oucommela
m onde,c'estapprendre 2tdéchiffrersesesscnces;1essignes du
classe sociale,chez Proust:non certes parla particule anoblissante,m oyen grossier,m aisparl'institution d'un large système onomastique,articulé sur l'opposition de l'aristocratie etde la roture d'une part,et sur celle des longues à.finales muettes
(tinalespoulwuesen quelque sol' te d'une longuetraîne)etdes brèves abruptes d'autre pal4 : d'un côté le paradigme des Guerm antes,Laumes,Agrigente,de l'autre celuidesVerdurin, M orel,Jupien,Legrandin,Sazerat,Cottard,Brichot,etc:. L'onom astiqueproustienne paraîth.cepointorganisée qu'elle semble bien constituerle dépal' tdét-initifde la Recherche:tenir lesystèm edesnom s,c'étaitpourProust,etc'estpournous,tenir 1es significationsessentiellesdu livre,l'arm ature de sessignes, sa syntaxe profonde.On voitdoncquele nom proustien dispose pleinementdesdeux grandesdimensionsdu signe:d'unepal' t,il peutêtre lu toutseul,rren soih >,comme une totalité de signifi-
cations (Guennantes contientplusieurs tigures),bref comme uneessence(unetf.,cTempsretrouvtqParis, Galli mard,111,p.872).-Rappelons encore que pourProust,imaginer,c'est déplierun signe.
(comme ne cesse de le faire le narrateur),c'ests'initier au monde (de l'amotlr,de la mondanité) sont faits des mêmes étapesque ses noms;entre la ehose etson apparence se développelerêve,toutcomm eentreleré.férentetsonsignifiants'interposele signifié :lenom n'estrien,siparmalheuron l'articule
directementsurson référent(qu'est,en réalité,laduchesse de Gtlermantes' ?),c'est-à-dire sil'on manqueen luisa nature de signe.Le signitié,voilztla place de l'im aginaire:c'est1à,sans doute,la penst je notlvelle de Protlst,ce pourquoiila déplacé, historiquement,le vieux problème du réalisme,quine se posait
guère,jusqu'àlui,qu'entermesderéférents:l'écrivaintravaille, non surlerapportdelachoseetdesaforrne(cequ'on appelait, aux temps classiques,sa trpeinturep,etplus récemm ent,son
44expressionp),maissurlerapportdu signifié etdu signifiant, c'est-à-dire surun signe.C'estce rapportdontProustne cesse de donnerla théorie linguistique danssesré .flexionssurle Nom etdans lesdiscussions étymologiques qu'ilconfie 2tBrichotet quin'auraientguère de sens sil'écrivain ne leur confiaitune fonction emblématique1. Cesquelquesremarquesne sontpasseulem entguidéesparle souciderappeler,aprèsClaudeL/vi-strauss,le caractère signifiant,et non pas indiciel,du nom propre2.On voudrait aussi
insisterSurle caractère cratyléen du nom (etdu signe)chez Proust:non seulementparce que Proustvoitle rapportdu signifiant et du signifié com me un rapport motivé, l'un copiant l'autre etrepreduisantdanssa forme matérielle l'essence signi-
fiéede lachose (etnon lachoseelle-mêlue),maisaussiparce que,pour Proustcom me pourCratyle,((la vertu des noms est d'enseigner3yy:ily a unepropédeutique desnoms,quiconduit, 1.SodomeetGotnorrhe,I1,chap.II.
2.1uaPenstk ytkupfkt çt a(Paris,Plon,l952).p.285. 3.Platon.Cralyle,435d.
130 Nouveaux essais critiques pardeschem inssouventlongs,variés,détournés,àl'essencedes choses. C'est pour cela que personne n'est plus proche du
Législateur cratyléen,fondateur des noms (demiourgos onomatôn),quel'écrivain proustien,non parce qu'ilestlibred'in-
FlaubertetIa phrase
venterlesnom squ'illuiplaît,mais parce qu'ilesttenu de 1es
inventer>(1875,013 ).( -ï?.,p.265). 4.Op.cit.-p.207(18j9). 5.t...Jeneveuxri enpublier...jetravai11eavecundési ntércssementabsolu etsansarrière-pcnséc,sanspréoccupationextérieure...>(l846 op.cit.,p.40).
1.Voirnotamment(op.cit.,p.129)ledécomptedcspagcsconsacrécsauxdifférentsépisodcsdeMadameSt pn k ury.<J'aidéjà26Opagesetquinecontiennent
dufond,jesoutiendraiquecesontl2tdeuxl ' notsvidesdesensp(1846,op.cit, p.40).
dieuse.11fautqucjemettemonhéroïnedansunbalky(1852,op.cit.,p.72).
2.44On n'arrive au stylequ'avecLln Iabeuratroce,avec unc opiniâ 'treté fana3.f<J'aipasséma vie 21priver11:011cœurdes pâtures 1es pluslégitimes.J'ai
6.(1853,f p//.cit.,p.116).-,du Je suppose qu'un étudiant xeuille entreprendre 1'analyse structurale d'une œuvre littéraire.Je suppose cetétudiantassez informé pourne pas s'étonnerdesdivergencesd'approche que l'on réunitparfois indûment sous le nom de stnlcturalisme; assez sage poursavoirqu'en analyse structurale iln'existe pas dem éthodecanonique,comparable2tcelledelasociologieou de la philologie,telle qu'en l'appliquant autom atiquement à un texte on en fasse surgir la structure; assez courageux pour prévoiret supporter lt zs erreurs,1es pannes,1es déceptions,les .
découragemcnts (qt r fquoibon?z >) que ne manquera pas de susciterle voyage analytique;assez librepouroserexploiterce qu'ilpeuty avoiren luidesensibilitéstructurale,d'intuition des sens m ultiples;assez dialectique enfin pour bien se persuader qu'ilne s'agit pas d'obtenir une h(àlafaçond'unepremièreclef)leprocèsdel'anadansletableaufinal;l'autre,dynamique(cequin'empêchepas sestraitsd'êtresémantiques),seréfèreautravailheuristiquepar lequelcesmêmescolonsvonten unephrase;ilfaudrait(au coursd'une analyse ultérieure)insister surcettegrâce que le discours vernien répand sur toute entreprise;car d'une part, c'est tout le contraire de ce qui se passe chez Defoe' dans
Robinson Crrfs' (?/letravailestnon seulementépuisant(un mot suffiraitalorsh.ledire)maisencoredétinidanssapeineparle décompte alourdidesjoursetdes semaines nécessaires pour accomplir(seul)lamoindretransformation :combiendetemps, de mouvementspourdéplacer seul,un peu chaquejour,une lourde pirogue! le discours a ici pour fonction de donner le
Par6,1ècommencer?
145
travail au ralenti,de lui rcstituer sa valeur-temps (qui est son aliénation mêmc)' ,etd'autre part,on voitbien la toutepuissance,2tla fois diégétiqtle etidéologique,de l'instance du discours:l'euphémisme vernicn permetau discours d'avancer rapidement,dansl'appropriation de la nature,de problème en problèm eetnon depeine en peine;iltranscrit2tla foisuneprom otion du savoiretune censuredutravail:c'estvraimentl'idio-
lecte de 1'4ringénieurk $ (qu'estCyrus Smith),du technocrate, m aître de la science, chantre du travail transformateur au m om entm ême où,le confiant2td'autres,ill'escamote;le discours vernien,parsesellipses,sessurvolseuphoriques,renvoie le temps,la peine,en un l' notle labear,au néantde l'innom mé: le travailfuit,s'écoule,se perd dansles intersticesdela phrase. Autresous-codedu thèm eadam ique:celuidelacolonisatien
Ce motestnaturellementambigu (colonie ?Jt ?vacances,d'insectes,pt hlitentiaire,colonialistne);icimêmelesnaufragéssont descolons,m aisilsne colonisentqu'une île déserte,unenature vierge :toute instance sociale estpudiquem enteffacée de cette épure où il s'agit de transform er la ten'e sans la médiation d'aucun esclavage :cultivateurs,mais non colonisateurs.Dans l'inventaire descodcs,on aura cependantintérêt2tnoterque le rapportinter-humain,pourdiscretetconventionnelqu'ilsoit,se place dansune problém atique coloniale,mé.me lointaine;entre
lescolons,letravail(mêmes'ilsmettenttouslamainà.lapâte) esthiérarchiquementdivisé (le chefetle technocrate:Cyrus; le chasseur: Spilett; l'héritier: Herbert;l'ouvrier spécialisé: Pencroff;le servitcur:Nab ) le bagnard relégué à.la coloni-
sation brute,celle destroupeaux:Ayrton))de plus,le nègre, N ab,estune essenee esclave,non en cequ'ilestt <m altraitép ou
même (4distancé$$(bien aucontraire:l'œuvreesthurflanitaire, égalitaire),nimêmeencequesontravailestsubalterne,maisen ce que sa t )
153
estàlafoisceluiquiparleetcedontilparle:sujetetobjet),le sujetdeDominique,c'estl'Amour.Cependantunromannepeut être définiparson 44sujet>)qued'une façon purementinstitutionnelle (dansle fichierméthodique d'une bibliothèque,par
exemple).Plusencorequeson> 155 canalde Suez en 1869;c'estdire que,en tantque personne civile,ilnefutnullementaussiécartédelaviehistoriquedeson tempsque son héros,qui,lui,évolue apparemm entà.traversdes lieux aussisocialementabstraitsquelaVille etlaCam pagne.En fait, dans l'œuvre de Fromentin, la Campagne, quand on y regarde d'un peu près,estun lieu socialementlourd.Dominique eStun roman réactionnaire :leSecond Empireestce momentde l'histoire française où le grand capitalism eindustriels'estdéveJoppé avec violence cornm e un incendie;dans ce mouvement irrésistible,la Campagne,quelque appointélectoral qu'elle ait constitué parsespaysanspourlefascism e napoléonien,nepou-
vaitque représenterun lieu déjà anachronique:refuge,rêve, asocialité,dépolitisation,toutundéchetde l'Histoires'y transform aiten valeuridéologique.Dominique meten scène d'une
façontrèsdirecte(quoiqueà.traversunlangageindirect)tousles laissés-pour-compte de lagrande prom otion capitaliste,appelés, poursurvivre,h.transform eren solitudeglorieusel'abandonoù
leslaissel'Histoire(> 159 érotiquemalheureuse,déçue,soitdistinguéedu simplediscours littéraire,qui,lui,estpris en charge par le second narrateur
double: masculin et féminin);tout se noue,se déroule,se
(confesseurdu premieretauteurdu livre).
fiantditque cette absence s'inscritdéjà 'dansle flottementdu concluten dehorsde l(lpcau;danslecoursde l'histoire,ilne se produitque deux attouchements,etl'on im agine quelle force de déflagration ilsretirentdum ilieu sensuellementvide où ilsinterviennent:M adeleine,fiancée ztM .de Nièvres,pose 44sesdeux
mains dégantéesdans 1esmains du comte$$(le déganté de la main possède une valeur érotique dontPien-e Klossovskis'est
11y a dans ce rom an un dernier transfertdu corps:c'estle masochism eéperdu quirègle toutlediscoursdu héros.Cette notion,tombéedansledomainepublic,estdeplusenplusabandonnéeparlapsychanalyse,quinepeutsesatisfairedesasimplicité.Sil'onretientlem otencoreunefoisici,c'estenraison,
beaucoup servi):c'estlàtoutlc rapportconjugal;quantau
précisément,de savaleurculturelle (Dominiqueestun roman masochiste,d'une façon stéréotypée),etaussiparce que cette
rapportadultère(quin'arrive pas2ts'accomplir),ilneproduit
notion se ccmfond sanspeine avec le thème socialde la décep-
qu'un baiser,celuique M adeleine accorde etretire au narrateur
tiondeclasse,dontonaparlé(quedeuxdiscourscritiquespuis-
avantdelequitterh.jamais:touteunevie,toutunromanpour
sentêtretenussuruneseule etmême œuvre,e'estcelaquiest intéressant:l'indécidabilité desdéterminationsprouve la spé-
un baiser:le sexe estsoumisiciàuneLcoïjotnieparcimonieuse. Gom mée,décentrée,lasexualitévaailleurs.0ù?dansl'ém otivité,qui,elle,peutlégalem ent produire des écarts corporels.
Châtréparlamorale,l'hommedecemonde(quiestengrosle monde romantique bourgeois),le mâle a droità des attitudes ordinairementréputéesféminines:iltombeàgenoux (devantla fem me vengeresse,castratrice,dontla m ain estphalliquem ent
levée dansun gested'intimidation),ils'évanouit(f(Je tombai raide surle carreaup).Le sexe une foisbarré,laphysiologie devientluxuriante;deuxactivitéslégales(parcequeculturelles) deviennentlechamp del'explosionérotique:lamusique(dont
leseffetssonttoujoursdécritsavecexcès,commes'ils'agissait d'un orgasme (ffMadeleine écoutait,haletante...y>)etla promenade (c'est-à-dire la Nature: promenades solitaires de Dominique,promenade 2tchevaldeM adeleineetDominique); onpourraitjoindreraisonnablement2tcesdeuxactivités' ,vécues surle m ode de l'éréthisme nerveux,un dernier substitut,etde taille:l'écriture elle-mêm e,ou dum oins,l'époquen'entrantpas dans la distinction m oderne qui oppose la parole à. l'écriture, l'énonciation :quelle qu'en soitla discipline oratoire,c'estbien
cialitélittéraired'uneœuvre):à.lafrustrationsocialed'uneportiondeclasse(l'aristocratie)quis'écartedupouvoirets'enfouit enfam illedansdevieillespropriétés,répondlaconduited'échec des deux amoureux;le récit,h.toussesniveaux,du socialà. l'érotique, est enveloppé d'un grand drapé funèbre; cela com mence parl'image du Père fatigué,quitraîne,appuyésur
unjonc,aupâlesoleild'automne,devantlesespaliersdeson jardin;touslespersonnagesfinissentdans la mortvivante: défigurés (Olivier),aplatis (Augustin),éternellementrefusés (MadeleineetDominique),blessésh.mort(Julie):uneidéede néanttravaille incessammentlapopulation deDominique(
!
160 Nouveaux essaiscritiques L'Amour, dans ce roman si sage, est bien une m achine de torture:ilapproche,blesse,brûle,mais ne tue pas;sa fonction
opératoireestderendreitqjirme;ilestunemutilation volontaire portéeau champ même dudésir::quelsm iracles? C'est1à un proeédétrèscurieux,carils'enfautdepeu pourqu'ilsoitmoderne
(etle masochisme du narratournousl'annonceensuitecontinûment),nousnepouvonsnousempêcherde vivre 1es incertitudes d'une énigme (finiront-ils par faire l'amour?);cela n'a rien d'étonnant:la lecture semble bien releverd'uncomporlementpervers(au senspsychanalytiquedu terme)etreposersurcequ'onappelledepuisFreudleclivagedu moi:noussavonsctnousne savons pascomm entcela va finir.
Cette séparation (ce clivage)du savoir et de l'attente est le propre de la tragédie : lisant Sophocle, tout le m onde sait qu'œ dipe a tué son père m aistoutle monde frémitde ne pasle savoir. D ans Dominique, la question attachée 2 4 tout drame d'amourseredoubled'uneénigm einitiale :qu'est-cedonc quia pu faire de Dominique un enterré vivant9 .Cependant- etc'est lztun aspectassez retors du roman d'amour- la structure dramatique se suspend 2 tun certain momentetselaissepénétrerpar
une strtlctureludique:j'appelle ainsitoutestnlcture immobile, articulée surle va-et-vientbinaire de larépétition - telle qu'on
différence idiolectale).Ce langage esttoujoursindirect;ilne
(i1annonce ce qu'on a pu appeler la rhltorique négativ: de
MargueriteDuras):neconsiste-t-ilpash.irréaliserleréférentet, sil'onpeutdire,àtformaliserà.l'cxtrêmelepsychologisme(ce quiaurait bien pu,avec un peu d'audace,dépsychologiser le
roman)?Lesactionsd'Augustin restantentbuiessousunecarapace d'allusions,le personnagefinitparperdretoute corporéité, ilseréduità.une essence de Travail,de Volonté,etc.:Augustin est un chiffre.Aussi Dominiqtte peut être lu avec autant de stupéfaction qu'une allégorie du M oyen Age; l'allusivité de l'énonciation est m ené.e si loin que celle-ci devient obscure, amphigourique;on nous dit sans cesse qu'Augustin estambitieux mais on ne nous ditque très tard eten passantquelestle
162 Nouve6ux essaiscritiques champ de ses exploits,comme s'ilne nous intéressaitpas de savoirs'ilveutréussiren littérature,au théâtre ou en politique. Techniquem ent,cette distance estcelle du rthumé :on ne cesse
idéologique de ce langage continûm entindirect:ilhonore tous lessenspossiblesdu m ot :Dominiqueestun livre
Fromentin :rrD om inique>p 163 m entsd'un réseau fort,liquideren quelque sorte1esrésistances qu'un telrom an peut suseiter chez un lecteur moderne,pour qu'apparaissentensuite,au filde la lecture réelle,telslescaractères d'une écriture m agique qui,d'invisible,deviennentpeu à. peu artieuléssousl'effetdelachaleur,lesintersticesdelaprison idéologique où se tient Dominique. Cette chaleur,productriced'uneécritureenfinlisible,c'est,ceseracelledenotre plaisir.11y adansceroman bien descoinsde plaisir,quinesont pas forcémentdistincts des aliénations qu'on a signalées:une certaine incantation,produite parla bien-disance desphrases,la volupté légère,délicate,des descriptions de cam pagne,aussi pénétranteque le plaisirquenousretironsde certainespeintures rom antiqueset,d'une manière plusgénérale,com me ila étt bdit
).Oncomprendmieuxalors,peut-être,toutleprofit
fêter la vendange de l'oie rôtie);parce qu'ilrespecte1espréceptesclassiquesdu bon style littéraire;parceque,del'adultère, on ne donne qu'un discreteffluve :celui de l'adultère évité; parce qu'enf' in toutes ces distances rhétoriques reproduisent homologiquementunehiérarchie métaphysique,celle quisépare l'âm e du corps, étant entendu que ces deux éléments sont séparéspourque leurrencontreéventuelle constitue une subversion épouvantable,une Faute panique :de goût,de morale,de langage. 44Je vous en supplie,dit Augustin à.son élève,ne croyez
jamaisceux quivousdirontqueleraisonnableestl'ennemidu beau,parce qu'ilestl'inséparable amide lajustice etde la vérité$$:cegenredephraseestàpeuprèsinintelligibleaujourd'hui;ou,sil'on préfère donnerà notre étonnementtlne form e plus culturelle :qui pourrait l'entendre, après avoir lu M arx, Freud,Nietzsche,M allarm é?L'anachronismede Dominiqueest sûr.Cependant,en recensantquelques-unesdesdistancesquile
composent,je n'aipasvoulu direforcémentqu'ilnefallaitpas lirecelivre;j'aivoulu,toutaucontraire,enmarquant1eslinéa-
Pierre Loti:lAzi yadé>> l65 infiniquine raconterien maisoù passe r:quelquechosed'inouk. etde flrltWrcrt' r>.
Pierre Loti..lAziyadé >z
2 Loti Loti,c'estlehérosdu roman (mêmes'ilad'autresnomset Illêm e sice rom an se donne potlr le lfcit d'une réalité,non
d'une fiction):Lotiest dans le roman (la créature fictive, Aziyadé,appelle sanscesse son amantLoti:t rRegarde,Loti,et
1.Le nom Danslenom d'Aziyadé,jelisetj'entendsceci:toutd'abord ladispersion progressive (ondiraitlebouquetd'un feu d'artifice) des trois voyclles les plus claires de notre alphabet (l'ouvellure desvoyelles:celledeslèvres,celle dessens);la caresse du Z&le mouillementsensuel,grassouilletdu yod,tout ce train sonore glissantets'étalant,subtiletplantureux;puis, une constellation d'îles, d'étoiles, de peuples, l'A sie, la Géorgie,la Grèce;puisencore,toute une littérature:Hugo qui danssesOrientalesm itlenom d'Albaydé .,etderrière Hugo tout 1e romantisme philhellène; Loti, voyageur spécialisé dans l'Orient,chantre de Stam boul;la vague idée d'un personnage
féminin (quelque Désenchantée); enfin le préjugé d'avoir affaire à un roman vieillot,fade etrose :bref,du signifiant, somptueux, au signifié, dérisoire, toute une déception. Cependant,d'une autre région dc la littérature,quelqu'un se
lève etnousditqu'ilfauttotl joursretournerla déception du nom propreetfairedeceretourletrajetd'unapprentissage:le narrateur prousticn, parti de la gloire phoné .tique des Guerm antes,trouve dansle monde de la duehesse toutautre ehose quece que la splcndeurorange du Nom faisaitsupposer,etc'est en remontant la déception de son narrateur que Proust peut écrire son œuvrc.Peut-être nous aussipouvons-nousapprendre ztdé -cevoir le nom d'Aziyadé de la bonne manière,et,après avoir glissé du nom précieux 2 t l'image triste d'un rolnan démodé,remonter versl'idée d'un texte:fragmentdu langage
dis-moi...>>);maisilestaussiendehors,puisqueleLotiquia écritle livre necoïncidenullementavecle hé .rosLoti:i1sn'ont pas la même identité : le premier Loti est anglais,il m eul-t
jeune) le second Loti, prénommé Pien' e, est membre de l'Académie française,ila écritbien d'autreslivrcsque le récit
de sesamoursturques.Lejeu d'identité ne s'arrêtepas12t:ce second Loti,bien installé dans le com merce et1eshonnetlrsdu livre,n'estpasencorel'auteurvéritable,civil,d'Aziyadé :celuilà s'appelaitJulien Viaud ;c'était un petit monsieur qui,sur la fin de sa vie, se faisait photographier dans sa maison d'Hendaye,habillé ztl'orientaleetentouré d'un bazarsurchargé
d'objetsfolkloriques(i1avaitau moinsun goûtcommun avec sonhéros:letransvestisme).Cen'estpaslepseudonymequiest intéressant(en littératurec'est(zanal),c'estl'autre Loti,celui quiest etn'estpas son personnage,celui quiestetn'estpas
l'auteurdu livre:jenepensepasqu'ilenexistede sel nblables dans la littérature,etson invention (parle troisième homme, Viaud)estassezaudacieuse:carenfin s'ilestcourantdesigner le récitdecequivousarrive etde donnerainsivotrenom 2tl'un
de vospersonnages(c'estcequisepassedansn'importequel journalintime),ilnel'estpasd'inverserledon du nom propre; c'estpourtantcequ'afaitViaud :ils'estdonné,2tluisauteur,le nom deson héros.De la sorte,prisdansunréseau2ttroistermes, le signataire du livreestfaux deux fois;le PierreLotiquigarantitAziyadé n'est nullem ent le Loti qui en estle héros;etce
garant(auctor,auteur)estlui-même truqué,l'auteurcen'est pasLoti,c'estViaud:toutsejoue entre un homonymeetun
166 Nouveaux csksuf. îcritiques pseudonyme,ce qui manquc,ce quiest tu,cc quiest béant,
PierreLoti.rAziyadé > 167 die,l'arrivéed'un chat,etc.:toutceplein dontl'attente semble
c'estlenom propre,lepropredunom (1enom quispécifieetle nom quiapproprit z).Oi ) 1estlescripteur?
lecreux;maisaussitoutcevideextérieur(extériorisé)quifait le bonheur.
M . Viaud est dans sa m aison d'Hendaye, ( zntoulf de ses
vieilleriesmarocainesetjaponaises;Piel ' reLotiestà.l'Académie française ' , le lieutenant britannique Loti est m ort en
Turquieen l877(l'autreLotiavaitalors27 ans,ilasurvécu au premier66ans).Dequiestl'histoire?Dequiest-cel'histoire9 .
Dequelsujet?Danslasignaturemêmedulivre,parl'adjonction de ce second Loti,de cetroisième scl ipteur,un trou se fait,une pel' te depersonne,bien plusretorse que la simplepseudonymie.
4 . &f'c?J Donc,ilse passe:rien.Ce rien,cependant,ilfautledire. Com mentdire :rien ?On se trouveicidevantungrand paradoxe d'écriture :rien nepeutsedireque rien ;rien estpeut-être le seul motde la langue quin'admetaucune périphrase,aucune métaphore,aucun synonyme,aucun substitut;cardire rien autrement
queparsonpurdénotant(1emotwrien>z),c'estaussitôtremplir
J Qu'est-cequisepasse. ?
le rien,le démentir:telOrphée quiperd Eurydice en se retournantverselle,rien perd un peu de son sens,chaque fois qu'on
Un homme aimeune femme(c'estledébutd'un poème de Heine);ildoitlaquitter;ilsen meurenttouslesdeux.Est-ce vraimentcela,Aziyadé?Quandbienmêmeonajouterait2tcette anecdote ses circonstances etson décor (cela se passe en
l'énonce(qu'onledé-nonce).11fautdonctricher.Leriennepeut
Turquie,au mom entde la guen'e russo-turque;nil'homm e ni la fem me ne sontlibres,i1s sontséparéspardesdifférences,de
nationalité,de religion,de mœurs,etc.),rien,de celivre,ne seraitdit,carilne s'épuiseparadoxalem entque dansle sim ple effleurementde la banalehistoire.Ce quiestraconté,ce n'est pas une aventure, ce sont des incidents: il faut prendre le m ot dans un sens aussi m ince, aussi pudique que possible.
être prisparlediscoursquedebiais,en éeharpe,paruneSorte d'allusion déceptive' ,c'est,chez Loti,le cas de mille notations
ténuesquiontpourobjet,niuneidée,niunsentiment,niunfait, maissimplement,ausenstrèslargeduterme:letempsqu'ilfait. Ce>
tristesdu temps,suivantqu'ilfavorisenotreprojetdujour); c'estpourquoicetempsqu'ilfaisait(àSalonique,àStamboul,2t Eyoub),queLotinoteinlassablement,aunefonction multiple
6.Les deux am is
168
d'écriture:ilpermetaudiscoursdeumirsansriendire(endisant
169
On comprend alorslacomplicité quis'établitentrecesnotations
Dansson aventure avec Aziyadé,lelieutenantLotiestassisté pardeux serviteurs,pardeux am is,Sam ueletAchm et.Entreces deux affections,w ily a un tzyî/z/tr>p. Achm eta de petits yeux ;ceux de Sam uelsontd'une grande douceur.Achmetestoriginal,généreux,c'estl'amide la m aison,du foyer,c'estl'intim e;Sam uelestlegarçon dela barque, du 1it flottant, c'est le messager, l'ondoyant. Achmet est
infimesetle genremêmedujournalintime(celuid'Amielest
l'hommede la tixitéislamique;Samuelestmétisse dejuif,
rien),ildéçoitlesens,et,monnayécnquelquesnotationsadjacentes (qdes avoines poussaiententre Ies ptzvô'de galets noirs... on respiraitJpt 7 /rlt ?l?fI'air tiède et Ia bonne odeur de
maip),ilpermetderéférer2tquelqueêtre-llldumonde,premier, naturel,incontestable,in-signifiant(12tof . lcommenceraitlesens,
1à commenceraitaussil'interprétation,c'est-à-dire le combat). plein du temps qu'ilfaisaitsur les bords du lac de Genève au
d'italien,degrec,de turc;c'estl'hom mede lalanguem ixte,du
siècledernier):n'ayantpourdessein quededirelerien de ma vie (enévitantde la construire en Destin),lejourna!usedece corpsspécialdontle )
7.L 'Interdit 8.La /?l/c débauche Se prom enant dans Stamboul,le lieutenant Loti longe des m uraillesinterm inables,reliéesentre elles,à.un m oment,touten haut,parun petitponten m arbre gris.Ainsidel'Interdit:iln'est pas seulem entce que l'on suitinterm inablem ent,mais aussice qui communique par-dessus vous:un enclos dont vous êtes exclu.Une autre fois,Lotipénètre,au plix d'unegrandeaudace, dans la seconde courintérieure de la sainte mosquée d'Eyoub, farouchementinterdite aux chrétiens;ilsoulève la portière de cuir qui ferme le sanctuaire,m ais on sait qu'à l'intérieur des m osquéesiln'y a rien :toutce mal,toute cette faute pourvérifier un vide.Ainsiencore,peut-être,de l'lnterdit:un espace lourdem entdéfendu maisdontle cœurestaseptique.
f. zzpâle débauche estcelle du petitm atin,lorsque se conclut
touteunenuitdetraînailleriesérotiques(ef. zzpâledébaucheme retenaitsouventparlesruesjusqu'tkcesheuresmatinales)>).En attendantA ziyadé,le lieutenantLoticonnaîtbeaucoup de ces nuits, occupées par d'rçétrangcs chosesp>, w une prostitution étrangep>,< fquelque aventure imprudente>>,toutes expériences quirecouvrentà.coup sûr44lesvicesde Sodomeb$,pourlasatisfaction desquelss'entremettentSam uelou lzeddin-Ali,le guide, l'initiateur,le complice, l'organisateur de satul m ales d'où les fem messontexclues;cespaftiesraffinéesou populaires,h.quoi
ilestfaitplusieursallusions,seterminenttoujoursdelamême
LotiI(hérosdu livre)affronte bien desinterdits:leharem,
fw on :Loti1escondam ne dédaigneusement,ilfeint,maisunpeu
l'adultère,la langue turque, la religion islam ique,le costupe oliental;que d'enclos dontil doittrouver la passe,en imitant ceux quipeuventy entrer!Les difficultés de l'entreprise sont souvent soulignées, mais, chose curieuse, il est h.peine dit com mentellessontsurmontées.Sil'on im agine ce que pouvait
tard,des'yrefuser(ainsidugardiendecimetièredontilaccepte
êtreunsérail(ettantd'histoiresnousendisentlaféroceclôture),
cours servant à.annuler rétrospectivem ent l'orgie précédente, quicependantconstitue l'essentieldu m essage;caren som me Aziyadé est aussi l'histoire d'une débauche. Stam boul et
sil'on se rappelle un instantla difficulté qu'ily a h.parler une langue étrangère,com me le turc,sanstrahirsa qualité d'étranger,sil'on considère combien ilestrare de s'habillerexotiquem entsans cependantparaître déguisé,com ment admettre que Lotiaitpu vivre pendantdes mois avec une femm e de harem , parler le turc en quelques semaines,etc.9 .Rien ne nous estdit des voies concrètes de l'entreprise- qui eussent ailleurs fait
l'essentielduroman(del'intrigue). C'estsansdoutequepourLoti11(l'auteurdulivre),l'Interdit estune idée;peu im porte,en somme,de le transgresserréellement;l'important,sanscesse énoncé,c'estde le poseretde se poser par rapport 2t lui. Aziyadé est le nom nécessaire de l'Interdit, form e pure sous laquelle peuvent se ranger m ille incon-ections sociales,de l'adultère à,la pédérastie,de l'irreligion à la fautedelangue.
les avances avant de le basculer dans un précipice' , ainsidu vieux Kairoullah, qu'il provoque 2t 1ui proposer son fils de 12 ans,,ditlelieutenantquifait,habilléen vieuxTurc,la
tournée desmosquées,descafedjis,des bainsetdesplaces, c'est-à-dire des tableaux de la vie turque.Le butdu transves-
Unmoralistes'estécriéunjour:jemeconvertiraisbienpour pouvoirporterlecaftan,ladjellabaetleselham !C'est-à-dire: tous1esmensongesdu m onde pourque mon costume soitvrai! Je prétzre que m on âm e mente,plutôtque m on costume !M on
tismeestdoncjinalement(unefoisépuiséel'illusiond'être),de se transformeren objetdescriptible-etnon en sujetintrospectible.La consécration dudéguisement(cequiledémentà force de le réussir),c'estl'intégration picturale,lepassagedu
dissout.non par ivresse,m ais par apollinisme,participation à une proportion,h.une combinatoire.Ainsi un auteur m ineur,
PierreLoti:rrAziyadéz: 175 naireauniveauréel,d'uneéthiqueà.unstatut,d'unmodedevie à.uneresponsabilitépolitique,céderdevantlacontrainted'une praxis:le senscesse,lelivre s'anftecariln'y aplusdesignifiant,lesignifiéreprendsatyrannie. Cequiestremarquable,c'estquel'investissementfantasm a-
démodé et visiblement peu soucieux de théorie (cependant contemporain de Mallarmé,de Proust) metau jour la plus
tique,Lapossibilitédusens(etnonsonarrêt),cequiestavantla décision,horsd'elle,sefaittoujours,semble-t-il,àl'aided'une
retorse deslogiques d'écriture :car vouloir être q celuiquifait partie du tableau p,c'estécrire pourautantseulem entqu'on est écrit: abolition du passif et de l'actif, de l'exprim ant et de
joursféodal:dansuneTurquieelle-mêmedépassée,c'estune
l'exprimé,du sujetetde l'énoncé,en quoisechercheprécisé-
désirvatoujoursversl'archaïsmeextrême,1àoùlaplusgrande
Nouveaux essaiscritiques
corpsdansuneécritured'ensemble,enunmot(sionleprendà, lalettre)latranscription:habilléexactement(c'est-à-direavec
un vêtementdontl'excèsd'exactitudesoitbanni),le sujetse
mentl'écriture moderne.
régressionpolitique:portantsurlem odedevie,ledésiresttouTurquieencoreplusanciennequeLotichercheentremblant:le
distancehistoriqueassurelaplusgrandeirréalité,1àoù le désir trouve sa forme pure:celle de retour impossible,celle de
l'Impossible(maisenl'écrivant.cetterégressionvadisparaître).
11.M ais tllè estl'O rient? Com me elle apparaîtlointaine cette époque o?. lla langue de l'Islam étaitleturc,etnon l'arabe !C'estque l'im ageculturelle
12.Levoyage,leséjour
sefixetoujours1àotlestlapuissancepolitique:en 1877,les
Uneforme fragile sertde transition ou de passage- ce terme neutresambigu,cherauxgrandsclassitk ateurs-entrel'ivresse
)-ivressedurésident,auquel une bonne connaissance des lieux, des mœurs,de la langue
PicrreLoti. 'r :Aziyadépp 177 roman de la Dérive. 11 existe des villes de Dérive : ni trop
permetdesatisfairesanspeurtoutdésir(cequeLotiappelle:la liberté). Leséjouraunesubstancepropre:ilfaitdupaysrésidentiel,
vivantcs;villesoù plusietlrs villes intérieures se mêlent;villes sans espritpromotionnel,villes paresseuses,oisives,etcependantnullemcntluxueuses,où ladébaucherègne sanss'y prendre au sérictlx :te1sans doute le Stamboulde Loti.Laville estalors une sortc d'eau qui2 tla foisporte etem porte loin de la rive du
et singulièrem ent ici de Stamboul, espace composite où se condense la substance de plusieursgrandes villes,un élém ent
dans lequelle sujetpeutplonger:c'est-à-dire s'enfouir,se cacher,se glisser,s'intoxiquer,s'évanouir,disparaître,s'absenter,m ourirzttoutce quin'estpasson désir.Lotimarque bien la
nature schizoïdede son expérience:eJene. îtkrf#kt ?plus,jene mesouviensplus:jepasserais/?/J/ /Vr. f?nr(ict' : )//dect?urqu'autrefoisj'aiadorés...jenecroistèriennit)personne,jen'aitne personne/3/rien;jeN'aitlifoinitrî /ptért /rlc't ?zp;celaestévidem.
grandes nitrop neuvcs,ilfautquDelles aientun passé (ainsi Tangcr,anciennevilleinternationale)etsoientcependttntencore
réel:on s'ytrouve immobile (soustraitzttoutecompétition)et déporté(soustrait2 ttotltordreconservateur).Cul ieusement,Loti parleltli-m/l' nede ladlrive (raremomentvraimentsymbolique de ce discours sans secret):dans les eaux de Salonique,la barque où Aziyadé -et1uifontleurspromenades amoureusesest