INFLATION ET SYSTÈMES MONÉTAIRES
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MILTON FRIEDMAN Prix Nobel
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INFLATION ET SYSTÈMES MONÉTAIRES
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MILTON FRIEDMAN Prix Nobel
INFLATION ET SYSTÈMES MONÉTAIRES ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE
A vant-propos de
CHRISTIAN SCHMIDT
CALMANN-LÉVY
Titre original de l'ouvrage DOLLARS AND DEFICITS Traduit de l'américain par DAISY CAROLL Cet ouvrage a été publié pour la première fois en langue française d~ns la collection « Perspectives de l'Economique» dirigée par Christian Schmidt
La loi du Il mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite» (alinéa le< de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
Original English language edition published by Prentice-Hall, lnc., Englewood C/iffs, New Jersey, U.S.A. © 1968, Prentice-Hall © Cal mann-Lévy, 1969, 1976 ISBN 2-86917-008-4
AVANT-PROPOS 1
La présente et cinquième édition d'Inflation et systèmes monétaires de Milton Friedman comporte par rapport à l'édition initiale de 1969 un texte nouveau qui constitue le chapitre premier sous le titre « L'Inflation, mal incurable?». Interrogé sur l'opportunité d'une révision du choix des textes retenus pour la première édition ou d'une nouvelle introduction, le pr Milton Friedman a répondu que l'ouvrage dans sa présentation initiale gardait toute son actualité. On peut cependant se demander si l'inflation qui ne cesse de frapper nos économies industrielles occidentales présente exactement les mêmes caractéristiques que celles que l'on pouvait observer à l'époque où Friedman écrivait ces articles et si les débats théoriques qu'elle suscite se déroulent toujours sur le même terrain. L'inflation actuelle présente certaines caractéristiques nouvelles. Le rythme des hausses de prix a beaucoup varié d'un pays à l'autre. Son accélération s'est souvent accompagnée d'une aggravation du chômage. Les échanges extérieurs, loin d'en avoir tempéré les effets, semblent au contraire avoir joué un rôle déterminant dans sa transmission. En ce qui concerne l'évolution des idées, la nouvelle orthodoxie monétariste dont Milton Friedman fut le principal théoricien est passée du stade de la curiosité universitaire à celui de la reconnaissance politique, puisque aussi bien aux États-Unis qu'en Europe occidentale et en particulier en France, des politiques de contrôle et d'encadrement du crédit et de la liquidité ont été mises en application, suivant des modalités diverses. 1. Cet avant-propos à la deuxième édition française (1976) a été légèrement remanié pour cette nouvelle publication.
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font apparaître que le rapport ~ n'a pas la significay tion universelle que lui prête Milton Friedman et que sa valeur explicative apparaît au contraire très variable d'un pays à l'autre l . En outre, à partir de 1970, les deux courbes représentant les indices retenus se recoupent à plusieurs reprises. On peut y voir dans certains pays, comme les États-Unis, la marque d'une politique systématique de contrôle de la masse monétaire exercée par les autorités politiques. Mais il est difficile d'en déduire, au-delà de ces évidences, une explication de portée plus générale sur la nature causale du lien qui unit les deux indices2• Car si dans certains pays, comme par exemple la Grande-Bretagne et le Japon, le gonflement de la masse monétaire semble effectivement précéder l'accélération de la hausse des prix, dans d'autres, comme l'Allemagne ou même la France, c'est le phénomène inverse qui semble au contraire s'observer. On pourrait du reste, en prolongeant cette observation, formuler une remarque qui n'est paradoxale qu'en apparence. En France, le ratio ~ se révèle très significatif y
dans la période considérée, tandis que l'explication de l'inflation par l'augmentation du taux de liquidité se trouve contrecarrée par la relation inverse de l'inflation anticipée sur la demande d'épargne liquide. En République Fédérale Allemande, où la relation ~ est statistiy
quement peu significative, le taux de liquidité semble au contraire expliquer de manière assez satisfaisante le phénomène par ailleurs plus modéré de hausse de prix. Doit-on en conclure pour autant que la pertinence de ces deux formulations est inversement proportionnelle? 1. Sur ce point, cf A. GOUTIÉRE, «Taux de liquidité dans les différents pays occidentaux », Statistiques et études économiques et financiéres, nO 22, février 1976, pp. 3 à 15. 2. Cette question a été examinée précédemment en particulier par N. KALDOR : «The new monetarism », Lloyd's Bank Review, juillet 1970, pp. 1 à 18.
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Certainement pas, puisque des particularités relatives aux institutions et aux comportements financiers peuvent également en rendre compte. En définitive, faute d'une définition théorique pertinente de la monnaie et! ou de la liquidité, les évidences empiriques s'avèrent d'autant plus contestables qu'elles sont plus difficiles à réfuter. LA RELATION ENTRE LA MONNAIE ET L'INFLATION SE MANIFESTE-T-ELLE EXCLUSIVEMENT PAR L'INTERMÉDIAIRE DU NIVEAU GÉNÉRAL DES PRIX ?
La vérification de cette hypothèse rencontre un préalable statistique. En toute rigueur, l'indice mesurant le niveau général des prix devrait comprendre l'ensemble de tous les prix. Or, l'indice souvent retenu ne concerne que les seuls biens de consommation. L'établissement de cet indice des prix à la consommation a soulevé du reste, ici et là, de sérieuses controverses qui se sont amplifiées au cours des dernières années. Mais la question posée par le recours au niveau général des prix pour expliquer l'inflation est plutôt d'ordre conceptuel l . Elle renvoie à la célèbre dichotomie posée par les quantitativistes entre les prix relatifs (ou prix réels) et le niveau des prix (ou prix nominaux). Or, le phénomène de hausse des prix s'est manifestement toujours accompagné d'un bouleversement dans la structure des prix relatifs au moins au cours des quinze dernières années. L'exemple le plus frappant est évidemment celui du prix de l'énergie et de certaines matières premières. Mais leur caractère singulier réduit la portée théorique de leurs manifestations. L'élargissement de l'écart entre les gains de productivité d'un secteur à l'autre affecte les relations des prix relatifs tout 1. Un tel concept ne serait vraiment pertinent pour appréhender l'inflation que si tous les prix augmentaient exactement dans les mêmes proportions, ce qui résoudrait de ce fait le problème de la mesure de l'inflation. Cela explique, notamment, les prises de position répétées de Milton Friedman en faveur des formules d'indexation en période d'inflation prolongée.
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en contribuant à la dynamique inflationniste par une tendance à l'alignement des rémunérations dans tous les secteurs. Une autre manifestation de l'importance des distorsions de prix dans la conjoncture inflationniste actuelle peut être trouvée dans l'évolution divergente et même dans les retournements observés dans la hiérarchie des indices respectifs des prix intérieurs, des prix d'importation et des prix d'exportation dans les principaux pays industriels. Cette situation ne reflète pas seulement les positions de change des différentes monnaies, mais fait intervenir un processus inflationniste étranger à la doctrine monétariste, qui tire son origine de l'ajustement des revenus salariaux aux prix des produits importés dont l'évolution est elle-même largement tributaire des fluctuations de changes. Mais l'interprétation de ces différents phénomènes varie selon le schéma théorique adopté. Dans la perspective quantitativiste, on s'efforce d'évaluer la: part de l'inflation imputable aux hausses relatives du prix de certains produits ou facteurs avant de s'interroger sur la relation entre la monnaie et le niveau des prix. La première opération se révèle statistiquement délicate en raison de la diversité des délais de transmission et de la difficulté de prendre en compte les effets d'anticipation qui ont fait cependant l'objet de nombreux travaux récents. Quant à la seconde, elle se trouve biaisée par la manière même dont la question se trouve posée. En effet, alors que toute hausse du niveau des prix, quelle qu'en soit l'origine, implique nécessairement une augmentation de la masse monétaire en circulation, en raison du caractère tautologique de l'équation quantitative, la hausse d'un prix par rapport aux autres n'entraîne aucune augmentation automatique de revenu monétaire. Pour Hayek comme pour Keynes, ou tout au moins pour certains de leurs interprètes contemporains (sur ce point curieusement les pensées d'Hayek et de Keynes se rejoignent), la monnaie intervient directement dans les processus économiques baptisés à tort « réels ». Si l'on adopte par exemple le schéma proposé par Hayek dans
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Prix et production', une distorsion dans les prix relatifs, quelle qu'en soit l'origine, peut se révéler tout à la fois génératrice d'inflation et de chômage par l'intermédiaire d'une modification induite de la structure de production sans nécessiter de variation dans le stock total de monnaie. Ce type d'analyse est susceptible de prolongements intéressants dans la mesure où elle permet de prendre en compte par exemple l'inégalité des agents face à la contrainte de la liquidité, en envisageant notamment la diversité de leur situation dans le contrôle de leur prix et la position qu'ils occupent dans le système de production. En d'autres termes, il semble qu'il soit aujourd'hui possible d'expliquer l'inflation récente en «monétariste », sans adhérer pour autant, tout au contraire, à la théorie quantitative. L'INCIDENCE DE LA MASSE MONÉTAIRE SUR LES PRIX EST-ELLE INDÉPENDANTE DU NIVEAU DE L'EMPLOI ?
L'analyse de Milton Friedman implique que l'ensemble des ajustements économiques se fait par le moyen des prix, ce qui revient à supposer, soit que l'économie se trouve en situation voisine du plein emploi, lorsqu'on raisonne à court terme, soit, de manière plus fidèle à la pensée du maître de Chicago, qu'il existe un taux de « chômage naturel» reflétant les insuffisances du système d'information, lorsqu'on raisonne de manière tendancielle. Ces hypothèses conduisent inévitablement les monétaristes de l'école de Chicago à privilégier paradoxalement le mécanisme de l'inflation par la demande, même si par ailleurs leur analyse les conduit à rejeter, légitimement, la distinction traditionnelle entre l'inflation de la demande et l'inflation des coûts. Mais, si l'on observe une capacité productive momentanément inemployée suffisamment importante, ou si un taux de chômage nettement supérieur au chômage naturel se pro1. F. VON HAYEK, Prix et production, Cal mann-Lévy, Paris, 1975 ; collection Agora, Presses-Pocket, 1985.
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longe pendant une période suffisante (sous réserve que le taux de chômage naturel soit susceptible d'une évaluation correcte), rien ne s'oppose, dans le cadre analytique friedmanien, à ce qu'une augmentation des revenus monétaires puisse avoir également (et même peut-être principalement) une incidence sur le volume de la production. En définitive, la difficulté à laquelle se trouvent confrontés les économistes de Chicago est de même nature que celle également rencontrée par certains économistes néo-keynésiens contemporains comme Barro et Grossman. Il s'agit en effet d'expliquer quelles relations peuvent entretenir entre elles les deux modalités théoriques d'ajustement, par les prix et par les quantités. On savait, au moins depuis Phillips, que ces deux mécanismes pouvaient opérer simultanément. Mais on admettait qu'en règle générale l'un domine l'autre, ce que semblait confirmer la célèbre courbe. La nouveauté de la situation présente ne réside donc pas dans l'existence simultanée de l'inflation et du chômage, mais dans l'accélération concomitante possible des deux taux. Il apparaît qu'en période de sous-emploi, l'inflation peut être expliquée par d'autres causes que l'augmentation de la quantité de monnaie mise en circulation par les autorités. En revanche, l'ajustement par les quantités, quand il se manifeste, n'est pas exempt de conséquences monétaires comme s'emploient à le démontrer les théories pius récentes du déséquilibre. Au terme de ce bref avant-propos il apparaît qu'en dépit de la banalisation des politiques monétaires, de l'affinement des travaux statistiques sur la demande de monnaie et de la multiplication des hypothèses sur le comportement d'anticipation des agents, il n'est pas encore possible d'énoncer un jugement tranché sur la théorie monétaire de Milton Friedman. Cette situation singulière qui tire son origine de l'ambiguïté méthodologique de son auteur l confère en tout cas à cette théorie la valeur d'un ensemble d'hypothèses qui n'a rien perdu 1. Pour un approfondissement de cette caractéristique de la pensée friedmanienne, cf C. SCHMIDT, la Sémantique économique en question, Cal mann-Lévy, Paris, 1985, pp. 132 à 140.
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AVANT-PROPOS
aujourd'hui de son caractère stimulant, provocant et toujours controversé. CHRISTIAN SCHMIDT
(octobre 1976).
AVERTISSEMENT À LA PREMIÈRE ÉDITION
Le livre que nous publions, sous le titre français Inflation et systèmes monétaires, est formé d'un ensemble d'articles du pr Milton Fried11]an dont la plupart ont été tirés d'un recueil édité aux Etats-Unis, intitulé Dollars and Deficits. En apparence, c'est la variété de contributions qui constitue l'attrait principal de ce regroupement. Cette diversité se manifeste quant à la date (certains de ces travaux remontent à 1953, comme l'article prophétique « Why the american economy is depression-proof? », qui s'intitule dans la présente édition « Pourquoi l'économie américaine est-elle à l'abri d'une crise? » et constitue le chapitre premier de la deuxième partie) tandis que d'autres comme «Free exchange rates» ou encore l'épilogue ont été écrits respectivement en 1967 et en juillet 1969. Elle s'exprime également quant aux thèmes traités (théorie monétaire, politique économique nationale, relations internationales) et plus encore quant à la destination de ces écrits (articles de revues, contributions à des colloques scientifiques mais aussi documents administratifs comme les deux mémorandums de 1965 et 1966 préparés pour la réunion des consultants du directoire du Federal Reserve System). En ce sens cet ouvrage donne un aperçu fidèle des différents aspects de la pensée et de l'action de Milton Friedman. L'économiste universitaire reconnaîtra au passage l'épistémologue d'Essays on positive economics dans l'introduction (-
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relations valent pour d'autres pays et pour les comparaisons internationales. Elles ne sont pas le fait d'un hasard de l'histoire. Quels sont donc les facteurs qui déterminent cette relation positive? On peut invoquer en premier lieu un effet de revenu. Une élévation du taux d'augmentation de la masse monétaire suscite une accélération de la hausse des revenus nominaux, ce qui accroît la demande de fonds prêtables el}. même temps que le montant des encaisses désirées, et compense ainsi l'effet initial de liquidité. Il se produit en second lieu un effet de prix et d'anticipation sur les prix. L'accroissement rapide de la masse monétaire entraîne une hausse des prix qui réduit d'autant le montant réel du stock de monnaie correspondant à n'importe quel montant nominal donné. Plus encore elle détermine les anticipations à la hausse des prix. L'aggravation de ces anticipations à la hausse se traduit nécessairement par un relèvement des taux nominaux de l'intérêt que les offrants exigent et que les demandeurs acceptent de payer l . Dans la pratique, il n'y a pas d'inconvénient à considérer les taux d'intérêt comme un indicateur de la plus ou moins grande facilité monétaire, à condition toutefois d'interpréter les taux d'intérêt élevés comme le signe d'une augmentation de la liquidité et les taux d'intérêt bas comme celui d'un durcissement monétaire. Si l'on transpose ce raisonnement à la situation actuelle, on peut dire que si le taux de croissance de MI avait été depuis août 1965 de 4 % au lieu de 7,6 % et si celui de M 2 avait été de 6 % au lieu de 9,5 % le taux d'intérêt aurait probablement été quelque peu plus élevé que ceux enregistrés au cours des mois de septembre et d'octobre 1965, mais ils n'auraient jamais atteint les niveaux qui ont été les leurs en février et en mars 1966 et ils seraient aujourd'hui beaucoup plus bas qu'ils ne le sont. Pour parler maintenant en termes d'avenir, le plus sûr moyen de prolonger la hausse des taux d'intérêt est d'accélérer le rythme d'expansion monétaire, au contraire la seule manière de faire baisser les taux 1. Ceci est une manière naturellemenl ultra simplifiée et excessivement dogmatique de présenter ces effets .
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d'intérêt consiste à freiner le taux d'accroissement de la masse monétaire. Pour revenir au débat originel de ce paragraphe, il se peut que je n'aie pas entièrement rendu compte de la question et qu'il existe d'autres explications que celles que j'ai fournies à l'actuelle accélération de l'accroissement de la masse monétaire. J'accueillerai avec force toute proposition susceptible d'éclairer cette question.
DEUXIÈME PARTIE
LE RENOUVEAU DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE
CHAPITRE PREMIER
POURQUOI L'ÉCONOMIE AMÉRICAINE EST-ELLE À L'ABRI D'UNE CRISE ?1
Les États-Unis connaissent actuellement (1954) une période de récession économique. Cette récession a débuté à peu près au milieu de 1953, vers juin ou juillet, et depuis lors s'est poursuivie de manière continue. Jusqu'à présent, elle s'est avérée relativement bénigne. Le chômage, rapporté à une force de travail totale de plus de soixante millions, ne dépasse pas quatre millions et la production industrielle, qui constitue un indice très sensible dont les fluctuations traduisent de manière amplifiée celles de la production dans son ensemble, n'a diminué que de 10 %. La baisse du Produit National Brut peut être presque entièrement attribuée aux catégories de dépenses affectées à la consommation, les travaux publics, la construction et l'équipement n'ont accusé aucune baisse. En ce qui concerne les prix, la baisse des prix de gros a précédé de beaucoup le début de la récession. Pendant ces derniers mois, cette baisse s'est poursuivie à un rythme beaucoup plus lent, pour ne pas dire nul. Les prix de détail ont évolué dans un sens un peu différent. Les taux d'intérêt ont enregistré une baisse considérable et les prix des matières premières, après une chute importante, se sont relevés assez récemment. D'une manière générale, cette récession possède toutes les caractéristiques des récessions cycliques ordinaires, observées avec plus ou moins de régularité dans la plupart des pays occidentaux depuis plus de deux siè1. Texte d'une conférence prononcée à Stockholm en avril 1954 et publié dans Nationalekonomiska Foreningens Forhandlillgar.
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cles. Aux États- Unis, de telles récessions duraient en moyenne vingt mois au siècle dernier, aussi, si l'on en juge par son espérance de vie, la récession actuelle est déjà entre deux âges. On a mis six ou sept mois avant de se mettre d'accord pour reconnaître l'existence de cette récession - ce qui ne témoigne pas d'une incompétence spéciale mais d'un simple manque de clairvoyance. Maintenant que l'existence d'une récession est largement admise, la question cruciale consiste à se demander quelle sera sa durée et son intensité. Contient-elle, comme l'a prédit Colin Clark, les ferments d'une crise grave, comparable à celle qui a sévi de 1929 à 1933 ? - auquel cas on ne pourrait empêcher que ces ferments ne poursuivent leur travail maléfique qu'en faisant appel à une action gouvernementale immédiate et à grande échelle. Ou ne s'agit-il simplement, comme le Président l'a montré dans son Rapport économique, que d'un rajustement inoffensif, une simple difficulté de croissance appelée à se résorber dans de brefs délais? Il est difficile de répondre à cette question de manière précise. Les études sur les cycles de la production nous ont au moins appris une chose : nous ne pouvons rien dire sur le détail de l'évolution de l'activité économique future. Nous pouvons décrire, comme les économistes ont coutume de le faire, l'évolution détaillée de l'emploi, des prix de détail, des taux d'intérêt, des prix des matières premières, etc. Mais ces indices ne nous permettent pas de nous guider avec assurance pour déterminer l'ampleur exacte d'un mouvement cyclique ou le moment précis auquel il s'achèvera. Dans ces conditions, et comme bien souvent en économie, une méthode compréhensive a des chances d'être plus fructueuse. Bien que nous ne puissions pas répondre de manière assurée à la question posée par un recours direct à la prévision à court terme, je pense que nous pourrions parvenir à une réponse générale significative en examinant le contexte institutionnel à l'intérieur duquel la récession s'est manifestée et en interprétant nos observations à la lumière du passé connu. Aux États- Unis, les institutions et les comportements se sont transformés de manière radicale depuis la Grande Crise. Les changements de structure fiscale et bancaire ont
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profondément modifié les réactions cycliques inhérentes à l'économie américaine. Le changement d'attitude psychologique à l'égard de l'inflation et de la déflation a, lui aussi, profondément modifié la manière dont les dirigeants politiques réagissent aux retournements de conjoncture. A mon avis, cet ensemble de facteurs a pour résultat de rendre une crise grave de l'économie américaine à peu près inconcevable à l'heure actuelle. La situation présente e§t déflationniste. Nous ne pouvons pas dire exactement quand l'actuelle récession prendra fin, mais nous pouvons affirmer avec une assez grande certitude qu'elle ne se transformera pas en une crise grave. Le développement de cette thèse m'amènera à traiter des questions qui peuvent sembler très éloignées de la situation actuelle. J'espère parvenir à vous persuader qu'elles permettent de fonder un jugement de manière beaucoup plus solide que ne le font les données du moment. Je considérerai en premier lieu les transformations qui ont été opérées dans la structure bancaire des États-Unis.
LES TRANSFORMATIONS DU SYSTÈME BANCAIRE
La structure bancaire des États-Unis est très différente de celle qui existe dans la plupart des autres pays. Elle se compose d'environ 15000 banques indépendantes, pour un tiers sous la tutelle du gouvernemeI!t fédéral, le reste se répartissant entre les quarante-huit Etats. A peu près la moitié d'entre elles, comprenant la quasi-totalité des banques principales, fait partie du Federal Reserve System, qui remplit les fonctions d'une banque centrale. Ce système bancaire a présenté de gros avantages sous l'angle de la souplesse, de la compétition et de l'esprit d'entreprise. Mais il s'est également prêté à des paniques bancaires et à de retentissantes faillites, la dernière étant bien entendu celle du début des années 30. Ce système a subi trois transformations principales depuis la Grande Crise. Tout d'abord, la création en 1934 d'un Fonds national de garantie des dépôts; en second lieu, une augmentation de la part des fonds bancaires correspondant aux obligations émises par le
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gouvernement fédéral ; enfin, un relâchement des liens entre l'or et la monnaie nationale. La création du Fonds national de garantie des dépôts.
A mon avis, ce Fonds de garantie constitue en tous points la modification la plus importante, en raison de ses effets sur le caractère cyclique de l'économie américaine. En effet, je vais jusqu'à dire qu'elle a transformé les institutions bancaires de façon beaucoup plus fondamentale que ne l'a fait la mise sur pied du Federal Reserve System en 1913. La garantie des dépôts a relégué les faillites bancaires au passé. Une banque ne fait plus faillite lorsqu'elle a été mal gérée et que ses fonds ne répondent plus à ses engagements. Le Fonds national de garantie des dépôts prend en charge son passif, ou en assume la responsabilité, et réalise la fusion de la « mauvaise» banque avec une « bonne ». Si l'on en croit les relevés statistiques, les faillites bancaires ont diminué des deux tiers depuis 1934 ; de ce fait, les déposants dans les banques, protégés par un tel système de garantie, n'ont eu à souffrir que de pertes négligeables (bien qu'officiellement, seules les sommes se situant au-dessous d'un certain montant puissent bénéficier de cette garantie). Le Federal Reserve System n'a jamais été plus qu'« un appui en dernier ressort» ; il n'offre aucune protection aux déposants contre une mauvaise gestion bancaire et manque de ce fait à son devoir primordial, qui consiste à les garantir contre une mauvaise gestion de la banque centrale. Dans la pratique, le Fonds national de garantie des dépôts a converti tous les fonds déposés par les banques privées en garanties d'État, ce qui a permis d'éliminer les rushs sur les banques du type de ceux qui se sont produits entre 1931 et 1933, ainsi qu'à d'autres époques. Ces rushs correspondaient aux efforts des déposants pour convertir leurs dépôts, c'est-à-dire les avoirs des banques privées en avoirs du gouvernement fédéral, en d'autres termes en monnaie. C'est pourquoi le passif des instances monétaires fédérales compr~nd maintemant à la fois des dépôts et de la monnaie.
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La transformation de la structure des actifs financiers. Le Fonds national de garantie des dépôts fut délibérément institué afin de garantir les déposants. Sans intention ni dessein particulier, une transformation s'est opérée dans la composition des actifs bancaires, qui s'est trouvée en partie renforcer l'effet de la garantie sur les dépôts. Cette transformation correspond à un accroissement de la part des/obligations d'État dans les actifs bancaires, dont on a pu observer également la manifestation dans la plupart des autres pays occidentaux. En 1929, les titres d'État représentaient environ 15 % des obligations des banques commerciales et des caisses d'éparpne ; aujourd'hui, elles en représentent plus de la moitié. En un sens, plus de la moitié des dépôts effectués par le public se composent donc d'obligations d'État (puisque les avoirs bancaires qui leur correspondent se composent eux-mêmes d'obligations d'Etat). Pour cette moitié, la garantie sur les dépôts fournit une couvery:ure et les dépôts sont donc doublement garantis par l'Etat. Le fait que la proportion des obligations d'Etat se soit accrue a eu par la suite comme conséquence de réduire les effets sur le crédit des fluctuations éventuelles de l'offre et de la demande privées de monnaie. Comme on le voit, les opérations de prêt des banques sont donc soumises aux autres facteurs, contrairement à ce qui s'est passé jadis. A ce propos, il me faut faire une petite digression. J'ai longtemps pensé qu'il fallait que les réserves bancaires fussent tout à fait privées. Dans un tel système, les activités de dépôts des banques seraient distinctes des opérations de prêt et d'investissement, et les banques de dépôts auraient la même activité que de simples caisses de dépôts. Pour chaque dollar mis en dépôt, elles seraient obligées d'avoir un dollar en monnaie ou son équivalent. On traite d'ordinaire ceux d'entre nous qui sont favorables à ce système d' « utopistes» ; on leur répète que leur proposition n'a aucune chance d'aboutir et qu'elle nécessiterait des réformes du système bancaire 1. Au début de 1968, les titres d'État étaient revenus à un montant correspondant à 15 % des réserves bancaires.
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impraticables, si par hasard elle était adoptée. Cepen· dant, l'ironie du sort a voulu que certains effets, complè· tement inattendus, de la transformation de la structure des actifs bancaires nous aient amenés à mi-chemin de l'application de cette réforme. En effet, la nature du programme implique précisément de faire de la mon· naie, qu'il s'agisse du numéraire ou des dépôts, une obligation directe du gouvernement, émise à l'intérieUI d'un système uniforme. Les généraux ne sont pas les seuls à continuer de se battre une fois le combat terminé. Le changement du rôle de l'or.
La troisième transformation sur laquelle j'aimerais attirer votre attention concerne le rôle de l'or. Lorsqu'en 1934, on a retiré l'or de la circulation, un premier pas fut franchi vers le relâchement des liens entre l'or et ia demande interne de monnaie. Le rôle de l'or dans le système monétaire des États-Unis est pratiquement réduit à rien. Le Federal Reserve System possède près de deux fois plus de réserves en or qu'il ne le devrait légalement; mais il n'en est pas plus libre pour autant, car si par extraordinaire les ressources s'approchaient du minimum légal, on peut raisonnablement s'attendre à ce que ce minimum soi~ lui-même abaissé'. Le prix de l'or fixé à l'achat par les Etats-Unis, bien loin d'être la clé du système monétaire, est du même ordre que le prix fixé à l'achat pour le blé produit à l'intérieur: l'or est un bien stockable dont le prix est partiellement rigide. La seule différence tient au fait que cette rigidité vaut pour les producteurs étrangers aussi bien que pour les producteurs nationaux, ce qui explique pourquoi l'or fait partie de notre programme d'aide économique à l'étranger.
1. Le prix de l'or a été abandonné en mars 1968. 2. Le système a été complètement transformé. Une première fois, le montant requis 25 % au Federal Reserve System qui était indifféremment constitué de dépôts et de billets a été exigé entièrement en billets. En mars 1968, le système a été de nouveau entièrement modifié.
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Les effets de ce changement. Les effets combinés de la création du Fonds national de garantie de~ dépôts, de l'accroissement de la part des obligations d'Etat dans les actifs détenus par les banques, et de l'effacement du rôle de l'or, rendent pratiquement inconcevable un effondrement du système bancaire américain. La garantie élimine le danger d'une ruée sur ,les banques ; l'importance de la part des obligations d'Etat réduit la 'sensibilité de la masse monétaire aux transformations enregistrées dans les mouvements de dépôts et de retraits dans les banques privées; l'effacement du rôle de l'or diminue aussi sa dépendance à l'égard des changements dans les conditions extérieures. On ne voit pas très bien alors comment une diminution très nette de la masse monétaire pourrait se produire, si ce n'est par l'action délibérée des autorités monétaires. La situation est très différente de celle d'avant 1933, qui exigeait l'intervention des autorités monétaires afin d'empêcher que la masse monétaire ne se réduise. Je m'empresse d'ajouter qu'aucune de ces transformations n'a entraîné d'augmentation substantielle de la masse monétaire.
La portée des m,odifications intervenues dans le système bancaire des Etats-Unis. En admettant que la structure bancaire se soit profondément modifiée, en quoi réside l'importance de cette transformation lorsqu'il s'agit d'éviter une crise grave? Des années 1930 jusqu'à pratiquement aujourd'hui, les économistes ont eu tendance à sous-estimer le rôle des facteurs monétaires et du système bancaire, tendance dont les économistes suédois ont su se garder mieux que les autres mais dont, si j'en crois leurs écrits récents sur l'inflation, ils n'ont pas réussi à s'écarter tout à fait. Ce qui s'est passé après la guerre a entraîné un revirement d'opinion considérable à l'égard du rôle des facteurs monétaires. Après la guerre, des politiques d'argent facile furent adoptées dans la plupart des pays. Et tous ceux qui ont suivi cette ligne de conduite ont connu des pressions inflationnistes et un déséquilibre budgétaire.
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D'un autre côté, chaque tentative fructueuse de lutte contre l'inflation est associée à une politique monétaire plus stricte. Ces événements provoquèrent une réaction très saine contre le manque d'attention accordée à la monnaie. Mais cette réaction n'est pas allée très loin. En ce moment, l'idée à la mode consiste à dire que les mesures monétaires ont une importance considérable dans la lutte contre l'inflation, mais une faible efficacité lorsqu'il s'agit d'éviter une crise. La politique monétaire, dit-on, est une ficelle: vous pouvez la tirer, mais vous ne pouvez pas la pousser. Cette interprétation se fonde dans une large mesure sur le fait que les mesures monétaires ont été essayées sans succès lors de la Grande Crise. Du moins le croit-on, et on a tort. De telles idées n'ont pu naître dans l'esprit des gens que parce qu'ils se sont contentés d'accepter les protestations des autorités, d'une bonne foi apparente, au lieu de regarder ce qu'elles faisaient vraiment, et parce que l'on s'est davantage préoccupé des incidences de la politique suivie sur les engagements de la banque centrale plutôt qur sur l'ensemble de la masse monétaire. Aux Etats-Unis - et l'expérience des États-Unis n'est pas particulièrement originale -, le volume total de la masse monétaire en circulation a diminué de plus d'un quart entre 1929 et 1933. L'expansion de la masse monétaire qui a suivi était proportionnelle à l'accroissement du revenu nominal. Loin de signifier que les facteurs monétaires n'ont aucun rôle à jouer lorsqu'il s'agit de prévenir une crise, la période du début des années 30 témoigne de manière dramatique que ces facteurs ont largement participé à la naissance de la Grande Crise. C'est un point sur lequel je reviendrai. Pour ma part, je ne crois pas que la comparaison avec la ficelle vaille grand-chose. Si c'était le cas, nous serions amenés à constater que les crises graves se sont produites en dépit de conditions monétaires favorables. Autant que je sache, cela ne s'est jamais vu. Il est certain que les Etats-Unis, dont je peux parler avec le plus de certitude, n'ont jamais connu de crise grave qui ne se soit accompagnée d'un effondrement monétaire. Je vais rappeler brièvement les faits, c'est encore ce qu'il y a de plus instructif.
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La crise qui a commencé à la fin des années 1830 et s'est poursuivie pendant le début des années 1840 nous fournit sans doute le meilleur point de départ. Les données statistiques sur cette période sont trop réduites pour que l'on puisse établir des comparaisons détaillées avec les autres crises qui se sont produites par la suite. Les données dont on dispose, ainsi que les indications de nature qualitative, indiquent qu'elle fut comparable en intensité et en durée à celle qui a sévi à peine un siècle plus tard, bien que ses-'èonséquences aient bien entendu été assez différentes sur le plan social et humain en raison de la moindre importance de l'industrie et du marché à l'époque. Cette crise suivait de près la bataille J?olitique menée à propos de la Seconde Banque des États-Unis, qui s'acheva par la démission retentissante de la banque. Cette bataille eut pour effet immédiat de provoquer une vaste inflation et un regain de la spéculation. Il en résulta pour finir une déflation radicale de la monnaie, une désorganisation du système bancaire, et de nombreuses faillites bancaires. La crise, d'une ampleur comparable, qui vient ensuite, se situe dans le prolongement d'une longue période de difficultés, qui couvre les années 70. C'est la période qui a suivi l'inflation provoquée par les billets verts à cours forcé, pendant laquelle on s'est efforcé de revenir à la parité de l'étalon-or d'avant la guerre de Sécession. Ces efforts furent couronnés de succès lorsqu'en 1879, on revint à la convertibilité, mais il en coûta la persistance pendant une dizaine d'années de pressions déflationnistes plus ou moins continues, et la récession la plus longue qu'on aitjamais enregistrée dans toute l'histoire des cycles aux Etats-Unis. La reprise, qui fit cesser la pression déflationniste, donna naissance à une période d'expansion. Les années 1890 connurent une crise encore plus marquée que celle des années 70 ; elle fut probablement moins sévère que celle de 1930 mais rien ne permet de l'affirmer. La monnaie faisait alors l'objet de débats passionnés, la question brûlante consistant à se demander si l'or ou l'argent devait servir d'étalon monétaire, et la confusion atteignit son comble lors du fameux discours de Bryan sur la « croix de l'or». Les États-Unis furent sur le point d'abandonner l'or; J.-P. Morgan et
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ses associés furent appelés à l'aide par le Trésor et accordèrent de larges crédits afin de maintenir la parité du dollar en or, bien qu'en définitive ce soit encore Dame Fortune qui, pour une lar~e part, assura le succès d'une opération qui réussit aux Etats-Unis mais échoua ailleurs. Cette crise se caractérisait surtout par la panique bancaire et par de nombreuses faillites. L'arrivée d'or en provenance d'Afrique du Sud remit tout le débat économique en question et donna naissance à une période d'expansion, qui vit augmenter les prix d'environ deux tiers entre 1898 et le moment où éclata la Première Guerre mondiale. Elle rendit néanmoins une certaine vigueur aux pressions favorables à une réforme du système bancaire, qui aboutirent finalement à la création du Federal Reserve System en 1913. . Le Federal Reserve System fut créé juste à temps pour canaliser l'inflation associée aux périodes de guerre. Il est incontestable que, de toute façon, cette inflation serait apparue pendant la Première Guerre mondiale; toutefois, si le nouveau système de la Banque Centrale n'avait pas existé, l'inflation aurait probablement été moins sévère que ce ne fut le cas et elle aurait presque certainement pris fin au début de 1919. Le Federal Reserve System, plus par inconscience que de propos délibéré, continua à alimenter le courant inflationniste plus d'un an après que le gouvernement eut cessé de faire appel à lui pour remplir ce rôle et financer ses dépenses. Lorsque le Federal Reserve System sortit de cette voie en 1920, il appuya brutalement sur les freins, provoquant une contraction de l'offre de monnaie et la brève, quoique intense, crise de 1921, allongeant ainsi la liste des crises accompagnées ou provoquées par un effondrement monétaire. Dans cette chambre des horreurs, la dernière curiosité sur laquelle je me pencherai est la crise de 1929-1933, à maints égards la plus intéressante et la plus instructive. De 1929 à 1931, le Federal Reserve System fut essentiellement passif : il laissa la masse monétaire diminuer d'environ 10% et ne réagit pas lorsque les faillites bancaires se multiplièrent de façon spectaculaire. Cependant, au printemps 1931, certains signes de reprise se manifestaient: si on examine les rapports statistiques qui ont trait aux premiers mois de cette année-là (en ne
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tenant pas compte de ce qui s'est passé par la suite), on peut constater qu'ils renferment les signes caractéristiques qui marquent le retournement de tendance typique des mouvements cycliques. Si la chute de l'activité économique avait pris fin en 1931, elle se serait inscrite dans les annales statistiques comme une récession importante, mais certainement pas comme une crise comparable à celles de 1840, 1870 et 1890. Cependant, la chute de l'activité ne s'est pas arrêtée là. A l'automne de 1931 , l'Angleterre abandonna l'étalon-or, et les autorités financières commencèrent à craindre une fuite de l'or hors des États-Unis. Bien que les réserves d'or aient largement excédé les exigences légales et fussent extrêmement abondantes au regard de n'importe quel étalon absolu, l'Amérique fut prise d'une sorte de panique et procéda à la mise en vigueur de mesures fortement déflationnistes, haussant brutalement le taux de l'intérêt consenti par les banques à un niveau encore jamais atteint - et cela après deux ans de contraction économique. C'est, à mon avis, ce qui a tué dans l'œuf une reprise possible et a entraîné une nouvelle contraction, plus brutale celle-là. Jusque-là, les dépôts des banques commerciales n'avaient diminué que de 10 % ; l'année suivante, ils furent réduits d'un tiers. Les faillites bancaires se multiplièrent alors à un rythme alarmant et cette sinistre histoire ne s'acheva que par la fermeture officielle de toutes les banques en mars 1933. Il est vrai que le Federal Reserve System changea de politique au début de 1932 et s'engagea avec modération dans la voie de l'expansion, mais il était déjà trop tard. Les mesures adoptées à ce moment-là auraient aisément sauvé la situation en 1931 ; en 1932, elles étaient tout à fait incapables d'endiguer le courant déflationniste déclenché par le Federal Reserve System. Le Federal Reserve System avait été créé essentiellement pour éviter les paniques bancaires de cette espèce qui avaient été fréquemment observées. Il échoua complètement dans cette tâche. La panique de 1933, lorsqu'elle se produisit, alla rejoindre celles de 1837, 1873, 1893 et 1907. L'existence du Federal Reserve System ne changea qu'une seule chose : elle retarda la panique jusqu'à ce qu'un nombre effrayant de banques aient fait faillite, alors qu'au cours des crises précédentes, la
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panique s'était déclarée dès l'apparition des premières faillites et avait fonctionné comme un signal d'alarme, empêchant ainsi leur propagation au système tout entier. Ce sont ces événements qui, comme je l'ai déjà signalé, ont entraîné la création du Fonds national de garantie des dépôts, organisme qui a effectivement mis un terme aux paniques bancaires. Ces épisodes illustrent un fait impossible à nier : les crises graves et les contractions brutales de la masse monétaire vont de pair. Mais, demandera-t-on, lequel des deux est responsable de l'autre? L'effondrement monétaire n'est-il pas le résultat inévitable de l'apparition d'une crise grave, plutôt que l'inverse? Et dans ce cas, une transformation du système bancaire ne permettrait-elle pas seulement de limiter les manifestations de la crise, au lieu de la prévenir? A mon avis, les épisodes que j'ai mis en lumière fournissent une réponse assez nette à ces questions. Parmi les événements qui donnent lieu à une contraction brutale de la masse monétaire, nombreux sont ceux dont l'apparition n'a pas dépendu d'une situation économique particulière. S'ils ne peuvent être tenus pour responsables de la crise, ce n'est certainement pas elle qui les a fait naître, et le fait qu'ils se soient manifestés en même temps doit être considéré comme une simple coïncidence. Aux États-Unis, l'apparition du débat politique autour de la Seconde Banque, qui s'est terminé par la faillite de cette dernière, nous en fournit sans doute la meilleure illustration. La déflation des années 1870 en est un autre exemple. Je pense également que l'action du Federal Reserve System va dans le même sens. Ce dernier cas est particulièrement instructif car il constitue une sorte d'expérimentation contrôlée. Certains pays, comme la Grande-Bretagne et la Suède, abandonnèrent l'or en 1931 et adoptèrent une politique d'expansion monétaire : chez eux, la contraction prit fin au plus tard au début de 1932. D'autres pays, comme les États-Unis et la France, conservèrent l'étalon-or et pratiquèrent un resserrement de la monnaie: ils virent la contraction de la masse monétaire se prolonger jusqu'en 1933 et même 1934. La conclusion semble inévitable : la contraction brutale de la masse monétaire est un facteur essentiel qui conditionne l'apparition d'une crise. Pour éviter les
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quiproquos, je voudrais souligner que je n'entends pas par là affirmer que les fluctuations cycliques ont une origine monétaire, loin de là. Le schéma que décrivent habituellement ces fluctuations s'est reproduit dans des contextes monétaires très différents, que ce soit sous l'angle de la conjoncture ou du point de vue des institutions. Elles ne sont pas liées à un comportement de la masse monétaire particulier, ou à d'autres indices du même ordre'. Les facteurs monétaires jouent certainement un rôle dans ces 'fluctuations, mais, à mon sens, nous ne savons pas encore lequel. Nous ne disposons pas non plus d'une autre explication plausible : nous sommes simplement dans un chapitre où les questions restent sans réponse. Mon approche est plus modeste; elle consiste à établir une distinction entre les récessions mineures et les crises graves et à dire qu'une brusque rétention de la masse monétaire à la suite d'une maladresse de politique monétaire est nécessaire pour que la récession mineure se transforme en crise sérieuse. Bien qu'assez éloignée de mon présent propos, une interprétation similaire me semble être valable également pour l'expansion monétaire: il faut que des mesures monétaires interviennent pour qu'une faible expansion de la quantité de monnaie se transforme en inflation galopante. Si cette conclusion avait quelque valeur, cela signifierait que les transformations de la structure bancaire suffisent pour provoquer une grave crise de l'économie américaine. Mais en cette matière, les transformations de caractère institutionnel ne sont pas les seules à jouer un rôle; il faut également prendre en ligne de compte les çhangements intervenus dans les finances publiques des Etats-Unis et c'est d'ailleurs ce à quoije vais m'employer maintenant.
1. Les recherches que j'ai terminées depuis traduisent un comportement des encaisses monétaires beaucoup plus régulier au cours du cycle normal que ne le suggère cette phrase. Cf le chapitre IV : « les Leçons de l'histoire monétaire » .
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INFLATION ET SYSTÈMES MONÉTAIRES LE RÔLE DU BUDGET
Pendant les dernières décades, le rôle du gouvernement s'est considérablement accru dans l'ensemble de l'activité économique. Dans les années 20, les dépenses publiques, à la fois locales et nationales, se montaient à moins du huitième du revenu national; aujourd'hui (1953), elles atteignent plus du quart l . Du point de vue économique, l'importance prise par l'activité gouvernementale est fondamentale pour l'évolution à long terme de l'économie américaine et pour l'avenir des libertés politiques. Elle n'influe pas beaucoup sur les fluctuations de caractère cyclique; dans cette optique, le changement de nature des recettes et des dépenses est plus important que leur changement de volume. Du côté des dépenses, on assiste à deux changements importants : d'une part, la mise en vigueur d'un vaste programme d'intérêt social, comprenant en particulier une garantie sur l'emploi et, d'autre part, l'application d'un programme agricole destiné à soutenir les prix des produits de la terre. Ces programmes, de nature similaire, ont eu pour résultat de réduire l'activité économique et, par voie logique, d'accroître la part des dépenses gouvernementales : les travailleurs se mirent en chômage et bénéficièrent des avantages qui leur étaient impartis; les prix agricoles manifestèrent une tendance à la baisse - cette seconde conséquence se manifesta cependant de façon moins directe en raison des variations météorologiques à l'intérieur et des différences de production à l'extérieur - de telle sorte que les subventions eurent tendance à augmenter. En sens inverse, l'expansion de l'ensemble de l'activité économique s'accompagne en règle générale d'une réduction des dépenses gouvernementales. Je m'empresse de faire remarquer que ces transformations, au même titre que les transformations opérées sur la structure bancaire dont nous venons de parler, ne font pas l'objet d'un jugement de valeur de ma part mais que je me contente de décrire leurs effets sur les fluctuations cycliques de l'économie américaine. A 1. En 1968, elles se sont encore accrues d'un tiers.
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cet égard, il s'est avéré que le programme de soutien à l'agriculture était devenu bien plus un moyen de subsistance permanent qu'une manière de prévenir une dégradation éventuelle du marché agricole. Et, à mon avis, les avantages que peut avoir un tel programme sous l'angle de la stabilité sont loin de contrebalancer ses inconvénients dans les autres domaines. Du côté des recettes, l'impôt sur le revenu des personnes et des sociétés a été sensiblement modifié : il représente une part plus importante de l'ensemble des recettes fiscales ; l'impôt sur le revenu des personnes physiques s'est fait beaucoup plus progressif; et les modes de recouvrement de l'impôt ont été complètement modifiés. La raison pour laquelle ces transformations exercent une influence sur les fluctuations cycliques est liée au fait qu'elles ont associé l'impôt de façon beaucoup plus étroite aux mouvements de la conjoncture économique. Dans l'hypothèse où le revenu national augmente, certains impôts, comme l'impôt sur le capital, ne seront que très faiblement affectés; par ailleurs, d'autres impôts, comme les contributions indirectes, augmenteront en même temps que le revenu, mais dans une moindre proportion. D'un autre côté, il est presque certain que l'impôt sur le revenu augmentera en même temps que le revenu et dans une plus forte proportion. Inversement, lorsque le revenu national diminue, l'impôt sur le revenu connaît une baisse encore plus nette. Et plus l'impôt sur le revenu est progressif, plus l'augmentation ou la dimi:-.ution des ressources imposables sera accusée. La place accordée à l'impôt sur le revenu et l'élargissement de sa progressivité ont eu pour conséquence d'accroître la responsabilité de la matière imposable dans le déroulement des fluctuations économiques. Mais il y a une marge entre la matière imposable et le paiement effectif de l'impôt, et c'est à ce niveau qu'interviennent les transformations dans les modes de recouvrement déjà mentionnés. Avant la Seconde Guerre mondiale, l'impôt sur le revenu était toujours recouvré dans sa totalité avant la fin de l'année. En moyenne, il s'écoulait un délai d'environ un an entre la perception d'un revenu et le paiement de l'impôt correspondant. Pendant la guerre, on institua un mode de prélèvement à la base sur les salaires et traitements, et un paiement anticipé sur les
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autres types de revenus. Plus récemment, on a étendu ces remaniements aux sociétés, ce qui a eu pour résultat de réduire presque totalement le délai entre la rentrée du revenu et le paiement de l'impôt. Sous le régime fiscal actuellement en vigueur, n'importe quelle baisse du revenu national s'accompagne, ou est suivie dans les moindres délais, d'une réduction plus que proportionnelle des recettes fiscales en même temps que d'une augmentation des dépenses affectées aux indemnisations de chômage, aux subventions agricoles, etc. Ces deux courants se renforcent l'un l'autre et ont ensemble un effet qui n'est pas négligeable. Grosso modo, une baisse du revenu national de, par exemple, 10 millions de dollars, se traduit au bout du compte par un réaménagement budgétaire de l'ordre de 3 à 4 millions de dollars. Cette somme correspond au montant des réductions d'excédent ou des accroissements de déficit couramment observés, et qui peuvent se produire sans que l'autorité législative ou exécutive ait à intervenir. En ce sens, les ajustements automatiques du Budget national fournissent la compensation directe (de l'ordre de 30 à 40 %) des écarts qui affecteraient autrement le Revenu national. L'indifférence à la politique monétaire, que j'ai fait remonter assez loin, s'est accompagnée d'un intérêt accru pour les mécanismes budgétaires. C'est pourquoi il est probable que de nombreux économistes considèrent cette modification intervenue dans les finances publiques comme encore plus importante que les transformations opérées sur le système monétaire. Quel que soit le parti qu'on prenne sur l'importance relative des transformations intervenues respectivement dans les politiques budgétaires et monétaires, on ne peut nier qu'un usage excessif ait été fait du pouvoir stabilisateur du levier budgétaire. L' ÉVOLUTION DE L'OPINION PUBLIQUE
L'organisation des institutions est importante, mais les idées et les comportements des hommes qui les font fonctionner le sont également. Tout le monde recherche le juste milieu, mais rares sont ceux qui l'atteignent. Les
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hommes ont tendance à en faire trop et à compenser un excès dans un sens par un autre dans un sens opposé. Les réactions à l'égard de l'inflation et de la déflation en fournissent une bonne illustration. Avant la crise de 1929, les dirigeants placés à la tête de nos institutions économiques, et les responsables de l'opinion publique, étaient beaucoup plus sensibles aux dangers de l'inflation qu'à ceux de la déflation. Les origines de ce comportement remontent à la naissance de la nation. L'expérience monétaire vécue pendant la révolution américaine donna à la nation une horreur de l'inflation incontrôlée telle qu'il fallut inclure dans la Constitution américaine des mesures préventives destinées à empêcher - du moins le croyait-on - l'émission de monnaie fiduciaire par le gouvernement fédéral. L'ironie de l'histoire a voulu que Salmon P. Chase, en tant que secrétaire du Trésor, ait été responsable de l'émission des billets verts à cours forcé pendant la guerre de Sécession et que, par la suite, comme président de la Cour Suprême, il ait décidé que leur émission violait les dispositions constitutionnelles. La guerre de 1812, qui vit doubler les prix, confirma et renforça les craintes engendrées par l'hyperinflation de la révolution. Ces craintes, à peine atténuées par l'apparition de la crise des années 40 (à peine est encore trop dire car on attribuait, à juste titre, une grande part de responsabilité à l'inflation précédente), se manifestèrent avec plus de vigueur que jamais au moment de la guerre de Sécession, qui connut une nouvelle période d'inflation. Le XIXe siècle, avec sa tendance générale à la baisse des prix et ses graves récessions, joua pour beaucoup en faveur d'un revirement d'opinion, comme l'atteste le succès politique que rencontrèrent à ce moment-là les partisans de la libre circulation du métal argent et des fameux billets verts. Toutefois, l'effet fut moins important que celui auquel on aurait pu s'attendre, parce qu'une large fraction de la population disposait presque du nécessaire, et en partie en raison de la souplesse des mécanismes économiques, qui permettait aux grandes récessions de n'affecter presque exclusivement que les grandeurs monétaires. De toute façon, ce changement d'attitude fut à son tour renversé et les anciens préjugés furent encore renforcés par les cinquante années de
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hausse des prix qui ont précédé la Première Guerre mondiale, par la forte inflation qui sévit pendant et immédiatement après la guerre et par les dix années de prospérité qui suivirent l'effondrement brutal mais sans suites de 1921. En 1928, plus de trente ans s'étaient écoulés depuis la dernière récession vraiment sérieuse et prolongée, pendant lesquels les prix avaient suivi une tendance générale à la hausse. Cette période fut marquée par la guerre, qui fit plus que doubler les prix en quelques années. Doit-on vraiment s'étonner que le public ait considéré l'inflation comme la menace primordiale de la prospérité ? Cette attitude, avec son attachement au resserrement du crédit coûte que coûte, explique sans doute pour beaucoup la ligne de conduite adoptée par les autorités du Federal Reserve System et, d'une manière générale, par les dirigeants politiques en période de récession ou de crise. Comme ils craignaient plus l'inflation que la déflation, ils ont réagi trop violemment à tout ce qui leur semblait constituer une menace d'inflation et, par ce biais, provoqué une grave déflation. La déflation remit tout en question. Elle s'installa dans une économie dont l'agriculture jouait un rôle mineur, et à l'intérieur de laquelle les rigidités s'étaient sérieusement accusées. Il est compréhensible que l'importance du chômage et les problèmes sociaux aient placé la récession en tête de liste de tous les fléaux à éviter à n'importe quel prix. Aujourd'hui encore, en dépit d'une hausse des prix pratiquement continue depuis une vingtaine d'années et nonobstant des débats politiques largement diffusés sur l'élévation du coût de la vie et les dangers de l'inflation, le public continue à redouter la crise avant tout. Même ceux qui sont contre l'inflation en témoignent indirectement : leur argument principal, mille fois répété, consiste à dire que ce qui monte doit obligatoirement redescendre un jour, et que l'inflation actuelle doit entraîner une dépression par la suite. Nous sommes passés d'un extrême à l'autre. De même que la déflation avait été provoquée par la lutte inconsidérée contre l'inflation, de même l'inflation actuelle est le résultat d'un excès dans la lutte contre la dépression. Les réactions à la récession présente le montrent clairement : elle s'est avérée jusqu'à maintenant très légère,
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bien qu'on s'en soit occupé et qu'on en ait parlé avec l'accent et les précautions d'une mère dont l'enfant n'a que 50 % de chances de survie. Jamais auparavant le Federal Reserve System n'était passé aussi brusquement d'une politique de resserrement du crédit à une politique d'argent facile. Les pressions exercées en faveur des réductions d'impôt et de l'emploi se manifestèrent dès la première défaillance légère du rythme de croissance économique et ne firent que se renforcer depuis, bien que le pouvoir d'achat SGit presque en permanence à son niveau le plus élevé. Même un tenant de l'orthodoxie financière aussi convaincu que l'est le sénateur George, de Georgie, a conseillé un élargissement important de la part des revenus non imposés. On défend quelquefois l'idée que le retour au pouvoir du Parti Républicain grève lourdement les perspectives d'avenir. Les Républicains sont traditionnellement les défenseurs de la « monnaie saine» ; ils ont acquis leur crédit politique en accusant les Démocrates d'avoir ruiné le dollar. Peut-on en conclure qu'ils sont plus disposés à adopter une politique déflationniste que les Démocrates? Je pense exactement le contraire. Une grave récession, au cours de leur premier mandat depuis vingt ans, mettrait un terme à la puissance du Parti Républicain sur la scène nationale, et ce pour un avenir prévisible. C'est l'issue qu'ils doivent éviter à tout prix. Leurs efforts dans la lutte contre la récession sont pour cette raison encore plus intenses que ne le seraient ceux des Démocrates; et ces efforts font beaucoup plus pour leur politique visà-vis de l'opinion que les slogans destinés à mettre leurs adversaires dans l'embarras. En réalité, les efforts du Président et de ses conseillers économiques témoignent de leur courage politique et de leur sagesse en matière économique. Sur le plan politique, la voie la plus facile et la plus séduisante consiste à prendre des mesures immédiates et à effets spectaculaires. Cette façon de procéder stigmatise l'opposition et attire les applaudissements de tous ceux qui sont directement concernés par l'activité économique. On ne pourra pas dire qu'on a tort de revendiquer pour les Républicains le mérite d'avoir su éviter une grave récession. S'ils avaient choisi la voie de l'inflation, ils pourraient toujours se justifier en invoquant l'apparition de
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circonstances malencontreuses. Au lieu de cela, ils ont choisi une voie beaucoup plus difficile: ils ont évité dans la mesure du possible d'avoir recours à une action brutale, destinée à éviter une récession qui n'a pas encore donné signe de vie; et ils ont tenté de faire admettre au public l'existence d'une faible dépression, qui doit se poursuivre encore quelque temps. PERSPECTIVES D'AVENIR
Je ferais sans doute mieux le tour de mes idées en donnant un aperçu de ce qui me semble constituer les perspectives de l'économie américaine, dans les prochaines années à venir. La nature de nos institutions monétaires et budgétaires est telle qu'une récession importante, dépassant le cadre d'une faible dépression, est très peu probable, même si, ou spécialement si, le Congrès ou les hauts fonctionnaires ne prennent pas de mesures particulières. Mais malheureusement, à moins que la dépression soit excessivement faible, ces mesures seront prises. Le fait qu'une large fraction de l'opinion craigne une récession pourrait amener le Congrès à obliger le gouvernement à agir, quelle que soit sa composition politique, Des considérations politiques prédisposent particulièrement le Gouvernement et l'Assemblée républicaine à prendre de telles dispositions : l'actuelle récession et la réaction politique qui s'est manifestée à son endroit illustrent nettement cette tendance. Si mes prémisses sont bien fondées, cette action s'avérera inutile, et de plus certainement néfaste. Au siècle derni~r, les contractions ont duré en moyenne vingt mois aux Etats-Unis, y compris les longues contractions qui sont le fait des errements monétaires. Si l'on en juge par ces données, la dépression actuelle a déjà achevé plus de la moitié de son parcours l, de telle sorte que toutes les mesures qui pourront être prises n'auront sans doute pas beaucoup d'effet avant que la reprise soit amorcée. Mais, de toute façon, il est presque certain que ces effets se feront encore sentir bien après le début de la reprise. 1. Elle s'est terminée en août 1954.
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Réduire les impôts est une chose; les relever en est une autre. Une fois entrepris, les travaux publics manifesteront leur inertie et leur indépendance par rapport à la conjoncture. Quant aux autres activités publiques, elles connaîtront une atmosphère d'euphorie car le gouvernement ne reculera devant aucune dépense. Ces mesures, destinées à prévenir une récession hypothétique, auront pour résultat de stimuler la reprise qui suivra, et d'en faire la proie de l'inflation. L'inflation ne gagnera; pas ; les mêmes facteurs de stabilisation qui auraient empêché une récession de se développer préviendront une inflation galopante. Tôt ou tard, une autre dépression se manifestera. Après tout, nous avons connu des récessions pendant tellement longtemps qu'il serait bien étonnant que nous n'en connaissions pas encore quelques-unes. Dans la mesure où cette hypothèse se vérifiera, il est probable que le même processus se répétera. L'avenir se présente donc comme une suite de retours à l'inflation, provoquée par des mesures intempestives destinées à combattre les dépressions temporaires qui le jalonnent. Combien de temps cela durera-t-il? Il n'est pas facile de répondre à cette question. Cela dépend surtout des accidents de parcours et de la politique, à la fois intérieure et extérieure. Pendant plus d'un siècle et demi, les économistes ont su, tout au moins de façon intermittente, deux choses : la première, c'est qu'en imprimant assez de monnaie, on peut obtenir n'importe quel niveau d'activité économique; la seconde, c'est que cette façon de procéder entraîne en définitive la destruction de la monnaie. Le public américain connaît maintenant la première proposition ; seule l'expérience peut lui enseigner la seconde.
CHAPITRE Il
LES SOLUTIONS INSTITUTIONNELLES AUX PROBLÈMES DE LA DIRECTION MONÉTAIRE 1
La parabole de ce texte, pour paraphraser la formule fameuse de Poincaré, est la suivante : « La monnaie est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des banques centrales. » Cette présentation suggère une question : comment une société libre devraitelle s'organiser pour contrôler la politique monétaire? Le partisan d'une société libre - c'est-à-dire un « libérai» au sens originel de ce terme mais malheureusement pas au sens où on l'entend d'ordinaire dans notre pays - se méfie avant tout de la concentration du pouvoir. Il souhaite conserver à chaque individu le maximum de liberté compatible avec celle des autres. Il est convaincu que son objectif requiert la décentralisation du pouvoir, et qu'il est nécessaire qu'on empêche sa concentration entre les mains d' un seul homme ou d'un seul groupe. Cette nécessité soulève un problème particulièrement difficile dans le cas de la monnaie. On s'entend généralement pour dire que le gouvernement doit avoir une certaine part de responsabilité dans les questions monétaires. Dans l'ensemble, on reconnaît également que le contrôle sur la monnaie fournit un instrument efficace pour diriger et orienter l'économie. Son pouvoir se trouve résumé dans la maxime célèbre de Lénine, selon laquelle le moyen le plus efficace de détruire une société consiste à détruire sa monnaie. La manière dont la 1. Tiré de Lelond B. YEAGéR (éd.), ln Search of a Monetary Constitution, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1962.
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mainmise sur la monnaie a été utilisée pour soutirer sans difficulté des impôts à l'ensemble d'une population, nous en fournit une illustration plus prosaïque. C'est vrai depuis des époques très reculées, depuis le moment où les monarques ont commencé à rogner les pièces de monnaie, jusqu'à aujourd'hui, où l'on a recours à des techniques plus subtiles et plus raffinées, telles que la planche à billets ou la falsification pure et simple de la comptabilité. ,_ Le problème consiste à "se demander comment mettre sur pied des institutions qui permettent au gouvernement d'exercer des responsabilités en matière monétaire, tout en limitant l'étendue de ses pouvoirs et en empêchant qu'il en soit fait usage davantage pour affaiblir que pour renforcer les franchises d'une société libre. Trois types de solutions ont été suggérés: la première réside dans l'institution d'un bien comme référence monétaire, à l'exclusion, en théorie au moins, de toute intervention gouvernementale; la seconde consiste à charger une banque centrale «indépendante» du contrôle de la monnaie; la troisième revient à faire voter à chaque législative un ensemble de règles strictes, limitant par avance la marge d'initiatives dont peuvent disposer des autorités monétaires. Le présent chapitre discutera ces trois solutions, tout en accordant une attention particulière à la seconde.
La solution d 'un bien étalon. D'un point de vue historique, le système qui a tenu la plus grande place à des époques et en des lieux très différents consiste à utiliser comme monnaie un bien physique tel que l'or, l'argent, le cuivre, l'étain, les cigarettes, le cognac, ou n'importe quoi d'autre. En théorie, si la monnaie se composait uniquement de biens physiques de cet ordre, l'intervention gouvernementale serait parfaitement inutile. Dans une société donnée, le montant de la monnaie dépendrait alors uniquement du coût de production du bien monétaire. Les variations de la masse monétaire seraient déterminées à la fois par les changements techniques intervenant dans les méthodes
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de pro~uction et par les variations de la demande de monnaie. C'est l'idéal qui anime un grand nombre de partisans de l'étalon-or automatique. En fait, à mesure que ce système se développe, il s'éloigne de plus en plus de ce modèle schématique, qui ne requiert aucune intervention étatique. Historiquement, la mise en vigueur d'un bien étalon - tel que l'or ou l'argent - s'est accompagnée de l'utilisation parallèle de monnaies fiduciaires, sous une forme ou une autre, dont la convertibilité officielle était fixée à l'avance. La raison en est la suivante : le défaut essentiel d'un étalon matériel, du point de vue de la collectivité, réside dans le fait qu'il requiert pour sa production l'utilisation de ressources réelles, qui viennent s'ajouter au stock de monnaie. Les gens doivent travailler dur pour extraire quelque chose du sol en un endroit déterminé, par exemple pour extraire l'or en Afrique du Sud, dans le seul but de l'enterrer par la suite à Fort Knox ou dans quelque endroit similaire. Cette dépense nécessaire en facteurs de production incite tout naturellement les peuples à découvrir un moyen de parvenir au même résultat sans recourir à des méthodes aussi onéreuses. A partir du moment où les individus sont prêts à accepter comme monnaie des morceaux de papier sur lesquels il est inscrit « Je m'engage à payer telle quantité du bien étalon », ces morceaux de papier peuvent remplir le même office que les fragments physiques d'or ou d'argent, et leur production est beaucoup moins coûteuse. C'est là que réside la difficulté essentielle de l'utilisation d'un bien étalon, comme je l'ai montré pl us longuement ailleurs 1. Si la solution de l'étalon produit était réalisable, elle fournirait une excellente réponse au dilemme libéral qui consiste à obtenir un système monétaire stable, tout en écartant le danger d'un exercice irresponsable du pouvoir. Un véritable bien étalon, par exemple un étalon-or pur et parfait, à l'intérieur duquel 100 % de la monnaie seraient effectivement constitués par l'or, soutenu par un public imprégné de la mythologie de l'étalon-or et 1. A Program for MOllelG/T Stabilily, New York, Forsham University Press, 1959, pp. 4-8.
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persuadé qu'il est injustifié et immoral que le gouvernement intervienne dans son bon fonctionnement, fournirait une garantie réelle contre la manipulation de la monnaie par l'État et les politiques irresponsables. Une fois un tel étalon mis en place, quels que soient les pouvoirs du gouvernement, l'effet des manœuvres auxquelles il pourrait se livrer se trouverait considérablement atténué. Mais, du point de vue historique, un tel système automatique ne s'estjamais"avéré réalisable. Il a toujours eu tendance à évoluer dans le sens d'un système mixte en plus du bien étalon proprement dit, incluant des monnaies fiduciaires telles que les billets, les dépôts bancaires et les obligations d'Etat. A partir du moment où des éléments fiduciaires ont été mis en circulation, il s'est avéré difficile d'écarter le contrôle gouvernemental, même si, à l'origine, ce sont des personnes privées qui ont été responsables de leur émission. Il s'avère difficile en effet d'éviter les contrefaçons, ou leur équivalent économique. La monnaie fiduciaire est une sorte de promesse de paiement en bien étalon. Dans la pratique, il s'écoule un long intervalle entre le moment où le contrat est établi et celui où il est honoré, qui accroît la difficulté d'exiger le paiement effectif en bien étalon et multiplie de ce fait les tentations d'émettre des engagements frauduleux. De plus, une fois l'élément fiduciaire introduit, le gouvernement lui-même est très fortement tenté de profiter pour lui-même de son émission. Ces différentes forces convergent pour transformer l'étalon automatique en étalon mixte, impliquant une large intervention de l'État, et, par conséquent, le problème du contrôle de l'intervention étatique reste entier. En dépit de tout ce que peuvent dire les nombreux partisans de l'étalon-or, pratiquement personne ne souhaite en réalité voir fonctionner un étalon-or pur et parfait. Ceux qui se disent favorables à l'étalon-or font en fait presque invariablement allusion au type d'étalon qui fonctionne à l'heure actuelle, ou à celui qui eut cours pendant les années 30. Ceux-ci n'impliquent qu'un faible montant d'or, détenu par l'autorité monétaire centrale, comme « contrepartie» de la monnaie fiduciaire, pour employer un terme très impropre, ainsi qu'une banque centrale ou un autre organisme gouvernemental pour
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assurer le bon fonctionnement de l'étalon. Même à la « belle époque» de l'étalon-or, au moment où la Banque d'Angleterre était censée en faire un bon usage, on était très loin d'un étalon automatique et son libre fonctionnement n'était qu'apparent. Aujourd'hui, c'est encore plus évident : les uns après les autres, les pays se sont faits à l'idée que le gouvernement devait être partiellement rendu responsable de la stabilité interne. Cette évolution, renforcée par l'idée du Dr Schacht d'instaurer un contrôle direct et très étendu sur les transactions commerciales avec l'étranger, nous a amenés à la situation actuelle : aujourd'hui, rares sont les pays s'il en existe qui souhaitent voir l'étalon-or fonctionner ne serait-ce que de façon presque automatique, comme au XIXe siècle. L'attitude de la plupart des pays du monde à l'égard de l'étalon-or va toujours dans le même sens. Ils souhaitent favoriser les rentrées d'or, même au prix d'une légère inflation, mais sont hostiles aux sorties d'or et refusent de s'y ajuster, même si elles entraînent une baisse des prix internes. Pour les éviter, ils préfèrent se prononcer en faveur du contrôle des changes, des réglementations sur l'importation, et autres mesures du même ordre. J'en conclus que la solution d'un étalon produit n'est ni réalisable ni même souhaitable pour une société libre à la recherche d'institutions monétaires. Elle n'est pas souhaitable en raison de son coût de production; elle n'est pas réalisable car les croyances et les mythologies qu'elle nécessite font défaut à l'heure actuelle. La solution d'une banque centrale indépendante.
La seconde solution, déjà mise en place, recueille un grand nombre de suffrages: il s'agit de faire fonctionner une autorité monétaire dite «indépendante» - une banque centrale - destinée à contrôler la politique monétaire et à empêcher qu'elle devienne le jeu des manipulations politiques. La prise de position marquée en faveur d'une banque centrale indépendante repose sur l'adhésion, dans certains cas avec beaucoup de réticences, à l'idée, déjà évoquée à l'occasion de l'étalon produit, qu'une régula-
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tion parfaitement automatique ne permet pas de parvenir à un système monétaire à la fois stable et autonome par rapport à toute manœuvre irresponsable de la part du gouvernement. La formule d'une banque centrale indépendante rappelle qu'il est essentiel d'éviter que la politique monétaire devienne une amusette au jour le jour, à la merci de n'importe quel caprice des autorités monétaires en exercice. C'est une solution rationnelle si on la considère comme une sorte de constitution. L'argument implicite des partisans d'une banque centrale indépendante (autant que je sache, car leur point de vue n'a jamais été exposé de manière explicite) consiste à dire que le contrôle sur la ~onnaie constitue une des prérogatives essentielles de l'Etat, comparable à l'exercice des pouvoirs législatif, judiciaire ou administratif. Munis de ces considérations, il est important de distinguer le système lui-même des interventions au jour le jour qui s'opèrent à l'intérieur de ce système. Dans notre type de régime, cette distinction est établie entre les règles constitutionnelles qui imposent une série de prescriptions et d'interdits aux autorités législatives, exécutives et judiciaires et les interventions particulières de ces différentes autorités, à l'intérieur du cadre des règles générales. De la même façon, l'argument qui sous-tend le plaidoyer en faveur de la Banque centrale indépendante consiste à dire que le système monétaire a besoin d'une sorte de constitution, qui prévoit certaines règles destinées à la fois à fonder et à délimiter les pouvoirs de la Banque centrale, à fixer les fonds qui lui sont alloués, etc. Dans ces conditions, il est nécessaire que l'action de la Banque centrale soit largement coordonnée avec celle des autorités législatives, exécutives et judiciaires, afin que ce mandat constitutionnel repose sur une pratique quotidienne. A une époque récente, la crainte d'un élargissement du contrôle étatique sur l'ensemble de l'activité économique s'est souvent trouvée renforcée par des propositions impliquant une expansion de la monnaie. Les dirigeants des banques centrales ont généralement été les champions de la « monnaie saine », tout au moins verbalement, c'est-à-dire qu'ils se sont efforcés d'attacher une grande importance à la stabilité du taux de change, au
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maintien de la convertibilité de la monnaie nationale en devises et en or, et à la lutte contre l'inflation. Ils ont eu tendance pour cette raison à s'opposer à de nombreuses propositions en faveur de l'élargissement de la sphère gouvernementale. Leur point de vue coïncide à cet égard avec celui des gens - dont je fais partie - qui considèrent qu'une société libre exige que l'étendue des pouvoirs du gouvernement soit limitée de manière très stricte, et ceci explique pour beaucoup la faveur que l'idée d'une banque centrale indépendante recueille auprès du groupe des « libéraux» (au sens originel du terme). Sur un plan pratique, les dirigeants des banques centrales semblent mieux armés pour restreindre la portée des manœuvres irresponsables en matière monétaire, que ne le sont les autorités législatives elles-mêmes. Si nous nous plaçons d'un point de vue critique, il nous faut tout d'abord examiner ce que signifie 1'« indépendance » d'une banque centrale. On peut lui accorder un sens trivial, qui mettra sans doute tout le monde d'accord sur son bien-fondé. Dans n'importe quel type de bureaucratie, il est souhaitable de confier des fonctions particulières à des organismes spécialisés. La direction des fonds peut être considérée comme un organisme indépendant, à l'intérieur du Département du Trésor. En dehors des départements gouvernementaux habituels, il existe des organisations administratives séparées, telles que le Secrétariat du Budget. Cette sorte d'indépendance existerait en matière de politique monétaire si, à l'intérieur de la hiérarchie administrative centrale, on mettait en place une organisation séparée, chargée de la politique monétaire et subordonnée au chef de l'exécutif, bien que disposant d'une marge de latitude plus ou moins importante en ce qui concerne les décisions de routine. Pour ce qui nous occupe, ce me semble être une manière d'accorder une signification bien élémentaire au terme d'« indépendance », radicalement différente de celle à laquelle se réfèrent les polémiques qui ont trait à l'autonomie de la Banque centrale; elle ne met en question que la meilleure organisation possible de la hiérarchie administrative. Il serait plus significatif de dire que la Banque centrale devrait être une branche indépendante du gouvernement, coordonnée avec les autres branches, législatives,
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exécutives, ou judiciaires, et dont l'action serait supervisée par le pouvoir judiciaire. La concrétisation la plus poussée de cette forme d'autonomie, c'est-à-dire celle qui se rapproche le plus de l'idéal des partisans d'une banque centrale indépendante, a été obtenue lorsqu'une organisation, à l'origine entièrement privée et ne relevant pas le moins du monde des Pouvoirs publics, a fait fonction de. banque centrale. Un exemple vient immédiatement à l'esprit, celui de la Banque d'Angleterre, née d'un organisme strictemeht privé, étranger aux Pouvoirs publics jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Si une telle organisation privée ne pouvait fonctionner comme autorité monétaire centrale, en dehors des canaux politiques ordinaires, pour parvenir à l'indépendance souhaitée il faudrait créer une banque centrale dans un cadre constitutionnel, susceptible de n'être modifié que par amendements constitutionnels. Ainsi, la Banque centrale ne serait pas soumise au contrôle direct de l'Assemblée. C'est en ce sens que j'entendrai 1'« indépendance» lorsque je discuterai par la suite des avantages et des inconvénients d'une banque centrale autonome, sous l'angle de l'efficacité du contrôle de la politique monétaire. Je doute beaucoup que les États~Unis - ou, dans le cas précis n'importe quel pays - aient jamais fait fonctionner une banque centrale indépendante, au plein sens du terme. Même lorsque les banques centrales étaient censées être complètement indépendantes, elles ne l'étaient en fait que dans la mesure où elles ne se trouvaient pas confrontées au reste des Pouvoirs publics. Dès qu'un conflit sérieux apparaissait (comme ce fut le cas par exemple en temps de guerre) qui opposait les intérêts des autorités budgétaires, désireuses de collecter des fonds, et ceux des autorités monétaires, attachées à maintenir la convertibilité en espèces, c'est presque toujours la banque qui a cédé le pas, et non l'inverse. Il apparaît donc que même les banques centrales jugées tout à fait indépendantes ont été étroitement subordonnées au pouvoir exécutif. Mais, bien entendu, la question n'est pas réglée pour autant. Il est rare que l'idéal soit parfaitement réalisé. A supposer que nous puissions disposer d'une banque centrale indépendante, entendue comme un organisme
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séparé, établi conformément à la constitution, encore faudrait-il savoir si elle serait souhaitable. Les objections d'ordre politique sont sans doute plus nettes que les objections d'ordre économique. En démocratie, est-il vraiment tolérable de concentrer autant de pouvoir entre les mains d'une organisation libre de toute directive et exempte de tout contrôle politique réel? Le « libéral» a tendance à accorder davantage de confiance aux règles imposées par la loi plutôt qu'à celles que se donnent les hommes. Cette vision des choses est difficilement conciliable avec l'adoption d'une banque centrale indépendante. Il est vrai que, d'un autre côté, on ne peut se passer tout à fait des règles que se donnent les hommes. Aucune loi ne peut être suffisamment précise pour exclure les problèmes d'interprétation ou tenir compte de manière explicite de tous les cas possibles. Mais il faut bien voir que cette marge de latitude qu'aucune loi ne peut empêcher de laisser à la discrétion des hommes, n'est en rien comparable avec l'étendue. des pouvoirs accordés à un petit nombre d'entre eux par les lois qui président au fonctionnement des banques centrales. J'ai moi-même été tout à fait convaincu que l'existence d'une banque centrale « indépendante » serait intolérable sur le plan politique en lisant les Mémoires d'Émile Moreau, gouverneur de la Banque de France de 1926 à 1928, à l'époque où la France étrennait une nouvelle parité du franc et revenait à l'or. Sa nomination précédait de peu celle de Poincaré à la charge de président du Conseil, après que le taux de change du franc eut connu d'importantes fluctuations, qui avaient entraîné de graves désordres intérieurs et de sérieuses difficultés financières pour le gouvernement. Les Mémoires de Moreau furent édités et publiés par les soins de J. Rueff, une des personnalités les plus écoutées lors de la dernière réforme monétaire française' (1958). Ce livre est passionnant à bien des égards. Les portraits que donne Moreau de ses contemporains, Montagu Norman, gouverneur de la Banque d'Angleterre, et 1. Émile MOREAU, Souvellirs d'llll gouverneur de la Banque de France, Paris, Génin, 1954.
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de Hjalmar Schacht, gouverneur de la Banque d'Allemagne, nous intéressent tout particulièrement. Ce furent, avec l'Américain Benjamin Strong, les trois gouverneurs de banque centrale les plus marquants de l'époque moderne. Moreau nous décrit la manière dont ils concevaient leurs fonctions et leur rôle, en même temps que leurs prises de position vis-à-vis des autres groupes. L'impression que j'en ai gardée - bien qu'à aucun moment Moreau n'ait éopncé de telles conclusions en ces termes - est que Norman et Schacht méprisaient à la fois les masses, la démocratie « vulgaire», et les classes de la ploutocratie, pour eux tout aussi vulgaires. Ils se considéraient eux-mêmes comme régissant les intérêts des deux groupes mais insensibles aux pressions que pouvaient exercer chacun d'entre eux. Du point de vue de Norman, si les principaux gouverneurs de banques centrales voulaient seulement coopérer entre eux (et il pensait non seulement à lui-même et à Schacht mais aussi à Moreau et à Strong), ils pouvaient à eux seuls rassembler assez de pouvoir pour diriger la destinée économique du monde occidental vers des objectifs rationnels, au lieu de la livrer aux errements de la démocratie parlementaire et du « laisser-faire » capitaliste. Bien que présentée en termes désintéressés, sous couvert de « faire le bien» et d'éviter la méfiance et l'incertitude, nous sommes là en présence d'une doctrine implicite nettement favorable à la dictature et au totalitarisme'. On voit pourquoi Schacht fut par la suite l'un des principaux précurseurs de la planification économique à grande échelle et du modèle dirigiste qui s'est développé en Allemagne. La création par Schacht d'un contrôle direct et très étendu sur les échanges extérieurs constitue l'une des rares inventions économiques de l'époque moderne. Jadis, lorsqu'on disait d'une monnaie qu'elle était devenue inconvertible, on entendait par là qu'elle n'était plus convertible en or et en devises, à un taux fixé 1. J'ai été impressionné et je dois dire épouvanté en entendant les mêmes sentences et les mêmes argumentations répétées des centaines de fois au cours des interminables discussions sur la réforme monétaire internationale, qui se sont déroulées à une cadence accélérée depuis ces quelques dernières années ..
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à l'avance. Autant que je sache, ce n'est qu'après 1934 que la convertibilité a pris le sens que nous lui connaissons aujourd'hui, à savoir qu'il est interdit pour un individu de convertir du papier monnaie d'un pays en papier monnaie d'un autre pays, et cela quels que soient les termes du contrat établi entre les échangistes'. Tournons-nous maintenant vers les aspects techniques ou économiques de la création d'une banque centrale indépendante. On reconnaît dans l'ensemble que le fait d'accorder un pouvoir aussi important aux dirigeants des banques centrales constitue une objection politique de taille, mais certains ajoutent que pour des raisons techniques ou économiques tout aussi fondamentales, il est nécessaire de se résoudre à cette solution. Tout dépend du degré de latitude que les règles de fonctionnement de la Banque centrale accordent à ses dirigeants. Jusqu'à présent, j'ai envisagé que la Banque centrale devait être dotée d'un pouvoir autonome, comme c'est d'ailleurs souvent le cas. Bien entendu, la question de l'indépendance pourrait devenir une affaire purement l. Un autre des points les plus intéressants du livre de Moreau qui se trouve un peu en marge de notre sujet est relatif à son récit de la transformation des relations entre les banques centrales française et anglaise. Au point de départ, alors que la France se débattait dans les plus graves difficultés pour tenter de rétablir sa monnaie malade, Norman méprisait un peu la France et la considérait en quelque sorte comme un jeune partenaire. Un heureux hasard fit que la monnaie française se trouva relevée à un niveau qui stimulait les entrées d'or, de telle sorte que la France se mit à accumuler des réserves d'or et de sterling au point qU'un jour Moreau put faire partir l'or anglais en reprenant les fonds qu'il avait déposés à la Banque d ' Angleterre. Le résultat qui s'ensuivit immédiatement fut le changement de comportement de Norman qui abandonna son attitude de patron supérieur et de partenaire paternel pour devenir un personnage suppliant à la merci de Moreau . Au-delà de la dimension humaine de l'affaire, ce récit rappelle l' importance des effets d 'une monnaie définie 5 % au-dessus ou audessous de son pair. Lorsque la Grande-Bretagne rétablit sa convertibilité or en 1925, elle donna à la livre une parité 5 % ou 10 % trop élevée par rapport à l'or, ce qui entraîna de facto à la fin de 1926 et de jure au milieu de 1928 une surévaluation du franc correspondante par rapport à l'or. Cette différence explique le changement dans les relations de domina tion entre les deux pays. Ce st le même scénario qui s'est déroulé avec les mêmes acteurs de 1958 à 1968. La France a dévalué en 1958 à un niveau susceptible de stimuler ses entrées d 'or, exactement comparable à celui de 1926 et l'Angleterre s'est trouvée acculée à la dévaluation en novembre 1967 exactement comme en septembre 1931.
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verbale si, dans la pratique, les pouvoirs constitutionnels déterminaient les limites de son autorité de manière très stricte et surveillaient très sévèrement les politiques suivies. Au XIXe siècle, alors qu'un large courant en faveur des banques centrales se faisait jour, l'objectif clé de la Banque centrale résidait dans le maintien de la stabilité des changes. Les banques centrales avaient tendance à se développer dans des pays qui définissaient directement leur monnaie par rapport à un bien étalon. Pour deux pays ayant le même étalon, cela signifiait un taux de change fixe entre leurs monnaies respectives. Par conséquent, si la banque voulait maintenir la convertibilité de la monnaie en bien étalon, elle devait s'attacher également au maintien des taux de change fixes. La marge de manœuvre de la Banque d'Angleterre, par exemple, fut très limitée en raison de la nécessité de maintenir l'étalon-or. Dans le même ordre d'idées, lorsqu'en 1913le Federal Reserve System fut institué aux Etats-Unis, ceux qui furent à l'origine de sa création n'auraient jamais pensé qu'il allait avoir un rôle effectif plus important par la suite. Le Federal Reserve System fut mis en place alors que l'étalon-or était à son apogée et au moment où l'on était persuadé que le souci de maintenir la parité entre les monnaies dominerait la politique du système, et déterminerait par conséquent les variations de la masse monétaire. Aussi longtemps que le maintien des taux de change fixes constitua un impératif pour la politique, le degré de latitude dont disposait la Banque centrale fut très limité. Elle pouvait faire preuve d'une certaine initiative en ce qui concerne les fluctuations de caractère conjoncturel, mais au bout du compte, elle restait tributaire de la balance des paiements. La situation s'est radicalement transformée à cet égard au cours des dernières décades. Aux États-Unis, pour prendre le cas qui nous préoccupe le plus, le Federal Reserve System avait à peine commencé à fonctionner que les dispositions qui avaient été prises lors de son établissement furent complètement remises en cause. Pendant la Première Guerre mondiale, la plupart des pays abandonnèrent l'or. Techniquement, les États-Unis en restèrent à l'étalon-or, mais l'étalon qu'ils conservè-
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rent était très différent de celui qui avait cours auparavant. Après la guerre, bien que les autres pays aient de leur côté rétabli une sorte d'étalon-or, l'or en réalité ne joua jamais plus le rôle qui lui était attribué auparavant. Avant la Première Guerre, les États-Unis n'étaient qu'un pion sur l'échiquier économique international, et leur comportement était déterminé par la nécessité de maintenir la stabilité extérieure; depuis, notre pays détient une position dominante, et les autres pays doivent s'y ajuster. Nous détenons une part très importante de l'or mondial. De nombreux pays ne sont jamais revenus à l'or, et ceux qui l'ont fait ont adopté une forme d'étalon-or très abâtardie. Ainsi, la politique ne fut-elle plus jamais dominée par les interventions au jour le jour, au nom de l'étalon-or, comme c'était le cas avant 1914. Dans ces conditions, 1'« indépendance» de la Banque centrale prenait tout son sens et n'était plus seulement une affaire technique. La Banque centrale conserve cependant un défaut : elle implique un éparpillement des responsabilités. Si nous considérons le système monétaire non plus sous l'angle de l'organisation institutionnelle mais eu égard à ses fonctions économiques, nous nous apercevons que la Banque centrale est presque toujours la principale détentrice des pouvoirs monétaires. Avant que le Federal Reserve System soit créé, ces pouvoirs revenaient surtout au Trésor. Il fonctionnait comme une banque centrale, la plupart du temps avec une grande efficacité. Plus récemment, de 1933 à 1941, le Federal Reserve System s'est avéré presque complètement inopérant. C'est surtout le Trésor qui fut à l'origine des mesures qui ont été prises à ce moment-là. Il menait sur le marché libre des opérations financières qui consistaient à acheter et à vendre des valeurs. Il faisait et défaisait la monnaie par ses transactions sur l'or ou l'argent. Le Fonds de stabilisation des changes fut créé et fournit au Trésor un moyen de plus d'engager des opérations sur le marché libre; en stérilisant puis déstérilisant l'or, il spéculait sur la monnaie. C'est pourquoi en pratique, même si l'on crée une banque centrale prétendument indépendante et si on limite ses pouvoirs à l'émission de monnaie (ex. les billets et les dépôts du Federal Reserve System), il restera toujours d'autres autorités publiques, en particulier les
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responsables budgétaires qui perçoivent les impôts, répartissent les fonds et aménagent le déficit budgétaire, qui détiendront également dans une large mesure le pouvoir monétaire. Si l'on voulait disposer d'une autorité monétaire indépendante sur le fond et pas seulement pour la forme, il faudrait rassembler tous les pouvoirs, budgétaires ou autres, afin d'être en mesure de régulariser la monnaie émise dans les banques centrales par voie autoritaire. Sur le plan de l'efficacité technique, cela peut être souhaitable. En matière de gestion budgétaire, la répartition actuelle des responsabilités est très peu pratique. L'efficacité serait grandement accrue si le Federal Reserve System s'occupait de tout ce qui a trait à l'emprunt et à la dette publique et si le Trésor finançait un déficit éventuel en obtenant des fonds du Federal Reserve System ou en les lui reversant, dans le cas d'un excédent. Mais, tandis que de tels arrangements seraient acceptables si le Federal Reserve System faisait partie de la même hiérarchie administrative que le Trésor, il est quasiment inconcevable qu'ils soient pratiqués si la Banque centrale était tout à fait indépendante. Jusqu'à maintenant il est certain qu'aucun gouvernement n'a souhaité accorder autant de pouvoir à une banque centrale, même partiellement indépendante. Mais dans la mesure où ces pouvoirs seraient séparés, chaque groupe rejetterait les responsabilités sur l'autre et, en refusant d'en accepter sa part, contribuerait à leur dilution. Ces temps derniers, j'ai parcouru un par un les rapports annuels du Federal Reserve System, de 1913 jusqu'à aujourd'hui, et j'ai constaté avec amusement juste récompense de ce travail ingrat - que le pouvoir attribué par les autorités à la politique monétaire suit un schéma cyclique. Les années où tout va bien, les rapports mettent l'accent sur le fait que la politique monétaire est une arme excessivement puissante et que c'est grâce aux autorités monétaires, qui ont su manier cet instrument délicat avec habileté, que le cours des événements a pris un tour favorable. D'un autre côté, les années de dépression, les rapports soulignent que la politique monétaire n'est qu'un outil de la politique économique, parmi d'autres, que son pouvoir est très limité, et que ce n'est
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que grâce au maniement habile de cet instrument sans grande efficacité que l'on a pu éviter le désastre. Ceci illustre bien l'effet de la dissémination des responsabilités, qui permet à chacun d'accuser les autres, lorsque des difficultés surgissent. Le fait de livrer la direction de la politique monétaire à une banque centrale indépendante, dotée d'une grande liberté et de pouvoirs importants, présente un autre danger : dans ces conditions, la politique devient terriblement tributaire des personnes. En étudiant l'histoire de la politique monétaire américaine, j'ai été frappé de voir combien les facteurs personnels ont eu d'importance. A la fin de la Première Guerre mondiale, le gouverneur du Federal Reserve System était W. P. G. Harding. Le gouverneur Harding fut, j'en suis sûr, un citoyen tout à fait respectable et compétent, mais sa compréhension des affaires monétaires était très limitée, pour ne pas dire inexistante. Presque tous ceux qui ont étudié cette période sont d'accord pour dire que la grande erreur de la politique menée après-guerre par le Federal Reserve System fut d'avoir laissé la masse monétaire s'accroître très rapidement en 1919, puis de l'avoir freinée brutalement en 1920. Il est presque certain que cette politique est à l'origine à la fois de la hausse et de la baisse des prix, très brutales, qui ont suivi. Il est amusant de lire dans les Mémoires de Harding ses objections aux critiques qui ont été portées par la suite à sa politique. Il est convaincu que d'autres politiques auraient été préférables pour l'ensemble de l'économie, mais insiste sur le fait que le Trésor était désireux de fixer les valeurs à un taux d'intérêt raisonnable, et attire l'attention sur la loi alors en vigueur, qui autorisait le Trésor à remplacer les dirigeants de la Banque centrale. Cela me fait penser à ce que j'ai entendu dire par un autre membre du Reserve Board, peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, alors que le programme d'emprunt était remis en question : en guise de réponse aux objections émises par mes collègues et moi-même, qui estimions que le programme en question devait être abandonné, il abonda dans notre sens et déclara : « Mais, vous voulez donc que nous perdions notre emploi? » On voit combien les questions de personnes sont
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importantes en cette matière en comparant le comportement du gouverneur Harding avec celui du gouverneur Moreau, en des circonstances autrement difficiles. Théoriquement, Moreau ne jouissait d'aucune indépendance vis-à-vis du pouvoir central. Il avait été nommé par le président du Conseil et pouvait être destitué par lui à n'importe quel moment. Mais lorsque ce dernier demanda de fournir des fonds au Trésor en ayant recours à des moyens qu'il jugeait inopportuns et malencontreux, il refusa catégoriquement. Naturellement, en fin de compte, Moreau ne fut pas déchargé de ses fonctiops, ne fit pas ce que le président du Conseil lui avait demandé, et la stabilisation s'en porta d'autant mieux. Je fais allusion à ces deux personnalités non pas pour encenser Moreau ou pour blâmer Harding mais pour montrer que dans un système de ce type, les règles sont vraiment celles que les hommes veulent bien se donner et sont largement tributaires de la valeur, des individus. Un autre épisode de l'histoire des Etats-Unis qui illustre ce point de façon très nette nous est fourni par les événements qui se sont déroulés de 1929 à 1933. La plus grave erreur du Federal Reserve System fut sans doute d'avoir mal conduit les affaires monétaires à ce moment-là. Et la maladresse de cette politique, au même titre que celle de la politique suivie après la Première Guerre mondiale, est largement imputable à des questions de personnes. Benjamin Strong, gouverneur de la Banque centrale de New York depuis sa création, fut la figure dominante du Federal Reserve System jusqu'à sa mort en 1928, à un âge relativement peu avancé. Après sa mort, le pouvoir se déplaça à l'intérieur du système de New York à Washington. Il se trouvait que les gens de Washington étaient à ce moment-là assez médiocres. De plus, ils avaient toujours joué un rôle secondaire, n'étaient pas familiarisés avec le monde financier et n'avaient pas derrière eux la longue expérience d'une confrontation avec les problèmes quotidiens. En outre, la présidence changea de mains juste avant que s'opère ce transfert de pouvoir et à nouveau au milieu de 1931. Par conséquent, au moment où se posèrent des problèmes à régler d'urgence, en 1929, 1930 et 1931 (particulièrement à la fin de 1930), et où la Banque de New York s'inscrivit sur la liste des banques victimes de faillites
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spectaculaires, le Federal Reserve System réagit de manière timorée et passive. Il est peu douteux que Strong aurait réagi très différemment. S'il avait encore été gouverneur, on aurait sûrement réussi à empêcher la propagation des faillites bancaires et la déflation draconienne qui s'en est suivie. Une situation semblable apparaît à l'heure actuelle. Pour préjuger l'action du Federal Reserve System, il importe avant tout de savoir si ses membres comptent un certain nombre de personnalités intellectuelles, et qui sont ces personnalités ; son action ne dépend pas seulement de ses dirigeants officiels, mais aussi, entre autres, de la qualité et de l'influence de ses conseillers économiques. Jusqu'à présent, j'ai relevé ce que je considère comme les deux défauts techniques principaux d'une banque centrale indépendante, du point de vue économique : d'une part, la dispersion des responsabilités, qui favorise le rejet des responsabilités en période d'incertitude et de difficultés et, d'autre part, l'importance des questions de personnes, qui accroît l'instabilité provoquée par les changements de dirigeants du système et par les différences de personnalité de ces dirigeants. Le troisième défaut technique réside dans le fait qu'une banque centrale indépendante aurait tendance à accorder une importance exagérée au point de vue des banquiers. Il est extrêmement important de distinguer deux problèmes que l'on confond trop souvent : le problème de la politique du crédit et le problème de la politique monétaire. Dans notre type de système monétaire ou bancaire, la création de monnaie a tendance à se situer dans le prolongement d'un élargissement du crédit, bien que, conceptuellement, la création d'un supplément de monnaie et l'élargissement du crédit soient deux choses très différentes. On pourrait envisager un système monétaire sans lien particulier avec les instruments du crédit; ce serait le cas par exemple d'un étalon complètement automatique, n'utilisant comme monnaie que le bien monétaire proprement dit ou les dépôts. D'un point de vue historique, les relations entre la monnaie et le crédit ont beaucoup varié avec les lieux et les époques. C'est pourquoi il est important d'établir une distinction entre les questions politiques liées au taux d'intérêt et
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aux conditions du marché du crédit et celles qui sont associées aux variations de la masse monétaire, bien qu'il faille évidemment reconnaître que les mesures destinées à affecter un groupe de variables peuvent également affecter l'autre, et que, de ce fait, il n'est pas impossible que les mesures monétaires aient un effet sur le crédit, et inversement. Il apparaît que l'action de la Banque centrale n'est pas le seul facteur déterminant, en ce qui concerne le marché financier. Comme nous l'avons expérimenté maintes et maintes fois (nous et d'autres pays), une banque centrale est en mesure de fixer le taux d'intérêt pour une fracJion limitée de valeurs, telles que les obligations d'Etat, encore que ce soit dans des limites étroites et seulement dans la mesure où elle abandonne complètement le contrôle sur l'ensemble de la masse monétaire. Il est inexact de dire qu'une banque centrale ait jamais pu déterminer les taux d'intérêt autrement que de cette manière-là. Le fait qu'après la guerre les pays se soient engagés les uns après les autres dans des politiques d'argent facile démontre de manière convaincante que les forces qui déterminent le taux d'intérêt, entendu au sens large (le revenu des actions, des biens fonciers, des obligations), sont beaucoup trop vastes et répandues pour que la Banque centrale puisse les dominer. Elle doit tôt ou tard s'incliner devant elles, et généralement assez tôt. La position de la Banque centrale est tout à fait différente lorsqu'il s'agit de fixer la quantité de monnaie. Dans, des systèmes tels que ceux que nous connaissons aux Etats-Unis à l'heure actuelle, la Banque centrale peut faire ce qu'elle veut de la masse monétaire. Elle peut, bien entendu, adopter d'autres objectifs et laisser l'offre de monnaie se fixer d'elle-même afin de maintenir « le » ou « un » taux d'intérêt fixe, de conserver la part des réserves « libres» à un niveau déterminé, etc. Mais, si elle le désire, elle peut exercer un contrôle véritable sur l'ensemble de la masse monétaire. Le fait que les rapports de forces ne soient pas les mêmes lorsqu'il s'agit pour la banque de fixer l'offre de monnaie et de déterminer les conditions du crédit, a tendance à être masqué par la relation étroite qui existe entre la Banque centrale et la communauté bancaire.
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Aux États-Unis par exemple, les réserves bancaires sont techniquement gérées par les banquiers. De ce fait, les conceptions générales de la communauté bancaire exercent une forte influence sur la Banque centrale: dans la mesure où la communauté bancaire est avant tout concernée par le marché financier, les banques centrales sont amenées à accorder une attention exagérée à l'incidence que peut avoir leur politique sur le crédit et à négliger ses effets sur la monnaie. Depuis une époque récente, on a tendance à considérer l'importance accordée au crédit comme une des conséquences de la révolution keynésienne, qui a amené à repenser les effets des variations de la masse monétaire sur le taux d'intérêt, à travers la préférence pour la liquidité. Mais ce n'est qu'une manifestation particulière d'une tendance plus générale et plus ancienne. La doctrine du real bill, qui date d'un siècle et plus, illustre le même type de confusion entre les effets de la politique monétaire sur le crédit et sur la monnaie. Les controverses sur la banque et la monnaie, qui sont apparues au XIX e siècle en Angleterre, en fournissent un autre exemple patent. La Banque centrale insista sur le fait qu'elle était intéressée par les conditions du marché financier; elle refusa d'admettre que la création d'un supplément de monnaie fût un facteur important, dont il fallait tenir compte, entre autres, lors de la fixation des prix, et qu'elle fût de quelque manière responsable de la quantité de monnaie mise en circulation. Sur le plan technique, j'ai donc tenté de démontrer qu'une banque centrale pouvait avoir au moins trois effets défavorables ; ceci combiné avec les arguments politiques constitue donc un réquisitoire assez convaincant à l'encontre d'une Banque centrale complètement indépendante. La solution d'une réglementation par voie législative. Si cette conclusion est bien fondée, c'est-à-dire si nous ne pouvons pas faire largement confiance à des spécialistes indépendants, comment devons-nous procéder alors pour instituer un système monétaire qui soit à la fois stable, à l'abri des manipulations gouvernementales, et
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sans danger pour la liberté politique et économique ? La troisième solution consiste à livrer la conduite de la politique monétaire non plus à des individus mais à des lois, en instituant des dispositions législatives. La mise en vigueur de telles règles permettrait au public d'exercer un contrôle sur la politique monétaire à travers ses dirigeants politiques, tout en empêchant qu'elle soit soumise aux caprices de ces derniers. L'argumentation en faveur de l'application de telles règles a plus d'un trait comnüm avec la Charte des Droits de la Constitution. Lorsqu'on suggère de lier l'exercice du pouvoir monétaire à des dispositions législatives précises, on répond invariablement que cela n'a pas beaucoup de sens de ligoter les mains du pouvoir de cette façon puisqu'il peut toujours de son propre chef accomplir ce qui constitue les prescriptions législatives, mais qu'il dispose en outre de toute une panoplie de moyens qui lui permet d'atteindre sûrement plus aisément les résultats visés par les directives législatives. Une version semblable de cette argumentation s'applique également au pouvoir législatif. S'il souhaite l'application de ces directives, dit-on, il doit également désirer que les mesures mises en application soient chaque fois adaptées au cas particulier qui se présente. Par quel mystère, dans ces conditions, l'application des dispositions législatives pourrait-elle fournir la moindre garantie contre des agissements irresponsables? Le même genre de critique vaut, à quelques nuances de termes près, pour le premier amendement de la Constitution et pour la Charte des Droits dans son ensemble. N'est-il pas absurde, pourrait-on dire, d'avoir institué un interdit général sur tout ce qui peut entraver la libre expression? Pourquoi ne pas s'arrêter à chaque cas particulier, et ne pas prendre en considération les problèmes propres qu'il pose? Il est tout à fait du même ordre de dire qu'en matière de politique monétaire, il n'est pas bon de limiter la liberté des autorités à l'avance et qu'elles devraient être en mesure de traiter chaque cas au moment où il se présente et en fonction de ses données propres. Pourquoi cette argumentation ne vaudrait-elle pas pour la liberté d'expression? Un homme veut s'installer au coin d'une rue pour prêcher le contrôle des naissances; un autre, le communisme ; un troisième,
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l'hygiène végétarienne, et ainsi de suite, à l'infini. Pourquoi ne pas mettre en vigueur une loi accordant ou refusant à chacun le droit d'exposer son propre point de vue ? Ou encore, pourquoi ne pas accorder le pouvoir d'en décider à une organisation administrative? On s'aperçoit tout de suite que s'il fallait considérer chaque cas séparément, une majorité se prononcerait presque certainement contre la libre expression dans la plupart des cas, et peut-être même dans la totalité des cas. Un vote destiné à savoir si M. X peut prêcher le contrôle des naissances, entraînerait à coup sûr une majorité de non, et ce serait sans doute la même chose pour le communisme et s'il y a de grandes chances pour que le végétarien soit autorisé à exposer ses convictions, ce n'est pas encore tout à fait sûr. Supposons maintenant que tous les cas soient mis dans le même sac, et que toute la population ait à se prononcer sur le tout ; dans l'hypothèse qui nous retient pour savoir si la liberté d'expression doit être autorisée ou interdite, quel que soit le cas considéré. Il est parfaitement possible, pour ne pas dire tout à fait probable, qu'une majorité écrasante se prononcerait en faveur de la liberté d'expression. Sur la question posée dans l'ensemble, les gens se seraient donc déterminés exactement dans le sens contraire à leur vote sur chaque cas séparé. Cela tient à ce que chaque individu est beaucoup plus sensible au fait de se trouver privé de son droit d'expression lorsqu'il appartient à une minorité qu'à celui d'en priver quelqu'un d'autre lorsqu'il appartient à une majorité. Par conséquent, lorsqu'il se prononce sur l'ensemble des cas possibles, il pondère beaucoup plus le risque peu vraisemblable de se trouver privé de sa libre expression, en tant que membre d'une minorité, qu'il n'accorde d'intérêt au refus, pourtant fréquent, d'autoriser les autres à s'exprimer sans contrainte. Une autre raison, qui concerne plus directement la politique monétaire, est liée au fait que si l'ensemble des cas est considéré comme un tout, il devient clair que la politique suivie aura des effets cumulatifs, qu'on a tendance à négliger lorsqu'on se penche sur chaque cas particulier. Lorsqu'il s'agit de voter pour savoir si M. Jones peut s'exprimer publiquement, le résultat du vote n'est pas influencé par les effets favorables que pourrait avoir une
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politique générale de libre expression et, dans le cas précis, un vote positif n'aura qu'une portée très restreinte. En se prononçant sur chaque cas particulier, on ne se rend pas très bien compte qu'une société où chaque individu ne peut s'exprimer librement sans autorisation spéciale, est une société où le développement des idées, la nouveauté et l'invention risquent d'être entravées par de nombreux obstacles. Le fait que ces obstacles soient clairs dans l'esprit de chacun, est dû à la bonne fortune qui a voulu que nous vivions dans une société qui se refuse le droit de se prononcer sur chaque cas particulier. Des considérations de même ordre s'appliquent au domaine monétaire. Il est probable que si l'on examine chaque cas en fonction de ses données propres, on adoptera la plupart du temps une mauvaise solution car ceux qui sont à l'origine des décisions n'auront considéré qu'un aspect limité des choses et n'auront pas pris en ligne de compte les effets cumulatifs de la politique suivie à l'échelle globale. D'un autre côté, si une règle générale est adoptée, qui vaut pour tous les cas, elle influera favorablement sur l'attitude et les aspirations des gens, alors que la même politique appliquée par voie discrétionnaire n'aura pas d'effet à ce niveau. Bien entendu, il n'est pas nécessaire que la règle générale soit énoncée de manière explicite ou fasse l'objet d'une loi. Les règles non écrites de la Constitution, acceptées sans réticences par l'ensemble de la population, sont aussi efficaces lorsqu'il s'agit de statuer sur des cas particuliers, qu'une constitution écrite. De même, en ce qui concerne les questions monétaires, la mythologie de l'or conditionne le bon fonctionnement de l'étalon-or, en fournissant un rempart efficace contre l'autorité discrétionnaire. Si des règles doivent être instituées par voie législative, lesquelles doit-on choisir? Les personnes taxées de libéralisme ont souvent suggéré d'instituer une législation sur le niveau des prix, qui obligerait les autorités monétaires à maintenir la stabilité du niveau général des prix, en vertu de cette législation. Je pense que cette façon de procéder est mauvaise, car elle implique que les autorités monétaires puissent atteindre des objectifs qui sont en fait hors de leur portée, étant donné les moyens
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dont elles disposent. On retrouve donc ici le problème de l'éparpillement des responsabilités et du risque d'accorder une liberté trop importante aux autorités monétaires. Il existe sans doute une relation étroite entre la politique monétaire et le niveau général des prix, mais cette relation n'est pas assez spécifique pour que l'on puisse parvenir à la stabilité des prix en faisant appel aux interventions au jour le jour des autorités. Dans un autre ouvrage, je me suis longuement demandé quelle règle il fallait effectivement adopter). Je ne fais par conséquent que reprendre ici mes conclusions. Dans l'état actuel de nos connaissances, il me semble souhaitable d'instituer un dispositif réglementaire destiné à contrôler le comportement de la masse monétaire. A ce propos, je dois souligner que j'entends par masse monétaire l'ensemble de la monnaie en circulation, plus les dépôts dans les banques. Je voudrais également faire remarquer qu'il serait bon que le Federal Reserve System tienne compte de l'accroissement du montant global de la masse monétaire ainsi définie, qui s'élève de mois en mois et de jour en jour à un rythme annuel de X %, X se situant entre 3 et 5. J'insiste sur le fait que je ne considère pas cette proposition comme définitive et comme fondamentale pour la politique monétaire; il ne s'agit pas d'une règle digne d'être écrite en lettres d'or et conservée pieusement. Il me semble cependant que c'est cette solution qui offre les meilleures garanties si l'on souhaite parvenir à une relative stabilité en matière monétaire, dans l'état actuel de nos connaissances. J'ose espérer que par la suite, au fur et à mesure que nous nous familiariserons avec les questions monétaires, nous serons en mesure de raffiner ces moyens, destinés à nous permettre d'obtenir des résultats toujours améliorés. De toute façon, ce chapitre s'efforce bien moins de discuter le contenu de tel ou tel type de réglementation que de suggérer qu'en donnant force de loi à une réglementation de la masse monétaire on parviendrait au même résultat qu'on serait en droit d'attendre de la part d'une banque centrale indépendante, mais qui, en fait, en est incapable. 1. A Program for Honelarv Slabi/itr. pp. 77-99.
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Il me semble qu'une telle règle constitue la seule solution réalisable et à notre portée, si nous voulons faire de la politique monétaire un des piliers de la société libre, et non une menace pour ses fondations .
TROISIÈME PARTIE
VERS UNE RÉFORME DU SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL
CHAPITRE PREMIER
LA PHILOSOPHIE DES ACCORDS MONÉTAIRES INTERNATIONAUX!
L'une des principales sources de confusion dans les débats concernant les accords monétaires internationaux est la tendance à se référer non à « un », mais à « l' »étalon-or, comme si le terme « étalon-or» avait une signification unique et évidente. Il y a quatre ans, dans une étude intitulée « Real an Pseudo Gold Standards 2 », j'ai souligné l'ambiguïté du terme et, en particulier, l'importance de la distinction à établir entre deux grandes classes d'accords monétaires, désignées toutes deux sous le nom de gold-standard : l'une - celle des véritables gold-standards - est absolument conforme aux principes libéraux, mais n'est d'ordinaire sérieusement soutenue que par une petite minorité, et reste complètement étrangère aux alternatives politiquement réalisables; l'autre - celle des « pseudo go Id-standards » - contredit formellement les principes libéraux, mais est pourtant soutenue par un certain nombre de libéraux, qui tous font la confusion ou l'erreur de jugement les portant à croire que, tôt ou tard, la forme tendra à se rapprocher 1. Titre original : The Po/itical Economy of International Monetar)' Arrangements. Version légèrement retouchée d'une étude présentée à la quinzième Assemblée générale de la Société du Mont-Pèlerin, à Stresa, Italie, en septembre 1965 et publiée en français dans les Fondemellts philosophiques des systèmes économiques, avec des textes de Jacques RUEFF, « Bibliothèque économique et politique », Payot, 1967. 2. Egalement présentée lors d'une assemblée de la Société du Mont-Pèlerin, et publiée postérieurement sous ce titre dans le Journal of Law and Economies, IV, octobre 1962, ainsi qu'en allemand, dans Ordo, 1962.
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du fond. Cette majorité virtuelle pour « un » gold-standard ne donne que l'apparence illusoire d'un accord, car cet accord est en grande partie basé sur des mots, et dissimule une profonde divergence quant à la signification qu'il faut donner à ces mots. Dans ce chapitre, je vais tout d'abord résumer, en termes légèrement différents, le sujet traité dans mon article précédent; j'examinerai ensuite une série de problèmes auxquels j'avais alors simplement fait allusion, mais sans les discuter, à savoir les implications politiques des différentes possibilités d'accords monétaires internationaux.
Monnaie unifiée contre monnaies nationales liées par des taux fixes. J'ai établi une distinction importante entre une monnaie unifiée et un ensemble de monnaies distinctes, liées entre elles par des taux de change fixes, avec ou sans l'aide du mécanisme de l'or. L'exemple le plus évident d'une monnaie unifiée est l'utilisation, dans des régions différentes, d'une monnaie absolull}ent ident!que - tel le dollar américain dans les divers Etats des Etats-Unis, ou la livre sterling dans différentes parties du Royaume-Uni. Cependant, d'un point de vue économique, on peut aussi parler de change unifié, lorsque divers pays attribuent des noms différents à la même monnaie, ou utilisent du papier-monnaie dont seules les images varient ou bien dont l'impression est en plusieurs langues. A condition toutefois que ces appellations multiples désignent toutes un moyen commun en qui chaque monnaie locale soit continûment convertible à un cours déterminé et invariable, sans discussion ni intervention possibles de la part d'une autorité politique. Un « véritable» étalon-or ou étalon-argent en est un exemple manifeste. Ce n'est pas parce qu'on emploie dans maints pays les mots «dollar », «livre », ou «franc» pour désigner des unités monétaires donnant droit à des quantités d'or déterminées que le change en est moins unifié. Il y a aussi beaucoup d'exemples moins évidents. Le dollar de Hong-Kong est une monnaie unifiée avec la livre sterling britannique; il en est de même - il en était,
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devrais-je dire - pour le dollar de Singapour jusqu'à l'indépendance de la Malaisie. . Des éléments d'une monnaie unifiée circulant sur différentes places auront des taux de change dont la çonvertibilité ne sera pas rigoureusement fixe. Aux Etats-Unis par exemple, avant l'instauration de la compensation au pair par le Federal Reserve System, il y avait des marchés actifs du change intérieur. On pouvait changer un dollar payable à Chicago pour une valeur parfois plus grande qu'un ·d ollar payable à New York et parfois moindre. De 1879 à 1914, quand fonctionnait l'étalon-or (qui fut bien proche de ce qu'on appelle une monnaie unifiée), le prix du dollar américain exprimé en livres sterling variait à l'intérieur des points d'or. A l'heure actuelle, le prix d'un dollar de Hong-Kong exprimé en livres sterling varie légèrement d'un jour à l'autre. Dans tous ces exemples, l'étroitesse de la variation est due à des forces du marché, à la faiblesse des frais de transport des devises, et non à une fixation administrative des prix. Ceci est comparable aux prix locaux du sucre qui varient, par exemple, entre les régions où le commerce du sucre se fait librement, sans barrières douanières, primes à l'exportation, ou autres formes de « manipulation» des prix gouvernementaux ou privés. Comme le suggèrent ces exemples, la caractéristique économique décisive d'une monnaie unifiée est précisément que les transferts de devises se font automatiquement, sans qu'aucune action administrative ne soit nécessaire pour les effectuer, ni ne puisse en entraver la réalisation. Si un résident d'Illinois effectue un paiement à un habitant de New York, cette transaction, en ellemême, réduit nécessairement les encaisses monétaires des habitants de l'Illinois, et augmente celles des NewYorkais - ce qui est encore plus évident quand ce paiement revêt la forme d'un transfert littéral de monnaie. Si l'ensemble des résidents d'Illinois verse aux habitants de New York davantage qu'ils ne reçoivent en retour, la quantité de monnaie détenue en Illinois diminuera alors nécessairement en raison de cette opération (à condition de négliger les paiements et transferts en provenance d'autres zones) tandis que la quantité détenue par les New-Yorkais augmentera nécessairement.
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Confrontons cette situation à une autre qui, à première vue, paraît être la même : celle où deux monnaies nationales sont liées par des taux de çhange stabilisés par les gouvernements. Un habitant des Etats-Unis a le choix entre deux moyens pour effectuer un paiement à une personne habitant en France. Il peut acquérir des francs français au cours officiel auprès du Federal Reserve System ou de la Trésorerie américaine (en un ou plusieurs retraits), puis transférer ces francs au résident français. Dans ce cas, la quantité de francs détenue par les résidents français augmentera automatiquement. Que la quantité de dollars détenue par les Américains diminue ou non dépend de l'emploi que fera le Federal Reserve System des dollars ainsi transférés. Il peut, s'il le désire, empêcher que cette transaction réduise la quantité de dollars aux États-Unis, en autorisant seulement une diminution de ses propres réserves de francs français. L'autre possibilité offerte au résident américain est de virer au Français un solde créditeur en dollars, que la Banque de France lui changera en francs. Dans ce cas, la quantité de dollars détenue par les Américains diminuera automatiquement, mais l'augmentation ou la diminution de la quantité de francs en possession des résidents français dépend de la façon dont la Banque de France s'est procuré les francs remis au Français: elle peut, soit les créer, soit les acquérir au moyen d'opérations d'open-market. Et, naturellement, la Banque de France de même que le Federal Reserve System peuvent, s'ils le désirent, compenser l'augmentation des avoirs en francs, dans le premier cas, ou la diminution des avoirs en dollars, dans le second. Si l'ensemble des habitants des États-Unis versent aux résidents français davantage qu'ils ne reçoivent en retour, le montant des devises détenues par l'ensemble des Américains diminuera alors, en raison de cette opération (en négligeant, bien sûr, les paiements et transferts en provenance d'autres zones), à condition, et seulement à condition que le Federal Reserve System le veuille bien ; de même, la quantité de devises en possession des résidents français n'augmentera que si telle est la volonté de la Banque de France. Il est évident que je suis en train de schématiser à l'extrême, et peux ainsi donner l'impression de m'attacher à des choses évidentes et de peu d'importance. La
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distinction que je souligne ici est pourtant capitale. Avec une monnaie unifiée, il ne peut y avoir de déséquilibre de la balance des paiements. Une région peut avoir des difficultés économiques, ou subir une baisse des prix ; il se peut que ses habitants s'appauvrissent et que certains fassent faillite; mais, en tant que région autonome, il lui est impossible d'avoir des difficultés dans sa balance des paiements. En aucun cas, il ne peut y avoir plus de problèmes pour effectuet:.1es paiements internationaux ou interrégionaux que pour les paiements intérieurs ; en fait, il n'est pas facile de dissocier ces problèmes l'un de l'autre. L'Illinois n'a pas de difficultés dans le domaine de la balance des paiements - et ne possède même pas de statistiques retraçant le déficit ou l'excédent de sa balance extérieure. Hong-Kong est exactement dans la même position. Les problèmes relatifs à la balance des paiements sont une conséquence de la substitution d'un système de monnaies nationales liées par des taux fixes à un système monétaire unifié, ce qui revient à dire qu'elle est la conséquence de l'intervention dans les paiements d'une agence administrative, en général d'une banque centrale nationale. Une banque centrale ou son équivalent est une condition nécessaire pour que des difficultés surgissent dans la balance des paiements. Dans les conditions présentes, on peut aller plus loin ; à quelques exceptions près, c'est à la fois la condition nécessaire et suffisante pour qu'il y ait des difficultés occasionnelles dans la balance des paiements. La Malaisie en fournit un bel exemple, qui permettra de vérifier ce qui vient d'être dit. Avant la proclamation de son indépendance, elle n'avait ni banque centrale ni difficultés dans la balance des paiements. La monnaie locale était « forte» et les réserves en devises abondantes. Il y a quelques années, elle créa une banque centrale. Je prédis que, d'ici quelques années, elle rejoindra les autres « pays en voie de développement» - pour employer ce récent euphémisme - et subira une crise du change. Ce qui précède met en évidence la raison pour laquelle une banque centrale est la condition nécessaire pour engendrer des difficultés dans la balance des paiements. La raison qui fait qu'elle devrait si souvent être une condition suffisante est à peine moins évidente. Avec
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une monnaie unifiée, les ajustements tendent à être immédiats et graduels. Une petite sortie de devises produit une petite réaction interne, et, inversement, il y a peu de chances pour que se développent de grands déséquilibres. Une banque centrale pourrait intervenir de façon à obtenir exactement les mêmes résultats - en fait, c'était le but du British Bank Act de 1844, bien que, malheureusement, il ne fût applicable qu'aux billets et non aux dépôts. Mais une banque centrale n'est pas obligée d'agir en vue d'obtenir les résultats identiques à ceux que donne un système de monnaie unifiée et il est peu probable qu'elle le fasse. En effet, elle serait réduite à n'être qu'une machine absolument superflue, dont les dirigeants n'auraient d'autre rôle que de suivre les indicateurs importants. Or les gouverneurs des banques centrales, comme nous tous, veulent jouer un rôle, exercer une influence sur le cours des événements. Et dans le climat politique d'aujourd'hui, étant donné la responsabilité explicitement attribuée au gouvernement et effectivement assumée par lui dans la vie économique, le haut fonctionnaire d'une banque centrale qui ne se servirait pas de ses pouvoirs, ne garderait pas longtemps son poste. Par conséquent, les banquiers exercent, à proprement parler, un « jugement» décidant que telle sortie ou rentrée de devises est temporaire et qu'il faut la compenser et l'empêcher d'avoir une répercussion sur la masse monétaire; ou bien, qu'elle est « structurelle» et doit être renforcée. Inutile de le dire, la compensation est tentante, à coup sûr, pour les sorties, et dans une proportion à peine moindre, pour les rentrées. Cette intervention est parfois une politique correcte et souhaitable, car elle évite des ajustements qui, bien que minimes, ne sont pas nécessaires. De temps en temps, malgré tout, le jugement est erroné ; auquel cas les interventions permettent que des désajustements minimes en amorcent de plus importants. Des mesures énergiques sont finalement exigées là où il aurait initialement suffi d'en prendre de moins fortes. Ce résultat est inévitable et ne comporte aucune critique des responsables des banques centrales. En remplissant leur tâche, ils peuvent faire mieux ou pis; mieux ils l'accompliront, moins les graves désajustements seront fréquents ; mais ils auront beau
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s'en acquitter correctement, ils provoqueront de temps à autre des déséquilibres de la balance des paiements. Ces déséquilibres entraîneront à leur tour toutes les conséquences qui nous sont devenues familières : crises budgétaires, restrictions au commerce international, contrôle des changes par des interventions ouvertes ou déguisées. Il n'y a rien de neuf dans tout cela. Le domaine que je viens de parcourir est fjlmilier, bien que généralement ignoré. Très connue aussi est l'autre possibilité d'accord, qui peut concilier l'existence des banques centrales contrôlant le volume de la masse monétaire, avec le libre-échange international, l'équilibre des paiements extérieurs et l'absence de difficultés dans le domaine de la balance des paiements, à savoir un système de taux de change fluctuant librement 1. Le point fondamental est qu'une monnaie unifiée et un système de taux de change fluctuant ont tous deux la même nature, bien qu'à première vue, ils semblent très différents. Ils sont tous deux des mécanismes du marché libre, pour les paiements interrégionaux ou internationaux. Ils permettent tous deux aux cours du change de varier librement. Ils excluent tous deux tout intermédiaire administratif ou politique dans les règlements entre résidents de différentes zones. L'un et l'autre sont compatibles avec le libre-échange ou avec une diminution des restrictions dans le commerce international. D'autre part, les monnaies nationales liées par des taux de change fixes, avec ou sans l'aide du mécanisme de l'or, et un système de taux de change variables, contrôlés et manipulés par des organismes gouvernementaux au moyen d'un change fixe ajustable ou d'opérations de marché effectuées au jour le jour, appartien1. Pour consulter les précédentes études que j'ai faites de ces quèstions, voir: « The Case for Flexible Exchange Rates », dans mes Essays in Positive Economies, University of Chicago Press, 1953, pp. 157-203 ; A Program for Monetary Stability (Fordham University Press, 1959, pp. 77-84, et ma déposition devant la Commission économique mixte du Congrès américain (Joint Economic Committee of the U.S. Congress), le 14 novembre 1963, dans Hearings on the United States Balance of Payments. troisième partie, quatre-vingt-huitième Congrès, première session, U.S. Printing Office, 1963, pp. 451-458, 500-525.
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nent également à la même espèce. Ce sont tous deux des procédés interventionnistes. Ni l'un ni l'autre ne sont, à mon avis, compatibles avec un abaissement permanent des barrières douanières internationales, ils s'accompagnent seulement de variations de tarif, lorsque les nations passent d'une position excédentaire à une position déficitaire. Les conséquences politiques des différents accords. Jusqu'à présent, on s'est moins occupé des conséquences politiques des différentes possibilités d'accords que des problèmes économiques. Pourtant, ces conséquences politiques sont aussi d'une importance capitale, et ont été grandement mises en lumière par des faits récents. Les problèmes politiques clés sont, en substance, identiques à ceux qui surgissent à l'intérieur des pays à propos du caractère désirable d'une banque centrale indépendante : 10 Peut-on souhaiter un système dans lequel un petit nombre d'individus, qui ne sont pas directement responsables devant le corps électoral, ni même, en principe, indirectement du fait de leur soumission à l'autorité de l'exécutif politique, aient tous pouvoirs pour influencer l'évolution de la vie économique en contrôlant le système monétaire? Une autorité monétaire, en collaboration avec les autorités exécutive, législative et judiciaire, est-elle à désirer? 20 Souhaitable ou non, est-elle possible? Un tel système peut-il durer? J'ai longuement exposé dans un chapitre précédent pourquoi j'avais répondu négativement à la première question concernant les banques d'État). Tous les arguments que j'avais alors invoqués s'appliquent avec encore plus de force, s'il est possible, au domaine international. J'ai moi-même été complètement convaincu de la justesse de cette opinion par un livre remarquable, édité par un membre éminent de la Société du Mont-Pèlerin, Jacques Rueff : les Souvenirs d'un gouverneur de la 1. « Les solutions institutionnelles au problème de la direction monétaire », pp. 166 et suiv.
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Banque de France, d'Émile Moreau, et mes convictions ont été fortement renforcées par l'expérience contemporaine. Moreau fut à la tête de la Banque de France à la fin des années 1920, durant la période de stabilisation du franc et de sa réévaluation par rapport à l'or. Dans ses mémoires, il fait un récit fascinant de son expérience antérieure, et des relations entre les responsables de banques centrales de l'époque qui sont très intéressants pour notre propos actuel. Cette période est sans doute celle qui se rapproche le plus de l'idéal qui semble généralement animer la foule de ceux qui se prononcent en faveur de « la consolidation des accords internationaux de coopération monétaire» au moyen d'une « surveillance multilatérale ... exercée par les corps consultatifs internationaux existants», pour employer les euphémismes de la récente étude des représentants du Groupe des Dixl. En ce temps l'accueil favorable de l'idée de banques centrales indépendantes était à son apogée, les États-Unis même s'étant finalement bien engagés dans cette voie. Ce fut l'ère de la célébrité pour les gouverneurs des banques centrales, qui entretenaient mutuellement une correspondance et une coopération suivies : Moreau en France, Schacht en Allemagne, Strong aux États-Unis et, surtout, Norman en GrandeBretagne. Ce fut aussi, comme M. Rueff l'a si énergiquement souligné, l'ère du gold-exchange standard, qui, et je suis pleinement d'accord avec lui sur ce point, rendit le système beaucoup plus vulnérable qu'auparavant aux erreurs de politique monétaire. Ce fut, par conséquent, une période dont nous avons beaucoup à apprendre quant aux conséquences des accords de coopération monétaire internationale du genre de ceux que nous avons eus, et que nous sommes, semble-t-il, en train de consolider. La position de Montagu Norman à l'égard de la politique était parfaitement claire. Si l'on en juge d'après les Mémoires de Moreau, comme d'après la biographie de Henry Clay, Norman faisait aussi peu de cas des 1. Ministerial Statement of the Group of Ten and Annex Prepared by Deputies, 10 août 1964, p. 9.
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masses populaires que des classes possédantes. Il envisageait un groupe de gouverneurs de banques centrales éclairés, dirigeant le monde économique comme il devait être dirigé, absolument libre de tout contrôle politique intérieur, et assez puissant pour dominer les groupes capitalistes privés. Bien qu'il ne l'eût jamais exprimé de cette façon, le but qu'il visait était une dictature bienfaisante, exercée par une oligarchie de hauts fonctionnaires techniquement qualifiés, et désintéressés. Aujourd'hui non plus, personne ne s'exprime de cette manière. De fait, le problème politique principal est encore de savoir quel pouvoir il faudrait donner à une telle oligarchie. (Heureusement aussi, il existe aujourd'hui un problème politique subsidiaire qui n'existait pas alors, à savoir le choix de l'oligarchie: fonctionnaires nationaux de banques centrales, ou fonctionnaires internationaux du Fonds monétaire international.) Ce n'est pas le but déclaré de nos accords actuels, ni d'aucune parmi les différentes propositions relatives au renforcement de la coopération moné~aire internationale, que de déléguer à des banquiers d'Etat étrangers ou aux fonctionnaires d'une organisation internationale, des pouvoirs politiques d'une grande portée sur la politique économique intérieure. Mais c'est indiscutablement leur effet. La réalité de ce problème fut mise en lumière de façon spectaculaire par la récente expérience britannique, juste après l'arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste. Personnellement, je désapprouve vivement le genre de politique que le gouvernement travailliste entend apparemment suivre, et je considère que la politique des changes imposée à la Grande-Bretagne par les banques centrales, en compensation pour le soutien de la livre sterling, lui était vraisemblablement bien préférable. Il n'en reste pas moins que la politique intérieure britannique, menée par des fonctionnaires qui n'étaient pas responsables devant le corps électoral britannique, n'était pas orientée selon le processus politique ordinaire. A cet égard, je suis en parfaite sympathie avec les idées des travaillistes qui ont taxé de quasi intolérable ce droit de veto qu'ont les «gnomes de Zurich» sur la politique économique intérieure de la Grande-Bretagne. Les changements survenus ces dernières années dans
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la politique économique des États-Unis, consécutifs aux pressions de la balance des paiements, et donc à l'influence indirecte des gouverneurs des banques centrales étrangères et des autres fonctionnaires sur la politique intérieure américaine, ont été moins spectaculaires et moins progressifs, mais non moins décisifs que les changements survenus dans la politique britannique. La puissance politique internationale acquise par l'Allemagne, et, plus récemment, par la France avec de Gaulle, par suite des excédents de leur balance des paiements, en est une manifestation tout aussi évidente. De pays vaincus et effondrés, dépendants de la bonne volonté et de la pitié des États-Unis et, à moindre degré, de la Grande-Bretagne, les rôles se sont renversés au point que leur puissance politique dépasse de beaucoup leur force économique véritable l . Il est extraordinaire de voir avec quelle fidélité cette expérience reproduit l'évolution des ' années 1920, telle que l'a révélée Moreau dans ses Mémoires en termes plus personnels. Tout d'abord, Norman fut nettement le personnage principal, et son attitude envers Moreau et la France fut, pour le moins, condescendante, l'attitude du fort envers le faible, du vertueux en face du pécheur, du sage professeur devant l'élève de bonne volonté mais plutôt lent d'esprit. Mais ensuite, grâce à la surévaluation de la livre et à la sous-évaluation du franc, lors de leurs stabilisations respectives, la France se mit à gagner de l'or et à accumuler des avoirs en livres sterling. Moreau se trouva alors dans une position telle qu'il aurait pu, à tout moment, exclure la Grande-Bretagne du système de l'étalon-or, en retirant simplement ses avoirs en livres sterling. Et les Mémoires révèlent alors un changement radical de l'attitude de Norman envers Moreau. De distributeur d'aumônes, il devient mendiant, de pharisaïque conseilleur, il se met à quêter les conseils de Moreau, disposé à faire presque tout pour empêcher Moreau de retirer les avoirs français en livres sterling. Je suis parfaitement d'accord avec Jacques Rueff sur 1. Ce chapitre a été rédigé pour l'assemblée générale de la société du Mont-Pèlerin en septembre 1965. (N. de. T.)
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le fait que, tout comme maintenant, la situation était aggravée par l'étalon de change or, et que, si un système de cours nationaux liés par des taux de change fixes doit exister, il est de beaucoup préférable que toutes les réserves officielles soient constituées en or plutôt qu'en devises provenant des monnaies de certains pays. Cependant, je ne m'accorde pas avec lui pour soutenir qu'il est actuellement souhaitable d'évoluer vers une telle situation par le moyen d'une augmentation substantielle du prix de l'or. La raison de mon opposition réside dans le fait que la situation ne serait pas fondamentalement transformée, mais seulement rendue un peu moins instable, si l'on remplaçait par de l'or la fraction des réserves officielles actuellement détenues sous forme non métallique. Aussi longtemps que les monnaies nationales sont liées par des cours fixes, stabilisés par des banques centrales ou autres institutions ayant toute latitude pour réagir aux rentrées et aux sorties de devises, ces institutions pourront exercer une grande influence sur la politique intérieure des autres pays, compenser les rentrées ou les sorties de devises, laissant ainsi s'accumuler les désajustements. Dans les discussions de ce genre, le débat donne parfois l'impression de se dérouler entre « internationalistes» et « nationalistes» ; tout défenseur du système actuel ou de tout autre système, comportant des taux de change fixes, étant considéré comme un internationaliste, et tout défenseur du taux de change flexible, comme un nationaliste. J'aime à croire que mes observations antérieures ont fait comprendre qu'il n'en était pas ainsi. Le débat n'est pas entre internationalisme et nationalisme, mais entre liberté, économique ou politique, et interventionnisme bureaucratique, pour employer un terme plus modéré que dictature. Ce n'est pas parce qu'ils sont à une échelle internationale que le collectivisme ou l'interventionnisme changent de signification. Seuls importent les rapports entre les individus, et non les rapports entre les nations ; seule importe la liberté laissée aux individus pour faire des transactions économiques ou autres, les uns avec les autres, indifféremment de la nation à laquelle ils appartiennent. Pour les libéraux, la nation est une unité administrative com-
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mode, un moyen, et non le but final ou l'objectif de leur politique. Il m'a toujours semblé extrêmement curieux que tant de libéraux se soient prononcés en faveur des banques centrales indépendantes et, plus récemment, pour l'extension de la coopération internationale entre les banques centrales. Bien que, dans d'autres domaines, ils redoutent la puissance arbitraire, ils se sont montrés ici maintes fois favorables à ~n gouvernement dirigé par des hommes plutôt que par des lois, et aussi à une politique interventionniste plutôt qu'à une politique de marché. L'une des raisons est, sans aucun doute, la confusion entre un go Id-standard véritable et un pseudo goldstandard. Mais je pense qu'il y a deux autres raisons encore plus fondamentales. L'une d'elles m'a été inspirée par la lecture du récent et admirable exposé de Frank Fetter ' sur la théorie et la politique monétaires de la Grande-Bretagne : c'est le développement fortuit de la Banque d'Angleterre, au moment où le libéralisme britannique battait son plein. Comme Fetter le met en évidence, c'était une anomalie, d'ailleurs reconnue comme telle à l'époque, qui ne faisait pas logiquement partie du courant libéral. Le Banking Act de 1844 résulta en grande partie de la reconnaissance qu'une banque centrale indépendante, dotée d'un pouvoir discrétionnaire sur la masse monétaire, était incompatible avec une politique de laisser-faire et de libreéchange. Il fallait que la monnaie fût mise en circulation par le gouvernement ou que la masse monétaire fût déterminée par le marché, comme sous un régime basé sur un étalon métallique. En imposant à la banque de conserver une encaisse métallique marginale de 100 %, en plus d'une circulation fiduciaire fixe, la loi Peel entendait fournir une formule mécanique supprimant toute possibilité d'intervention de la part de la banque. Malheureusement, la loi ne s'appliquait qu'aux billets, à une époque où les dépôts étaient en train de devenir de plus en plus importants. La réserve relative à la circulation de la monnaie scripturale laissait à la banque une 1. Frank Whitson FElTER, Development of British Monetary Orthodoxy, 1797-1875, Harvard University Press, 1965, surtout le chapitre VI.
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liberté presque intacte. Mais, si l'on estime, comme moi, qu'il en résulta un trouble financier superflu, ou, comme tant de défenseurs de la banque l'ont soutenu, que ce fut dans l'ensemble une politique sage et bienveillante en dépit de quelques erreurs, le point crucial reste que le développement en Grande-Bretagne d'une banque centrale indépendante était un égarement et non la manifestation d'une politique libérale courante. La seconde raison pour laquelle tant de libéraux se sont prononcés en faveur des banques centrales indépendantes et des accords monétaires internationaux basés sur la coopération entre ces banques, est qu'ils se sont bien souvent trouvés en accord avec leurs gouverneurs sur des points fondamentaux. Telle fut souvent ma propre situation. J'ai beaucoup de respect pour l'habileté et la compétence des états-majors des banques centrales et des organismes financiers internationaux, j'admire leur dévouement à la tâche, et j'ai toute confiance dans le désintéressement individuel de la majorité de l'équipe actuelle. Je suis beaucoup plus en accord avec leurs opinions sur les attitudes économiques souhaitables qu'avec celles des hommes que les gouvernements américains ont le plus souvent chargés de la politique économique. Pourtant, le fait de déléguer aux gouverneurs des banques centrales des pouvoirs économiques étendus me semble absolument contraire aux principes libéraux. Qu'un tel système soit ou non souhaitable, il reste encore à savoir s'il est durable. Sur la scène intérieure, l'histoire nous fournit une réponse catégorique : les banques centrales totalement indépendantes sont des institutions de la Belle Époque. Chaque fois que se sont produites de sérieuses divergences entre leurs politiques et celles que soutenaient les autorités politiques centrales - qui reflètent généralement la politique de la Trésorerie -, les autorités politiques ont, invariablement tôt ou tard, agi à leur guise. Lorsque, en l'absence de telles divergences, et durant de bonnes périodes, un important soutien public intervint en faveur de la Banque Centrale indépendante, son influence s'en trouva renforcée pour les périodes consécutives, mais sans lui permettre toutefois de conserver longtemps l'avantage, bien qu'assez longtemps parfois pour faire un énorme gâchis -
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comme aux États-Unis de 1929 à 1933 -, ou pour accomplir de grandes choses, si elle a bénéficié d'une direction solide et clairvoyante - comme celle de Moreau en France durant quelques années. Sur la scène internationale, il me semble qu'il y ait infiniment moins de chances pour qu'un tel système se montre satisfaisant en temps de crise, tout au moins dans notre monde actuel. Sur le plan national, les banques centrales sont le point d'une construction politique systématique, et s'inscrivent dans un ensemble plus vaste qui légitime leurs actions. Sur le plan international, les accords actuels sont, pour la plupart, survenus par inadvertance. L'institution du F.M.1. fut explicitement créée, c'est incontestable; mais elle le fut à des fins qui sont presque exactement l'opposé de celles auxquelles elle allait servir - pour stimuler en fait la flexibilité des taux de change, et non pour en imposer la rigidité. La coopération des banques centrales est certainement fortuite. Naturellement, ceci n'est pas une critique et ne signifie absolument pas que les accords élaborés n'étaient pas souhaitables. Comme nous le reconnaissons tous, les accords économiques et politiques les plus importants ont été élaborés de cette façon, plus souvent que d'un propos délibéré. Après tout, cette expérience et ces possibilités constituent une grande partie des arguments en faveur du marché libre. Mais pour le propos actuel, il est plus important que ces accords soient indépendants et ne fassent pas partie d'une structure politique plus vaste. En période de troubles, ils n'obtiendront aucun soutien du fait d'une telle structure. La Grande-Bretagne et les U.S.A. sont maintenant libres de ne pas tenir compte des conseils et des pressions d'un consortium international de banques centrales quel qu'il soit. Aussi longtemps que les accords monétaires ne seront pas intégrés à une organisation politique plus large, chaque cas sera jugé séparément, et chaque fois qu'il faudra faire de très grandes concessions pour s'y conformer, le système s'effondrera. Il aplanira des difficultés d'ordre mineur, au prix d'une crise plus grave. Ceci est arrivé en 1931 au système si soigneusement élaboré par Norman durant les années 1920 et en fournit un exemple saisissant. Aujourd'hui j'ai bien peur que nous n'en ayons un autre dans un proche avenir.
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Le retour à un véritable étalon-or pourrait donc être souhaitable, mais il est pratiquement impossible. Il exigerait que tous les pays renoncent à utiliser la politique monétaire aux fins d'influencer le marché intérieur, l'emploi ou le niveau des prix. La substitution d'un pseudo-gold-standard au pseudo-gold-exchange standard actuel serait un gain positif mais minime. Tout comme l'étalon actuel, il impliquerait un interventionnisme politique sur le commerce et les paiements internationaux, ainsi que de grandes crises temporaires, et entraverait toute tentative réelle de libéralisation des échanges. L'autre alternative libérale souhaitable est un système de taux de change fluctuant librement, où l'or n'aurait aucun rôle officiel particulier. Il faudrait supprimer toutes les restrictions actuelles concernant le droit de propriété, le transfert et le prix de l'or qui deviendrait alors une marchandise sur un marché vraiment libre. Comme je l'ai déjà démontré, il est paradoxalement plus aisé de favoriser un véritable gold-standard en suivant cette direction qu'en s'attachant délibérément à la forme du gold-standard, au mépris de son esprit. Les libéraux, moins que personne, n'ont besoin qu'on leur dise que, ce qui semble parfois le plus long chemin, est souvent le raccourci qui mène au but.
CHAPITRE II
LES TAUX DE CHANGE FLEXIBLES!
Les économistes n'ont pas besoin d'en savoir long. Mais nous savons très bien une chose : comment provo-. quer des pénuries et des excédents. Voulez-vous provoquer une pénurie de n'importe quel produit? Il suffit que le gouvernement fixe et soutienne un prix maximum légal, qui soit inférieur à celui qui se serait imposé autrement sur le marché. Cest ainsi, par la fixation légale des loyers maxima, qu'est apparue la grande « crise» du logement qui a sévi après la guerre. Et c'est pourquoi New York, la seule ville des Etats-Unis qui conserve encore un contrôle sur les loyers, est également la seule ville qui connaisse à l'heure actuelle un problème du logement comparable à celui de l'époque d'après-guerre. Voulez-vous provoquer un excédent de n'importe quel produit ? Il suffit que le gouvernement fixe et soutienne un prix minimum légal, supérieur au prix du marché, soit en décidant qu'il est illégal de payer un prix inférieur, soit en offrant d'acheter tout ce qui est offert au prix en question. C'est ainsi qu'on observe actuellement un excédent de jeunes gens inexpérimentés à la recherche d'un emploi parce que le gouvernement a décidé qu'il était illégal pour les entreprises de payer un salaire inférieur au salaire minimum légal. De même avons-nous été accablés pendant de si nombreuses années par les excédents agricoles parce que le gouvernement avait fixé les prix agricoles à un niveau supé1. Tiré de Milton FRIEDMAN et Robert V. ROOSA, The Balance of Payments : Free vs Fixed Exchanges Rates. Rational Debate Seminars, Ameriean Enterprise Institute for Public Poliey Researeh, Washington, D.C., 1967.
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rieur à ceux qui se seraient imposés sur le marché. Le même prix fixe peut provoquer un excédent à un moment donné, et à un autre, une pénurie. Le prix du métal argent nous en fournit un excellent exemple. Lorsque, à la fin de 1933, le gouvernement offrit d'acheter tout l'argent nouvellement produit aux États-Unis à un prix de 64 à 64,99 cents l'once, ce prix était de beaucoup supérieur au prix du marché (à la fin de 1932, l'argent s'était vendu sur le marché libre à un prix aussi bas que 25 cents l'once). Si l'on ajoute à cela la mise en vigueur du décret sur l'achat de l'argent, qui autorisait les achats à l'étranger et les hausses du cours fixé, on comprend que nous ayons été littéralement envahis par l'argent. Nous avons drainé la Chine, le Mexique, et le reste du monde, et plus que triplé nos stocks. Cependant, depuis 1955, le cours de l'argent se révèle inférieur à celui qui se serait imposé sur le marché, en raison de l'inflation qui sévit à l'intérieur et à l'étranger, et en dépit du prolongement de la hausse sur le cours fixé à 1,29 dollar l'once. Le résultat est qu'on observe une pénurie au lieu d'un excédent. Nous ne réussissons à maintenir le cours à un niveau assez bas qu'en nous défaisant rapidement de nos réserves. Il viendra un moment où nous serons condamnés à le laisser monter l . Le prix du blé est appelé à suivre la même évolution, si ce n'est pas déjà fait. Pendant de nombreuses années, l'excédent provoqué par la fixation du prix du blé fut le grand problème. Nous avons été obligés de construire d'énormes aménagements pour le stockage, d'imposer aux agriculteurs de larges restrictions et de nombreux contrôles afin qu'ils limitent leur production, de tolérer des différences de prix à l'intérieur et à l'étranger, en ayant recours pour y parvenir au contrôle sur le commerce extérieur du blé. A l'heure actuelle, étant donné l'accroissement rapide de la population mondiale et de ses besoins en nourriture, le prix du blé risque de se trouver fixé trop bas. Dans ce cas, nos stocks seront rapidement épuisés. Comme ces exemples le montrent, la fixation des prix 1. Comme cela s'est produit peu de temps après que ce texte ait été écrit.
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est un instrument extrêmement puissant. Dans bien des cas, ses effets sont disproportionnés. Il suffit de fixer le prix seulement un peu trop haut pour qu'apparaisse un énorme excédent, car en même temps qu'il découragera les acheteurs il encouragera les vendeurs. De plus, les vendeurs déçus seront incités à multiplier leurs offres, ce qui fera paraître l'offre plus importante qu'elle ne l'est en réalité. Tous les efforts du gouvernement pour tenter de limiter l'offre se trouveront confrontés aux ruses de myriade d'offrants particlJliers qui essaieront par tous les moyens de contourner la réglementation, jusqu'à ce que naisse une sorte d'escalade continuelle, les régulations devenant de plus en plus sévères. De la même façon, il suffit de fixer le prix seulement un peu trop bas pour qu'apparaisse une énorme pénurie, le prix ayant à la fois encouragé les acheteurs et découragé les vendeurs. De plus, les acheteurs déçus ne manqueront pas de former des files d'attente de plus en plus longues. Cette situation rappelle la loi de Micawber, telle que la rapporte Dickens : « Revenu annuel 20 livres, dépenses 19,6, c'est le bonheur. Revenu annuel 20 livres, dépense annuelle 20,6, c'est le malheur. » Il est très difficile de faire comprendre ce phénomène au public - comme j'ai pu m'en rendre compte maintes et maintes fois - essentiellement en raison de la disproportion apparente entre la cause et l'effet. Comment se fait-il, dira l'homme de la rue, que le fait d'interdire aux propriétaires terriens d'augmenter le loyer, ce qui somme toute constitue une simple mesure de justice, puisse avoir des effets aussi éloignés que l'énorme décalage entre le nombre d'appartements demandés et le nombre d'appartements disponibles, les plaintes innombrables sur le manque d'espace réservé au logement, en dépit du chiffre record atteint par le nombre d'unités d'habitation par personne, le développement des marchés noirs, la détérioration des loyers, etc. Se peut-il, dira encore notre homme, que la complexité du problème de l'excédent agricole, avec sa panoplie de régulations, ses cooptations d'agriculteurs, écrasés sous les charges et condamnés à abandonner certaines terres cultivables, que tout ce problème, donc, ait pour seule origine la volonté du gouvernement de maintenir l'homogénéité des prix agricoles ? Il doit y avoir une raison plus fondamentale.
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Et pourtant c'est la pure vérité; point n'est besoin d'aller chercher plus loin. Fixez les prix, et les problèmes se multiplieront; laissez les prix se déterminer d'euxmêmes, et les problèmes disparaîtront comme par enchantement. L'abolition du contrôle sur les loyers partout aux États-Unis excepté à New York, nous en fournit l'illustration spectaculaire : le fait que la ville de New York soit restée sous contrôle a permis de mettre le doigt sur l'origine des difficultés. L'abolition du contrôle des prix en Allemagne, décidée un dimanche après-midi de l'année 1948 par Ludwig Erhard, nous en fournit un exemple encore plus édifiant. Il n'en fallait pas plus pour délivrer l'Allemagne de ses entraves qui condamnaient sa production à stagner à un niveau de moitié inférieur à celui d'avant-guerre, et pour permettre au miracle allemand de s'opérer. Tout ceci peut sembler bien éloigné du thème annoncé, mais ce n'est qu'une apparence. Le problème de la balance des paiements n'est qu'un autre exemple des répercussions lointaines de la fixation des prix par le gouvernement, compliqué par deux facteurs supplémentaires : il s'agit en premier lieu de deux sortes de prix (le prix de l'or, rapporté à différentes monnaies nationales, et le prix de ces monnaies elles-mêmes), et ces prix concernent plus d'un pays. L'existence de deux sortes de prix est une relique du passé, qui date de l'époque où il existait un véritable étalon-or, et où le « dollar », la « livre », le « franc », n'étaient que des étiquettes accolées à un certain montant d'or. Dans un tel système, le rôle du gouvernement était assimilé à celui d'un simple monnayeur, chargé avant tout de garantir le poids et la qualité de l'or, de frapper des pièces de monnaie en fonction de la demande, de délivrer différents certificats de garantie sur l'or, et de les retirer éventuellement de la circulation, bien qu'en pratique, le gouvernement ait émis pour sa part des garanties sans contrepartie en or. A l'intérieur du système étalon, les taux de change étaient maintenus dans des limites étroites, celles des « points d'or », non pas par la fixation gouvernementale des prix, mais par les mouvements de l'or privés, qui se manifestaient lorsque le marché connaissait des fluctuations telles qu'il devenait plus avantageux de se procurer des devises avec
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de l'or plutôt que par des opérations commerciales proprement dites. C'est de la même manière que le prix du sucre ne varie jamais beaucoup entre New York et Chicago, puisque si tel était le cas, les commerçants privés ne pourraient plus expédier leur sucre. Les mouvements de l'or, qui maintiennent l'alignement des taux de change, sont également utilisés pour créer des ajustements favorables à l'autorégulation de ses flux. Le pays qui exporte de l'or connaît un déclin de sa masse monétaire; le pays qui en reçoit, une augmentation. Les variations de la monnaie affectent à leur tour les revenus et les prix et, par la même occasion, la demande du commerce extérieur : celle-ci diminue dans le pays qui exporte de l'or et augmente dans le pays qui en reçoit. La clé de ce processus résidait dans son caractère complètement automatique et continu. Il n'y avait aucun moyen d'empêcher que les mouvements de l'or affectent la masse monétaire, et un faible écart appelait un faible ajustement. Il existait un système monétaire unique, au lieu d'une collection de monnaies reliées entre elles par des taux de change fixes. Une monnaie unique à l'échelle mondiale est inexistante à l'heure actuelle, bien qu'elle ait encore cours entre les différents États des États-Unis, entre la Grande-Bretagne et quelques-uns de ses territoires coloniaux, comme Hong-Kong, et la liste des exemples ne s'épuise pas là. Il est donc clair que la situation actuelle est très différente. L'or- est un bien dont le prix est soutenu par le gouvernement au même titre que celui du blé ou du beurre. Mais son prix n'est soutenu que vis-à-vis de l'étranger et non vis-à-vis des citoyens américains, puisque la loi leur interdit de détenir de l'or, sauf pour un usage industriel ou à des fins numismatiques. De plus, l'or possède une propriété particulière : sa demande étrangère est très élastique, et nous pouvons toujours le vendre pour acquérir des devises. En clair, nous serions en mesure de fixer le prix de l'or, même si les taux de change n'étaient pas fixes. Par exemple, le fait que le Canada ait connu des taux de change fluctuants de 1950 à 1962 ne nous a pas empêchés de continuer à fixer le prix de l'or, alors même que ce pays est un important producteur de métal jaune. Un conflit ne serait apparu
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que si le Canada avait essayé de nous imiter en définissant le prix de l'or en terme de monnaie canadienne. Le niveau auquel les taux de change sont actuellement fixés est calculé à partir du cours officiel de l'or, que chaque pays établit en accord avec le Fonds monétaire international. Mais il est bien évident que ce ne sont pas les mouvements de l'or qui maintiennent la fixité des taux de change. La plupart des pays qui ont des taux de change fixes entre eux ne sont pas libres d'acheter ou de vendre de l'or. Si les États-Unis le font indirectement sur le marché libre de Londres, avec la coopération de la Banque d'Angleterre, c'est bien moins pour stabiliser le taux de change que pour fixer le cours de l'or - au même titre qu'ils vendent de l'argent pour fixer le cours de l'argent. Nous pourrions cesser de fixer le cours de l'or sans pour autant cesser de fixer les taux de change, puisque le cours de l'or n'intervient pas davantage dans cette opération que celui du plomb, du cuivre ou de l'acier. L'or est maintenant tout au plus une couverture et ne règne plus sur le système monétaire en déterminant les variations de la monnaie. C'est pourquoi, dans ce chapitre, je suggère que nous laissions la question du prix de l'or de côté, en la considérant comme quelque chose d'annexe. Le fait que plus d'un gouvernement soit concerné complique la situation. Considérons, pour plus de précision, le cas de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Le cours officiel de la livre sterling, converti en dollars, se monte à 2,80 1 dollars, mais, en vertu de l'accord passé avec le Fonds monétaire international, il peut varier un peu en deçà et au-delà, approximativement entre 2,82 dollars et 2,78 dollars. Les États-Unis sont dans l'obligation d'empêcher le cours de monter au-dessus de 2,82 dollars, puisque au-delà la monnaie américaine serait dépréciée ; les Anglais, de leur côté, sont obligés d'empêcher que le cours tombe au-dessous de 2,78 puisque en deçà la monnaie anglaise serait elle aussi dépréciée. Naturellement, rien n'empêche les deux pays d'effectuer des transactions -qui leur permettent de res1. Il était de 2,40 dollars, après la dévaluation de novembre 1967. Il est aujourd'hui, en 1985, de 1,29 dollar.
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pecter leurs engagements, mais c'est là une manière bien formelle de prendre ses responsabilités. Les États-Unis ne peuvent maintenir le cours de la livre au-dessous de 2,82 dollars qu'en offrant de vendre toutes les livres offertes à ce prix-là - c'est-à-dire d'acheter tous les dollars offerts. La Grande-Bretagne ne peut maintenir de son côté le cours de la livre au-dessus de 2,78 dollars qu'en offrant d'acheter toutes les livres offertes à ce prix-là - c'est-à-dire de vendre tous les dollars demandés. Comment les deux pays peuvent-ils y parvenir? Supposons qu'au cours de 2,82 dollars la livre, la quantité de dollars que les particuliers ou les gouvernements sont disposés à utiliser pour acheter des livres, qu'ils utiliseront à des fins diverses, soit supérieure à celle que d'autres particuliers ou d'autres gouvernements veulent acquérir avec des livres. Supposons maintenant que les États-Unis aient un déficit virtuel de la balance des paiements (comme c'est d'ailleurs le cas actuellement). Comment pourront-ils maintenir le cours de la livre en dessous de 2,82 dollars? Il est clair que, sur le fond, il n'existe que deux manières de procéder: soit fournir les livres supplémentaires, en les tirant des réserves procurées par le commerce extérieur, ou en les empruntant à quelqu'un d'autre, soit inciter ou obliger les gens à changer le montant de livres qu'il souhaitent acheter. Dans l'hypothèse inverse, les mêmes dispositions valent en sens contraire pour la Grande-Bretagne. Pour employer un langage devenu courant, on se trouve confronté à deux types de problèmes : un problème de liquidité qui consiste à détenir assez de réserves pour répondre à la demande et un problème d'ajustement qui revient à maintenir l'alignement de l'offre et de la demande. C'est précisément ce qui se passe pour le blé où le problème des liquidités est celui du stockage et du déstockage, tandis que le problème de l'ajustement réside dans la limitation de la production ou dans la stimulation de la consommation. Apparemment, il existe un moyen bien simple de résoudre le problème des liquidités : renverser les rôles. Il suffirait de laisser la Grande-Bretagne maintenir elle-même le cours de la livre, en offrant pour ce faire de vendre une quantité illimitée de livres à 2,82 dollars, et
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de laisser les États-Unis maintenir le cours de la livre au-dessus de 2,78 dollars, en offrant d'acheter une quantité de livres illimitée. Ils ont toujours la possibilité de le faire: la Grande-Bretagne fabrique des livres et les États-Unis fabriquent des dollars, et ainsi chacun peut répondre à ses engagements. Cependant, agir de cette façon-là signifierait pour chaque pays délivrer à l'autre un chèque en blanc sur ses propres biens et services. Si le cours de la livre avait tendance à monter, la GrandeBretagne accumulerait des dollars ~t, en contrepartie, les biens anglais afflueraient vers les Etats-Unis. De ce fait, la Grande-Bretagne accorder~it involontairement un prêt à taux d'intérêt nul aux Etats-Unis. C'est précisément ce qui est arrivé à l'Allemagne pendant de nombreuses années : elle accepta d'importantes rentrées de dollars, ce qui signifie qu'elle exportait davantage de biens, traduits en termes de dollars, qu'elle n'en importait; de manière implicite, elle exportait à crédit. Il est évident qu'aucun pays ne souhaite voir se prolonger une telle situation. Cependant, cette approche mérite d'être mentionnée, car elle révèle l'erreur qui sous-tend toutes les discussions autour d'un accord international pour la création de « papier-or », c'est-à-dire de nouvelles réserves internationales. En fin de compte, le plus important reste encore d'établir un accord entre les différents pays, qui leur permette d'effectuer entre eux des emprunts automatiques. En principe, tous les pays devraient être favorables à un tel accord. Mais chacun voudra qu'il soit aménagé différemment, c'est-à-dire qu'il lui permette de prêter peu tout en empruntant beaucoup. C'est la raison pour laquelle je prédis, sans craindre d'être démenti, qu'en dépit des apparences et des accords de principe, on ne parviendra pas à un accord réel'. \. Un accord de principe pour la création de 1'« or papier}) prenant la forme de droits de tirage spéciaux a été signé par les principaux États intéressés, mais: 10 la France a déjà manifesté son refus d'y participer; 20 le détail de fonctionnement de ces droits n'a pas encore été arrêté; 30 la date prévue pour la mise en application de ces droits est repoussée à plusieurs années; 40 les montants en jeu sont très faibles par comparaison avec le montant total des réserves existant de par le monde et je demeure sceptique sur les chances d'application d'un plan visant à accroître les réserves mondiales.
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Pour en revenir au problème des liquidités des ÉtatsUnis, si l'on rejette la solution qui consiste à ce que la Grande-Bretagne accorde des conditions de crédit illimitées à un taux d'intérêt nul, il reste encore une possibilité: les États-Unis n'ont qu'à accumuler à l'avance des réserves qui, le cas échéant, leur permettront de faire face à une demande de livres excessive, ce qui représente en fait le rôle principal de nos stocks d'or, ou s'arranger pour emprunter. ;" Il est bien évident qu'il est impossible de couvrir indéfiniment les déficits possibles en puisant dans les réserves. Les réserves ont nécessairement une limite. Il est également indiscutable qu'il serait coûteux et inopportun de faire appel à l'emprunt d'État sans discernement. D'autre part, aucun pays ne souhaite accumuler indéfiniment des devises étrangères. Les réserves ne peuvent pas faire tout le travail Un mécanisme d'ajustement quelconque doit participer à l'opération. De quels mécanismes d'ajustement disposons-nous? Le système de l'étalon-or en constitue un sans lequel les variations de la masse monétaire du revenu et des prix s'effectuent de manière interne. Finalement, la seule raison pour laquelle cette solution pose des problèmes tient à l'intervention des banques centrales. Avec une banque centrale, combler un déficit ne signifie pas obligatoirement réduire la quantité de monnaie, puisque la banque peut y pourvoir ; inversement, un excédent ne se traduit pas nécessairement par une augmentation de la masse monétaire. De fait, l'existence d'une banque centrale constitue la condition nécessaire et aujourd'hui pratiquement suffisante à la résolution du problème de la balance des paiements. Une banque centrale peut faire de manière délibérée ce qu'un étalon-or véritable fait automatiquement. Pour corriger le déficit de la balance des paiements des États-Unis, elle pourrait réduire la quantité de monnaie (ou son taux d'accroissement) et faire baisser les revenus et les prix (ou les laisser augmenter moins vite que dans les autres pays), ce qui permettrait de faire diminuer la demande et augmenter l'offre vis-à-vis de l'extérieur. Dans une certaine mesure, c'est ce qu'ont fait les États-Unis. Il va sans dire que la politique monétaire a été particulièrement stricte de 1956 à 1961 en raison du
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problème de la balance des paiements. Mais on devine qu'il était à la fois peu probable que les États-Unis se reposent davantage sur ce mécanisme, et peu opportun qu'ils le fissent. C'est peu probable en raison des engagements du gouvernement sur le plan du plein emploi. Il est à peu près inconcevable que l'administration de l'un ou l'autre des deux partis ait souhaité provoquer une récession ou une crise économique à l'intérieur afin de résoudre un problème de balance des paiements. Il eût été inopportun que les États-Unis fassent plus largement confiance à ce mécanisme d'ajustement car le commerce extérieur ne représente qu'une faible partie de l'ensemble de l'activité économique de notre pays. Il est absurde de vouloir ajuster les 95 % d'une économie aux 5 % qui restent, plutôt que le contraire. En milieu plus profond, cette adaptation paraît peu souhaitable, car la plupart des ajustements auxquels nous avons été contraints résultaient bien moins des changements intervenus dans les forces véritables de l'offre et de la demande, que des manipulations monétaires des autres pays. Les partisans des taux de change fixes considèrent ce mécanisme d'ajustement comme la « discipline» imposée par le système qu'ils préconisent. Mais il s'agit là d'une discipline bien étrange. C'est elle qui, lors des dix dernières années, a provoqué l'inflation en Allemagne, au moins aussi sûrement qu'elle a entraîné la déflation chez nous. Elle consiste uniquement à marcher du même pas que le reste du monde, même si ce n'est pas dans la bonne direction. En tout cas, il est clair que c'est une discipline à laquelle nous ne sommes pas disposés à nous soumettre. En dehors de la fixation des taux de change, il reste un autre mécanisme d'ajustement, qui consiste à exercer un contrôle direct ou indirect sur le montant des devises que les gens souhaitent voir entrer en leur possession. Comme vous le savez, certains pays, en particulier la Grande-Bretagne, font largement appel au contrôle des changes. Un résident anglais ne peut échanger des livres contre des dollars sans autorisation explicite d'un représentant du gouvernement. On devine que cela représente un contrôle extraordinairement pointilleux de la vie quotidienne de chaque citoyen : l'endroit où il est
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autorisé à partir en vacances, les livres qu'il a le droit de lire, et ainsi de suite. Nous avons jusqu'ici évité le contrôle des changes stricto sensu, mais nous avons multiplié les interventions dans le domaine du commerce privé de façon à la fois grave, mesquine et avilissante. On a justifié les quotas sur l'importation du pétrole, les quotas sur la viande, et je ne sais combien d'autres restrictions en prétendant qu'ils constituaient les seuls moyens de «sauver» le commerce extérieur. Les limitations mesquines des devises accordées aux touristes ont pris le même prétexte, ainsi que nos négociations navrantes pour la mise en vigueur de quotas « volontaires» sur les importations en provenance de Hong-Kong, de Singapour et du Japon. Le chapeau à la main, nos hauts fonctionnaires sont allés en France, en Allemagne et ailleurs, plaider pour un remboursement accéléré des prêts et achats préférentiels de produits américains. Nous avons exigé que les pays qui bénéficient de l'aide accordée à l'étranger achètent des produits américains, leur donnant ainsi d'une main pour reprendre de l'autre. Nous avons prêché le libre-échange et pratiqué les restrictions. Et dernièrement, nous nous sommes même prononcés en faveur de contrôles « volontaires » sur les prêts effectués par les banques et sur les investissements réalisés par les entreprises. Et ce n'est pas près d'être fini 1• Malgré tous ces efforts, nous ne sommes pas parvenus au résultat souhaité. Le schéma connu de la fixation des prix s'est répété d'innombrables fois. Laissez le prix fixé s'écarter un tant soit peu du prix qui se serait imposé sur le marché, et il faudra des efforts surhumains pour s'y maintenir. En conséquence, nous avons été amenés à adopter le dernier mécanisme d'ajustement possible, c'est-à-dire la modification des taux de change. Nous professons le maintien de la rigidité du taux de change, mais, dans la pratique, nous l'avons déprécié de manière sélective. Cette attitude se résume dans la taxe d'égalisation. Sous 1. En janvier 1968, le président des États-Unis rendit obligatoires ces restrictions, ce qui revenait en fait à instituer un contrôle des changes et demander au Congrès de voter des limitations dans l'octroi de devises aux touristes.
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prétexte d'acheter des devises étrangères, le dollar a été dévalué de 15 %, et une nouvelle dévaluation a été proposée. Notre programme de réduction des échanges extérieurs ayant trait aux dépenses militaires est du même ordre: nos autorités militaires ont reçu l'ordre de comparer le coût en dollars, au taux de change officiel, de l'achat d'un article à l'étranger avec le coût de l'achat du même article aux États-Unis. Si le coût aux ÉtatsUnis dépasse le coût à l'étranger de moins de X %, l'achat doit être effectué chez nous, paradoxalement pour épargner le dollar. Je ne sais pas à quoi correspond X, mais je devine qu'il s'agit d'un pourcentage élevé, quelque chose comme 50 %. Le rétrécissement drastique de l'aide extérieure en fournit un autre exemple. Nous nous moquons des pays d'Amérique latine qui ont multiplié les systèmes de taux de change, mais nous avons fait la même chose, en prenant bien garde que cela ne se sache pas. Il existe une solution satisfaisante, et c'est la seule: il faut abolir la fixation des prix par le gouvernement, laisser les taux devenir des prix de marché libre et, d'une manière générale, maintenir tout simplement le gouvernement à l'écart de la scène. Supposons que, dans un tel système, à un cours de 2,80 la livre, la quantité de dollars que les gens veulent utiliser pour acheter des livres (afin de les dépenser, de les prêter ou de les distribuer) soit plus importante que celle que les détenteurs de livres souhaitent s'approprier. Les acheteurs les plus empressés offriront de payer davantage, et le prix de la livre enchérira. A mesure que son cours s'élèvera, les acheteurs de livres seront découragés - l'élévation du cours de cette devise signifiant une augmentation des prix des biens achetés à l'étranger, traduits en termes de dollars - et les vendeurs de livres seront encouragés - cette hausse signifiant pour eux qu'ils peuvent acheter davantage de biens et services américains avec un montant donné de livres. A un cours quelconque, disons 3,08 dollars, le nombre de dollars offerts correspondra au nombre de dollars demandés. Cette hausse de 10 % du prix de la livre infléchira le coût des produits américains et anglais pour les deux nations respectives, exactement comme l'aurait fait une
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baisse des prix de 10 % aux États-Unis sans changement de prix en Grande-Bretagne, ou encore une hausse des prix de 10,% en Grande-Bretagne sans changement de prix aux Etats-Unis. Mais il serait beaucoup moins gênant de modifier les taux de change, de 10 % que de subir une baisse générale des prix aux Etats-Unis. Pourquoi ne pas laisser à un prix unique - très flexible celui-là - le soin d'opérer l'ajustement, au lieu de multiplier les modifications de prix internes, avec tout ce que cela implique comme contraintes et comme effets marginaux? Pourquoi ne pas laisser le chien remuer la queue, au lieu de laisser la queue remuer le chien? Comme cet exemple le montre, un système de change fluctuant élimine complètement le problème de la balance des paiements - exactement de la même manière que sur le marché libre il ne peut y avoir de pénurie ou d'excédent, dans la mesure où les vendeurs agressifs sont dans l'incapacité de trouver des acheteurs, et inversement. Le prix peut connaître des fluctuations, mais ne peut entraîner de pénurie ou d'excédent suffisamment fort pour provoquer une crise des échanges extérieurs. Les taux de change fluctuants mettraient fin au~ graves problèmes qui exigent que les secrétaires d'Etat au Trésor et les gouverneurs se réunissent de plus en plus souvent, pour tenter de mettre sur pied des réformes radicales. Ils mettraient également un terme aux crises accidentelles qui obligent les hauts fonctionnaires à courir frénétiquement d'une capitale à l'autre, aux appels téléphoniques au milieu de la nuit entre les banques centrales qui, pour soutenir leurs monnaies respectives, sont condamnées à aligner les prêts. En réalité, ceci constitue précisément la raison pour laquelle on se déclare généralement opposé aux taux de change fluctuants. Toutes ces personnes qui assument des responsabilités monétaires sont des gens importants, persuadés qu'ils participent à des activités de la plus haute importance. Il est impossible, pensent-ils, que ces graves préoccupations soient uniquement liées à la fixation des taux de change et, par conséquent, il faut être un simple d'esprit pour voir que la libération des taux de change éliminerait les problèmes. C'est pourtant le raisonnement que se tenaient les conseillers associés engagés dans le contrôle des prix et Erhard, ce fameux été
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1948. C'est la raison pour laquelle il supprima le contrôle des prix un dimanche, alors qu'il n'y avait personne dans ses bureaux pour contredire ses décisions. Dans un système de taux de change fluctuants, le problème des liquidités disparaît. Les réserves de devises officielles deviennent inutiles, puisque les particuliers peuvent y pourvoir, exactement de la même manière que lorsqu'il s'agit de biens échangés sur le marché libre. Si un mouvement quelconque des taux de change semble provisoire, il sera dans l'intérêt des détenteurs privés de devises de l'amortir par la spéculation, et on peut compter sur eux pour le faire. Avec des taux de change fluctuants, nous pourrions donc mettre un terme aux négociations décevantes et inefficaces pour la mise en place d'un nouveau système monétaire international, négociations qui, de toute façon, sont condamnées à l'échec. Et, mieux encore, nous pourrions abandonner sur-le-champ la taxe d'égalisation et les contrôles de change sous le manteau. Par-dessus tout, les taux de change fluctuants nous permettraient de distinguer les différentes questions et d'assurer les différents volets de notre politique nationale sur des bases solides. Les politiques monétaires et budgétaires pourraient s'orienter vers la recherche de la stabilité interne, sans pour autant être obsédées par le problème de la balance des paiements. Nous pourrions décider du montant de l'aide à accorder à l'étranger en considérant nos ressources et nos capitaux, au lieu de nous obstiner sur les termes monétaires dans lesquels elle s'exprime. Nous pourrions ordonner aux autorités militaires d'acheter sur le marché le plus avantageux et de limiter les coût réels au minimum, au lieu de les soumettre aux instances qui règnent sur le commerce extérieur. Nous pourrions conduire la politique étrangère à la lumière de nos véritables intérêts nationaux, au lieu de nous occuper des conséquences des flux d'or. Sur le plan du commerce extérieur, nous pourrions abandonner l'attitude du mendiant pour nous comporter comme une grande nation, en nous tournant délibérément vers la libéralisation des échanges sans nous préoccuper des problèmes de balance de paiements. Ce dernier point exige sans doute une légère digression. A mon avis, le fait que l'intérêt du libre-échange
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