CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
« LIBRE
~CHANGE»
COLLECTION FOND~E PAR FLORIN AFTALION ET GEORGES GALLAIS-HAMON NO...
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
« LIBRE
~CHANGE»
COLLECTION FOND~E PAR FLORIN AFTALION ET GEORGES GALLAIS-HAMON NO ET DIRIG~E PAR FLORIN AFTALION
CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
JACQUES GARELLO BERTRAND LEMENNICIER HENRI LEPAGE
Presses Universitaires de France
IS BN 2 13 043292 1 IS SN 0292 - 7 020 Dépôt 1égal - 1 rc édition: 1990. juin
© Presses Universitaires de France. 1990 108. boulevard Saint-Germain. 75006 Paris
SOMMAIRE
Introduction, 1 1.
Pourquoi les syndicats? 5 L'argument de l'assym~trie de pouvoir, 6 - L'argument de l'ind~termination des salaires, 15 - L'argument du pro~ social, 21 - L'argument du pouvoir d'achat, 24 - La vraie fonction des syndicats: des groupes de pression i vocation redistributive, 27 - La fécondit~ de l'hypoth~e &onomique, 42.
2.
Les syndicats sont-ils utiles? 59 Les arguments de Freeman et Medoff, 61 - Les déficiences de l'analyse de Freeman et
Medoff,70.
Annexe: Pourquoi le déclin du syndicalisme? 90.
3.
Droit du travail ou droit au travail? 93 Le contrat de travail et le droit de propri~t~ sur soi, 95 - Le droit du travail contre le contrat de travail, 100 - Le droit du travail contre le marché du travail , 106.
4.
Les crises, le chômage et les syndicats, 123 Le principe de la loi de Say, 125 - La loi de Say et la monnaie, 143 - Le chômage et la greve, 155.
Annexe: Le travailleur « propriétaire » de son emploi? 170.
5.
Les syndicats et la démocratie, 173 La politisation syndicale, 174 -Faire pression pourquoi? 176 - Faire pression comment? 180 - L'arme absolue du pouvoir politique syndical, 183 - La d~mocratie recule avec les conquêtes syndicales, 185 - Le syndicat, firme managériale ? 188 - Les syndiqués sont-ils satisfaits? 192 - Les syndiqués sont-ils complices? 195 - Les syndicats au cœur de la crise de la démocratie, 197.
Bibliographie, 201 Table analytique, 211
Introduction
Cet ouvrage n'est pas contre les syndicats. Il s'agit d'un livre sur les syndicats. Son objectif est de comprendre, d'interpréter, d'expliquer non seulement le comportement des syndicats et des syndiqués, mais également l'ensemble des traits institutionnels qui caractérisent le monde des syndicats et des rapports syndicaux. Que sont-ils? Que font-ils? Pourquoi le font-ils? Quelles sont les conséquences pour les travailleurs, les consommateurs, la vie économique, le fonctionnement de la démocratie, etc., telles sont les questions que ce livre projette d'aborder à la lumière de l'analyse économique. Il n'y a pas de sujet plus polémique et chargé d'émotions que le rôle des syndicats. Gare à celui qui ose remettre en cause les dogmes de l'idéologie syndicale et contester le caractère positif de leur apport. Il se retrouve immédiatement banni comme un infâme « réactionnaire». Les syndicats ont su utiliser l'émoi suscité par le souvenir des misères anciennes pour faire passer dans l'opinion publique l'image d'un syndicalisme dont l'action s'identifie prioritairement à la lutte pour plus de justice. Le résultat est que toute attaque à son encontre est aussitôt assimilée à un acte rétrograde dont la seule finalité ne peut être que de maintenir les privilèges des uns: et donc la misère des autres.
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INTRODUCfION
Pour échapper à cette langue de bois, nous avons choisi de passer les syndicats et l'action syndicale au crible du raisonnement économique. Nous pensons que l'analyse économique est une science et que sa rigueur permet d'éviter les écueils de la subjectivité humaine. Sa grande vertu est de contraindre à penser clairement. La fonction de l'analyse économique est de comprendre comment fonctionnent les marchés, y compris le marché du travail. Comment les salaires, mais aussi les heures et les conditions de travail, sont-ils déterminés? Quels sont les effets de l'interférence des syndicats et du gouvernement dans le fonctionnement du marché du travail? Quelles sont les conséquences de l'action syndicale sur l'évolution du niveau de vie, la productivité, la bataille pour l'emploi, les grandes évolutions macroéconomiques? Notre propos n'est pas d'approuver ou de condamner les syndicats, de les encenser de nos louanges ou, au contraire, d'y voir automatiquement le diable; mais d'apporter à ces questions des réponses aussi dépourvues que possible de toute passion partisane. Notre règle sera autant que faire se peut celle de l'impartialité scientifique. Bien sûr nos conclusions seront contestées. Mais nous ne craignons pas les critiques. Au contraire, nous nous en réjouissons si le débat permet d'avancer dans une meilleure connaissance des faits et des théories. Notre livre est le résultat d'un effort d'analyse rationnelle aussi honnête et sincère qu'il est possible d'espérer. Nous attendons de ceux qui ne seront pas d'accord avec nos interprétations et nourriront la polémique d'en faire au moins autant. Beaucoup d'ouvrages ont déjà été écrits sur les syndicats. Le sujet a été abordé sous ses angles les plus divers. Les analyses économiques, sociologiques, historiques, psychologiques, politiques des syndicats couvrent des rayons entiers de bibliothèques. Alors pourquoi encore un livre? Pour la raison simple que, quels que soient son volume et sa qualité, le bilan de cette littérature n'est en réalité guère satisfaisant. Il s'agit le plus souvent de livres purement factuels, ou simplement des panégyriques. On n 'y trouve guère d'essai d'explication réellement objectif du fait syndical et de son rôle dans nos sociétés occidentales. Que les auteurs soient de droite ou de gauche, aucun ne songe à remettre en cause l'idée que les syndicats se justifient par le besoin de « rééquilibrer» les relations entre employés
INTRODUCI'ION
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et employeurs. Tous partent du postulat implicite que le syndicalisme est le nécessaire contrepoids aux «excès du capitalisme». La sympathie naturelle que chacun éprouve pour les plus malheureux conduit à la répétition automatique de dogmes que personne ne songe plus à discuter - même lorsqu'on peut, par le seul raisonnement logique, démontrer qu'ils sont par essence profondément discutables. Nous pensons qu'il est nécessaire de remettre un peu d'ordre dans cette pensée. En quelque sorte de tout reprendre à zéro. C'est ainsi que nous n'hésiterons pas à reposer les questions les plus élémentaires quant à l'existence des syndicats. En revanche, notre livre n'est pas un commentaire sur l'actualité des syndicats en France, ou dans les autres pays. Les faits, les tendances n'apparaîtront qu'à l'occasion de développements théoriques dont ils confirment, ou infirment le contenu. La science économique a beaucoup progressé au cours des dix ou vingt dernières années. De nombreux concepts ont été introduits qui changent souvent radicalement la perception que l'on a de l'existence de certaines institutions. Ces nouvelles analyses ont été appliquées à la critique de l'État et des réglementations publiques. Elles ont révolutionné la théorie des phénomènes de concurrence. Elles conduisent à jeter un tout autre regard sur de nombreuses structures et pratiques industrielles généralement condamnées par les pouvoir publics. Elles conduisent enfin à reconsidérer un certain nombre de thèses sociologiques traditionnelles. Notre objectif est de démontrer que le modèle d'analyse économique des syndicats est aujourd'hui vraisemblablement le plus fécond de tous les schémas d'interprétation. C'est celui qui, à partir d'une théorie relativement simple et cohérente, permet de rendre compte du plus grand nombre de phénomènes observés. De tous les paradigmes concurrents pour comprendre le monde syndical, c'est en quelque sorte le plus «enveloppant », le plus «englobant ». Cela ne suffit peut-être pas pour établir la preuve de sa « vérité». Mais c'est un pas sdentifique important qui a été ainsi accompli, et qui méritait, selon nous, d'être porté à la connaissance du public français. Ce livre est découpé en cinq chapitres, qui sont autant de questions fondamentales que tout homme honnête doit se poser pour se
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INTRODUcrION
faire une opinion personnelle sur les syndicats et leur influence dans le monde moderne.
Première question: Pourquoi les syndicats? Si les syndicats sont là, ce n'est pas par hasard. Les institutions n'apparaissent jamais par hasard. Elles répondent à un besoin. Lequel? Qui donc a besoin des syndicats et pour quoi faire? Deuxième question: Les syndicats sont-ils un bien ou un mal? Que rapportent-ils réellement aux salariés? Quelles conséquences entraînent-ils au niveau de la gestion et de la compétitivité des entreprises? Ont-ils une influence positive sur l'emploi, sur les salaires, la productivité ... ? Troisième question: Pourrait-on se passer des syndicats? Le mouvement syndical a joué un rôle essentiel dans le développement des procédures de négociation collective, ainsi que dans l'élaboration d'un système complet de droit du travail. Qu'est-ce que les citoyens en retirent? Quels sont ceux qui en bénéficient? Quatrième question: Quels effets l'action syndicale a-t-elle au niveau macroéconomique? Les syndicats sont-ils facteurs de croissance? Permettent-ils d'obtenir des niveaux de vie plus élevés? Contribuent-ils à accroître l'emploi et à limiter le chômage? La grève est-elle vraiment utile? Cinquième question: Peut-on contrôler l'action syndicale? Si l'on doit recourir aux syndicats, cela leur donne-t-il un pouvoir absolu? Qui va faire contrepoids aux leaders syndicaux: la base, ou le pouvoir politique? La réponse à ces questions, c'est dans l'analyse économique que nous proposons de la trouver. Science des choix, science des comportements, science des intérêts, l'économie nous renseigne sur la façon dont les actions humaines conduisent à des résultats plus ou moins attendus par les individus concernés. Elle nous oblige à aller au-delà des apparences pour comprendre ce qui se passe en profondeur. C'est ce que nous avons essayé de faire.
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Pourquoi les syndicats?
Quel est le rôle, la fonction des syndicats? La réponse paraît simple. Les syndicats sont là pour protéger les travailleurs contre les «excès du capitalisme ». Il s'agit en quelque sorte de «rééquilibrer» le pouvoir des employeurs sur leurs employés. Grâce à cette action bénéfique des syndicats, les travailleurs bénéficient aujourd'hui d'un salaire et d'un niveau de vie plus élevés. Tel est le stéréotype que nous avons l'intention d'analyser. La vérité est plus prosaïque. Les syndicats ne sont pas autre chose que des « cartels» qui cherchent à obtenir le contrôle monopolistique du marché du travail pour avantager leurs membres. Cette hypothèse permet d'expliquer un grand nombre de traits caractéristiques de notre univers institutionnel contemporain. Dans un premier temps nous montrerons les limites des justifications habituellement données à l'existence et à l'action des syndicats. Nous décrirons ensuite la logique cartellisatrice des organisations syndicales et nous passerons en revue la liste des moyens dont elles disposent pour réussir. Nous verrons alors comment celle-ci permet de mieux comprendre la nature cachée d'un certain nombre d'institutions et de comportements sociaux contemporains. Pour terminer, nous verrons comment l'approche économique moderne permet également de dire un certain nombre de choses sur
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
l'organisation et la structure des mouvements syndicaux qui recoupent d'assez près l'expérience présente et passée. Notre conclusion est que les justifications généralement invoquées par l'idéologie syndicale traditionnelle reposent sur d'énormes erreurs de raisonnement, ainsi que sur des artifices de langage dont la seule fonction est de nous empêcher de penser. Toute organisation a besoin d'un discours qui la légitimise, tant aux yeux de ses militants que pour l'opinion publique. De même qu'une personne ne fait pas toujours ce qu'elle dit, une organisation humaine ne remplit pas nécessairement le rôle qu'elle se donne et que les gens portent habituellement à son crédit. Le mérite de l'analyse économique est d'aider à faire le tri entre ce qui est vrai et ce qui relève seulement de la langue de bois. C'est ce que nous allons essayer d'appliquer.
L'ARGUMENT DE L'ASSYMÉTRIE DE POUVOIR
L'argument central généralement utilisé pour justifier l'existence des syndicats concerne la relation « assymétrique» qui caractériserait les rapports entre l'employé (seul, isolé, et donc impuissant) et son employeur (riche, donc puissant). Le syndicat, en permettant aux travailleurs de «faire bloc», renverserait les termes de cette assymétrie. Il éviterait ainsi que les patrons continuent d'« exploiter» leurs salariés. Cet argument est abondamment repris dans toute la littérature. On le trouvait déjà chez le père fondateur de l'économie politique, Adam Smith: Le prix habituel du travail dépend partout du contrat passé entre deux parties dont les intérêts ne sont pas les mêmes. L'employé désire obtenir le plus possible, l'employeur donner le moins possible. Le premier est prêt à créer une entente pour élever le salaire, le second est prêt à faire de même pour baisser le salaire ... Ce n'est pas difficile, en conséquence, de deviner laquelle des deux parties aura l'avantage dans ce conflit ... Les employeurs, peu nombreux, peuvent s'entendre aisément; et la loi n'interdit pas ces conspirations, alors qu'elle le fait pour les travailleurs ... le propriétaire terrien, l'agriculteur, un industriel, un commerçant, même
POURQUOI LES SYNDICATS?
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s'il n'emploie pas qu'un seul ouvrier, peuvent vivre une année ou deux sur leurs stocks qu'ils ont déjà acquis. Beaucoup de travailleurs ne peuvent subsister une semaine, quelques-un un mois, et rarement une année sans emploi [1741" .
L'un peut tout, l'autre ne peut rien
Quelques années plus tard, l'économiste français Jean-Baptiste Say écrivait: Le maître et l'ouvrier ont bien également besoin l'un de l'autre puisque l'un ne peut faire aucun profit sans le secours de l'autre; mais le besoin du maître est moins immédiat, moins prenant. Il en est peu qui ne puissent vivre plusieurs mois, plusieurs années même, sans faire travailler un seul ouvrier; tandis qu'il est peu d'ouvriers qui puissent, sans être réduits aux dernières extrémités, passer plusieurs semaines sans ouvrage. Il est bien difficile que cette différence de position n'influe pas sur le règlement du salaire [168].
On retrouve l'idée exprimée en toutes lettres dans de nombreux textes officiels ayant rapport à la législation du travail. Par exemple dans le Rapport du Sénat américain qui a précédé le vote du Noms La Guardia Act de 1932 : Un simple travailleur isolé, confronté à une telle concentration du pouvoir de l'employeur, et qui doit trouver du travail pour se nourrir lui et sa famille, est absolument sans secours pour négocier ou espérer influencer le salaire, le nombre d'heures de travail et les conditions d'emploi (161).
Cette inégalité justifierait la légalisation des ententes entre travailleurs. En se regroupant en syndicats, les travailleurs limiteraient les inconvénients de leur dispersion et de leur isolement. Au Big Business s'opposerait ainsi le Big Labour. En remplaçant la négociation individuelle des contrats par des accords collectifs, l'intervention des syndicats rétablirait un plus grand, et plus juste équilibre. Grâce au syndicat, acteur collectif, le travailleur ne ser~it
• Les
chiffres entre crochets reportent i la bibliographie en fm d'ouvrage.
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plus un être sans défense; mais un homme ayant retrouvé sa pleine dignité. Ainsi exprimée, cette justification paraît aller de soi. Rares sont ceux qui songent à la contester, Nous paraissons tous convaincus que, sans la puissance des syndicats, bien des ouvriers en seraient encore aux salaires de misère de leurs grands parents. En modifiant la distribution des revenus, l'existence des syndicats aurait empêché que les «capitalistes» ne gardent pour eux tous les gains de la croissance. Tel est le dogme que notre langage véhicule quotidiennement en décrivant les syndicats comme «le moteur» du progrès sodai. Une étude attentive de sa structure interne révèle cependant que cet argument repose en réalité sur des bases conceptuelles fragiles et contestables. Première affirmation: Le marché libre se traduirait par une sorte de « conspiration Il des employeurs pour maintenir les salaires d leurs niveaux les plus bas. Si c'était vrai, on ne voit pas très bien comment les salaires réels auraient progressé comme ils l'ont fait depuis la révolution industrielle. Les marxistes répondent que c'est prédsément parce qu'il y a des syndicats que les masses populaires ont arraché aux coalitions patronales les progrès de niveau de vie qui leur ont fait franchir le simple seuil de survie. Mais encore faudrait-il trouver les preuves effectives de l'existence de tels cartels. Or les historiens spédalistes de l'économie du XIxe siècle reconnaissent que jusqu'aux dernières années du siècle, lorsque l'intervention de l'État dans l'économie a commencé à se généraliser, les cartels étaient rarissimes. L'industriel de cette époque, conformément à l'image des manuels, était un individualiste forcené. Les seuls cas de cartellisation recensés s'expliquaient comme des réponses à des mouvements de grèves violentes. Et l'on a d'amples preuves qu'à l'époque les premiers à se plaindre de l'insuffISante cartellisation de leurs employeurs étaient les syndicats ouvriers eux-mêmes (désireux de se défendre contre la concurrence des ouvriers non syndiqués et de tous ceux qui étaient prêts à accepter
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un salaire moindre pour obtenir leur ticket d'entrée sur le marché du travail) [88-89]. Cette idée qu'un marché libre confère aux employeurs une sorte de super-pouvoir de négociation et de décision est le reflet d'une incapacité à comprendre que le libre jeu de la concurrence privée est encore le plus efficace des contrepoids à toute forme de pouvoir. L'hypothèse avait une certaine cohérence lorsque les économistes du XIXe siècle croyaient encore à la vieille loi d'airain des salaires, dictée par la théorie classique du « salaire naturel» (Malthus, Ricardo). Elle avait sa place dans la théorie dite du « fonds de salaire», élaborée par Stuart Mill. Mais elle n'a plus aucune signification dès lors que ces théories ont été abandonnées, non seulement parce qu'elles ne s'appliquent plus à notre univers industriel moderne, mais aussi et surtout parce que la « révolution marginaliste» a démontré qu'elles étaient tout simplement fausses. Le
travatl n'est pas une« denrée» homogène
Lorsque, à défaut d'incriminer l'action de véritables cartels, on se rabat sur l'hypothèse qu'il y aurait une sorte de « coalition implicite », ce que l'on exprime n'est pas autre chose que la vérité d'évidence selon laquelle, dans une société qui reconnaît et garantit la liberté d'entreprendre, les employeurs ne paieront pas leurs employés plus que ce qu'ils croient nécessaires de leur offrir pour obtenir qu'ils viennent travailler dans leur entreprise plutôt que chez les concurrents. On retrouve la loi de la productivité marginale; en économie de marché le taux de salaire s'établit nécessairement entre deux limites: d'une part, la limite supérieure fixée par le prix que l'entreprise pense obtenir du supplément de biens vendables qu'elle compte tirer de l'emploi du travailleur considéré; d'autre part, la limite inférieure posée par les offres des employeurs concurrents, eux-mêmes guidés par des considérations analogues, et en dessous de laquelle l'offre de travail décroîtrait au point de rendre impossible la production envisagée. Ce que certains interprètent comme la manifestation d'une « entente implicite» - à savoir: que dans toutes les entreprises
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concurrentes les salaires offerts soient à peu près les mêmes - n'est que le produit de la contrainte naturelle qu'impose aux entrepreneurs le fait que le travail est une ressource rare et que les entreprises sont elles-mêmes en concurrence entre elles pour s'arracher le concours des travailleurs dont elles ont besoin. Cene contrainte est aujourd'hui d'autant plus lourde et sévère que le travail est lui-même loin d'être une ressource homogène et indifférenciée : il n'y a pas « un marché» du travail, mais une multiplicité de rnicro-marchés connectés les uns aux autres par la concurrence que se font les groupes professionnels pour recruter et former ceux qui arrivent dans la vie active. S'il existe quelque part une conspiration « implicite », c'est celle de la concurrence dont les effets s'exercent dans un sens exactement opposé à celui décrit par la doctrine de l'exploitation monopoliste des travailleurs; et cela parce que, ainsi que le souligne von Mises: « La rareté du travail est plus forte que la rareté de la plupart des facteurs primaires de production, ceux fournis par la nature» 11311. Deuxième affirmation : Le candidat tl un emploi est par déftnmon
un Dire dAsarmé qui ne peut survivre que s '11 arrive tl vendre son travail tl n'importe quel prix, aussi bas soU-il, car 11 n'a pas d'autre moyen de subststance. L'image a un contenu émotionnel intense, et donc mobilisateur. Elle est directement héritée des théories économiques classiques du xrxe siècle, reconnues comme fausses depuis maintenant plus de cent ans. A cela plusieurs répliques. Si vraiment le travailleur était aussi dépourvu de réserves, si son sort était aussi misérable qu'il ne peut survivre sans s'employer à n'importe quel prix, le chômage ne devrait pas exister puisque tout chômeur serait contraint d'acccepter n'importe quel travail, à n'importe quel salaire, aussi bas soit-il. Paradoxalement, la présence de chômeurs même dans des sociétés sans protection sociale, est en soi une indication de ce que les choses ne se passent pas comme elles sont décrites; un indice que le pouvoir de l'employeur n'est pas aussi illimité que la théorie le suppose.
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Un vol de concept
Si l'hypothèse était vraie, la population ouvrière devrait être particulièrement immobile, tant professionnellement que géographiquement. Or les études historiques montrent que la mobilité ouvrière a toujours été loin d'être négligeable, même à l'époque où l'exploitation capitaliste est supposée avoir atteint son apogée. L'exploitation du travailleur, nous dit-on, vient de ce que rien ne le protégeant contre une menace de licenciement, il se trouve contraint d'accepter les offres de son employeur, même lorsqu'il lui propose un taux de rémunération inférieur à celui du marché - alors que le propriétaire d'une ressource tangible peut se défendre en retirant son offre, et attendre des jours meilleurs. Dans ces conditions, l'action syndicale, et notamment la grève (c'est-à-dire l'équivalent de la rétention d'offre), représenterait le moyen de rétablir l'équilibre et de remettre celui qui apporte son travail à égalité de condition avec les autres apporteurs de facteurs de production. Ce raisonnement a une certaine valeur au niveau « microéconomique ». Bien que tous les travailleurs ne se trouvent pas nécessairement dans les situations identiques, il est possible d'imaginer l'existence de situations de ce genre. Les syndicats ont alors un rôle incontestablement positif à jouer dans l'entreprise pour attirer l'attention des employeurs sur les cas sociaux les plus significatifs, et assurer leur défense. Le syndicat est une institution qui permet de compenser les handicaps personnels subis sur le marché du travail par ceux qui sont les plus faibles et les plus démunis. Mais il ne faut pas en tirer tpso facto la conclusion que ce qui est vrai au niveau « micro» l'est nécessairement au niveau « macro» ; autrement dit, que les syndicats sont l'institution qui permet de compenser les handicaps de l'ensemble des apporteurs de travail «en général », et donc leur permet de ne plus se faire exploiter collectivement. La raison est simple. La menace de licenciement ne joue que sur des individus ou de petits groupes. Elle ne peut s'appliquer à l'ensemble de la classe ouvrière. Les employeurs ne peuvent pas
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licencier tous leurs employés pour les contraindre à accepter des salaires plus bas. Il n'y aurait tout simplement plus de produit, et plus d'entreprise. Invoquer la défense et la protection que, dans l'entreprise, le syndicat apporte à certains, pour généraliser et prétendre que la présence des syndicats est ce qui, dans une économie de libre entreprise, empêche les patrons de réduire les salaires au plus bas, est donc rien moins qu'absurde. Il s'agit d'une proposition qui n'a aucun fondement. Elle résulte d'une manipulation logique bien connue : on prend une proposition qui est vraie dans un certain contexte, et on l'étend à un autre contexte, qui présente des similarités apparentes avec le premier, mais où la proposition avancée devient inapplicable. C'est ce qu'on appelle un «vol de concept». Toute l'astuce du syndicalisme est de prêter aux syndicats une fonction - la protection des travailleurs (en général) contre leur exploitation par les employeurs (en général) - qui, dans la réalité, est assurée par le système concurrentiel; c'est-à-dire la concurrence des employeurs entre eux pour acquérir les facteurs de production, et notamment le volume et la qualité de travail nécessaires à la réalisation de leurs projets. Troisième affirmation: les employeurs sont totalement maftres des condtttons tntroduUes dans le contrat de travatl. Notons par ailleurs le caractère contestable de concepts aussi vagues et confus que ceux d'« égalité» ou d'« inégalité », appliqués aux rapports contractuels entre employeurs et employés. Si les partenaires étaient vraiment «égaux », si l'idéal était d'obtenir que l'un et l'autre aient vraiment le même pouvoir de négociation, le produit des activités productives serait réparti «à égalité» entre les deux partenaires. Ce qui est absurde. Un produit ne peut pas faire l'objet d'autant de partages à 50/50 qu'il y a de salariés. On retrouve un autre cas de «vol de concept» où une relation qui a un sens dans une situation donnée Ge face à face de deux individus dans une négociation) est généralisée, par un faux mouvement d'abstraction à un cas de figure qui n'a plus aucune signification: le passage du face à face entre un employeur X et un travailleur Y à la
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relation « abstraite» entre un employeur «en général» et un employé « en général ». Ainsi que le souligne le regretté professeur William Hutt, il s'agit d'artifices de langage «dont la seule fonction est de nous empêcher de penser» [88). Il est exact que le salarié, en tant qu'individu, n'a qu'une influence négligeable sur les clauses du contrat qui le lient à son employeur. Mais cela ne signifie pas que ce dernier a le pouvoir d'imposer à ses employés n'importe quelle clause, le salarié n'ayant le choix qu'entre obéir et mourir de faim.
Ne pas confondre le général et le particulier Prenons le consommateur. Individuellement, il n'a pratiquement aucun pouvoir pour modifier les dédsions des fabricants sur le choix des produits, leur qualité, leur présentation commerciale, etc. Les producteurs, du fait de la concurrence, ne sont pas pour autant libres de fabriquer n'importe quoi, au prix qui leur plaisent. Pour vendre, ils doivent fabriquer ce qui plaît au plus grand nombre. Les caractéristiques des produits résultent ainsi d'un processus complexe où interviennent les décisions d'innombrables personnes. Elles sont le produit de « phénomènes de masse» qui ne sont que peu susceptibles d'être modifiés par un individu isolé. Si le consommateur individuel est apparemment « impuissant» face au fabricant, il n'est pas plus libre de ses décisions que le consommateur n'a le pouvoir de les modifier. Il en va exactement de même sur le marché du travail. Ce n'est pas le demandeur d'emploi individuel, mais la masse des demandeurs d'emplois dont les préférences déterminent les termes du contrat de travail. Les employeurs ne demandent pas du «travail en général », mais des hommes aptes à accomplir le genre de travail dont ils ont besoin. De même que l'entrepreneur doit choisir pour ses ateliers l'implantation, l'équipement et les matériaux les meilleurs, il lui faut embaucher les travailleurs les plus efficaces. Il doit aménager les conditions de travail de façon à les rendre désirables au genre de travailleur qu'il souhaite plus particulièrement attirer.
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Il est exact que celui-ci, individuellement, n'a pas grand-chose à dire à propos de ces dispositions. S'il est d'usage de déjeuner entre midi et une heure, l'ouvrier qui, personnellement, préfère s'arrêter entre deux et trois heures, a peu de chances de voir sa préférence satisfaite. Mais, à l'inverse, s'il veut trouver sur le marché la spécialité et la qualité de main-d'œuvre qu'il recherche, l'employeur n'est pas libre d'imposer arbitrairement n'importe quel règlement interne. La «pression sociale», à laquelle l'individu pris isolément est ainsi soumis, n'est pas le fait de son employeur mais de ses collègues de travail. Pour les travailleurs pris individuellement, les clauses du contrat de travail sont évidemment un donné inaltérable, comme l'horaire de chemin de fer l'est pour les voyageurs individuels. Mais personne ne soutiendrait qu'en arrêtant leurs horaires les compagnies ne se soucient pas des désirs de leurs clients potentiels.
L'employeur ne peut pas imposer n'importe quoi Là encore l'erreur vient de ce qu'une relation qui est vraie au niveau de l'individu pris isolément, ne l'est plus dès lors que l'on passe à l'ensemble des personnes. On appelle cela un «effet de système». Il est paradoxal que ce soit précisément ceux qui, dans les milieux intellectuels, se réclament le plus de l'esprit systémique qui aient le plus de mal à comprendre ce genre de situation. Plus spécifiquement, le raisonnement économique permet de mieux comprendre pourquoi il n'est pas de l'intérêt de l'entrepreneur, en situation de marché concurrentiel, d'imposer à ses employés une relation de « maître à esclave». L'employeur n'est pas le «seigneur» de l'employé. Il n'a pas de « droit de propriété» sur lui. Il n'est qu'un acheteur de services. Il doit se les procurer au prix qui s'établit sur le marché. Certes, comme n'importe quel acheteur, il peut avoir ses humeurs. Mais s'il se permet d'être arbitraire dans sa façon de contrôler le travail de ses salariés, il devra en payer les conséquences car il compromettra la profitabilité de sa firme.
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Il n'est pas dans l'intérêt de l'employeur d'exercer un contrôle arbitraire sur l'embauche ou sur le temps et l'effort au travail, ou d'imposer des termes au contrat de travail qui aillent à l'encontre du libre arbitre de l'employé. En effet, l'entreprise, lorsqu'elle embauche de la main-d'œuvre, supporte deux séries de coûts: 1) un « coût fixe» qui correspond aux dépenses de prospection, d'embauche et de formation au savoirfaire spécifique de la firme ; 2) un « coût variable» qui résulte de l'intensité avec laquelle on utilise les services des salariés. Comme les coûts fixes diminuent avec la durée d'utilisation, il n'est pas de l'intérêt de la firme de prendre le risque d'inciter ses salariés à la quitter prématurément en leur imposant des contrôles trop capricieux, ou en les faisant trop travailler par rapport à leurs préférences spontanées. Son intérêt est notamment de s'efforcer de conserver à tout prix les salariés les plus anciens, qui ont acquis au cours des années une aptitude et une connaissance spécifiques liées à l'entreprise. Pour ce faire, une stratégie de « coopération» fondée sur le renforcement du loyalisme des salariés est préférable à toute politique de confrontation ouverte. Par exemple, pour réduire les départs, l'employeur peut proposer à ses salariés de mettre de côté une part de salaire différé qui ne leur sera versée qu'en fin de contrat, mais dont ils perdront le bénéfice s'ils quittent la firme. C'est le système des « pensions de retraite ».
L'ARGUMENT DE L'INDÉTERMINATION DES SALAIRES Le second grand argument est une variante modernisée et techniquement plus élaborée du précédent. Dans l'abstrait, nous disent les manuels, le taux de salaire se fixe là où la courbe de productivité marginale du travail coupe la courbe d'offre de travail (des travailleurs). Mais, ajoutent aussitôt leurs auteurs, la réalité est loin de se présenter sous cette forme ultra simple
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où l'intersection de deux courbes uniques se fait en un point déterminé. En fait, on a une famille de courbes d'offre et une famille de courbes de demande dont les intersections entraînent la possibilité de plusieurs taux de salaires. Tout ce que l'économiste est capable de dire a priori est que le taux de salaire doit s'établir à l'intérieur de certaines limites qui définissent une zone « d'indétermination ». Tout échange portant sur des biens et des services rencontre de tels problèmes d'indétermination. Il n'est que d'évoquer les marchandages qui se pratiquent dans les souks des pays d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Suivant les individus, leur personnalité, leur résistance psychologique, leur situation financière, etc., les prix auxquels on arrive en fin de négociation sont différents, et cela d'un jour à l'autre. Il n'en reste pas moins que ces questions d'indétermination, noyées dans la masse des transactions, sont considérées par les économistes, et avec raison, comme marginales et sans intérêt pour les problèmes qui les préoccupent. En revanche, dès lors qu'on parle de travail et de salaire, tout change. Les problèmes d'indétermination semblent reprendre une importance centrale. Et cela, nous laisse-t-on entendre, parce que le travail n'est pas une «marchandise» comme les autres, et que le « salaire» n'est pas non plus un prix ordinaire: le travailleur a absolument besoin de vendre sa force de travail pour vivre ; il ne peut pas attendre; il est faible, sans défense, sans réserves ... Le jeu est inégal. Cons~quence: même s'il existe une limite en dessous de laquelle l'employeur ne peut pas descendre, le déséquilibre dans la négociation fera que le salaire aura tendance à s'aligner sur le seuil le plus bas de la zone d'indétermination. D'où le rôle des «syndicats»: leur tâche, en rééquilibrant la négociation, est de ramener le taux effectif de salaire vers la limite supérieure. Leur fonction est en quelque sorte de veiller à ce que les employeurs versent bien à leurs employés un salaire égal à leur «productivité marginale».
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POURQUOI LES SYNDICATS?
On retrouve l'argument classique de 1'« imperfection» des marchés réels. Il appartiendrait à des organisations humaines de veiller à ce que le libre jeu de la concurrence conduise bel et bien aux résultats que postule la théorie de la concurrence pure et parfaite. Cene vision - que l'on retrouve même chez de nombreux auteurs pas particulièrement favorables aux syndicats - présente les mêmes défauts que la précédente, dont elle partage le point de départ. Mais s'y ajoute une seconde difficulté. L'analyse laisse entendre que le marché du travail serait un marché particulier pour lequel l'écart entre les bornes maxi et mini aurait toujours tendance à être relativement large, et où la convergence se ferait toujours vers le bas. Ne serait-ce pas plutôt l'inverse? Plus un marché est étroit, restreint à un petit nombre de personnes, plus le degré d'indétermination est grand. C'est une évidence. A la limite, lorsqu'il n'y a que deux échangeurs face à face, l'indétermination est totale. On peut obtenir n'importe quel prix. C'est la situation bien connue du « monopole bilatéral» (que la propagande marxiste étend de façon erronée - et inadmissible - au dialogue entre l'employeur et son employé). A l'inverse, plus le nombre de vendeurs et le nombre d'acheteurs en concurrence est grand, plus la zone d'indétermination se réduit du fait que le plus grand nombre de contrats permet de faire circuler une information plus complète sur les exigences des uns et la capacité à payer des autres. L'~largtssement
des marchés
r~dutt l'tn~termtnatton
En conséquence, s'il est vrai qu'autrefois le degré d'indétermination des salaires - et donc les possibilités d'« exploiter» la maind'œuvre - était parfois très large (exemple des communautés rurales dominées par la présence d'un seul employeur, à une époque où les communications étaient plus difficiles), on est en droit de penser que ce n'est plus autant le cas dans la société contemporaine. L'extension des sphères marchandes et monétaires y réduit le niveau de discrétion dont disposent les employeurs dans l'embauche de leur
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personnel, au fur et à mesure que la croissance des marchés élargit nos possibilités de choix et le nombre de personnes y prenant part. Par ailleurs, la doctrine de la manipulation monopolistique des taux de salaire par les employeurs raisonne comme si le travail était un bien «homogène ». Elle traite du travail «en général» et de l'offre de travail « en général». Mais, ainsi que nous l'avons déjà évoqué, de telles notions ne correspondent à rien dans la réalité. Ce qui est vendu et acheté n'est pas du travail «en général », mais du travail spécifiquement adapté à la production de certains services déterminés. Chaque entrepreneur cherche des travailleurs qui soient aptes à exécuter des tâches précises. Il doit soustraire ces spécialistes à des emplois où ils se trouvent déjà. Le seul moyen dont il dispose pour réussir est de leur proposer de meilleures paies et lou de meilleures conditions de travail qu'ailleurs. Résultat: les progrès de l'industrie moderne s'accompagnent d'une diversification et d'une spécialisation toujours plus poussées de la main-d'œuvre. Ils se traduisent par une rareté croissante. Le travail, celui dont l'entreprise a besoin, le travail de gens formés et compétents, devient bel et bien la plus rare de toutes nos ressources, le plus rare de nos facteurs de production, celui pour lequel la concurrence entre les producteurs est la plus vive (la preuve: la progression continue du pouvoir d'achat des salaires par rapport à toutes les autres grandes ressources de base). Admettons qu'il y ait bel et bien une zone d'indétermination. Plus la concurrence entre les entreprises acheteuses de travail sera forte, plus il y aura de chance pour que les salaires s'alignent sur la borne la plus haute de la zone. Et cela sans qu'il soit besoin de faire appel aux services d'un syndicat quelconque. Notre conclusion est ainsi que, si le «progrès social» n'est autre que l'élimination des facteurs d'« exploitation », c'est encore le progrès de la société marchande et concurrentielle qui en est le meilleur agent. Plus la civilisation industrielle et marchande progresse, plus les risques de manipulation monopolistique des taux de salaires se réduisent.
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Peut-on exploIter les patrons ? Pour les marxistes, l'exploitation ne se réduit pas à un comportement monopolistique dont l'objectif serait de verser des salaires plus bas. A leurs yeux, c'est tout le capitalisme qui est « exploitation» c'est-à-dire appropriation injuste par les capitalistes de la plus-value produite par le travail. Même le profit normal, acquis dans des conditions normales de concurrence, est le produit d'une extorsion. D'où une autre conception du syndicat dont le rôle serait d'aider les masses ouvrières à « récupérer» la propriété de cette plus-value qui leur est quotidiennement « volée » par les patrons. De l'influence du marxisme découle l'idée dérivée que, sans exproprier totalement la propriété capitaliste, les syndicats auraient pour fonction de récupérer, sous forme de salaires plus élevés, une part des profits qui vont au patronat. Grâce aux pressions que les syndicats exercent sur les entreprises les salariés d'aujourd'hui bénéficieraient d'un niveau de vie supérieur à celui qui aurait été le leur si le pouvoir syndical n'avait modifié le jeu spontané des forces du marché. C'est la thèse sociale-démocrate. Elle n'affirme pas que ce sont exclusivement les syndicats qui ont libéré les ouvriers de leur misère séculaire. Elle dit seulement que, s'il n'y avait pas eu les syndicalistes, les capitalistes auraient mis dans leur poche tous les gains de la croissance, et n'auraient rien laissé aux salariés pour améliorer leur pouvoir d'achat. Moyennant quoi, s'il n'y avait eu le pouvoir des syndicats, les salariés disposeraient encore aujourd'hui d'un pouvoir d'achat très inférieur à ce qu'il est devenu grâce aux « conquêtes historiques de la classe ouvrière ». Cette présentation n'est pas moins erronée que la thèse marxiste. Elle revient en effet à supposer que la caractéristique fondamentale du syndicalisme serait de créer une situation telle que les travailleurs auraient la capacité durable d'exploiter à leur tour l'autre facteur de production que représente le « capital ». Or une telle hypothèse résiste encore moins à l'analyse que l'inverse. Imaginons qu'une industrie ou un syndicat (ou une coalition de syndicats) réussisse à imposer au patronat le paiement de salaires plus élevés que la productivité. Les salariés « kidnappent» en quelque
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sorte une part du produit de l'activité conjointe qui aurait normalement été distribuée aux propriétaires des capitaux investis dans l'entreprise. Cette exploitation peut-elle durer? La réponse est non. A cause de la mobilité des capitaux. Elle varie selon les activités. Si elle n'est jamais infinie (instantanée), elle n'est jamais non plus égale à zéro. Une industrie où le taux de profit se révélerait durablement inférieur à ceux que les détenteurs de capitaux peuvent réaliser en plaçant leur argent ailleurs, est une industrie condamnée. Les propriétaires se dégageront peu à peu de leur investissement en cessant de réinvestir et de moderniser les équipements. Certes, cela prendra du temps (cf. la sidérurgie, les mines ... ). Mais, dans le long terme, aucun des facteurs de production associés ne peut indéfiniment « exploiter» l'autre. Il n'y a que dans une société socialiste, ou en voie de socialisation, qu'une telle chose est possible. Les nationalisations, en assurant l'élimination des actionnaires privés, permettent la continuation du processus d'exploitation du capital par les salariés, en se débarrassant des contraintes capitalistes de la rentabilité. Un exemple: l'Argentine
Il en est de même au niveau macroéconomique. Le précédent argentin, mais aussi l'exemple anglais (d'avant Madame Thatcher), prouvent qu'un mouvement ouvrier puissant ne peut pas « exploiter» durablement ses capitalistes sans provoquer à terme la ruine économique du pays. Des capitaux, qu'on ne rémunère pas à leur «juste» prix, désertent. S'ils ne le peuvent pas (pour cause de contrôle des prix), ils font comme les travailleurs que l'on sous-paie injustement: ils se mettent en grève! Le processus est plus subtil qu'une grève ouvrière: on investit dans les services, on spécule sur le bâtiment, les demeures de luxe, les œuvres d'art... Mais le résultat est le même : une perte d'efficience générale, la disparition de la croissance, stagnation, régression du pouvoir d'achat.
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Le cas argentin est le plus exemplaire. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'Argentine avait l'un des niveaux de vie les plus élevés du monde. En cinquante ans, le pays a régressé au niveau des pays sous-développés. La raison: le Péronisme, c'est-àdire le pouvoir aux syndicats.
L'ARGUMENT DU PROGRÈS SOCIAL
Troisième alibi syndical classique: les conditions de travail. Même s'ils reconnaissent que le progrès économique est le fruit des mécanismes « capitalistes », les partisans des syndicats insistent sur le fait que, laissé à lui-même, le capitalisme négligerait les facteurs sociaux, notamment tout ce qui concerne les conditions de travail. Pour eux, la longue liste des législations sociales introduites depuis la fin du XI:xe siècle est la preuve de ce que, si les conditions de travail n'ont plus rien à voir avec celles du siècle dernier, on le doit à l'intervention publique, ainsi qu'à la pression des syndicats. Là encore, il ne s'agit que d'un mythe. Même si, au niveau microéconomique de l'entreprise «en particulier », le syndicat joue souvent un rôle important dans la prise de conscience des problèmes qui se posent à la communauté de travail, et dans leur solution, on ne peut pas en déduire que cela est également vrai au plan macroéconomique. De nouvelles aspirations se développent. De plus en plus nombreux sont ceux qui ressentent négativement que l'entreprise ne traite pas ses salariés avec le même soin dont elle fait preuve pour choyer sa clientèle de consommateurs. A côté des traditionnelles revendications salariales apparaissent de nouvelles exigences. L'accent est mis sur les aspects « qualitatifs» de l'environnement physique au travail, sur la mise en place de nouvelles formes de rapports de pouvoir et d'organisation plus humaines, plus décentralisées et plus individualisées.
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L'essor du marketing social L'attitude des gens est généralement de considérer qu'il existe, de par la nature même de notre système de propriété, une liaison univoque entre l'économie de marché de type capitaliste et le développement d'une organisation du travail de type taylorienne, toujours plus parcellaire, toujours plus aliénante pour le travailleur. Ce qui conduit à conclure que la satisfaction de ces nouvelles aspirations est impossible tant que l'on reste en régime capitaliste - ou tout au moins tant qu'on ne donne pas aux organisations «représentatives» de la classe ouvrière la possibilité d'en amender le fonctionnement. Cette proposition n'est rien moins que fausse. Pour la simple raison que dans une économie de marché où la survie de l'entreprise passe par le profit, la concurrence est là encore, comme pour les biens marchands traditionnels, une contrainte dynamique qui impose à l'entrepreneur d'affecter une part croissante de ses ressources à la prise en compte de ces nouvelles demandes. Que se passe-t-il en effet lorsque le personnel d'une entreprise est de plus en plus mal dans sa peau, qu'il est de plus en plus insatisfait de ses conditions de travail, ou de son insertion personnelle dans les processus de décision? Des choses que tous les chefs d'entreprise connaissent bien: la main-d'œuvre est de plus en plus instable, elle manifeste une tendance à l'absentéisme plus marquée, cependant que la qualité du travail se dégrade. Ces phénomènes se répercutent sur le compte d'exploitation. Qui dit absentéisme, ou rotation anormale de la main-d'œuvre, dit aussi coûts de production plus élevés. Or, dans un univers concurrentiel, l'entreprise ne peut survivre que pour autant qu'elle cherche à obtenir les coûts les plus bas possible, en faisant la chasse aux économies. Parmi les économies possibles, il y a tout ce qui concerne l'innovation technique ou commerciale. Mais il y a aussi tout ce que pourrait produire une politique sociale destinée à éliminer - ou tout au moins à réduire -les surcoûts associés à l'absentéisme et aux phénomènes de même nature. En donnant à leurs salariés des conditions de travail mieux adaptées à leurs aspirations, en faisant ce que Octave Gélinier appelle du
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«marketing sodal », les entreprises peuvent agir sur cette source de coûts indus. Si son personnel est effectivement de plus en plus sensible à l'aspect qualitatif du travail et à son contenu, l'entreprise a de plus en plus intérêt à investir dans le marketing sodaI.
Ne pas prêter aux syndtcats ce qut revtent au capttaltsme Tout ce qui précède relève d'un mécanisme de marché tout à fait classique. Dans ce domaine, comme dans le domaine mieux exploré des biens marchands, la concurrence est la meilleure garantie de satisfaction du consommateur, même s'il s'agit de ce consommateur particulier qu'est le travailleur. Plus nous vivons dans un milieu concurrentiel, plus les travailleurs ont de chances de trouver dans l'entreprise ce qu'ils attendent. On rejoint, actualisée aux problèmes de la société contemporaine, la conclusion que le professeur Ludwig von Mises formulait avec force dans Human Action, au sujet des grandes « conquêtes soda les » de la fm du xnce siècle : Ce ne sont pas la législation du travail ni la pression des syndicats qui ont raccourci le temps de travail et retiré des ateliers les femmes mariées et les enfants. C'est le capitalisme, car il a rendu le salarié si prospère qu'il est en mesure de s'offrir davantage de loisir, pour lui-même et pour les siens. La législation du travail au XIx«' siècle n'a guère fait davantage que d'apporter la ratification de la loi :l. des changements que l'interaction des facteurs du marché avait préalablement introduits.
Les économistes, conclut ensuite Mises, nient catégoriquement que les syndicats et la législation ouvriériste des gouvernements aient été susceptibles et capables d'avantager durablement la classe entière des salariés et d'élever leur niveau de vie. Ce sont les succès et les mécanismes du capitalisme, et pas autre chose, qui ont non seulement rendu possible, mais aussi motivé l'introduction de bien de ces initiatives sociales que nous portons aujourd'hui au seul crédit de l'intervention du législateur ou des syndicats.
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L'ARGUMENT DU POUVOIR D'ACHAT Ultime argument: les syndicats ont au moins un avantage ; en contraignant les entreprises à payer des salaires plus élevés, même si ces salaires ne sont pas financés par un surcroît de productivité, mais par des avances monétaires, ils créent un pouvoir d'achat supplémentaire qui soutient l'emploi et la croissance. Plus précisément, cet argument revient à affirmer qu'une hausse des taux de salaire est une condition préalable de l'expansion de la production. Si les taux de salaire ne montent pas, suppose-t-il, il ne sert de rien pour les affaires d'accroître la quantité ou d'améliorer la qualité des biens produits, car le surcroît de produits ne trouverait pas d'acheteurs, ou ceux qu'il trouverait devraient réduire leurs achats d'autres biens. Conclusion: la première chose nécessaire pour assurer le progrès économique est de faire monter continuellement le taux des salaires. Le gouvernement et la pression des syndicats pour obtenir des hausses de salaires sont donc le principal instrument du progrès économique. La chaîne causale est
invers~e
R~ponse: cette argumentation de nature keynésienne résulte d'une interprétation erronée des relations causales; il y a inversion des facteurs. La dynamique de la concurrence est de contraindre les entrepreneurs à rechercher en permanence de nouvelles techniques pour produire mieux et moins cher. C'est leur seul moyen de survie. Ils ne peuvent rester sur le marché qu'en réinvestissant leurs bénéfices dans le développement ou le renouvellement de leurs capacités de production. Mais ce serait une erreur de raisonner comme si l'entrepreneur pouvait se réserver pour lui seul l'intégralité des progrès qu'il réalise. Dans une économie de libre concurrence, une partie de ces bénéfices supplémentaires sera nécessairement distribuée aux autres facteurs de production, notamment aux salariés, sous forme d'augmentations salariales.
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Pourquoi? Tout simplement parce que l'investissement rend le travail plus productif. La productivité marginale des salariés est relevée d'autant. Le même apport de travail conduit à une plus grande quantité ou qualité de produits. Comme l'entrepreneur n'est pas seul à faire de tels investissements, s'il n'aligne pas les salaires de son personnel sur leur nouvelle productivité plus élevée, il verra peu à peu ses ouvriers le quitter, en commençant par les meilleurs. C'est ainsi qu'un investissement qui, au départ, est conçu pour accroître ou simplement restaurer la marge de profit de l'entrepreneur, entraîne dans son sillage une augmentation des salaires. La hausse des prix des facteurs complémentaires de production, et parmi eux en premier lieu des taux de salaires, n'est pas une concession que les entrepreneurs doivent faire de bon ou mauvais gré à leurs employés j mais un phénomène inévitable et nécessaire, dans la chaîne des événements successifs que doivent forcément entraîner les efforts des entrepreneurs en vue de faire des profits en ajustant l'offre de biens de consommation à la situation nouvelle. Le même processus qui débouche sur un excédent des profits de l'entrepreneur sur les pertes, suscite d'abord - c'est-à-dire avant l'apparition de cet excédent - une tendance à la hausse des taux de salaires et des prix des principaux matériaux de construction. C'est encore le même phénomène qui, dans la suite des événements, ferait disparaître cet excédent des profits sur les pertes si ne survenaient pas de nouvelles modifications accroissant la masse des capitaux investis. Les deux phénomènes - hausse des prix des facteurs de production et excédent des profits sur les pertes - sont l'un et l'autre des phases du processus d'ajustement de la production à l'accroissement de la quantité de capitaux investis et aux modifications technologiques que les entrepreneurs mettent en œuvre. L'erreur de base de l'argument du pouvoir d'achat consiste en une fausse interprétation de la relation causale. Il tourne les choses sens dessus dessous en considérant la hausse des salaires comme la force motrice de l'amélioration économique.
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Le faux effet Ricardo Une version modifiée du même argument, bien qu'historiquement antérieure, apparaît dans la thèse de 1'« effet Ricardo». Ricardo fut l'auteur d'une thèse selon laquelle une hausse des salaires incite les capitalistes ~ substituer des machines ~ la maind'œuvre j d'où il résulterait, selon les apologistes du syndicalisme, qu'une politique de hausse des salaires, indépendamment de ce qu'ils auraient été sur un marché non entravé, serait toujours économiquement bénéfique. En forçant les employeurs récalcitrant ~ hausser les taux de salaires, les syndicats seraient ainsi les véritables fourriers du progrès et de la prospérité. Ce théorème, comme ce qui précède, est le produit d'une énorme erreur de raisonnement économique. On y raisonne en effet comme si la collectivité disposait d'une masse de capitaux disponibles dans laquelle les entreprises pourraient librement puiser sans rien changer de ce qui est. Ce qui, en temps normaux, est une hypothèse absurde. L'existence de telles réserves de biens capitaux non employés représenterait un fantastique gaspillage. Si la contrainte d'avoir ~ offrir des salaires plus élevés incite effectivement certains entrepreneurs ~ améliorer leurs techniques de production de manière ~ relever leur productivité au niveau des nouvelles rémunérations versées, il faut se préoccuper de savoir d'où viendront les ressources utilisées ~ cet effet. L'augmentation des salaires n'entraîne pas nécessairement un accroissement de l'offre de capitaux. Les moyens nécessaires pour faire évoluer la technologie devront donc être pris ~ d'autres secteurs où leur disparition aura pour conséquence de réduire les progrès de la productivité et donc de freiner la capacité des employeurs ~ mieux satisfaire les exigences de leurs employés. R~sultat: ce que l'on obtient n'est pas une progression générale plus rapide de la productivité, et donc des salaires, mais un déplacement des ressources productives des secteurs où la pression syndicale est la plus faible, vers les industries où l'agressivité syndicale est la plus forte.
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Un tel transfert n'apporte rien sur le plan du progrès économique. Au contraire, il implique que la collectivité fera dorénavant un usage moins efficace de ses ressources que ce n'était le cas avant. Le nœud de l'affaire est que la hausse des salaires n'est pas la cause, mais l'effet des améliorations technologiques. Les taux de salaires réels ne peuvent s'élever que dans la mesure où, toutes choses égales d'ailleurs, on a une épargne et un capital plus abondant. Il n'y a pas de détours.
lA VRAIE FONCTION DES SYNDICATS : DES GROUPES DE PRESSION À VOCATION REDISTRIBUTIVE Si tous les arguments macroéconomique et « macrosociaux » dont les syndicats se selVent pour justifier leur existence ne tiennent pas la route, quelle est donc leur véritable raison d'être? La seule réponse est celle du cartel: le syndicat est un groupe de pression organisé ayant pour objet l'augmentation des rémunérations monétaires et non monétaires (conditions et rythmes de travail, congés, avantages sociaux ... ) versés ~ ses membres; et cela par l'obtention d'un monopole de contrôle sur l'offre de travail. Le syndicat est un «groupe de pression ~ vocation redistributive » dont la préoccupation, ainsi que le souligne Hubert Landier: ... est moins d'accroître l'efficacité de l'entreprise ou de la profession où se situe son action (afin d'accroître la taille du gâteau) que de modifier la répartition des revenus en faveur des salariés entrant dans son champ de recrutement (autrement dit, d'en obtenir la plus grosse part, fût-ce au détriment du gâteau) 11031.
Le syndicat est une institution de nature et de vocation essentiellement microéconomiques. Il n'est pas facile de tester une telle hypothèse. La technique classique des économistes consiste ~ utiliser les méthodes quantitatives et comparatives. On prend deux échantillons
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d'entreprises, l'un où l'influen"ce syndicale est forte, l'autre où elle est négligeable, voire inexistante. A partir de la théorie des cartels et des monopoles, on fabrique un modèle pour étudier comment, théoriquement, la présence d'un syndicalisme fort est susceptible d'affecter le comportement de l'entreprise et de modifier les différents paramètres: niveau des salaires, leur progression, la productivité, les indicateurs sociaux, la mobilité de la main-d'œuvre, sa structure, etc. On essaie ensuite d'étudier dans quelle mesure la comparaison des données quantitatives des deux échantillons valide les corrélations de la théorie. Mais les difficultés méthodologiques sont telles que les résultats obtenus ne sont guère probants, et qu'il y a peu d'espoir qu'ils le deviennent jamais. Une autre méthode consiste alors à démontrer la validité du concept en faisant la preuve de sa fécondité. C'est-à-dire, en l'occurrence, en montrant comment le paradigme économique du «syndicat cartel» permet de mieux comprendre l'origine d'un très grand nombre de traits et d'évolutions caractéristiques de notre environnement historique, institutionnel, économique et social contemporain.
Les nouveUes données tnstttut10nnelles Dans son manuel d'économie politique, Raymond Barre passe en revue les modifications de structures qui, depuis le début du siècle, affectent le fonctionnement du marché du travail [131 : -le développement des syndicats ouvriers, mais aussi le syndicalisme patronal; - la modification des relations juridiques entre patrons et ouvriers: alors qu'elles résultaient naguère d'un contrat individuel (contrat de louage de services auquel le Code civil de 1804 ne consacre que deux articles), elles se définissent aujourd'hui dans une nigoctatlon coUect1ve qui se matérialise par la signature de conventions collectives; - l'extension de la réglementation du travail et de la législation sociale, avec deux grands axes: 1) l'État intervient pour déterminer les conditions d'exercice du travail (règles restrictives concernant
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l'utilisation de la main-d'œuvre féminine ou enfantine, règles fixant la durée hebdomadaire du travail, la durée des congés, le repos hebdomadaire ... , règles définissant les conditions d'hygiène, de sécurité et de moralité nécessaires à l'accomplissement du travail; enfin, une série de règles précisant les conditions d'exécution du contrat de travail, comme la protection du travailleur contre la rupture abusive du contrat, le contrôle administratif des licenciements, etc.); 2) l'État intervient sur les conditions de rémunération du travailleur: respect d'un salaire minimal légal, instauration de procédures spécifiques de fixation des salaires dans certains secteurs de l'économie, fixation des divers éléments du « salaire social» (cotisations sociales obligatoires) ainsi que de certains éléments complémentaires obligatoires du salaire, comme les indemnités de transport, certaines primes hiérarchiques; détermination, enfin, des indemnités représentatives du travail (indemnités et rentes d'accident du travail); - l'intervention directe des pouvoirs politiques dans les relations sociales sous la forme de politiques nationales des salaires plus ou moins autoritaires, avec des visées plus ou moins nettement redistributives, et dont l'efficacité est assurée par le développement de la puissance de l'État-patron; - enfin, produit de tout ce qui précède, l'émergence de structures de salaires ou d'ensembles de salaires liés qui font que les rémunérations servies dans de nombreux secteurs (notamment les grandes entreprises) répondent moins aux fluctuations directes des conditions du marché qu'aux impulsions qui parviennent d'entreprises ou de secteurs pilotes. On assiste à la généralisation de barêmes reliant les taux de salaires pratiqués dans les firmes à des normes sectorielles, régionales ou nationales, plus ou moins déterminées administrativement à la suite de consultations entre les groupes patronaux, les groupes syndicaux et les pouvoirs publics. En conséquence, nous dit-on, nous vivons dans un univers où la fixation des rémunérations offertes résulte de procédures où, à côté de facteurs économiques, interviennent de plus en plus d'éléments de nature politique et sociologique - comme par exemple l'idée que l'on se fait de la place de chaque grand groupe d'activité ou de chaque catégorie socioprofessionnelle dans l'organisation et la hiérarchie
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sociales; ou encore le souci des grandes catégories socioprofessionnelles et des sous-groupes qui les composent, de défendre la relation qu'ils estiment «équitable» entre leur revenu et celui des catégories voisines (ou, à l'inverse, l'effort des autres pour atteindre la « parité»). Ainsi que le résume de manière représentative le professeur Lecaillon: ... à l'exception de certains marchés agricoles (fruits et légumes notamment), de la Bourse et du marché des changes flottants qui sont restés conformes au modèle de l'économie concurrentielle, la vieille loi de l'offre et de la demande n'a plus que des applications limitées ... Dans l'économie moderne, les prix comme les salaires ne sont pas des prix d'équilibre dont les ajustements permettraient d'égaliser en permanence une offre et une demande sur un marché; ce sont des prix «sociaux,. ou « administrés,. qui expriment des coutumes ou des valeurs sociales [110].
Les vieilles lots économiques ne jouent plus Dans un tel contexte, le mouvement des salaires et des revenus s'imposerait de plus en plus comme une donnée indépendante de la situation spécifique de la branche ou de l'entreprise en question, ou encore du métier considéré. De même, l'emploi n'obéirait plus aux règles classiques du marché du travail. Lorsque la sphère non contrainte de la liberté des contrats se réduit comme peau de chagrin, et que l'essentiel des rémunérations se trouve fixé par les délibérations centralisées d'un petit nombre d'acteurs, il est inévitable que les facteurs sociologiques et politiques prennent le pas sur les données économiques. Plus le nombre de ceux qui interviennent dans la discussion des barêmes est grand, plus le degré d'indétermination augmente, jusqu'à devenir infini lorsqu'il n'y a plus que deux interlocuteurs en présence. Dans ce cas, c'est évidemment le rapport de force pur qui fait la loi. Par ailleurs, lorsqu'on se retrouve dans une telle situation, il est vrai que les mouvements de prix ne remplissent plus les mêmes fonctions que dans une économie « libre ». Il ne faut plus s'attendre à ce que le jeu spontané des prix ramène l'équilibre. L'emploi et le revenu
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de chacun, sa place dans la hiérarchie sodale, dépendent plus que jamais de l'efficacité des groupes de pression et des syndicats qui prennent en main notre défense contre les autres. Nul ne peut nier ces faits. Faut-il cependant en déduire qu'ils invalident définitivement tous les messages de la théorie économique? De ce que la théorie aborde les problèmes d'emploi, de salaires et de travail en se référant à un environnement institutionnel différent de celui qui caractérise le fonctionnement actuel de nos économies mixtes, faut-il en déduire qu'elle n'a plus rien de pertinent à nous enseigner sur ces sujets? Notre avis est que ceux qui dénoncent le caractère «utopique» des fondements de la théorie économique feraient mieux de commencer par se poser une question: comment en est-on arrivé là? Par quels mécanismes est-on passé à la sodé té mixte « étato-corporatiste » d'aujourd'hui? Quelles en sont les conséquences? Ils découvriraient· alors que la théorie économique a encore bien des vérités à nous révéler. La théorie du syndicat-cartel
Le syndicat, avons-nous dit, est un groupe de pression qui agit comme un cartel. Étudions plus avant les implications logiques de cette hypothèse. Le syndicat est une assodation qui se donne pour fin de maximiser le flux des revenus que les membres d'un groupe économique, sodal ou professionnel tirent de leur activité. Cette définition élargit et restreint à la fois le concept traditionnel de syndicat. Elle l'élargit en ce qu'elle inclut non seulement les groupes de pression des salariés, mais aussi ceux du monde patronaL Entrent dans le champ de la définition tous les types possibles de syndicats : syndicats de métier, syndicats professionnels, syndicats d'entreprise, fédérations locales, régionales, nationales (voire internationales .. .). Du côté patronal: syndicats patronaux, fédérations professionnelles, unions patronales, chambres de commerce, chambres de métiers, etc. Elle le restreint puisqu'elle résume toute l'activité du syndicat au seul objectif de « maximiser le flux des revenus» de ses membres.
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Il est incontestable que les syndicats peuvent également se donner d'autres objectifs. Par exemple: ... obtenir des adhésions plus nombreuses; surveiller la répartition du travail disponible en luttant contre les heures supplémentaires, ou en écartant le recours à des travailleurs étrangers; contrôler l'introduction des inventions techniques; transformer les relations entre le capital et le travail au sein de l'entreprise capitaliste. L'action syndicale peut prendre des formes qui traduisent une volonté de défense de l'entreprise plus qu'un souci de revendication systématique: aider à développer la demande du produit en faisant sa publicité; agir sur les conditions de l'offre; intervenir sur les conditions de la concurrence (création d'une étiquette syndicale, d'un label); demande de droits de douane protecteurs en faveur de certains employeurs ... [13].
Il n'est pas question de nier que les syndicats ont d'autres préoccupations, ni qu'ils apportent d'autre services. Les organisations syndicales ont souvent joué un rôle essentiel d'information sur l'emploi et le marché du travail Oes anciennes «bourses du travail»). Dans l'entreprise elles remplissent une responsabilité majeure d'intermédiation et de porte-parole des préoccupations et difficultés individuelles ou collectives du personnel. Elles aident à résoudre des problèmes et conflits internes que la hiérarchie a parfois du mal à prendre en compte (sans compter les conflits avec la hiérarchie). Enfin, les grandes organisations contrôlent de vastes réseaux de coopératives, d'assurances, de mutuelles, d'agences de vacances et de voyages dont elles font profiter leurs membres (à des prix défiant toute concurrence). Ce que nous disons est simplement que ce ne sont pas ces fonctions commerciales ou ces fonctions d'ordre interne qui ont le plus grand pouvoir d'explication pour rendre compte du comportement économique et politique des syndicats, ainsi que de leurs structures, leur évolution, leurs stratégies, etc. La plupart de ces activités peuvent être interprétées comme des activités d'ordre « subsidiaire» dans lesquelles les syndicats ne s'aventurent qu'en raison du caractère collectif de leur vocation première. Leur rôle est d'attirer et de fidéliser la clientèle du syndicat en lui offrant des services « privatisables» qui assurent le volume de
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moyens nécessaires pour continuer leur activité plus générale (paiement des permanents, investissements fixes, propagande, formation des cadres syndicaux, financement du fond de soutien aux grévistes, etc.).
Priorité au court terme Admettons que l'objectif du syndicat se réduise d'abord et avant tout à maximiser le flux de revenus de ses membres. Une première remarque s'impose. A quelle échéance? Quel est l'horizon de temps? Une entreprise qui serait gérée par son personnel aurait tendance à avantager le court terme. Il en va de même avec la « firme syndicale ». Personne ne peut s'approprier les résultats de l'action du syndicat, ni les négocier sur un marché où s'échangeraient des parts de propriété représentatives de flux de revenus ou de flux d'avantages futurs. Il n'existe aucun marché qui donne aux responsables la possibilité de capitaliser aujourd'hui la « valeur anticipée» des produits de leurs actions. Résultat: les dirigeants des syndicats ont par défmition une forte préférence pour le temps. C'est le salaire d'aujourd'hui et des mois qui viennent qui compte avant tout. Les conséquences à long terme - en admettant qu'ils acceptent d'en prendre connaissance : chômage accru, faible croissance, société « duale» - pèsent peu. Ils ne peuvent jouir des aménités personnelles liées à l'exercice de leurs fonctions Oeurs émoluments, mais surtout les avantages en nature: l'exercice d'un certain pouvoir, la notoriété, l'accès aisé aux médias, le plaisir d'être un homme public, les perspectives de carrière politique qui s'ouvrent ensuite, les postes de president, de viceprésident, d'administrateur dans une quirielle de mutuelles ou d'organismes sociaux ... ) que pour autant que leurs membres continuent de leur faire confiance. Mais ces membres, surtout dans un pays comme la France où n'existe pas l'équivalent des techniques américaines de l'union shop et de la closed shop, ne sont guère fidèles; ce que confirment les fortes variations d'effectifs. Le turn over est élevé. D'où l'inévitable préférence pour le court terme, et
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même souvent le très court terme. Plus les syndicats sont faibles (en effectifs et en recettes), plus ils joueront la démagogie du court terme. Maintenant, si tel est leur problème, comment les syndicats peuvent-ils obtenir des taux de salaires plus élevés pour leurs membres? Il y a trois méthodes possibles.
La premtère consiste à agir sur la demande qui s'adresse à l'entreprise. Le déplacement de la courbe de demande a pour effet qu'un plus grand nombre de travailleurs sera embauché à des taux de salaires supérieurs. (Exemple de l'offre d'un « label» syndical ou de la publicité faite par les syndicats pour les produits des entreprises ou des secteurs industriels où ils sont implantés: souvenons-nous de Lip.) La seconde technique est d'agir sur l'offre de travail afin de réduire les entrées sur le marché. Le fait qu'il y ait, pour une raison ou
une autre (on verra lesquelles plus loin), moins de travailleurs disponibles pour les tâches offertes, conduit alors les employeurs à se faire concurrence en augmentant l'attrait des rémunérations. La réduction de l'offre fait augmenter le taux de salaire, mais suppose ensuite des ajustements dans la production des entreprises: pour amortir leurs frais de main-d'œuvre plus élevés, face à une demande, et donc des recettes qui sont toujours les mêmes par unité vendue, elles doivent réduire leur niveau de production - ce qui réduit ensuite les besoins de main-d'œuvre. La trotst~me et dernière méthode est tout simplement d'utiliser la grève, ou la menace de la grève, pour obtenir de l'employeur qu'il relève ses taux de salaires, sans contrepartie. Il n'y a cette fois-ci aucun changement de l'offre ni de la demande. Tout arrêt prolongé de la production impose un coût à l'employeur. La stratégie consiste à lui imposer la perspective d'un coût très élevé en cas de refus, pour l'amener à transiger et accepter le coût moindre que représentera pour lui l'acceptation de ce relèvement de salaire.
Résultat: la hausse du taux de salaire incite l'entreprise, pour rétablir ses comptes, à réduire son embauche. Mais elle fait aussi que les emplois offerts par cette industrie deviennent plus attractifs. On a
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désormais un nombre plus grand de gens qui seraient prêts à travailler pour le salaire offert, ou même tout simplement à accepter un salaire moindre (mais supérieur à l'ancien taux) pour prendre la place de ceux que la firme emploie actuellement. Question: comment les empêcher de faire ainsi concurrence à ceux qui, par leur action, par leur grève, ont obtenu un salaire supérieur? Comment éviter que leur concurrence ne fasse pression cette fois-ci à la baisse - sur les salaires qui viennent d'être relevés?
Objectif num~ 1 : rationner l'acc~ au métier Le problème du syndicat est un problème de
rationnement.
Il s'agit: - soit de fermer par avance la porte de l'entreprise, du métier ou de l'activité concernés à un certain nombre de gens qui normalement trouveraient à s'employer et accepteraient de le faire au taux du marché j c'est seulement une fois l'entrée fermée à certaines catégories de travailleurs Oes immigrés, ceux qui n'ont pas de diplômes, ou ceux qui ne respectent pas certaines règles de certification j ceux aussi qui n'ont pas la carte du syndicat « obligatoire »...) que l'effet recherché est atteint j - soit de se protéger des conséquences qui résultent de la décision de relever les salaires sans justification économique préalable. Il s'agit dans ce dernier cas, pour le syndicat, d'éviter notamment que des entreprises ne recrutent ceux qui se trouvent licenciés à la suite des ajustements de production intervenus dans les fumes qui ont accepté les exigences du syndicat, à des salaires inférieurs Oes salaires anciens par exemple), et ne viennent ainsi faire concurrence à ceux qui profitent des salaires accordés. Si cela était possible, le nouveau taux de salaire imposé par le syndicat ne résisterait pas longtemps. Le problème est également d'élever une digue contre le flot accru de candidatures à l'emploi qui devrait résulter de la présence de salaires plus élevés (augmentation de l'offre). Comment éviter aux entreprises la tentation de puiser dans ce réservoir de main-d'œuvre disponible, prête à accepter des prix plus bas plutôt que de rester sans emploi? Dans tous ces cas, la préoccupation est d'empêcher certains travailleurs de conclure avec les entreprises des secteurs concernés par
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l'activité du syndicat, les contrats mutuellement avantageux que leur intérêt réciproque leur commanderait d'accepter. On retrouve la difficulté classique de tout cartel. Une entente de producteurs ne peut imposer des prix plus élevés que si elle a, soit le contrôle total de l'offre du produit, soit le contrôle total de l'offre d'au moins l'un des facteurs de production. Comment résoudre cette difficulté? il existe de nombreuses techniques possibles. Tout dépend du niveau auquel se situe l'action du syndicat (ou de la fédération de syndicats) : l'entreprise, le groupe d'entreprises, le secteur d'industrie, le métier, la profession, le marché régional, le marché national, etc., avec toutes les combinaisons possibles. Mais, dès lors qu'un syndicat ou une coalition de syndicats entend assurer la permanence des avantages qu'il vient d'acquérir à un certain coût, il se trouve pris dans une escalade qui le contraint à passer successivement d'un niveau à l'autre - par exemple de la simple pression sur des entrepreneurs privés (agitation sociale, grève, boycott) à une action politique pour imposer par la loi certaines réglementations «restrictives ». C'est l'engrenage de l'économie enrégimentée. La logIque corporatIve
De leur point de vue, l'idéal serait que les syndicats soient purement et simplement maîtres de la gestion de la main-d'œuvre, à la place de l'entrepreneur. Citons pour mémoire la cogestion allemande où le directeur du personnel est désigné parmi des candidats présentés par les syndicats. En France, les cas les plus connus sont ceux du livre et des dockers où les syndicats ont le monopole de l'embauche pour le compte des entreprises traitantes, Ce n'est pas un hasard si le livre est l'un des secteurs où les salaires ouvriers sont les plus élevés, et l'entrée la plus difficile (adhésion obligatoire à la CGT). Ce n'est pas non plus un hasard si les ports français supportent mal la concurrence des autres ports européens. Le livre et les dockers sont des exemples d'abus de pouvoir syndical. Mais ceux qui s'indignent si aisément oublient souvent de
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s'interroger sur la signification des systèmes de régulation professionnelle que l'on trouve dans les professions libérales comme les médecins, les avocats, le~, experts géomètres, les architectes, les pharmaciens, etc. Dans ces professions, chacun est en principe son propre employeur. Mais la liberté d'établissement est loin d'y être respectée. La possibilité d'exercer est généralement soumise à l'autorisation donnée par un collège de sages appartenant à la profession (les « ordres»: ordre des médecins, ordre des pharmaciens, ordre des architectes, etc.). C'est la profession - c'est-à-dire ceux qui sont déjà installés qui, directement ou indirectement, définit le niveau et la longueur des études, contrôle les examens, impose des périodes de stage plus ou moins longues (et faiblement rémunérées de manière à réduire le nombre des vocations), et s'arroge ainsi le pouvoir de restreindre les entrées de nouveaux collègues, et de limiter la concurrence dans le métier. Ces professions sont par ailleurs soumises à des codes de déontologie rigoureux. La plupart de leurs clauses visent à empêcher la concurrence (interdiction de toute publicité par exemple). Les codes de déontologie et leurs pratiques anticoncurrentielles sont généralement scrupuleusement respectées. Pourquoi? Parce que leur application est contrôlée par l'ordre qui dispose de la sanction suprême: le retrait de l'autorisation d'exercer. Le précédent des professions libérales
Le système est ainsi parfaitement bouclé. Les professions libérales offrent l'exemple de métiers dont l'accès est entièrement sous le contrôle de ceux qui exercent. Maîtrisant l'offre, elles sont en mesure de contrôler leurs prix. Résultat: la position particulièrement favorable des professions libérales dans la hiérarchie des revenus. A bien des égards, ce que cherchent à réaliser les syndicats ouvriers, à l'échelle de leurs métiers ou de leurs industries, n'est pas différent de ce qu'ont déjà obtenu il y a longtemps les professions libérales.
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Certains s'indigneront de voir les professions libérales comparées à des «maffias» syndicales. On n'y trouve pas les mêmes violences, ni les mêmes abus. On s'y appuie sur un argument d'intérêt public admis par tous: la protection du public Oa protection de la santé contre les charlatans, la protection contre les vices de construction, etc.). Il n'empêche qu'analytiquement parlant il s'agit d'un calcul identique de contrôle monopolistique du marché du travail. Si tous les métiers de France, si toutes les professions étaient organisées comme le sont les médecins, les pharmaciens, les architectes, les experts-comptables, nous atteindrions l'idéal recherché par les syndicats: le contrôle du travail par les organisations « représentatives» des travailleurs. Nous aurions une société parfaitement « corporatiste », et parfaitement malthusienne. Tout le monde admet le monopole de l'ordre des médecins. Deux raisons l'expliquent: 1) l'institution est déjà fort ancienne j 2) le métier requiert des connaissances spécifiques d'un haut niveau, et l'enjeu - la santé des patients - est un bien hautement recherché. Les médecins n'ont aucun mal à faire admettre l'idée qu'une telle régulation professionnelle est dans l'intérêt des citoyens. Et les gens en sont d'autant plus aisément convaincus que personne ne leur a jamais expliqué qu'en dehors de l'alternative socialiste Oa nationalisation) il existe peut-être une autre forme de réponse authentiquement libérale où le marché susciterait l'apparition de solutions privées aux problèmes de risque et de garantie que posent de telles professions. Il est plus difficile pour les syndicats de salariés de faire appel à de tels arguments. C'est pour cela qu'on y recourt plus facilement à la violence, que l'on rend alors légitime en invoquant la lutte des classes. Mais, sur le fond, la nature des problèmes n'est pas différente. Ne voit-on pas d'ailleurs un nombre croissant de syndicats le syndicat des contrôleurs aériens par exemple, celui des pilotes de ligne, les syndicats dans les services publics - invoquer eux-aussi la sécurité des usagers pour des grèves dont le caractère abusif est patent.
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Les mtlle manières de boucler un monopole Une autre forme de monopole est de réserver l'exercice de certains emplois à des personnes appartenant à un syndicat donné. C'était l'exemple souvent cité de la Grande-Bretagne. On ne pouvait demander à un électricien de faire un travail de plombier, ni à un plombier de faire un travail d'électricien, même s'ils en avaient les capacités. La non-observance des frontières respectives y entraînait des grèves bouchons qui immobilisaient pour un oui ou pour un non, des industries entières. C'est sur ce genre de pratique que les monopoles du livre et des dockers s'appuient notamment. C'est aussi le fondement du pouvoir des syndicats dans les sociétés de radio et de télévision. Les techniques de rationnement de l'offre les plus communes passent par le contrôle de la main-d'œuvre étrangère (obligations administratives, politique de visas), ou par la réglementation de l'accès aux métiers et aux professions (exigence d'une période d'apprentissage, accès aux emplois soumis à des règles de qualification et de certification). Mais il y a d'autres formes plus subtiles. Par exemple les politiques de salaire minimal. Leur but est en théorie d'assurer à toute personne qui travaille, quel que soit son âge, un minimum vital. Mais cette préoccupation humanitaire se marie à un autre motif, moins avouable: empêcher les jeunes qui arrivent sur le marché du travail d'entraîner, par leur concurrence, une pression sur les salaires de leurs aînés. M~me
le salaire minimal
Résultat? Le salaire minimal prive des milliers de jeunes sans formation de leur ticket d'entrée dans la vie professionnelle. Il condamne ceux qui n'ont pas eu la chance de passer par une filière d'apprentissage à un processus de marginalisation auquel ils auraient échappé si on leur permettait de compenser leur handicap de l'absence d'une formation adéquate par la liberté d'accepter un salaire temporairement plus bas (le temps d'acquérir des
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compétences qui justifieront, par le simple jeu des pressions du marché, une revalorisation de leurs gains). Nombreux sont ceux qui refusent encore d'ouvrir les yeux sur les effets pervers de cette législation. Il s'agit pourtant d'un sujet sur lequel, scientifiquement, il n'est plus permis d'avoir le moindre doute. Un autre exemple encore plus difficile à détecter est celui des politiques de lutte contre les « discrimi na tions ». L'apartheid sud-africain est une politique condamnable. On connaît moins son histoire. La première mesure qui a lancé la politique d'apartheid en Union sud-africaine date de l'après Première Guerre mondiale. Elle a été prise par un gouvernement de gauche, sous la pression de grandes grèves provoquées par les syndicats. Il s'agissait d'une loi visant à imposer le principe « à travail égal, salaire égal ». Apparemment rien de plus démocratique. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Lorsqu'on a affaire à deux communautés de niveau culturel très différent, un tel principe se révèle la plus efficace de toutes les barrières racistes. Alors que l'Afrique du Sud était en plein boom économique, qu'elle attirait la main-d'œuvre des régions voisines, il s'agissait en réalité de protéger les petits Blancs contre la concurrence naissante d'une nouvelle génération de contremaîtres Noirs. En leur imposant de réclamer un salaire égal à celui de leurs collègues blancs, on les empêchait de compenser le handicap que représentait sur le marché du travaille fait d'être noir (113). Quelle que soit notre indignation devant les comportements racistes ou sexistes, on n'empêchera jamais que, dans certains pays, l'élévation professionnelle de certaines minorités soit considérée comme une menace au niveau de vie d'autres communautés; une menace contre laquelle les intéressés veulent se protéger, par exemple en s'entendant pour ne pas embaucher des gens de couleur là où ils peuvent employer un Blanc, même plus cher. De même, dans nos pays, on n'empêchera jamais un employeur de penser qu'une main-d'œuvre féminine «vaut» moins qu'une main-d'œuvre masculine, en raison de contraintes physiologiques, sociologiques ou fafiÙliales qui lui sont propres (risques d'absentéisme plus élevés par exemple).
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Comme pour les jeunes, la meilleure façon pour ces populations de surmonter leur handicap est d'offrir leur travail moins cher afin, soit d'acquérir les qualifications et les compétences qui leur font défaut, soit de montrer à l'employeur que ses préjugés sont erronés. C'est le jeu de la libre concurrence entre les employeurs qui, peu à peu, au fur et à mesure que cet apprentissage porte ses fruits, conduit à l'élimination des différences de rémunération non justifiées par des variations réelles de la productivité. Mais c'est précisément ce processus qu'entravent de nombreuses dispositions de notre législation moderne. Comment cela se peut-il ?
Fausses Indignations et fausses vertus Le marché est un puissant mécanisme égalisateur. Mais l'élimination des comportements discriminatoires ne fait pas que des heureux. Que ceux qui subissent un handicap physiologique, sociologique ou économique, essaient d'en compenser les barrières par de moindres exigences est souvent vécu par les autres comme un acte de concurrence « déloyale» Ccf. l'attitude des industriels à l'égard de la concurrence des nouveaux pays riches d'Asie). A l'inverse, ceux qui sont ainsi moins payés ressentent ce fait comme une injustice. Et cela d'autant plus qu'ils sont assaillis par la propagande des idéologies « égalitaristes» modernes. Celle-ci leur rend leur condition encore plus insupportable. Quel est le résultat? On casse le mécanisme qui, par le jeu de la concurrence, tend à réduire les écarts salariaux. On érige une barrière sexiste ou raciste plus élevée que jamais. Pour les quelques Noirs qui seront ainsi embauchés, ou les quelques femmes qui gagneront leur procès, combien d'autres n'auront plus jamais la chance de forcer les barrières du marché de l'emploi! Drôle de justice! Les perdants sont ceux qui supportent déjà les handicaps les plus lourds, et au nom de qui la législation a été votée. Les gagnants, ceux qui étaient déjà. du bon côté de la barrière, et se retrouvent ainsi mieux protégés contre la concurrence « sauvage» des autres.
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Le même raisonnement s'applique aux différences économiques de nature géographique. Éliminer par la contrainte réglementaire les différences régionales de salaires est le contraire d'un acte de justice. Comment une région pauvre, éloignée, sous-développée peut-elle surmonter ces handicaps? En jouant du seul avantage comparatif dont elle dispose: la disponibilité d'une main-d'œuvre désireuse de s'employer même à des salaires inférieurs. Imposer les mêmes taux de salaires partout empêche les régions les moins favorisées de vaincre leur handicap. On protège les salariés des zones urbaines contre la concurrence jugée «déloyale}) que seraient susceptibles de leur faire les paysans en surnombre des zones rurales les plus pauvres, en attirant les usines. On comprend mieux pourquoi 1'« égalitarisme », sous toutes ses formes, est politiquement à la mode: parce qu'il profite aux groupes sociaux les mieux organisés. Grâce aux lois égalitaires et au contrôle du marché du travail qui en résulte, ces groupes se trouvent mieux à même de défendre et de maintenir les avantages dtjJérenttels qu'ils ont précédemment acquis. Ce qu'on nous présente comme un progrès social permet en réalité aux groupes de pression dominants de mieux contrôler les entrées et les sorties du marché du travail - dans l'intérêt non pas des jeunes, des Noirs ou des femmes, mais de ceux qui bénéficient déjà des salaires les plus élevés, des conditions d'emploi les plus avantageuses, et ne voudraient pour rien au monde les perdre.
LA FÉCONDITÉ DE L'HYPOTIlÈSE ÉCONOMIQUE Lorsqu'au terme d'une longue lutte les travailleurs d'une entreprise arrachent une augmentation de salaire, trois cas de figure sont possibles: 1) il s'agit seulement d'un alignement des rémunérations sur les nouvelles conditions de l'environnement économique du secteur (offre, demande, technologie ... ) j 2) on est dans une entreprise où la productivité est plus élevée que la moyenne du secteur Oe nouveau salaire n'est qu'un alignement sur cette productivité plus élevée) j 3) les syndicats viennent réellement de remporter une
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« victoire» qui apporte aux employés des salaires plus élevés que ceux que justifieraient tant la simple conjoncture de leur industrie que les conditions de productivité de leur entreprise. Dans les deux premiers cas, les syndicats jouent un rôle parfaitement légitime: par leur intervention, ils hâtent le processus d'alignement des salaires sur les conditions technologiques les plus efficaces dans leur secteur; ils agissent comme les «auxiliaires» des forces du marché; leur action ne fausse pas l'essentiel: le jeu des prix relatifs. Dans le troisième cas, une question: comment entendent-ils conserver l'avance acquise sur les salariés des autres entreprises et des autres secteurs qui, eux, n'ont pas fait grève, et n'ont donc pas eu d'augmentation de leur salaire? Les « autres », ce sont d'abord les autres salariés du même secteur d'activité. Ceux qui travaillent dans des entreprises concurrentes. Si l'on est sur un marché concurrentiel (produits banalisés, forte élasticité de la demande au prix), la «victoire» des salariés de l'entreprise X risque de déboucher sur des lendemains amers. Les salaires plus élevés entraînent des coûts de production unitaires plus lourds. L'entreprise va perdre des marchés, réduire sa production, et bientôt licencier. Les autres firmes, au contraire, ont à faire face à un supplément de demande. Elles embauchent. Et peutêtre même, pour attirer les spécialistes qui leur font défaut - notamment les spécialistes qui viennent d'être licenciés chez X -, relèventelles quelque peu leurs offres de rémunération. La « victoire» n'est pas celle de ceux qui ont mené le combat, mais celle de leurs collègues qui n'ont rien fait. Pourquoi lutter puisque ceux qui gagnent sont ceux qui ne se sont pas battus? Comment mettre fin à une situation aussi absurde? La vérité sur les contrats collecttfs
Lorsque la conjoncture se retourne, que les commandes s'effondrent, l'entreprise a le choix entre deux stratégies: garder les mêmes salaires, mais licencier une partie de son personnel; réduire les salaires et garder le maximum de gens. Le problème du syndicat est de l'empêcher de se livrer à une sorte de chantage: ou bien vous
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renégociez un nouveau contrat à un taux de salaire inférieur, ou bien vous faites partie de la prochaine charrette ... Comment l'empêcher de jouer les salariés les uns contre les autres, d'utiliser l'incertitude que chacun nourrit sur son propre sort (quelles probabilités ai-je de faire partie de ceux qui seront licenciés ?), et de ramener ainsi les taux de salaires à leurs anciens niveaux - ou même plus bas? La solution est simple. C'est la technique des contrats collectifs et de la négociation collective. En raisonnant ainsi on explique: 1) pourquoi la structure syndicale de base est rarement le syndicat d'entreprise, mais le syndicat de métier ou de branche j 2) pourquoi les termes des conventions collectives conclues avec le patronat s'appliquent par définition à tous les salariés, syndiqués ou non j 3) pourquoi, enfin, les pouvoirs publics, par une procédure d'extension, ont le droit d'étendre le contenu des conventions collectives aux entreprises non signataires de la même branche. L'objectif recherché est de priver le salarié de toute liberté de «choisir» son salaire, et d'en faire la prérogative exclusive du syndicat. On se retrouve dans une situation où, à quelques accommodements près, le salaire est imposé unilatéralement tant au salarié qu'à l'employeur, par une série de grilles hiérarchiques et de taux pivots négociés au niveau de la branche ou de l'industrie par les représentants des organisations patronales et ceux des fédérations syndicales. A la rigueur, on admet que les entreprises introduisent une dose de personnalisation dans les augmentations, comme facteur de motivation personnelle j mais cette possibilité de flexibilité joue exclusivement à la hausse, et pas à la baisse. Conséquence: le travailleur licencié n'est pas libre de dire s'il préfère garder son emploi même en étant moins payé, et le patron n'est pas libre de lui faire cette proposition pour que ceux qui, eux, ne sont pas licenciés, gardent leur ancien salaire, même en période de basse conjoncture.
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L'alibi du consensus Contrôle de l'offre, mais aussi contrôle des prix ... la reconnaissance du rôle prioritaire des conventions collectives sur tous les autres contrats permet de boucler le monopole des syndicats sur le marché du travail. Mais les «autres», ce sont aussi ceux des autres secteurs d'activité. Le contrôle du marché ne met pas à l'abri de toute surprise. Même lorsque, cas extrême, tous les membres d'un métier sont obligés de faire partie du même syndicat, et que les entreprises ne peuvent embaucher que des membres de ce syndicat (par exemple le syndicat des monteurs de charpentes en bOis), si leurs prix sont trop élevés, les employeurs chercheront des produits de substitution (des charpentes en plastiques ... ). Dans une société où existent de nombreuses possibilités de substitution, aucun monopole n'est jamais parfait. Le plus complet des monopoles syndicaux et professionnels n'est jamais à l'abri d'une érosion progressive de ce qu'il a acquis par l'usage de la force. Tant qu'on reste en économie capitaliste, il y a toujours un coin par lequel s'engouffre la concurrence. Comment faire face? Comment limiter la portée de cette concurrence ? Comment faire en sorte de sauvegarder ses « privilèges» ? Réponse: en agissant comme précédemment; en « internalisant» cette concurrence au sein du système collectif de négociation salariale. L'intérêt des groupes leaders - ceux qui, par leur ancienneté et leur efficacité dans le combat syndical se sont assuré, dans l'échelle des rémunérations et des revenus, les meilleurs avantages relatifs est de bloquer tous les secteurs et intérêts plus ou moins concurrents dans une structure de représentation et de négociation unique où euxmêmes, en raison de leur plus grande expérience, continueraient, sans que cela se sache, à jouer le rôle dominant. D'où une centralisation accrue des mécanismes de la négociation collective. Les vraies conventions pivots sont celles des fédérations d'industrie. On arrive au système décrit par le professeur Jacques Lecaillon où
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la structure générale des revenus au niveau de l'économie nationale peut s'analyser comme un ensemble articulé de grilles particulières définissant la place de chaque grand groupe d'activités ou de chaque catégorie socioprofessionnelle dans l'organisation et la hiérarchie sociale [110].
La distribution des revenus, pour reprendre l'expression du professeur Hayek, cesse d'être le produit d'une «catalaxie» (un ordre spontané) pour devenir l'expression «d'un tout organisé et hiérarchisé)) (Lecaillon). Les salaires cessent d'être des prix indiquant aux travailleurs les directions dans lesquelles il est souhaitable d'investir ses efforts, ses compétences et ses capacités. Ils deviennent, nous dit-on, l'expression d'un «consensus collectif)) sur la façon dont doivent se distribuer les revenus. La grande stabilité que l'on note depuis trente ans dans la structure des revenus n'est pas la preuve, comme le croit et l'écrit le professeur Lecaillon, de ce qu'elle correspondrait à un véritable consensus national, de ce que notre société à travers ses institutions de négociation collective mises en place au lendemain de la guerre aurait atteint un certain «équilibre social )). Elle peut tout aussi bien être interprétée comme la preuve de l'efficacité des groupes professionnels dominants à assurer la pérennité de leur position et de leurs avantages.
Le demter recours: le contribuable Cependant, dès que l'on reste en économie ouverte, il n'y a jamais d'impunité définitive. Même le plus parfait des monopoles nationaux ne peut indéfiniment maintenir des coûts de production hors de proportion avec les nouvelles conditions de la conjoncture mondiale. C'est la mésaventure qu'ont connue des industries comme la sidérurgie et les chantiers navals.
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Alors il existe un remède de dernier recours: l'appel à la poche du contribuable, soit par la nationalisation, soit par les programmes de «contrats de modernisation» conclus entre le privé et l'État. C'est le grand air de la «politique industrielle» dont les syndicats aiment bien entonner périodiquement les grands refrains. Jusqu'au jour où les caisses de l'État sont vides et où la rigueur qu'exige le redressement ne permet plus de céder, même aux «amis ». Alors commence l'heure de la retraite organisée, à l'abri d'une comédie politique dont Hubert Landier a remarquablement décrit les mécanismes [103]. Mais, entre-temps, que de gaspillages et de dégâts accumulés! La convention collective, écrit Raymond Barre (dans son manuel), est un accord conclu sur les conditions de travail et le niveau des salaires entre un syndicat ouvrier et un employeur ou un groupe d'employeurs; elle constitue la charte des rapports collectifs dans une entreprise, une industrie ou une profession. Ses avantages sont multiples. Elle permet de compenser les inégalités entre travailleurs et employeurs, elle réalise aussi une stabilisation des conditions de travail pendant une certaine durée; elle engage les syndicats ouvriers dans la voie de la collaboration; en permettant une émancipation sociale des travailleurs, elle favorise la pacification sociale; elle suscite enfin une rationalisation des conditions de travail et une organisation de la profession [33].
L'analyse économique montre que c'est précisément la fonction même du marché que de conduire à 1'« organisation» des professions ! C'est la fonction même du marché et du système des prix que de promouvoir la «collaboration pacifique» du plus grand nombre! Paradoxalement, le langage de l'ancien Premier ministre trahit la contamination de l'idéologie de la «lutte des classes ». Comme tant d'autres, lui-même est sans le savoir victime de la « langue de bois». Nulle part il n'évoque les inconvénients, l'autre côté de la médaille. Nulle part il ne voit que le système des conventions collectives est précisément ce qui permet aux intérêts acquis de verrouiller leur position contre la concurrence des autres ...
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Le syndtcaliste vu comme un entrepreneur Le syndicat est une association. Une assocIatIOn d'hommes organisés en trois cercles concentriques : les dirigeants, les militants, les sympathisants. Un syndicat est d'abord, comme une entreprise, la création d'un homme ou d'une équipe. Des hommes que leur tempérament, mais aussi les circonstances, conduisent à l'action. Le syndicaliste est une sorte d'entrepreneur, ne craignons pas de le dire. C'est un peu la même race d'homme. L'un utilise ses dons d'organisateur pour réussir sur le marché libre. L'autre sur le marché politique. L'un joue la concurrence économique, l'autre la concurrence politique. Mais le premier accorde plus de poids à la séduction qu'à la contrainte (sans pour autant négliger celle-ci lorsque l'intervention contraignante de la puissance publique peut lui être utile); c'est l'inverse pour le second. Le syndicat résulte comme l'entreprise de la rencontre de deux éléments: 1) la présence d'un problème partagé par un certain nombre d'hommes, et qui donne lieu à l'émergence d'un intérêt commun; 2) l'action d'un homme (ou d'un groupe d'hommes) qui identifie la promotion de ses projets et ambitions personnels (que ces dernières soient totalement égoïstes ou parfaitement altruistes, sincères, désintéressées), à la prise en charge et à la promotion de cet «intérêt commun» (ici pris au sens large: l'intérêt de tous les membres d'une même profession, mais aussi 1'« intérêt» de tous les consommateurs d'un même bien). Le problème est celui de la négociation du panier d'éléments qui entre dans le contrat de travail. Ces éléments déterminent le «salaire réel» perçu entre contrepartie du travail fourni. L'intérêt de chacun est de conclure les « meilleurs» contrats possibles qui maximiseront le flux de ses revenus. L'idée est qu'en organisant une association de personnes exerçant les mêmes métiers, travaillant dans les mêmes entreprises ou dans les mêmes secteurs, et en s'en remettant à des techniques d'actions éprouvées, il est possible d'obtenir de « meilleurs» contrats.
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Celui qui organise cette association ne partage peut-être pas le même objectif; mais quel que soit son « plan» personnel (faire par exemple une carrière d'homme public), sa réalisation dépend néanmoins (avec toutes les atténuations qu'introduit la théorie de la «firme managériale ») des succès qu'il rencontre dans la promotion de l'intérêt commun. Son action se heurte toutefois à un problème spécifique : la nature « collective» du bien qu'il produit.
Sa préoccupation: les« passagers clandestins» Le produit de l'activité syndicale est un «bien collectif». Si un groupe d'employés se met en grève et fait ainsi fléchir la direction, tous les autres employés de la même firme, qu'ils soient membres du syndicat ou pas, qu'ils aient contribués à l'effort « collectif» ou non, bénéficieront des «concessions» arrachées à l'employeur: tout le monde bénéficiera indistinctement de la même augmentation de salaire, de la même amélioration des conditions de travail, du même aménagement des horaires, etc. En principe, les augmentations de salaires pourraient être réservées aux adhérents. Mais dans une même maison il est impossible de maintenir un système de rémunérations à deux vitesses: il suffirait que l'employeur se débarrasse ensuite des employés syndiqués pour que les salaires reviennent à leur niveau précédent. Le syndicat ne peut défendre ses conquêtes que s'il a le monopole de l'embauche (situation extrême où l'entreprise s'engage à ne pas faire appel à de la main-d'œuvre autre que les salariés de l'organisation), ou si le salaire ainsi «négocié» s'applique à tous (solution minimale). Quant aux autres produits (conditions de travail, horaires, environnement, sécurité, etc.) ils sont par essence même des «biens collectifs», c'est-à-dire des prestations non individualisables. Qui dit «bien collectif», dit inévitablement problème. En effet, si l'on peut bénéficier d'un avantage sans avoir à supporter les coûts et les désagréments de l'action qu'il est nécessaire d'entreprendre pour l'obtenir, pourquoi prendre le risque d'entrer en conflit avec son employeur, lui offrir un motif de licenciement, compromettre l'augmentation personnelle qu'il avait promise, et qui plus est se
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priver de salaire pendant toute la période de grève? Même si les dividendes de l'action collective sont importants, chacun a intérêt à laisser aux autres l'initiative de faire en sorte qu'ils en supportent les coûts. C'est le problème dit du «passager clandestin». Dans de telles conditions, comment est-il possible de faire fonctionner un syndicat? Comment peut-on encore recruter des membres et des cotisants, en dehors de quelques fanatiques ou éternels contestataires professionnels? Ainsi posée, l'analyse économique permet de mieux comprendre certains traits historiques qui ont conditionné le développement du mouvement syndical dans les pays industrialisés. Par exemple, ce caractère de «bien collectif» permet de mieux comprendre pourquoi les syndicats ne sont pas nés dans la grande industrie (ou étaient concentrées les masses ouvrières les plus déshéritées), mais au contraire ont pris la suite du compagnonnage dans un certain nombre de métiers spécialisés faisant appel à une main-d'œuvre qualifiée. Plus une organisation est grande, plus elle concerne une clientèle vaste, hétérogène, éparpillée, plus il est difficile d'arriver à organiser une action collective efficace. En revanche, c'est plus facile si l'on s'adresse à des communautés humaines de dimension réduite, où les intérêts réellement communs sont plus évidents et où existe un plus grand sentiment naturel de solidarité. Dans cette optique, les petits syndicats jouissent d'un avantage significatif par rapport aux grandes organisations. C'est ainsi qu'au xrxe siècle, ... les syndicats n'ont pas surgi dans les usines issues de la révolution industrielle, mais avant tout dans le bâtiment, l'imprimerie, la chaussure, et autres branches caractérisées par une production sur petite échelle, èt beaucoup plus tard seulement dans les grands complexes des aciéries, de l'automobile, etc.
Cela dit, le même problème de «bien collectif» joue contre la survie des petites organisations, et explique la spécificité des
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techniques utilisées par les états-majors syndicaux pour atteindre la dimension de mouvements de masse. La logtque de la concentration syndtcale
Les forces du marché travaillent contre toute organisation opérant dans un seul secteur: Souvent, rappelle Mancur Oison dans son célèbre livre sur l'action collective, les employeurs ne sont pas en mesure de survivre s'ils pratiquent des salaires plus élevés que les entreprises concurrentes. Ainsi un syndicat a intérêt à veiller à ce que toutes les entreprises sur un marché donné soient contraintes d'aligner les salaires sur l'échelle syndicale. En outre, lorsqu'un syndicat ne couvre que partiellement une industrie, l'employeur dispose d'une arme redoutable: les briseurs de grève. Les travailleurs d'une spécialité donnée qui passent d'une localité à une autre ont intérêt à appartenir à un syndicat national qui leur donne accès à un emploi dans chaque nouvel endroit. En outre, le pouvoir politique d'un grand syndicat est évidemment supérieur à celui d'un petit. Les stimulations pour fédérer les syndicats locaux et s'implanter dans les entreprises inorganisées augmentent considérablement à mesure que les progrès des transports et des moyens de communication élargissent le marché [142].
Autrement dit, la dynamique de l'économie de marché, parce qu'elle remet en permanence en cause les avantages acquis, incite les syndicats à fusionner et à regrouper leurs moyens de manière à faire échec à cette concurrence dont la logique est de défaire le lendemain ce qu'ils ont précisément réussi la veille. On passe d'un univers de petites unités syndicales locales et indépendantes à la présence d'un petit nombre de grandes centrales. L'essence de la fonction syndicale, le cœur de son pouvoir, se déplace vers les grandes fédérations nationales. Mais, pour en arriver là, se pose à l'égard des petits syndicats locaux le même problème de «bien collectif» qu'à propos de la création des premiers syndicats. Chacun sait qu'il a intérêt à s'allier avec les autres. Mais chacun a également intérêt à tirer profit de l'action collective sans pour autant en partager les coûts. Ce qui est vrai du travailleur à l'égard de son syndicat s'applique aussi aux syndicats par rapport à leurs
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fédérations. Comment tourner ce problème? Comment contraindre les syndicats locaux à s'affilier aux syndicats nationaux ? A ce dilemme, les syndicats ont trouvé quatre réponses.
La premIère réponse est d'offrir aux adhérents un arsenal d'incitations et de récompenses sélectives sous la forme d'avantages non collectifs ouverts gratuitement à ceux qui adhèrent, et qui sont refusées aux autres. L'exemple type est celui de l'Almagamated Society of Engeneers, fondée en 1851, qui fut le premier grand syndicat national à se révéler viable en Grande-Bretagne: sa particularité était de reposer sur une étroite combinaison entre commerce et activités amicales. Elle fournissait à tous ses membres une large gamme d'avantages allant de l'assistance judiciaire et de l'allocation chômage à l'assurance maladie et la caisse de retraite. Si cette stratégie a joué un rôle important au XIxe siècle, alors que les mécanismes de couverture sociale étaient encore peu développés (dans ce domaine, les syndicats ont joué un rôle pionnier), aujourd'hui il n'en est plus de même en raison du développement des systèmes étatiques de protection collective (sécurité sociale). La seconde réponse a consisté à apporter aux groupes membres de la fédération des avantages non collectifs que les syndicats locaux ne pouvaient pas offrir à leurs adhérents en restant seuls. Par exemple, les syndicats nationaux se sont équipés pour fournir un personnel d'experts que les syndicats locaux peuvent mettre à contribution. Ils leur offrent la disponibilité d'un fond de grève qui joue le rôle d'une sorte d'assurance-salaires, gérée par une administration centrale. Le syndicat national peut aussi offrir des avantages non collectifs directement aux membres d'un syndicat local qui émigrent vers d'autres localités. La dynamtque de l'adhésIon oblIgatoIre
TroIsIème recette: convaincre ceux qui persistent à rester en dehors du mouvement syndical que leurs problèmes et revendications seront les derniers à être pris en compte par la direction. Pour cela deux techniques ont été développées.
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- La première consiste pour le syndicat à revendiquer le mono-
pole du dialogue interne dans l'entreprise. Si le syndicat a le monopole du dialogue avec la direction pour le transfert des doléances, si c'est lui qui intervient lorsqu'il s'agit de protéger les salariés contre des heures supplémentaires trop nombreuses, de protester contre une répartition inéquitable du travail le plus déplaisant, contre les brimades d'un chef d'équipe, etc., sa capacité à faire pression sur les employés pour qu'ils apportent leur adhésion est bien évidemment plus grande [142]. - La seconde consiste, de la même façon, à obtenir que le syndicat soit nécessairement consulté pour le choix des règles d'avancement. Dans Logique de l'Action collecttve, Mancur OIson cite l'exemple de la Fédération des cheminots des États-Unis qui, au début du siècle, avait négocié avec les compagnies de chemin de fer un accord qui garantissait des promotions à l'ancienneté pour les membres du syndicat, alors que les travailleurs non syndiqués dépendaient uniquement du bon vouloir de leur employeur. Dernière technique, la plus radicale: l'affiliation obligatoire. elle peut être atteinte de deux façons: soit par le boycott - la constitution du syndicat interdit par exemple à ses membres de travailler pour quiconque emploie des ouvriers qui n'adhèrent pas au syndicat; soit par accord contractuel avec l'entreprise: c'est le cas du système anglo-saxon de la closed shop et de l'union shop. La closed shop signifie que seul les travailleurs adhérant déjà au syndicat peuvent postuler à un emploi offert dans l'entreprise. L'union shop pose seulement que toute personne prenant un emploi doit, dans un certain délai après son entrée dans l'entreprise, adhérer au syndicat qui y est implanté. Cependant l'adhésion obligatoire implique une organisation capable d'en contrôler la mise en œuvre. Notamment d'assurer le respect de la règle qui interdit aux non-adhérents de travailler dans une entreprise ou une branche donnée. Ce qui, inévitablement, pose le problème du recours à la violence et de la façon dont les lois la sanctionnent ou non. Conformément au schéma ainsi reconstitué, l'histoire confirme que c'est précisément à l'époque de la constitution des grands
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syndicats nationaux que les déchaînements de violence syndicale (ou antisyndicale) ont été les plus violents.
France " le législateur supplée aux faiblesses du syndicalisme politique On ne trouve pas en France l'équivalent de la closed shop ni de l'union shop à l'américaine ou à l'anglaise. Cela n'invalide cependant pas le caractère général de l'analyse présentée jusqu'ici. Là encore, c'est l'économiste américain Mancur OIson qui donne l'explication du pourquoi. Quand, écrit-il, un syndicat s'engage dans une négociation collective avec un employeur donné, il peut souvent obliger l'employeur à faire de l'adhésion au syndicat une des conditions de l'embauche; les membres du syndicat peuvent purement et simplement refuser de travailler avec des non syndiqués. Une fois que le syndicat a reçu la reconnaissance désirée de la part du patronat, son avenir est assuré. Mais un syndicat voué à ne fonctionner qu'à travers le système politique n'a pas une telle ressource. Il ne peut rendre l'adhésion obligatoire; il ne peut même pas traiter avec l'employeur, celui qui est le mieux placé pour contraindre les travailleurs à se syndiquer. S'il réussit de quelque manière à obtenir une adhésion forcée, il se trouvera dans une situation embarrassante car, en tant qu'organisation politique, il n'a aucune excuse de rendre l'adhésion obligatoire; en somme, l'exercice de la contrainte à des fins purement politiques semblera anormale dans un régime démocratique [1421.
Aux États-Unis, la première grande organisation syndicale nationale à s'implanter durablement fut l'American Federation of Labor, fondée en 1886 par Samuel Gombers. Pourquoi réussit-elle là où plusieurs entreprises précédentes avaient échoué? Parce que la Fédération américaine du travail, dès sa création, tourna résolument le dos à l'orientation de ses précurseurs qui voulaient privilégier la dimension politique du combat syndical. La raison du succès de l'APL, note OIson, vient du fait qu'elle a renoncé à l'activité politique pour concentrer ses efforts sur le contrôle de l'emploi.
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A contrario, on peut déduire de ces remarques, d'abord que la faiblesse traditionnelle du syndicalisme français s'expliquerait par son haut degré de politisation Oa présence des communistes, notamment, au sein de la CGT); ensuite, que c'est cette même politisation qui a empêché le développement des formules de closed shop et d'union shop, à l'exception de quelques secteurs particuliers (comme le Livre). Comment les syndicats français ont-ils compensé cette faiblesse? Simple: par le recours à la loi et à l'aide du législateur. Ce que les syndicats n'ont pas réussi à imposer aux entrepreneurs privés O'alimentation automatique de leurs caisses), ils l'ont obtenu de l'État. Non pas de façon directe, ce qui serait trop voyant. Mais de façon indirecte, notamment par la mise en place d'un système monopolistique de prévoyance sociale confié à des organismes de gestion paritaire, ou encore par la création de cette extraordinaire cassette que sont les comités d'entreprise. Prenons par exemple l'institution des « délégués du personnel». La loi en fait un monopole syndical. L'utilité de ce monopole s'explique aisément. Il s'agit de convaincre ceux qui persistent à rester en dehors du syndicat que leurs revendications seront les dernières à être prises en compte. Rappelons-nous les lois Auroux de 1982. Leurs dispositions sur l'expression des salariés étaient en fait spécifiquement conçues pour renforcer cet aspect du monopole. (Mais elles ont eu l'effet pervers que les conditions mêmes dans lesquelles elles ont été votées - par un pouvoir socialiste auquel les syndicats étaient étroitement liés - ont eu pour conséquence d'aggraver l'image de marque « politique» des militants syndicaux dans l'entreprise, et donc de détourner le personnel vers les nouvelles formes de dialogue interne mises en place par les entreprises avec l'aide de la hiérarchie: cercles de progrès, cercles de qualité, etc.). Prenons enfin les comités d'entreprise. A eux les activités sociales, sportives et culturelles - et donc les subventions et taxes spéciales conçues pour les financer. Ces fonds sont utilisés pour alimenter une quirielle d'entreprises, des sociétés de prestations de services, de bureaux d'études, etc., émanation directe des grandes centrales. Celles-ci accusent les multinationales de transfert illicite de profits par le mécanisme des « prix de cession ». Mais lorsqu'ils
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s'adressent aux imprimeries de la CGT, aux éditions qui dépendent du Parti communiste, aux agences de voyages de la CFDT, etc., ceux qui gèrent les fonds, souvent colossaux, détenus par les comités d'entreprise ne font pourtant pas autre chose. Par la voie de prix de faveur, par des adjudications tronquées, l'argent des contribuables ou celui des entreprises se retrouve dans les caisses des syndicats. Et tout le monde l'admet sans broncher.
Comment l'État assure leur financement obligatoire Même chose avec notre système de prévoyance sociale. Caisses de sécurité sociale, caisses de retraite, caisses d'allocations familiales, tout cela fait beaucoup de postes de président, vice-président, administrateurs, etc., pour récompenser de leurs bons et loyaux services les militants les plus anciens et les plus fidèles. Cela fait aussi beaucoup d'argent pour des subventions à des organisations dites «d'intérêt public» qui, parfois, ne sont que de simples antennes-relais pour capter l'argent des cotisants au profit d'organisations corporatives. Pensons également aux crédits d'heures financés par l'employeur, et garantis à tout responsable syndical exerçant un mandat officiel dans l'entreprise. Ou encore à la réglementation des licenciements. La saisine automatique des comités d'entreprise, les pouvoirs d'expertise extérieure dont ils peuvent se faire assister, ainsi que le contrôle des licenciements par une Inspection du travail elle-même fortement noyautée par les syndicats, font que, souvent, ce sont en réalité les syndicats qui en supervisent les modalités d'exécution: encore une incitation certaine à ne pas être trop mal avec le syndicat et ses représentants locaux. Ce n'est pas encore le syndicat qui gère la main-d'œuvre, mais on s'en rapproche. Comme nous le verrons plus en détail au chapitre 3, ces exemples rapides nous font redécouvrir le Droit du travail sous un jour nouveau. En approfondissant l'analyse, on découvre que la plupart des articles du Code du travail, ainsi que notre législation sociale, servent en définitive à renforcer d'une manière ou d'une autre le pouvoir de contrôle monopolistique des syndicats sur le marché du travail.
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C'est une belle preuve de leur efficacité politique. Mais aussi une illustration de la manière dont l'analyse économique, en tant que science des choix, des comportements et des intérêts, permet d'approfondir la connaissance de certaines de nos institutions. Les changements intervenus depuis un demi-siècle dans notre environnement institutionnel sont souvent utilisés comme argument pour expliquer que les lois de l'économie classique ne s'appliquent plus, et ne peuvent donc être utilisées pour étudier l'univers concret des relations du travail. Nous pensons au contraire que la puissance explicative du modèle économique confirme la valeur de l'hypothèse méthodologique qui sert de fondement à l'analyse libérale classique des syndicats: l'assimilation du syndicat à un cartel demeure l'instrument le plus efficace dont nous disposions pour comprendre le rôle qu'ils jouent dans nos sociétés et apprécier quel type de législation devrait leur être appliqué.
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Les syndicats sont-ils utiles?
Depuis la guerre, les syndicats n'étaient plus un sujet d'étude très prisé des économistes. Un professeur a calculé que 9 % des articles publiés dans les années 40 dans les revues économiques avaient pour sujet les syndicats. Dans les années 60, le pourcentage était descendu à 2. En 1975, il n'était plus que de 1,5. Les syndicats étaient devenus la province quasi exclusive des sociologues et spécialistes en «relations sociales». Tout se passait comme si les économistes avaient cessé de s'intéresser au sujet, malgré l'absence de recherche vraiment fondamentale sur la nature du phénomène syndical et ses effets sur l'environnement économique. Depuis quelques années on assiste cependant à un renouveau d'intérêt des économistes, largement dû à la controverse suscitée par le livre de deux chercheurs de Harvard, Richard B. Freeman et James L. Medoff [671. Traditionnellement, les économistes du travail sont plutôt des « institutionnalistes » qui délaissent les longues recherches chiffrées et ne s'intéressent guère aux subtilités de la théorie moderne de l'optimum. L'originalité de Freeman et de Medoff a été de rompre avec ce comportement et de traiter l'économie des syndicats avec toutes les ressources statistiques et économétriques dans la tradition des recherches du National Bureau of Economie Research.
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Le résultat est un travail extrêmement sophistiqué où les deux auteurs attaquent de façon persuasive la thèse de notre premier chapitre - :l savoir que le syndicat doit d'abord et avant tout être perçu comme un groupe de pression :l vocation redistributive. Leur argument est que se concentrer sur l'aspect monopolistique des syndicats empêche de voir le rôle positif qu'ils exercent dans la société en tant que véhicules de protestation; et que, globalement, leur contribution :l l'économie est plutôt largement positive. La somme de recherches et de calculs empiriques introduite dans leur thèse a assuré son succès. Nous vivons une époque où le caractère « scientifique» d'un travail dépend avant tout de la quantité de chiffres, de tableaux et de régressions qui y figurent. Par leurs publications, Freeman et Medoff ont apporté une légitimité «scientifique » aux arguments de ceux qui prétendent que la contribution des syndicats au bien-être des sociétés industrielles modernes est nécessairement positive. Nous pensons l'inverse. Mais, pour défendre la validité de notre thèse, Freeman et Medoff nous imposent maintenant de démontrer qu'on ne peut pas tirer de la quantité d'informations empiriques qu'ils ont rassemblée les conclusions qu'ils prétendent. Tel est l'objet de ce second chapitre. La plupart des faits nùs à jour par Freeman et Medoff sont certes incontestables. Tout économiste a désormais une dette envers eux pour la patience que leur a demandée leur travail de recherche statistique. Mais il ne suffit pas de multiplier les données empiriques, encore faut-il savoir les interpréter correctement. C'est là où nous ne sommes plus d'accord. Nous croyons qu'en partant des mêmes constatations empiriques, il est possible de prétendre qu'elles valident en réalité davantage la thèse traditionnelle du syndicat-cartel que leurs propres conclusions. Dans un premier temps nous présenterons un résumé de la thèse de Freeman et Medoff. Nous discuterons ensuite la validité des preuves empiriques qu'ils prétendent apporter :l l'appui de leur argumentation.
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LES ARGUMENTS DE FREEMAN ET MEDOFF Traditionnellement, quatre attitudes s'affrontent. L'analyse économique explique que les syndicats servent surtout à exercer un effet de monopole sur le marché du travail. Leur action a pour conséquence principale de relever le niveau relatif des salaires dont bénéficient les salariés syndiqués, au détriment de leurs collègues non syndiqués. Elle entraîne des effets négatifs sur l'évolution de la productivité et l'emploi. Les chefs d'entreprise se plaignent, eux, du caractère rigide des conventions collectives imposées par l'action syndicale, des entraves à la production qu'introduit le renouvellement des grèves, ainsi que du niveau plus élevé d'absentéisme qui résulterait des progrès de la protection syndicale. Les spécialistes des relations humaines insistent essentiellement sur les avantages que les entreprises retireraient, sur le plan de la gestion, des progrès de la négociation collective. Celle-ci faciliterait les gains de productivité. Enfin, les cadres syndicalistes insistent pour rappeler que leurs organisations ne sont pas seulement là pour défendre les salaires; elles remplissent également une fonction essentielle de protection des syndiqués contre les décisions arbitraires de la direction. Toutes ces affirmations ne sauraient être vraies simultanément. Lesquelles sont les plus crédibles? Jusqu'à présent, on ne disposait que de très peu de données empiriques permettant de départager les points de vue. C'est cette insuffisance des données statistiques qui a motivé les travaux des deux chercheurs américains.
Les deux armes du travailleur: le départ et la protestation Albert O. Hirschman, dans son célèbre livre Exit, Volee and loyalty, distingue deux mécanismes par lesquels les gens réagissent à un écart entre leurs aspirations et la réalité [861. Freernan et Medoff reprennent à leur compte cette typologie. Les travailleurs insatisfaits de leurs rémunérations ou de leurs conditions
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de travail réagissent, et sanctionnent leur patron en quittant leur emploi pour un autre, qui leur semble meilleur, dans une autre firme. Mais il existe également une autre manière de faire part de son mécontentement: protester. Avant que de prendre la porte, on fait part à son patron, de manière plutôt vive, de ce qui ne va pas. Ces deux modes de sanction ne sont pas équivalents. Lorsqu'on discute avec son patron, mieux vaut être plusieurs que seul. Deux facteurs renforcent le caractère nécessairement collectif des actions de protestation. Leur objet, les conditions de travail, ont à bien des égards un caractère naturel de «biens publics ». Lorsqu'il s'agit de conditions de sécurité, d'éclairage, de cadences, de règles de négociation des salaires, d'arbitrage en matière de licenciement. .. ce qui est accordé peut difficilement être limité à quelques bénéficiaires et interdit aux autres. Comme pour la défense nationale, l'hygiène et la santé publique, il s'agit de « biens» qui concernent l'ensemble d'une communauté, et qui, pour être produits en quantité optimale, requièrent des procédures de décision collective. En l'absence d'action collective, les individus ne tiendront pas compte dans leur comportement des conséquences de leurs faits et gestes sur le bien-être des autres. L'action individuelle pour obtenir l'amélioration des conditions de travail ou du niveau des salaires sera peu efficace car les « coûts» en seront concentrés sur la personne alors que tout le monde profitera des résultats acquis. C'est cette assymétrie entre les coûts et les avantages qui rend l'action individuel1e inadéquate, et donc improbable, pour traiter ce genre de problèmes. Par ailleurs, un ouvrier isolé, même s'il a de bons motifs, n'osera pas élever la voix de peur de prendre le risque de se faire renvoyer. Si le monde où évoluent les travailleurs était parfait, soulignent Freeman et Medolf, et s'ils avaient donc la possibilité garantie de retrouver aussitôt du travail au même salaire, la loi du marché suffirait à assurer la protection de la liberté de parole: malheureusement ce n'est pas le cas.
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Lorsqu'il n'y a pas de syndicats, les entrées et les sorties représentent donc le principal mode d'ajustement par lequel les travailleurs peuvent exprimer leur mécontentement. Les employeurs, de leur côté, règlent leur comportement en fonction des préférences du travailleur marginal, celui qui sera prêt à partir au moindre changement dans les termes de l'échange. Ce travailleur marginal est celui pour lequel les «coûts de mobilité» sont les plus bas. C'est typiquement un homme jeune, qui n'a pas encore investi véritablement dans l'entreprise pour laquelle il travaille. Dans ce cas, l'entreprise tend à négliger les besoins de la maind'œuvre plus ancienne et plus âgée, qui, elle, est moins mobile pour des raisons de compétence technique et de qualifications spécifiques aux métiers de la firme où elle est employée, ou encore de « droits » non transférables ailleurs (comme les pensions de retraite à la mode anglo-saxonne).
Les syndtcats réduisent les ftrme
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Si l'on est en présence d'entreprises fortement syndicalisées, expliquent les deux auteurs américains, la tendance sera au contraire de tenir compte des préférences de tous les travailleurs, de telle sorte que les besoins de ceux qui sont le moins à même de s'exprimer individuellement (parce que c'est pour eux que les coûts de prendre le risque de quitter l'entreprise sont les plus élevés), seront également pris en considération. De ce fait, concluent-ils, loin de nuire à la productivité, le mécanisme de protestation par l'action collective du personnel est au contraire un facteur d'amélioration des performances, et cela de quatre façons : 1. La présence d'un syndicat permet de réduire les «coûts de transaction» de l'entreprise. Lorsqu'un employé formé par l'employeur le quitte avant que ce dernier n'ait récupéré la contrepartie de son coût d'investissement, c'est une perte sèche pour la firme. En offrant aux employés la possibilité de protester ouvertement, avec moins de risques personnels, le syndicat diminue
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la mobilité des travailleurs ies plus insatisfaits, et donc les coûts que cela entraîne pour l'entreprise. 2. Parce qu'il contrôle l'établissement et l'évolution des rémunérations et qu'il les déconnecte des performances individuelles, le syndicat réduit l'intensité des phénomènes de rivalité au sein du personnel. Sa présence améliore la coopération des gens au travail. Ce qui facilite le contrôle des performances individuelles par l'encadrement. L'entreprise supporte des « coûts de contrôle» moins importants. 3. En favorisant la hausse des salaires en structurant les rémunérations autour d'un certain nombre de normes types, l'activité du syndicat facilite le travail de gestion du personnel. Elle permet à l'encadrement de faire son travail plus efficacement. 4. La présence du syndicat améliore la communication entre les employés et leur encadrement. En facilitant la circulation de l'information, en facilitant également l'introduction d'innovations locales dans le processus de production, elle entraîne des effets positifs sur la productivité. Entendons-nous bien. Freeman et Medoff ne nient pas la réalité de phénomènes monopolistiques classiques. Ils reconnaissent qu'ils existent, et qu'ils sont source d'effets nuisibles. Mais, prétendent-ils, il force d'insister sur les aspects négatifs de l'action syndicale, les économistes traditionnels ont fini par oublier totalement que les syndicats pouvaient également être il l'origine de certains effets bénéfiques. Ce sont ces effets qu'ils s'efforcent de présenter dans leur livre, avec force chiffres et données empiriques il l'appui. 1. LES ~CARTS DE SALAIRES
Comment les rémunérations dans les secteurs il forte implantation syndicale se comparent-elles aux secteurs il faible syndicalisation? Avant Freernan et Medoff, les travaux les plus connus et influents étaient ceux du professeur G. Lewis [110]. Publiés en 1963 (et confirmés par une nouvelle étude rendue publique en 1983), ils suggéraient que les salaires des secteurs syndiqués seraient en moyenne supérieurs de 10 il 20 % il ceux des autres secteurs. A partir de leurs
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régressions, Freeman et Medoff trouvent un écart sensiblement plus important. Compris entre 20 et 30 %. Le problème de ces estimations est qu'elles portent le plus souvent sur des données de nature transversale où ce sont des salaires gagnés par des gens différents qui sont comparés à un moment unique dans le temps. Ce genre d'analyse présente une faiblesse j les écarts constatés peuvent avoir deux origines: ils peuvent s'expliquer par la différence de syndicalisation, mais ils peuvent aussi avoir pour cause des données propres aux deux populations étudiées - la technique utilisée ne permet pas de faire la part des choses entre les deux hypothèses. Pour obtenir des chiffres incontestables, il faudrait par exemple éliminer l'influence de variables telles que les différences de formation et qualification. Il n'est en effet pas absurde de penser qu'en raison du caractère mieux protégé des emplois offerts, les entreprises des secteurs d'activité à fort taux de syndicalisation ont plutôt tendance à recruter des agents présentant, toutes choses égales d'ailleurs, des qualifications professionnelles plus élevées. Pour pallier cet inconvénient, des études portant sur des données statistiques longitudinales ont été entreprises. Elles observent comment le salaire d'un employé évolue quand il passe d'une activité à forte implantation syndicale à une activité où l'influence des syndicats est beaucoup plus faible (voir nulle). Leurs résultats donnent un écart moyen compris entre 8 et 15 %. Ce qui confirmerait que l'avantage salarial apporté par la présence de syndicats forts serait loin d'être négligeable. Ces estimations proviennent des États-Unis. D'autres travaux ont été réalisés sur des données canadiennes. Ils donnent des estimations d'écart compris entre 20 et 30 %. En Grande-Bretagne, le différentiel a été estimé aux alentours de 7%. En revanche, en France, aucun écart notable n'a pu être observé. Deux études y ont été réalisées. L'une par le tandem Frédéric Jenny et André Weber, deux économistes connus travaillant pour le Conseil de la concurrence. L'autre par François Hennart, de l'université d'Orléans. Les premiers n'ont pas réussi à séparer l'effet sur les salaires lié au taux de syndicalisation, du fait que ce sont les secteurs
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les plus syndiqués qui sont aussi les plus concentrés. Le second, quant à lui, n'a trouvé aucune différence significative de salaire dès lors que l'on fait intervenir des données comme la structure des âges, le sexe, ou le niveau de qualification de la force de travail [92, 82). Les études des deux économistes américains font enfin apparaître une moins grande dispersion des rémunérations dans les secteurs fortement syndiqués. L'écart des salaires y serait réduit de 20 à 25 %. 2.
LES AVANTAGES EN NATURE
Les avantages en nature sous forme de pensions complémentaires, de retraite, d'assurances médicales, de congés payés, d'indemnités de départ, de prêts bonifiés, etc., sont incontestablement le produit de la syndicalisation. Ils représentent souvent plus du tiers du coût du travail dans l'entreprise, allant même parfois au-delà de 50 %. Les travaux statistiques de Freeman et Medoff confirment l'existence d'une corrélation très significative avec le taux de syndicalisation. En moyenne, les secteurs fortement syndicalisés bénéficieraient d'avantages en nature dont le montant serait supérieur de plus de 60 % à ce qui est observé dans l'échantillon de firmes où le taux de syndicalisation est faible. A salaires constants, l'écart serait encore de plus de 30 %.
3.
LES DIFFÉRENCES DE MOBILITÉ
Pour Freeman et Medoff, l'un des avantages économiques du syndicat est qu'en négociant des procédures de réclamation et d'arbitrage, ainsi que des règles d'ancienneté plutôt plus favorables aux plus anciens dans l'entreprise, il favorise une réduction de la mobilité de la main-d'œuvre. Leurs chiffres confirment une plus grande stabilité de l'emploi dans l'échantillon d'entreprises à forte implantation syndicale. Selon les secteurs, le taux moyen des démissions y est entre 30 et 65 % inférieur à ce que l'on observe ailleurs. Le nombre moyen d'années passées par un salarié dans une entreprise y est de près d'un tiers plus long. Cette moindre mobilité, du fait des comportements spontanés de la main-d'œuvre se traduirait, pour l'entreprise, par une économie de coûts de l'ordre de 1 à 2 %. Pour obtenir dans les firmes des
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secteurs les moins protégés un taux de démission identique, il faudrait, selon Freeman et Medoff, y augmenter les salaires d'environ 40%. ". LES AJUSTEMENTS CONJONCTlJRELS
Dans l'entreprise, une catégorie de décisions importantes concerne la façon dont il convient de réagir aux variations soudaines et imprévisibles de la demande. Faut-il en priorité faire porter l'ajustement sur les salaires, les heures de travail ou le niveau de l'emploi? Les recherches de Freeman et Medoff confirment que la présence d'une influence syndicale forte modifie le comportement des firmes face aux aléas inattendus de la conjoncture. Durant les périodes de récession, les entreprises fortement syndiquées recourent davantage au licenciement temporaire, et ont plutôt tendance 1 éviter toute incidence sur le nombre d'heures travaillées, ainsi que sur les salaires. Lorsque la reprise apparait, elles reprennent leurs anciens employés, cependant que les fumes non syndiquées embauchent plutôt de nouveaux salariés. Ce n'est que lorsque la crise se prolonge que les syndicats se montrent davantage disposés 1 accepter des baisses de rémunération, ainsi que des aménagements aux conditions de travail.
5. L'IMPORTANCE DE L'ANCENNE'Œ Freeman et Medoff mettent en évidence l'existence d'une corrélation étroite entre le taux de syndicalisation et la présence de dispositions contractuelles favorisant l'ancienneté dans l'entreprise. Ils montrent que, dans les firmes fortement syndiquées, la séOlrité de l'emploi et l'avancement y sont d'autant mieux assurés que les ouvriers concernés sont plus anciens. D'une manière générale, les avantages en nature sont ainsi conçus qu'ils bénéficient davantage aux plus anciens qu'aux autres.
6.
LE TAUX DE SATISFACI10N DES SALARI2s
L'un des résultats paradoxaux de l'enquête de Freeman et Medoff fait apparaitre que si les travailleurs des entreprises les plus fortement syndiquées sont en règle générale moins tentés de quitter
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
volontairement leur emploi, en revanche, c'est dans cette catégorie d'entreprises que les gens se plaignent le plus de leur situation. Leurs griefs portent principalement sur les conditions de travail, ainsi que leurs rapports avec les contremaîtres. Pour les deux économistes, cette contradiction n'est qu'apparente. Pour obtenir des avantages, il faut exprimer son mécontentement. Il est donc normal que, même si les gens n'ont pas envie de quitter leur travail, les syndicats y entretiennent un degré d'insatisfaction suffisant pour peser sur les décisions de l'employeur. 7.
LES EFFETS SUR LA PRODucrIVITÉ
Selon Freeman et Medoff, c'est une erreur de croire que la présence d'un syndicalisme actif dans l'entreprise nuit à la productivité. Leurs observations, affirment-ils, montrent que dans de nombreux secteurs c'est l'inverse. Les établissements syndiqués afficheraient, dans l'ensemble, une productivité plus élevée. L'explication en serait simple. Le monopole syndical incite l'encadrement à embaucher une main-d'œuvre plus qualifiée pour ajuster la productivité aux salaires versés. La moindre mobilité et l'amélioration des méthodes de gestion assurent une coopération plus efficace au sein de l'entreprise: elles réduisent les occasions de conflit et donc les coûts internes. Certes, le syndicat a le moyen d'imposer des conditions restrictives de travail (cf. le fameux exemple du syndicat des pilotes exigeant la présence de trois personnes dans le cockpit de l'appareil, alors que celui-ci a été spécifiquement conçu pour être piloté par deux personnes seulement). Mais, expliquent Freeman et Medoff, les analyses empiriques démontrent que les deux premiers effets l'emportent largement sur le troisième. La productivité serait en gros supérieure de 20 à 30 % dans les établissements les plus syndiqués. 8. L'EFFET SUR LES PROFITS Les études de Freeman et Medoff confirment la présence d'une corrélation négative entre le pouvoir syndical et la rentabilité des capitaux investis. D'une manière générale, la syndicalisation diminue les profits de la firme. Cette réduction se situerait, selon eux, dans une fourchette de 10 à 30 %, selon les années et les secteurs d'activités. Leurs données confirment également que cet effet sur les
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profits est le plus fort là où l'industrie est la plus concentrée; et le plus faible en revanche là où la concurrence est la plus forte. Lorsqu'une entreprise détient un véritable monopole industriel ou commercial, la présence d'un syndicat puissant entraîne une forte réduction des profits. Elle n'a que peu d'effets lorsque la firme appartient à une activité où la concentration est faible.
9.
LA PUISSANCE POLITIQUE
Aux États-Unis, le lobbytng est une activité quasiment officielle. Les syndicats ne se privent pas d'utiliser leur pouvoir de pression sur les hommes politiques. Les militants syndicaux interviennent activement dans le soutien à la campagne des candidats les plus favorables aux thèses et renvendications syndicales. Toutefois, selon les travaux de Freeman et Medoff, si les syndicats américains ont jusqu'à présent bénéficié d'un pouvoir politique suffisant pour éviter que ne soient remis en cause les grands textes législatifs qui fondent leur pouvoir monopolistique dans les secteurs où leur influence est depuis longtemps déjà assurée (le Noris La Guardia Act, par exemple), en revanche il ne s'est pas révélé suffisant pour leur permettre d'étendre leur influence dans de nouveaux secteurs à tradition syndicale faible. 10. LE DÉCLIN DES ADHÉSIONS SYNDICALES
Le pourcentage de la population active syndiquée, dans le secteur privé de l'économie américaine, a sérieusement régressé depuis les années 50. Selon Freeman et Medoff, ce phénomène s'expliquerait principalement par la chute du recrutement dans les secteurs les moins syndiqués. Ils incriminent également le comportement des entreprises américaines qui, depuis quelques années, auraient multiplié les mesures légales, mais aussi illégales, pour enrayer les progrès de la syndicalisation. Telles sont les principales thèses que Freeman et Medoff présentent dans leur ouvrage. Nombre de données qui y figurent sont incontestables. Nous pensons cependant que les conclusions qu'ils en tirent, même s'ils n'ont pas tort sur tout, sont trompeuses, souvent fausses, et parfois fondées sur des preuves empiriques qui restent néanmoins douteuses. Nombre de faits rapportés par Freeman et
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
Medoff restent compatibles avec l'interprétation classique du syndicat vu comme un cartel, et peuvent être resitués dans une approche contredisant le modèle d'exit and voice qu'ils proposent.
LES DÉFICIENCES DE L'ANALYSE DE FREEMAN ET MEDOFF
Au cœur de l'analyse des deux économistes américains, il y a la thèse que les services des syndicats constitueraient un ensemble de «biens collectifs », générateurs d'« externalités » positives. Les syndicats offriraient des services qui, dès lors qu'ils seraient disponibles pour un salarié, le seraient nécessairement pour tous du fait de la difficulté d'empêcher quiconque d'en bénéficier. Dans de telles circonstances, il est difficile d'éviter qu'un grand nombre de gens se comportent en «passagers clandestins» : chacun attend que ce soit l'autre qui prenne l'initiative et en supporte les coûts de production. Une contrainte légale au profit des syndicats serait donc nécessaire pour que ces services soient produits. C'est la justification traditionnellement utilisée par les économistes pour légitimer l'intervention de l'État. Cet argument est contestable. Il n'est pas nécessairement vrai que les services rendus par les syndicats soient « par nature» des biens collectifs, Ainsi que le rappelle John Burton [31), les services rendus par les syndicats peuvent être regroupés en quatre rubriques: 1. La négociation des termes du contrat de travail. Le syndicat négocie en lieu et place de l'employé, son salaire, les avantages en nature, ainsi que les conditions de travail. 2. La surveillance de l'exécution des termes du contrat. Le syndicat veille à ce que les clauses contractuelles soient bien appliquées. Il protège les salariés contre des décisions de la direction qui auraient pour conséquence de remettre en cause certains termes de l'accord collectif. 3. Une action de soutien politique. Les syndicats font pression sur les parlementaires pour obtenir des législations favorables aux
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intérêts de leurs adhérents. Ils interviennent dans le financement des partis politiques, contribuent à la diffusion de leurs idées, et aident leur propagande électorale. 4. L'apport d'avantages privatifs. L'adhésion au syndicat permet de bénéficier d'un certain nombre de services réservés aux syndiqués: par exemple l'accès à certaines mutuelles, les colonies de vacances gérées par les comités d'entreprise, des centrales d'achat avec des facilités de paiement, etc. Question: Tous ces services sont-ils vraiment des «biens collectifs» ? A l'évidence, les colonies de vacances, les bons d'achat, les mutuelles ne sont pas des «biens publics ». Il en va de même pour l'activité politique des syndicats. Elle est un « bien public» pour les gens qui partagent les mêmes idées que l'homme politique en faveur de qui le syndicat fait campagne. Mais pour les autres, il s'agit plutôt d'un « mal».
Il s'agit de faux
«
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La négociation des contrats, ainsi que la surveillance de leur application, ne sont pas davantage des services dont on peut considérer qu'ils ont par nature un caractère «public» ou «collectif ». Dans les deux cas, l'exclusion est possible. On pourrait imaginer que les syndicats interviennent seulement pour négocier collectivement les contrats de leurs adhérents et laissent les autres se débrouiller. Freeman et Medoff évoquent également l'argument selon lequel le lieu de travail, et tout ce qui le caractérise Ga sécurité, l'éclairage, le chauffage, le confort des installations, etc.), constitueraient un «bien public ». L'analogie qui vient immédiatement à l'esprit est celle de la rue. Mais cette assimilation est abusive. A la différence de la rue, le lieu de travail est la propriété de quelqu'un. Si un salarié n'est pas content de l'éclairage qui règne dans son atelier, s'il conteste les règles de sécurité qui y sont imposées par le propriétaire (interdiction de boire de l'alcool sur le lieu de travail, obligation d'entretenir et de nettoyer les machines avant de s'en aller, etc.), ou encore s'il n'est pas content des prestations qu'il trouve à la cantine
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
de l'établissement, personne ne l'empêche de chercher un travail ailleurs. Freeman et Medoff raisonnent comme si les ouvriers étaient « copropriétaires» de leur atelier; ou encore comme si ces lieux n'appartenaient à personne. Or ce n'est pas le cas. Autre faiblesse de leur raisonnement. Admettons qu'il y ait une liaison positive entre taux de syndicalisation et efficacité productive, et que celle-ci résulte bien de ce que la présence d'un syndicat actif améliore la coopération. Si tel est le cas, on ne voit pas pourquoi les entreprises auraient encore besoin de recourir aux services de contremaîtres et de tout un personnel d'encadrement. N'est-ce pas précisément leur métier que d'assurer une meilleure organisation et coopération des salariés dans le cadre de leurs tâches quotidiennes? Pourquoi l'entreprise ne se dessaisit-elle pas de ces problèmes pour en confier l'administration aux syndicats eux-mêmes, puisque, si l'on écoute Freeman et Medoff, ils sont supposés être plus efficaces? De la même façon, si cette hypothèse était vraie, comment se fait-il que tant de firmes continuent encore de lutter contre la présence des syndicats? Faut-il supposer que les chefs d'entreprise sont tous des masochistes? Tout ceci est incohérent. Reste l'argument que l'employé est, par rapport à son employeur dans une situation d'infériorité car la seule sanction dont il dispose le quitter pour une autre firme, implique un ensemble de coûts personnels qui freinent sa mobilité. Creusons cette notion. Si la mobilité a un coût, c'est notamment parce que l'occupation d'un travail implique de la part de l'employé un certain investissement dans des savoir-faire, des connaissances ou des tours de main spécifiques à l'entreprise, et qui ne lui seront plus d'aucune utilité s'il passe dans une autre firme. Si l'on suit Freeman et Medoff, cette situation justifierait que l'on protège ces travailleurs contre la concurrence de salariés marginaux qui, eux, n'ayant pas investi autant, ou ne cherchant pas à investir, accepteraient les emplois qu'ils convoitent pour un salaire moindre. Il s'agirait, en d'autres termes, de protéger les salariés contre les phénomènes de dévalorisation de leur capital de savoirs spécifiques qui se produit à l'occasion de chaque changement d'emploi.
LES SYNDICATS SONT-ILS urILES ?
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Un handicap qui n'existe pas
Mais au nom de quoi devrait-on leur accorder cette protection? La réalité d'un tel coût est en fait fort problématique. Si un travailleur
s'attend à rentrer dans une entreprise où il sait qu'il n'a aucune chance de récupérer, en cas de départ, la moindre partie de ses investissements en capital humain, dès le début il exigera un salaire plus élevé. Freeman et Medoff raisonnent sans tenir compte que sur un marché du travail où la concurrence, pour attirer et fidéliser une main-d'œuvre aux savoirs de plus en plus spécialisés est forte, le marché capitalise dès le départ, dans les rémunérations, ce genre d'aléa. Par ailleurs, une façon pour les entreprises d'attirer la maind'œuvre est d'offrir aux salariés embauchés la garantie qu'ils retrouveront lors de leur départ la contrepartie des efforts spécifiques d'investissement consentis pendant leur présence dans l'entreprise. Comment? En leur offrant des contrats qui prévoient le versement d'indemnités de départ. Celles-ci représentent dès l'embauche une sorte de reconnaissance des droits de propriété de l'employé sur le capital spécifique qu'il aura accumulé dans son travail. Elles sont un facteur de plus grande productivité puisque l'employé n'hésitera plus à investir dans des savoirs ou des compétences dont il n'a pas la garantie qu'il pourra demain en monnayer la valeur dans un autre emploi. A la différence de Freeman et Medoff, ce raisonnement laisse entendre que la présence d'un marché libre et concurrentiel est, là encore, la meilleure garantie de réduire les « coûts de mobilité )) de la main-d'œuvre. La protection des droits des uns sur leur accumulation de capital humain spécifique n'est pas acquise au prix du sacrifice du droit des autres de venir leur faire librement concurrence sur le marché du travail. La solution qui émergeait du fonctionnement d'un marché libre et concurrentiel est plus juste que l'intervention restrictive du syndicat. En réalité, le modèle traditionnel du monopole, combiné avec un modèle de représentation des processus d'action collective mettant l'accent sur le rôle central des préférences de 1'« employé
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
médian », suffit largement à rendre compte de la plupart des faits statistiques observés par Freeman et Medoff, sans qu'il soit besoin de faire appel à leurs explications [132]. Pour le démontrer, nous prendrons quatre exemples .
Les écarts de rémunbat10n peuvent être expliqués par d'autres éléments du marché du travatl Admettons qu'il soit démontré sans l'ombre d'un doute que les salaires des secteurs d'activité les plus syndicalisés sont nettement plus élevés, cela ne suffit pas pour autant à démontrer qu'il y a un lien de causalité nécessaire et durable entre syndicalisation et taux de salaires. On peut expliquer le même résultat en faisant intervenir d'autres facteurs et mécanismes. Prenons un modèle simple à deux secteurs. L'un bénéficie de la « protection» d'un syndicat puissant. Les syndicats sont totalement absents de l'autre. Grâce à l'action de leur syndicat, les ouvriers du premier arrachent à leurs entreprises le versement de meilleurs salaires. Ce taux de salaires plus élevé y réduit l'embauche. Un certain nombre d'ouvriers qui y auraient trouvé un emploi sont contraints de rechercher un travail dans le secteur non syndicalisé. Cet affiux de demandes y entraîne une baisse du taux des salaires jusqu'à ce que les conditions du plein emploi y soient retrouvées. Résultat: on a deux secteurs, avec deux taux de salaires différents, mais un taux de chômage finalement inchangé. Cependant, cet écart de salaires crée une opportunité de profit. Des travailleurs du secteur protégé sont attirés par les hauts salaires pratiqués dans l'autre. Ils préfèrent y rester plus longtemps au chômage plutÔt que de prendre un emploi dans le secteur moins bien rémunéré, parce qu'ils attendent qu'un emploi éventuel s'y libère. De même des gens qui ne se manifestaient pas encore sur le marché du travail parce qu'ils n'étaient pas satisfaits des rémunérations proposées, sortent de leur réserve et gonflent la file d'attente de ceux qui viennent s'inscrire au chÔmage dans l'espoir de trouver un jour un emploi dans le secteur où les salaires sont les plus élevés. En résultat, on a bien deux niveaux de salaires différents. Mais, en contrepartie,
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on a aussi la formation de files d'attente, avec des probabilités différentes de trouver l'emploi recherché. Le secteur syndicalisé étant selon toute vraisemblance celui où les barrières :l l'entrée sont les plus importantes, donc aussi celui où le taux de rotation des emplois est sans doute le plus faible, il se peut que l'écart apparent des rémunérations offertes ne corresponde pas :l une différence significative des revenus réellement attendus par des agents économiques. Dans ce cas, la présence d'un écart de salaire important et durable peut être interprétée non pas comme le produit de deux rapports de force différents liés :l la présence ou non d'un pouvoir syndical fort, mais comme la contrepartie au niveau des salaires de la coexistence de deux marchés du travail caractérisés par des variables institutionnelles différentes: sur l'un, les rémunérations sont peut-être plus basses, mais cela est compensé par une rotation plus rapide des emplois et une probabilité plus grande pour chaque demandeur d'emploi d'accéder au travail qu'il convoite; sur l'autre, les salaires sont plus élevés, mais cet avantage se trouve réduit par la probabilité plus faible pour chaque demandeur d'obtenir l'emploi qu'il recherche. Les données fournies par Freeman et Medoff ne tiennent malheureusement pas compte de cette hypothèse.
coat économtque du monopole syndical est beaucoup plus élevé qu'Ils le disent
Le
Freeman et Medoff estiment :l 0,24 % du Produit national brut la perte sociale totale liée :l la présence de monopoles syndicaux. Ce chiffre paraît bien faible. La figure (p. 77) fait apparaître, sur l'axe vertical, le salaire maximal que les employeurs 1, 2, 3 ... sont prêts :l offrir, ainsi que le salaire minimal que les travailleurs a, b, c... exigent pour abandonner leurs autres activités et prendre les emplois salariés qui leur sont ainsi offerts. L'axe horizontal représente les embauches. Les particuliers classent par ordre décroissant les rémunérations maximales offertes par les différentes firmes, cependant que les employeurs font l'inverse: ils y classent par ordre croissant les rémunérations minimales exigées par ceux qui postulent aux emplois qu'ils offrent.
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
Le salaire maximal qu'une firme est prête à payer est déterminé par la valeur de la productivité marginale d'une embauche. Celle-ci dépend, d'une part de la productivité de la firme (c'est-à-dire sa capacité à combiner les facteurs de production de façon à obtenir un produit le plus élevé possible pour le coût le plus faible); d'autre part du prix du produit sur le marché. La firme peut payer des salaires élevés soit parce qu'elle est très efficace sur un marché très compétitif; soit parce que, même si elle n'est pas très efficiente, elle bénéficie sur le marché d'une position de monopole. De la même manière, le salaire minimal exigé par les employés est déterminé par les préférences des individus et le revenu alternatif qu'ils sont susceptibles d'obtenir dans une activité non salariée. L'intérêt de chaque firme est d'embaucher l'individu qui, pour des qualités identiques, présente les exigences les plus faibles. En agissant ainsi, elle pourra capter le maximum de «gains à l'échange ». (Le «gain à l'échange» est la différence entre le prix que l'on est prêt à payer et le prix que le marché vous impose effectivement de débourser.) Selon le même principe, celui qui cherche un emploi a intérêt à se faire embaucher par l'entreprise qui offre le salaire le plus élevé. Par exemple, les individus e, J, et g pourraient se faire embaucher par les firmes 1, 2 et 3 (qui sont prêtes à offrir des rémunérations plus élevées que les sommes qu'eux-mêmes réclament au minimum). Mais ils sont en concurrence avec a, b, c, et d qui se montrent a priori moins exigeants. Si elles en ont la possibilité, les firmes 1, 2 et 3 leur préféreront leurs concurrents. Les firmes 5, 6 et 7 pourraient réaliser d'importants bénéfices en embauchant les individus a, bet c; mais elles sont en concurrence avec les firmes 1, 2, 3 et 4 qui, elles, sont prêtes à offrir davantage pour attirer à elles ces salariés. Lorsqu'il y a concurrence, les entreprises sont dans l'incapacité de s'approprier la totalité des « gains à l'échange» disponibles. La firme 1 voudrait embaucher l'individu a. C'est avec lui qu'elle réaliserait le gain à l'échange le plus élevé. Mais cet individu apprend que la firme 4 a accepté d'embaucher d pour un salaire quatre fois plus élevé. Il exige la même chose. La firme 1, plutôt que de se voir privée de ses services accepte, et réalise néanmoins encore un «gain à l'échange» substantiel. Même chose avec les travailleurs b et c, ainsi
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?
que les firmes 2 et 3. Finalement, les firmes 1, 2, 3 et 4 embaucheront les ouvriers a, b, cet d au même salaire qui correspond, d'une part, à la rémunération maximale que la firme 4 était prête à payer; d'autre part, au salaire minimal que le travailleur d exigeait pour accepter de quitter son activité présente pour un emploi salarié. C'est l'offre de la firme « marginale» qui, en définitive, impose son prix au marché, et interdit aux employeurs de capter pour leur compte exclusif l'intégralité des «gains à l'échange ». La concurrence conduit à ce que les «gains à l'échange» disponibles seront partagés entre les employeurs et les salariés embauchés. Salaires
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Le marché du travail
Sachant que c'est le salaire 4 qui, sous les effets de la concurrence s'impose au marché, la part des «gains à l'échange» captée par les salariés est égale à sa somme D + E + F + 1 + J + L O'écart entre le salaire effectivement versé également à tous et le salaire minimal exigé au départ par chacun). La part des employeurs, elle, est représentée par la somme A + B + C + H + G + K (l'écart entre le salaire effectivement versé par les entreprises à tous les travailleurs et le salaire maximal que chacune était a priori disposée à offrir). Ce
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
salaire 4 est celui qui maximise la somme des gains à l'échange, tant pour les salariés que pour l'ensemble des entreprises. Résultat: l'embauche des entreprises se limitera aux travailleurs a, b, c et d. En revanche, e, Jet g ne trouveront pas d'emploi (aux conditions minimales qu'ils demandent). Parce qu'elles ne peuvent offrir au maximum que des salaires inférieurs au prix imposé par le marché, les firmes S, 6 et 7 seront contraintes de se retirer. Imaginons maintenant qu'intervienne un syndicat qui fait pression sur les pouvoirs publics pour que soit imposé aux entreprises un salaire minimal égal au salaire 2 de l'échelle verticale. Ce salaire dépasse ce que les firmes 3 et 4 étaient en mesure d'offrir à leurs salariés. Elles aussi doivent se retirer du marché. Mais, en agissant ainsi, elles suppriment les emplois c et d. A ce nouveau salaire, la part des «gains à l'échange» captée par le secteur des entreprises Oeurs profits) diminue d'une somme égale à la somme B + C + G + H + K. La part des «gains à l'échange» captée par les salariés (dans leur ensemble) augmente de la somme B + C + G + H. On constate que ce que perd le secteur des entreprises n'est pas intégralement récupéré par les salariés. Le total des «gains à l'échange» partagés entre les deux parties est diminué de la somme K + L. Celle-ci est perdue pour tout le monde. Elle représente le «coût social» qui résulte de l'activité corporative du syndicat. Les travailleurs a et b bénéficient tous deux d'un revenu plus élevé. Mais l'élimination des firmes 3 et 4, et le non-emploi des ouvriers c et d, se traduisent au niveau de la collectivité par une «perte sociale» que Freeman et Medoff estiment, pour l'économie américaine, à 0,24 % du PNB. Cette façon de comptabiliser le «coût social» des syndicats est cependant erronée. Elle suppose que le syndicat atteint son objectif «sans coûts». Ce qui est une absurdité. La rente apportée par l'entente syndtcale est gasptllée en tnvesttsse-
ments vtsant a la protéger Au salaire de niveau 2, les travailleurs c, d et e seraient eux aussi preneurs d'un emploi dans les firmes 1 et 2. Pour y prendre la place de a et b, ils seraient même prêts à se contenter d'un salaire minimal
LES SYNDICATS SONT-ILS unLES ?
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de niveau 3. Le fait que le syndicat obtienne des pouvoirs publics le vote d'un salaire minimal de niveau 2 représente pour eux un coût en termes d'opportunités de gains dont ils se trouvent ainsi privés. Le syndicat court le risque qu'un homme politique en mal de clientèle ne s'intéresse à leur problème et ne les aide à obtenir une législation qui leur serait plus favorable qu'aux intérêts visés par a et b. Comment ces derniers peuvent-ils s'en préserver? La réponse consiste pour a et b à « acheter» le consentement de C, d et e en obtenant de la collectivité qu'elle les « indemnise» pour un montant égal aux sommes perdues. Le coût de leur exclusion comme conséquence des activités du syndicat est représenté par la somme M + K + L + N + P + O. Elle est inférieure au total des «gains à l'échange» encaissés par a et b à la suite des actions corporatives de leur entente (B + C + D + E + F + G + H + 1 + D. Ces derniers peuvent donc accepter de consacrer une somme au maximum équivalente à M + K + L + N + P + 0 (soit la surface B + C + D +G + H + D pour obtenir des pouvoirs publics une opération de transfert au profit de C, d et e au moins égale à ce montant. Une fois cette opération de redistribution réalisée, ils ont en contrepartie l'assurance que C, d et e ne gagneraient rien à contrer l'action de leur syndicat; et ils conservent tout de même un «bonus» représenté par E + F +J. Faisons maintenant le bilan de la séquence d'événements consécutive à l'intervention du syndicat organisé par a et b. Au lieu que a, b, cet d occupent un emploi- salarié, seuls a et b sont employés. Leur revenu apparent est plus élevé que ce qu'aurait été le niveau d'un marché libre. Mais leur revenu net (des efforts déployés pour « acheter» le consentement des salariés exclus du marché par leur entente) s'avère en définitive inférieur. D'après Gordon Tullock, ce sont ces sommes investies dans l'action syndicale et politique pour n'obtenir qu'un transfert finander équivalent au bénéfice de c, d et e, qui forment le véritable « coût sodal » de l'action syndicale [188, 101, 155J. Si l'on reprend les chiffres cités par Freeman et Medoff (un écart de salaires entre secteurs syndicalisés et non syndicalisés de l'ordre de 20 %; une réduction du volume des effectifs employés de l'ordre de 13 %; un taux de syndicalisation moyen de 25 %; une masse salariale égale aux trois quarts du PNB; enfin un produit national brut de 3069 milliards de dollars en 1982), on obtient un «coût social»
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
estimé à 4 % du PNB - ce qui est très supérieur aux 0,24 % calculés par les deux auteurs. Dans ce qui précède, nous avons supposé que les travailleurs étaient parfaitement identiques et substituables entre eux. C'est le fait qu'une firme peut indifféremment embaucher l'un ou l'autre qui contraint le syndicat formé par a et b à « acheter» la coopération des autres travailleurs dont le comportement pourrait empêcher leur entente d'atteindre ses objectifs. Une autre stratégie ouverte à a et b serait de convaincre leurs employeurs qu'ils sont tellement différents de C, d et e que leur intérêt est de ne les remplacer qu'en cas de départ à la retraite ou de démission volontaire. Mais là encore, cette stratégie n'est pas « gratuite». Le syndicat investira dans tout ce qui augmente la différence observable entre a et b d'une part, et les autres salariés (dépenses de formation, procédures d'apprentissage, exigence de diplômes délivrés par les professionnels du métier, accroissement de la part d'investissements spécifiques en capital humain liés à la firme, etc.). A la limite, le syndicat y investira l'équivalent de ce qui est nécessaire pour obtenir le consentement des autres à la survie de son entente ((B + C + D + H + 1 + J). Cependant, les seuls ouvriers a et b présents dans les entreprises 1 et 2 au moment de la formation de l'entente syndicale bénéficieront pleinement de ses avantages. Lorsqu'ils prendront leur retraite, leurs successeurs devront à nouveau «racheter» le silence de leurs concurrents. Mais auparavant, comme le nombre de candidats à la succession est plus grand que le nombre d'élus, la concurrence imposera à chacun de faire l'effort de certains investissements susceptibles d'orienter le choix des employeurs. Chacun y consacrera l'équivalent de la «rente» économique résiduelle qu'il peut espérer de la protection du syndicat. A la limite, la concurrence pour entrer sous le parapluie du cartel syndical ramènera la rémunération finale des salariés a et b au niveau d'un salaire 6, ne leur laissant comme «gains à l'échange» réels que le seul espace F. Leur situation sera plus mauvaise qu'elle n'aurait été si on avait librement laissé jouer le jeu du marché. Toutes ces dépenses non productives investies par les salariés dans l'espoir de capter la «rente» économique attendue de la
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présence d'un syndicat, représentent un formidable gaspillage collectif, beaucoup plus élevé que le chiffre modeste avancé par les deux auteurs américains. Et cela en définitive pour des gains corporatifs illusoires, car impossibles à maintenir dans le long terme.
L'escroquerie de l'effet-productlvIM Lorsque le salaire augmente, la firme, pour maximiser son profit (ou minimiser ses coûts), cherche à égaliser la valeur de la productivité marginale du travail par franc dépensé, à celle des autres facteurs de production. En conséquence, si la productivité marginale des autres facteurs est inchangée, il lui faut, après une augmentation de salaire, obtenir une élévation de la productivité marginale du travail. Elle cherchera à obtenir le même supplément de production avec moins de travailleurs, l'opération se traduit par une réallocation de ressources entre différents facteurs de production, sans que l'augmentation de la productivité du travail se traduise par une augmentation de la production totale, ni même une réduction des coûts. n y a seulement un effet de substitution qui soit à l'œuvre. Cette remarque donne la clé de l'erreur que Freeman et Medoff commettent lorsqu'il déduisent de la présence d'une corrélation positive entre le taux de syndicalisation et la productivité du travail, la conclusion que l'activité corporative des syndicats favoriserait le progrès technique. Ils supposent que les gains de productivité ainsi observés correspondent à un déplacement de la courbe de demande de travail, alors qu'en réalité il s'agit d'un simple «effet de substitution» (c'est-à-dire un déplacement le long de la courbe de demande de travail). Si, en effet, il suffisait d'augmenter le prix d'un de ses facteurs pour que l'entreprise augmente sa productivité globale, on aurait alors le secret de la croissance : il suffirait d'imposer aux entreprises des charges toujours plus élevées pour obtenir le résultat désiré. C'est clairement absurde. Le fait que la firme réorganise l'affectation de ses ressources en procédant, dans sa fonction de production, à la substitution d'un facteur à un autre, n'est pas un signe de progrès. Obtenir le même supplément de production avec moins de salariés n'a pas la
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même signification économique que le fait d'obtenir un produit plus élevé avec le même nombre d'employés. Une autre version du même argument est celle dite de 1'« effet de choc sur l'encadrement». Le syndicat aurait un effet positif sur la productivité du fait des conséquences stimulatrices que sa présence entraînerait au niveau de l'encadrement. Pour reprendre la terminologie si spéciale de Harvey Liebenstein, l'irruption d'un syndicat dans la vie d'une entreprise aurait pour conséquence d'y provoquer une diminution de 1'« inefficience X» (111). Cette vision est clairement incompatible avec les faits observés. L'idée que la présence d'un syndicat stimulerait l'activité de l'encadrement et contribuerait ainsi ~ améliorer les relations de coopération au sein du personnel est incompatible avec l'observation de nombreuses pratiques syndicales (telles que, par exemple, l'opposition des syndicats au contrôle des performances, ou encore leur attitude restrictive dès lors qu'il s'agit d'introduire de nouvelles innovations techniques). Il ne semble guère que leur présence soit conçue aux fins d'aider l'encadrement ~ mieux faire son travail. Un élément statistique, relevé par Freeman et Medoff euxmêmes, rend apparent le caractère scientifiquement fantaisiste de cette hypothèse. Il s'agit de la corrélation négative entre syndicalisation et taux de profit. Si l'effet du syndicat est d'améliorer la productivité de l'entreprise comme le ferait le progrès technique, les profits ne devraient pas diminuer, mais au contraire augmenter. Non seulement la rentabilité moyenne devrait s'améliorer, mais cela devrait également s'accompagner d'une augmentation de l'emploi pour le niveau de salaire négocié par le syndicat. S'il était efficace, le syndicat contribuerait ~ déplacer la courbe de productivité marginale vers la droite. Les travailleurs syndiqués associés ~ la même quantité de biens d'équipement seraient plus productifs que le même nombre de travailleurs non syndiqués associés ~ la même quantité de capital. Les profits seraient alors nécessairement plus élevés. Or c'est précisément la relation inverse que font apparaître les recherches empiriques de Freeman et Medoff. Le raisonnement théorique, ainsi qu'on l'a vu dans les pages précédentes, montre clairement qu'une des conséquences normales de
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l'entente syndicale doit être la baisse de la rentabilité du capital investi par les actionnaires de la firme. Les preuves empiriques sont, sur ce point, dépourvues d'ambiguité. Elles sont confirmées non seulement par les travaux de Freeman et Medoff, mais aussi par ceux de Clark, ou encore de Ruback et Zimmerman [39, 1671. Toutes les études révèlent une chute significative des profits consécutive à la progression de l'influence des syndicats dans une industrie. Si Freeman et Medoff avaient raison, la courbe de demande de travail des firmes syndiquées devrait se déplacer vers la droite. Pour un même nombre de salariés, la productivité marginale devrait être plus élevée dans le secteur syndicalisé que dans l'autre. De même pour les profits. Pour un plus grand nombre d'embauches au salaire désiré par l'entente, les profits devraient être aussi élevés qu'en situation de concurrence. Or tout cela est visiblement incompatible avec les observations empiriques rassemblées à ce jour. C'est donc que Freeman et Medoff se trompent. Ils méprennent un déplacement de la courbe de travail pour un déplacement le long de la courbe.
Des faIts statistiques compattbles avec une autre Interprétatton du rôle des syndIcats Freeman et Medoff présentent toute une série de faits statistiques dont beaucoup sont incontestables. Ils en tirent une série de conclusions corroborant, pensent-ils, leur modèle d'exit and volee. Mais la plupart de ces données empiriques ne sont pas décisives car elles peuvent facilement être réintégrées dans un modèle classique analysant le syndicat comme un « cartel». Prenons, par exemple, la moindre rotation de la main-d'œuvre dans les firmes syndicalisées. Freeman et Medoff l'interprètent, comme l'indice d'un meilleur climat social, la preuve de ce que le syndicalisme améliorerait les conditions du dialogue entre la maîtrise et le personnel. Mais il est tout aussi possible de soutenir que cette moindre mobilité est en réalité quelque chose qui est recherché par le syndicat, dans l'intérêt même de sa survie et des intérêts personnels qu'il sert.
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Lorsqu'un salarié syndiqué s'en va, pour cause de mise à la retraite ou par décision personnelle, l'entreprise cherche à le remplacer. Or, une conséquence de l'action restrictive du syndicat est qu'à chaque fois que les entreprises du secteur syndicalisé recrutent, elles trouvent en face d'elles toujours davantage de candidats qu'il y a de places disponibles. La préoccupation du syndicat est donc de faire en sorte que les employeurs ne profitent pas de cette position pour réviser leurs conditions de salaires. En général il y réussit fort bien. Mais plus la rotation de la main-d'œuvre est forte, plus c'est difficile et coûteux. Toutes choses égales d'ailleurs, le syndicat maintiendra d'autant plus aisément sa cohésion face aux pressions du marché, que la mobilité de la main-d'œuvre dans les firmes soumises à son influence est faible. Autrement dit, le syndicat a tout intérêt à faire ce qu'il peut pour abaisser le taux moyen de rotation du personnel dans les entreprises qu'il contrôle. Nous avons signalé que les recherches de Freeman et Medoff confirmaient que l'influence du syndicalisme allait généralement de pair avec des clauses contractuelles avantageant davantage les plus anciens dans l'entreprise. Cette observation est parfaitement cohérente avec le souci des syndicats de réduire la mobilité. Une manière d'y arriver est de privilégier les travailleurs les moins mobiles, c'està-dire les anciens. Par exemple en favorisant le principe de l'ancienneté dans la détermination des hiérarchies salariales. De la même façon, nous avons vu que c'est dans les secteurs syndicalisés que les avantages en nature sont proportionnellement les plus élevés. C'est logique. Un avantage en nature est spécifique à la firme. Il représente souvent un investissement que l'employé a peu de chance de retrouver de manière identique dans une autre firme. Si l'objectif du syndicat est de freiner la mobilité naturelle des travailleurs, son souci sera d'obtenir une part d'avantages en nature la plus élevée possible. Selon le même principe, il faut s'attendre à ce que les syndicats s'opposent aux horaires flexibles ou « à la carte», à la multiplication des contrats « à temps partiel», ou encore aux cumuls d'emplois individuels; et donc que leur fréquence soit moins répandue dans les secteurs syndicalisés. Cette attitude s'explique aisément. Des horaires libres compliquent le travail de contrôle et de prise en main du
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personnel par les militants syndicaux. La multiplication des contrats «à temps partiel» crée une population peu concernée par les « conquêtes» du syndicat. Ces préférences syndicales rejoignent l'intérêt des entreprises. Pour des raisons fiscales, celles-ci préfèrent, si elles le peuvent, et si cela ne gêne pas leur politique de recrutement, augmenter la part des avantages collectifs en nature au détriment des rémunérations monétaires. C'est autant de moins qu'elles paient en impôts. De la même façon, il est souvent de l'intérêt de l'entreprise de réduire le taux de rotation de son personnel. Toute embauche d'un nouveau travailleur en remplacement d'un ancien se traduit en effet par une série de coûts fixes qui pourraient être évités. Pour cela elle aussi cherche à s'attacher les anciens en leur offrant des avantages dont le personnel ne peut jouir qu'en restant fidèle à leur entreprise (par exemple la possibilité de prendre sa retraite dans un établissement spécialisé financé par l'employeur). L'hypothèse du « syndicat-cartel» laisse cependant penser que c'est dans les secteurs où l'influence des syndicats est la plus forte que ces comportements de l'employeur seront les plus marqués, Or, c'est précisément ce que confirment les données empiriques de Freeman et Medoff. Reprenons leur thèse selon laquelle la moindre fréquence des démissions d'employés dans les secteurs syndicalisés serait la preuve de ce que la présence des syndicats y est un facteur favorable à la productivité. Ayant noté que c'est dans les entreprises les mieux syndiquées que les travailleurs expriment verbalement le taux d'insatisfaction le plus élevé, ils interprètent ce paradoxe en supposant que l'indice de satisfaction véritable des employés dans l'entreprise s'exprime prioritairement par leur attitude vis-à-vis de la mobilité, alors que leurs réponses verbales ne sont qu'un instrument de surenchère servant à faire pression sur la direction pour en obtenir des avantages matériels accrus. En fait, il n'est nul besoin de telles contorsions intellectuelles pour rendre compte de l'observation simultanée de ces deux résultats. Le taux de démission n'est pas un indicateur de satisfaction, mais un comportement. On peut très bien être fort insatisfait de son emploi, et malgré tout y rester. Démissionner présente en effet un
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«coût d'opportunité». Ce coût est d'autant plus fort que le salaire associé à l'emploi présent est plus élevé par rapport à celui que l'on sait pouvoir obtenir ailleurs. Comme les rémunérations réelles du secteur syndicalisé Cy compris les avantages collectifs en nature) sont en principe plus élevées que celles des secteurs où les syndicats sont moins implantés, il en résulte que c'est dans ces secteurs que le coût de quitter l'entreprise est lui-même le plus important, quel que soit le degré de satisfaction réelle que le salarié éprouve dans son emploi. Les deux observations enregistrées par Freeman et Medoff ne sont pas incompatibles. Le paradoxe n'existe que dans leur tête. Cette contreinterprétation se trouve confortée par le fait que c'est bel et bien dans les secteurs les plus syndiqués que, comme on pourrait logiquement s'y attendre, le taux d'absentéisme est le plus fort. Si l'absentéisme n'a jamais été un signe de grande productivité, il n'a jamais non plus été un signe particulier d'épanouissement dans le travail. C'est bien la preuve que l'interprétation donnée par Freeman et Medoff est contestable.
Aucune preuve de la supériorité de leur modèle, au contratre Si l'on assimile le syndicat à un cartel, il est clair que son intérêt est de rendre l'offre comme la demande de travail les moins élastiques possibles, Une technique pour atteindre cet objectif consiste à obtenir des employeurs qu'ils pratiquent le moins possible une politique de salaires fondée sur la promotion individuelle. L'évaluation individuelle permet en effet à l'entreprise de désolidariser les individus et, en quelque sorte, de les « acheter» par une politique astucieuse de salaires «au mérite». L'employeur favorisera davantage les salaires de ceux qui n'appartiennent pas au syndicat. Même si ces promotions sont justifiées par des différences personnelles de productivité, celles-ci étant difficilement mesurables, le syndicat les dénoncera comme l'expression d'une politique de favoritisme, éthiquement condamnable. Pour maintenir son pouvoir sur le personnel, le syndicat a intérêt à imposer à l'employeur un mode de rémunération lié à la nature du poste de travail, et non à la productivité individuelle de chaque salarié.
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Dans cette politique, le syndicat recevra l'appui des salariés les moins productifs. Ce mode de rémunération présente en effet l'avantage de rendre l'origine des différences de salaires, et donc leur justification, plus transparente. La tendance de l'évolution sera de ramener la dispersion des salaires au sein d'un même établissement, ou d'une même firme, vers la médiane des rémunérations. Ce que confirment les recherches de Freeman et Medoff dont les données statistiques établissent que la présence des syndicats est positivement corrélée avec une moindre dispersion des salaires. Pour les deux économistes américains, c'est la conséquence de ce que le syndicalisme renforce la cohésion sociale de l'entreprise. Une autre manière de voir les choses est de considérer qu'il s'agit là d'un dispositif dont l'avantage est d'améliorer les moyens de contrôle et de discipline du syndicat, notamment en renforçant au sein du personnel la solidarité des groupes les moins efficaces contre les plus productifs. Dernier exemple, le comportement conjoncturel des firmes américaines. Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, les travaux de Freeman et Medoff montrent que la syndicalisation conduit l'entreprise à préférer l'ajustement par la mise au chômage de ses éléments les plus jeunes, plutôt que par le partage par tous d'un nombre réduit d'heures de travail. Ce choix est bien dans la logique d'un comportement de cartel qui conduit à sacrifier les salariés les plus jeunes, les plus récents et les plus mobiles, aux intérêts des plus anciens. Au total, l'ouvrage de Freeman et Medoff relève de deux lectures. D'un côté, il y a l'ensemble de faits et de données statistiques qui résume de manière remarquablement documentée tout ce que la recherche économique a accumulé concernant l'effet des syndicats sur la gestion des entreprises. De l'autre, il y a un modèle d'interprétation dont la structure logique est contestable. A la différence du modèle classique qui assimile le syndicat à une entente, Freeman et Medoff présentent une thèse qui n'élimine pas d'emblée la possibilité pour le syndicalisme de rendre des services positifs à la collectivité. C'est leur droit. Mais, pour être entièrement convaincants, il leur aurait fallu répondre à deux exigences. La première : présenter un modèle dont toutes les conclusions correspon-
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dent aux données empiriques rassemblées; or, ainsi que nous l'avons vu, ils n'y réussissent qu'au prix de quelques grossières erreurs d'analyse théorique (comme à propos de la relation productivité/profit, ou encore la confusion entre déplacement d'une courbe de demande et déplacement sur la courbe). La seconde: compléter par une réfutation de la théorie adverse du « syndicat-cartel» en en recherchant des conclusions qui seraient incompatibles avec leur propre analyse, et en contradiction avec les faits rassemblés; or toute cette partie est absente. Voilà pourquoi, entre autres raisons, leur ouvrage est à prendre avec de sérieuses réserves. Il ne contient rien de décisif qui impose de rejeter définitivement l'hypothèse classique que le syndicat est d'abord et avant tout une organisation corporative entraînant des effets négatifs sur l'efficience du système économique. Correctement analysé, il semble même que son contenu empirique en renforce plutôt la solidité. n y a ententes et ententes
L'insistance de l'approche économique traditionnelle à ne voir dans le syndicat qu'un «mal public» (au lieu du «bien public» que croient y déceler Freeman et MedofO se heurte à l'objection que les ententes et les cartels d'entreprises sont parfois de bonnes choses. Bien que ce ne soit pas le cas de la législation, de plus en plus d'économistes admettent que, si les ententes et cartels existent de manière aussi fréquente, c'est qu'ils doivent avoir une fonction économique positive, et servir le consommateur. Il existe aujourd'hui tout un pan de l'économie industrielle qui, à propos de l'analyse des phénomènes d'intégration ou de semi-intégration verticale (franchises, concessions, fusions, joint-ventures, etc.), réhabilite le rôle des ententes. L'entente, le cartel, la joint-venture seraient des procédés par lesquels deux ou plusieurs entreprises cherchent à identifier les économies d'échelle, les complémentarités ou les synergies diverses qui pourraient les rapprocher (et éventuellement justifier ultérieurement une fusion). Dans cette optique, les ententes s'inscrivent dans la double démarche de concurrence et de coopération qui caractérise le fonctionnement d'un marché libre.
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L'idée de cette approche est qu'il n'y a pas de différence de nature fondamentale entre une entente, un mariage d'entreprises (fusion), et la création d'une seule firme. Ce ne sont que l'expression de degrés différents dans une même démarche. Dans les trois cas, il s'agit de formes d'organisations qui sont toutes le résultat d'accords contractuels volontaires, et dont la finalité ne peut donc être que d'exploiter des «gains il l'échange» non encore réalisés. Il est alors tentant de considérer que ce qui s'applique aux firmes industrielles et commerciales doit aussi être valable pour les « ententes» de travailleurs. Pourquoi n'y aurait-il pas aussi des ententes syndicales qui soient économiquement «efficientes»? C'est dans cette optique que se situe la démarche de Freeman et Medoff. Raisonner ainsi revient cependant il négliger une différence de nature essentielle entre les deux institutions. Dans l'entente entre deux firmes, l'objectif recherché est toujours de découvrir une meilleure combinaison des ressources qui permette d'obtenir un résultat plus rentable, donc plus efficient. Dans l'entente entre travailleurs, rien de cela. Le but du syndicat n'est pas d'assortir les travailleurs de manière que leur coopération avec la direction de la firme permette de produire plus ensemble que séparément. Cette fonction est celle qui revient normalement il l'encadrement (ou au management, pour utiliser un terme plus moderne). Si vraiment les syndicats remplissaient ce rôle, les entreprises n'auraient pas besoin de recourir il l'embauche de personnels d'encadrement. Il leur suffirait de contracter avec la « firme-syndicat ». Qu'elles ne le fassent pas, et qu'elles ressentent quand même la nécessité de rechercher des services d'encadrement, indique que tel n'est certainement pas le but de l'entente syndicale. Celle-ci poursuit d'autres fins. C'est cette simple constatation de bon sens qui rend suspecte une théorie qui veut absolument démontrer le contraire.
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Annexe au chapitre 2
pourquot le décltn du syndtcaltsme?
Qui adhère au syndicat? Le profil de ceux qui appartiennent A une entente peut nous en révéler infiniment plus sur les attentes des travailleurs A l'égard des syndicats que n'importe quel autre fait. Pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles les individus se syndiquent, ainsi que les raisons de la baisse progressive depuis les années 60, puis brutale au moment de la crise économique des années 70, du taux de syndicalisation dans la plupart des pays occidentaux, nous utiliserons un modèle simple d'offre et de demande d'adhésion syndicale. Du côté de la demande, les employés sont motivés A se syndiquer si le prix de leur activité syndicale est bas - c'est-A-dire si le montant des cotisations, ainsi que le coût du temps consacré A des actions militantes, restent suffISamment faibles. Toutes choses égales d'ailleurs, plus ce prix est élevé, moins les individus seront tentés d'adhérer au syndicat. Si, pour un même cOût global, les avantages attendus de l'adhésion sont importants, ou si on note dans la population une modification des attitudes plus favorable A l'action syndicale, le résultat sera un déplacement vers la droite de la courbe de demande, et donc un accroissement, toutes choses égales d'ailleurs, de la demande d'adhésions. Du côté de l'offre, il faut remarquer que la révélation des préférences des salariés ne vas pas sans coûts. De même il est coûteux d'organiser une entente, de négocier des contrats, de faire la grève, etc. Le militantisme n'est jamais gratuit (même si les gens ne sont pas rémunérés). Il existe donc comme partout ailleurs une «courbe d'offre» qui traduit le dynamisme avec lequel leaders syndicaux et militants vont travailler pour accroître le recrutement de leur syndicat, et améliorer leur offre de services aux adhérents; Plus la loi élève les barrières institutionnelles A la création et au fonctionnement d'ententes syndicales, plus la courbe d'offre se déplacera vers la gauche, entraînant, toutes choses égales d'ailleurs, une baisse du nombre de travailleurs syndiqués. Même résultat, si les conditions industrielles sont telles que les coûts d'organisation de l'action syndicale dans un secteur donné sont naturellement élevés (industrie caractérisée par exemple par un grand nombre de fU'mes dispersées).
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Celui qui montre naturellement une forte aversion pour le risque, qui ne s'attend pas à voir son profil de carrière s'améliorer dans un avenir prévisible, qui préfère être rémunéré par des prestations non imposables, dont le revenu est plutôt dans la partie de la distribution des revenus qui se situe à gauche de la médiane, ou qui ne pense pas pouvoir retrouver aisément un nouvel emploi en dehors de son travail actuel, est un candidat idéal dont il est relativement facile d'obtenir l'adhésion. En effet, pour un coût donné de l'adhésion et de l'action syndicale, l'avantage personnel attendu de la syndicalisation est relativement élevé. Pour ce profil d'individu, la courbe de demande se déplace vers la droite. C'est le cas, par exemple, du travailleur manuel, qui n'est plus tout jeune, qui a déjà atteint le maximum de ses espérances de salaires, et qui appartient à une catégorie professionnelle dont la distribution des revenus est relativement peu dispersée. Ces caractéristiques se retrouvent également dans le cas des minorités ethniques immigrées, où l'expérience prouve que le taux de syndicalisation est traditionnellement élevé. En revanche, les femmes et les jeunes font un calcul différent. Les jeunes ont par définition l'avenir devant eux. Leur profil de carrière et de revenu n'est pas encore déterminé. Les femmes mariées, ou qui espèrent bientôt l'être, cumulent au moins deux emplois - celui du marché du travail et celui du marché du mariage. Les revenus en nature qu'elles retirent de leur mariage ne sont pas imposables. Pour ces deux catégories de population, le gain apporté par la syndicalisation est plus faible. La courbe de demande se déplace vers la gauche.
Un changement de population salariée En poursuivant ce type de raisonnement on fait apparaître qu'il est normal que les syndicats soient plutôt plus puissants et mieux implantés dans les zones où dominent les industries concentrées, avec des établissements à effectifs salariés importants. C'est dans ce cas de figure que les coûts d'organisation et de fonctionnement de l'entente ont en effet toutes chances d'être les plus faibles. Ce schéma relativement simple et standard peut être utilisé pour expliquer les variations du taux de syndicalisation dans des pays comme la France, les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Depuis vingt ans la plupart des pays industrialisés connaissent de profonds changements dans la structure de leurs populations salariées. On y note une plus grande proportion de jeunes, davantage de femmes marl€es, de moins en moins d'ouvriers, mais de plus en plus de gens ayant fait des études. Or il s'agit de catégories sociales pour qui les avantages de la syndicalisation, toutes choses égales d'ailleurs, sont plutôt moindres.
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Par ailleurs, la crise économique des années 70 a elle aussi réduit les avantages attendus d'un syndicalisme militant. Enfin, la structure industrielle a changé. La part des industries concentrées dans la production industrielle a sensiblement diminué. Les entreprises des secteurs en développement sont plus dispersées, leurs établissements sont généralement plus petits, et elles exercent leurs talents sur des marchés plus concurrentiels que la moyenne. L'élasticité de la demande de travail y étant plus forte, les coûts d'organisation pour les syndicats y sont plus élevés qu'ailleurs. Il faudrait également mentionner l'évolution de la législation. Par exemple, en Grande-Bretagne où le gouvernement a supprimé le système de la closed shop, ainsi que tous les règlements publics dont l'effet était, directement ou indirectement, de «subventionner» l'activité des syndicats en en réduisant le coût d'établissement et d'adhésion. Globalement, tous ces changements ont déplacé la courbe d'offre vers la gauche. Le résultat est une chute importante du nombre de syndiqués dans les économies occidentales. Tout cela est évidemment très schématique et demanderait à être plus approfondi. Mais ces quelques éléments permettent déjà de répondre à Freeman et Medoff qui, à partir de l'expérience américaine, attribuent les déboires du syndicalisme occidental à l'aggravation artificielle des obstacles à l'extension du mouvement syndical dans les entreprises. En réalité, l'essentiel du déclin s'explique vraisemblablement davantage par des changements profonds intervenus du côté de la «demande de syndicat,. plutôt qu'au niveau de l'offre. Dans la mesure où elle a aggravé l'insécurité de l'emploi, la crise économique des années 70 a sans doute ajouté beaucoup à la perte d'attrait des syndicats. Paradoxalement, la baisse des adhésions syndicales peut également s'interpréter comme une rançon du succès des syndicats sur le «marché politique", Dans la mesure où aujourd'hui la législation contraignante de l'État se substitue de plus en plus à la protection du syndicat, il est inévitable que moins de gens se sentent motivés pour mettre leur écot et leur temps à la disposition des centrales ouvrières. Pourquoi payer des cotisations, ou sacrifier du temps à l'activité syndicale si la plupart des objectifs qui guidaient l'action des syndicats sont désormais inscrits dans la loi?
3 Droit du travail ou droit au travail?
La Constitution du 4 octobre 1958 proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complét~e par le préambule de la Constitution de 1946. Ce préambule précise trois choses: 1. Chacun a le devoirde travailler et le droit d'obtenir un emploi. .. 2. Tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ... 3. La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ...
Que signifient des formules comme «Chacun a le droit d'obtenir un emploi» 00 «le devoir de travailler »? En Union soviétique, la Constitution de 1977 stipule en son article 60 : «Un travail dans une activité sociale utile est une obligation et une affaire d'honneur pour tout citoyen apte au travail. » Tout Soviétique en âge de travailler, ne justifiant pas d'une incapacité totale ou temporaire doit travailler. Le manquement à cette
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obligation est sanctionné par le Code pénal. Toute personne apte au travail qui ne peut justifier d'un travail socialement utile pendant plus de quatre mois par an tombe sous le coup des lois dites «antiparasites », et peut être internée dans un camp de travail. La législation soviétique a au moins le mérite de la cohérence. Si travailler est un devoir, il en découle ipso facto qu'en corollaire la collectivité doit garantir à chacun un droit à l'emploi. Mais la seule façon de conférer une expression concrète à ce droit est d'imposer l'obligation légale à toutes les entreprises d'embaucher tout travailleur qui se présente à leur porte. Ce faisant, deux libertés fondamentales sont nécessairement compromises: celle de l'individu de ne pas travailler au salaire qu'on lui propose: celle de l'employeur de ne pas embaucher celui dont il ne veut pas. Nous ne sommes pas en Union soviétique. Mais une analyse attentive des dispositions du Droit du travail montre qu'en réalité nous n'y sommes pas dans une logique tellement différente. C'est plus une question de degré, que de nature. Mais c'est fondamentalement la même démarche d'esprit. Le Code du travail édité par Dalloz cite un arrêt où la Cour de cassation affirme: « La seule volonté des parties est impuissante à soustraire un travailleur au statut social qui découle de l'accomplissement de son travail. » Ainsi donc, le statut du travailleur serait, en droit français, prioritaire par rapport au contrat. Il s'agit d'une rupture radicale avec toute la tradition classique du droit. Elle révèle un fait dont trop peu de gens ont encore pris conscience. A savoir que le Code du travail et les affirmations de la Constitution représentent non pas l'expression d'une grande conquête sociale, mais au contraire un immense pas en arrière vers une conception prérévolutionnaire du droit où l'individu n'était même pas encore reconnu comme propriétaire de lui-même. Il s'agit d'une véritable régression juridique et philosophique, d'une authentique réaction intellectuelle (au sens fort du terme) qui ramène aux statuts des compagnonnages ou des corporations du Moyen Age. Comment une telle régression juridique a-t-elle été possible? Par quels mécanismes a-t-elle réussi à s'insérer au cœur de nos dispositifs juridiques? Telle est la question que nous nous posons.
DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL?
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La thèse que nous défendons est que ce n'est pas un hasard, ni le produit accidentel de l'histoire des idées. Le Droit du travail n'est pas du droit, au sens occidental classique du terme, parce qu'il n'a jamais été conçu à cette fin. Le Code du travail n'est qu'une législation ad hoc, conçue peu à peu au gré des contingences politiques, pour aider les syndicats et les ententes corporatives à préserver et renforcer leur pouvoir sur leurs membres afin d'empêcher
les coalitions de travailleurs d'éclater sous la pression des intérêts individuels.
Traditionnellement, le droit a pour objet d'assurer la protection des droits de propriété des individus, et de garantir à chacun la liberté des contrats. Dans le droit du travail, il ne s'agit de rien de tout cela. L'étude de ses dispositions révèle au contraire que sa véritable nature est antinomique avec le respect de ces droits fondamentaux. S'il en est ainsi c'est parce que le droit du travail est d'abord et avant tout un droit partisan, un droit construit et conçu pour affirmer la prééminence des intérêts d'organisations collectives ayant acquis un certain pouvoir politique sur les droits des individus.
LE CONTRAT DE TRAVAIL ET LE DROIT DE PROPRIttÉ SUR SOI Dans la conception classique du droit, les droits qui naissent du contrat de travail procèdent des droits individuels que chacun possède naturellement - à commencer par le premier de tous les droits, la première de toutes les libertés: le droit de propriété sur soi. Même si l'expression est rarement utilisée et déplaît à certains puristes, la liberté n'est pas autre chose qu'un droit de propriété sur soi: sur son corps, ses membres, son esprit, ses idées, ses actes, etc.; il en découle que tout homme est naturellement propriétaire de ce qui constitue son «capital humain» - c'est-à-dire l'ensemble de ses capacités. Compétences, dons, talents, connaissances et savoirfaire accumulés au cours de sa vie, qui le rendent capable d'action (notamment d'actes de production), et définissent sa personnalité.
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
Ce n'est pas aussi évident. Des philosophes - comme l'Américain John Rawls - prétendent au contraire que l'individu n'est pas «propriétaire» de ses talents, mais que ceux-ci appartiennent à la collectivité; ce qui lui sert à justifier les politiques modernes de redistribution [157]. Dans un État de droit (au sens classique du terme), chacun est libre de décider d'exploiter ses dons et ses talents comme il le veut. Certains choisissent de s'adresser directement au marché, comme le font, par exemple, les artisans ou commerçants indépendants, ou encore les membres des professions libérales. D'autres, au contraire, préfèrent concéder à quelqu'un d'autre, pour une durée déterminée, la gestion de la mise en œuvre de leur propre capital humain, en échange d'une rémunération fixe déterminée à l'avance. C'est le principe du contrat de salarié. Dans ce cas, l'individu reste «propriétaire» de son capital humain. A l'expiration du contrat, il récupère l'intégralité de ses droits. Mais, entre-temps, il reconnaît à son employeur le droit de gérer l'utilisation de ses capacités selon les modalités qu'il juge les mieux appropriées, et sans que lui-même ne puisse lui opposer ses propres préférences. Si l'employeur prouve qu'il a les capacités de tirer de la gestion coordonnée du capital humain de plusieurs employés un revenu de marché qui excède celui que ses employés seraient par eux-mêmes capables de produire, il est de leur intérêt de souscrire à ce type de contrat en échange de la perspective d'y obtenir un revenu plus élevé. Dans le contrat de travail, chacun est à la fois le débiteur et le créancier de l'autre. L'employeur s'oblige à verser à son employé un salaire fixe en contrepartie de l'attribution d'un droit de gestion prioritaire sur l'utilisation de son temps. A l'inverse, l'employé s'oblige à fournir à son employeur un certain service en contrepartie d'un salaire. Dans cette optique, le contrat de travail est un accord qui organise l'exercice des droits de propriété en codifiant les rapports des hommes entre eux non pas quant aux choses (ce qui est le domaine du droit des obligations), mais des services qu'ils se rendent. Ce type de contrat se heurte toutefois à certaines difficultés liées à la nature même de cette machine biologique qu'est le corps humain.
DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL?
Le
problème des tnvesttssements
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tncorporés il aux êtres humatns
Le premier tient au caractère spécifique des services rendus par les êtres humains: ils sont par définition tncorporés à l'individu. Les connaissances, les savoirs, les talents qui font le capital humain de l'individu ont le plus souvent été acquis avant qu'il ne loue ses services à un employeur. Mais ce «stock» n'est pas gelé une fois pour toutes. Il ne cesse de s'enrichir des expériences quotidiennes. L'employeur lui-même a intérêt à l'enrichir. Ses employés seront d'autant plus productifs qu'il concourt à améliorer leur formation et à faire progresser leur savoir-faire. Les sommes dépensées par l'employeur à cet effet ont le caractère d'un tnvesttssement. Il s'agit de dépenses faites dans l'espérance d'un accroissement de ses gains futurs. Mais cet investissement présente un trait particulier. Il est « incorporé» à la personne même de l'employé. Si demain il décide de rompre son contrat et d'offrir ses services à une autre entreprise, parce qu'on lui a par exemple demandé de réaliser une tâche qui lui déplaît, son employeur se trouvera privé des rendements dont il anticipait le bénéfice en retour des investissements précédemment consentis pour enrichir la formation de son personnel. Investir dans l'enrichissement du capital humain de ses employés est le plus souvent une nécessité, dictée par la concurrence. Mais, en même temps, c'est une dépense «risquée ». Si rien ne permet d'atténuer ce risque, ou de le compenser, les entreprises consacreront à la formation et à l'enrichissement des connaissances ou des savoir-faire de leur personnel moins que ce qui serait, du point de vue de la collectivité, économiquement «optimal ». Cela se traduira par un «sousinvestissement », et un manque à gagner pour tous. A l'inverse, l'entreprise est un lieu où les individus coopèrent à la production d'un volume de biens supérieur à la simple addition de ce qu'ils seraient capables de produire individuellement. Ce phénomène résulte de l'apparition d'économies d'échelle, de gains liés à .la spécialisation ou encore aux effets de complémentarité qu'apporte la diversité des talents réunis. Mais ce n'est pas tout. Cette coopération d'un grand nombre d'individus à un travail commun s'enrichit de la
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production d'un capttal spécifique lié notamment aux habitudes et aux efforts de travail qui unissent les membres du personnel. Ce «capital spécifique» est un produit du travail en commun de l'équipe, de la connaissance que chacun a des autres, de la façon dont il s'intègre aux autres, et des efforts personnels qu'il consent pour partager leur formation, s'associer à leurs objectifs, parler le même langage, ressentir les mêmes priorités, etc. C'est aussi un investissement, mais un investissement indivisible. Tout le personnel y contribue, mais personne ne peut définir avec précision quelle part il y apporte. La rémunération de chacun ayant été fixée à l'avance, sa caractéristique est que les dividendes de cet investissement seront directement appropriés par l'employeur. Mais s'il en est ainsi, quelle motivation chacun a-t-il à fournir cet effort? Quel intérêt chacun a-t-il a «s'investir» personnellement dans l'entreprise et dans l'amélioration de son image de marque?
Le problème des investissements spécifiques à l'entreprise La nature du problème est la même que dans l'exemple précédent. Faute d'un dispositif permettant de garantir à chacun un «droit de propriété» sur les retombées futures de ses «investissements» personnels, moins d'efforts seront consacrés par chaque employé à la construction de ce capital commun qu'il n'en serait socialement efficient. Prenons, par exemple, un vendeur dans une surface de vente spécialisée. Il est prêt à consacrer chaque soir quelques heures à améliorer sa formation initiale. Quel choix va-t-il faire? L'intérêt de tous serait que ces quelques heures soient de préférence consacrées à l'acquisition d'un savoir directement utilisable dans l'exercice de ses responsabilités professionnelles. Mais s'il quitte son poste pour aller ailleurs, cet investissement risque de ne pas lui rapporter grand-chose dans la mesure où il s'agit peut-être de connaissances si spécifiquement liées aux caractéristiques propres de son métier actuel qu'elles n'améliorent en rien la valeur marchande de ses qualifications sur le marché du travail. Dans ce cas, l'individu a plutôt intérêt à utiliser ces quelques heures à l'acquisition d'une formation générale, indépen-
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dante des besoins de son entreprise, sans aucun avantage pour l'équipe où il travaille, mais qui est susceptible d'améliorer sa valeur concurrentielle sur le marché de l'embauche. Si tous les employés font le même raisonnement, la valeur productive de leur équipe sera très inférieure à ce qu'elle serait si une solution institutionnelle était apportée à ce problème. Ce « capital spécifique» dont les rendements sont captés par l'employeur, alors qu'il résulte de choix d'investissement personnels de la part des employés, donne naissance à ce que les deux économistes américains Alchian et Demsetz ont appelé une quastrente; un avantage monétaire qui n'est pas la contrepartie d'un effort productif fourni par celui qui en bénéficie, mais la simple conséquence d'une absence de droits de propriété sur les rendements d'investissements consentis par d'autres. La recherche de l'efficacité maximale implique que l'importance de ces quasi-rentes soit réduite autant que faire se peut. Une réponse consiste à proposer aux salariés un système à double rémunération: d'une part, un salaire fixe et régulier; d'autre part, une dotation en capital versée une fois pour toutes au moment de la rupture du contrat, et dont l'évaluation est fondée sur l'estimation de l'ensemble des revenus ou profits résultant de l'échange mutuel de services et incorporés soit dans la personne de l'employé, soit dans l'image de marque de la firme. Ce genre d'arrangement contractuel a pour effet de créer un droit de propriété de l'employé sur une part du capital spécifique de la firme; et réciproquement, un droit de propriété de l'entreprise sur une part du capital humain de ses employés.
L'apport de la tMorie
~conomtque
C'est le modèle même du contrat qui lie par exemple le jeune joueur de football à son club; ou encore celui que signe avec l'État l'étudiant qui entre à Polytechnique. Les grands joueurs de football doivent leur réussite à leur talent personnel, mais aussi au savoir-faire qui leur a été inculqué dans le club qui a pris en charge leurs débuts, puis assuré leur promotion professionnelle. D'où le contrat type, courant dans ce milieu, où le joueur s'engage pour le cas où il s'en irait
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rejoindre un autre club, à indemniser son club d'origine en lui « rachetant» en quelque sorte les rendements qu'il entendait légitimement retirer de 1'« investissement» fait dans sa personne. C'est la même logique qui explique que l'État exige des élèves de Polytechnique qu'ils s'engagent à passer une période de temps minimale à son service, en contrepartie de l'effort financier qu'il consent pour les former; mais aussi qu'ils puissent s'en dégager en « rachetant» leur dette à l'École, généralement en la faisant prendre en charge par la firme qui les embauche. Replacé dans cette perspective, le contrat du club de football, souvent dénoncé dans la presse comme une forme moderne d'« esclavage», n'a rien de plus scandaleux que le contrat du Polytechnicien. On pourrait montrer que bien des contrats, condamnés parfois par les tribunaux pour leur soi-disant caractère léonin, répondaient en réalité à ce genre de préoccupation. Personne ne s'offusque de voir les tribunaux accorder aux salariés une indemnité de licenciement pour réparer le tort que leur cause le fait de ne plus pouvoir récupérer ce qu'ils ont « investi» dans l'entreprise. De même, personne ne se scandalise de ce qu'un divorce s'accompagne du versement de prestations compensatoires au bénéfice de l'époux pour lequel le mariage a entraîné le plus grand sacrifice (en termes de revenus alternatifs). Pourquoi l'inverse ne serait-il pas légitime lorsque le départ d'un salarié prive son employeur d'un capital qu'il avait investi dans sa personne? Le droit des contrats n'est pas seulement une affaire de juristes, c'est un domaine qui relève aussi de l'expertise des économistes. L'analyse économique permet de mieux comprendre la raison d'être de certaines pratiques contractuelles. Utilisée à bon escient, elle devrait éviter au législateur ou au juriste de commettre des erreurs et des injustices. Mais, comme dans bien d'autres domaines, le droit du travail s'entête à en ignorer les apports.
LE DROIT DU TRAVAIL CONfRE LE CONTRAT DE TRAVAIL Dans la tradition juridique actuellement en vigueur, la propriété est un droit positif Malgré des traces du droit naturel ancien, encore
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apparentes dans la Déclaration des droits de l'homme, c'est à cette tradition que se rattachent les textes de la Constitution. Il y a confusion totale entre la loi et le droit. Il suffit qu'une norme juridique économique ou sociale soit édictée par un texte qui a fait l'objet d'une approbation par le Parlement dans les formes institutionnelles prévues par la Constitution pour qu'elle devienne du droit. L'élargissement des pouvoirs du Conseil constitutionnel, l'apparition du droit européen, avec notamment la saisine de la Cour de justice de Luxembourg, l'adhésion sans réserve enfin de la France au protocole de la Convention européenne des Droits de l'homme ont quelque peu modifié la situation. Il n'en reste pas moins que dans l'esprit de la majorité de nos contemporains c'est dans le pouvoir politique que réside par défmition la source du droit. La fonction du droit étant de définir les droits de propriété et de permettre une solution pacifique des conflits qui naissent à leur sujet, il en résulte que, dans cette philosophie du droit, c'est le pouvoir politique qui, de façon souveraine, fonde le droit de propriété. C'est à lui qu'il appartient d'en définir les frontières, de les rectifier, d'en réglementer l'usage et, le cas échéant, d'en retirer les attributs. C'est ainsi que, à travers la réglementation de la liberté des contrats, et les entraves législatives croissantes qui y sont opposées, le droit du travail réglemente et limite l'exercice des droits de propriété des travailleurs sur eux-mêmes; et cela sans que personne ne songe véritablement à s'en indigner. Cette vision de la propriété s'oppose à celle du droit naturel où le droit, selon la belle formule du professeur Hayek, «est un produit des activités humaines, mais non de leurs desseins» (81). Dans cette perspective, l'origine des droits de propriété ne se situe pas dans l'exercice de la souveraineté politique, mais dans la considération séculaire de règles de conduite abstraites et impersonnelles que les populations ont appris à respecter bien avant qu'elles ne puissent jamais être explicitement formulées, tout simplement parce que l'expérience leur avait révélé qu'elles étaient un meilleur gage de survie. Dans la tradition juridique classique, le droit naturel s'impose au pouvoir politique et il ses législateurs. Il leur est antérieur. Le droit de propriété sur soi, fondement moral de la liberté contractuelle, y est un
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droit inaliénable que nul ne peut entraver, ni limiter, sans commettre une injustice puisque, imposé par l'ordre naturel de la cohérence logique du réel, il s'agit d'un droit qui n'a jamais été concédé ni délégué par aucune autorité humaine souveraine d'un ordre quelconque.
Retour à l'ordre juridique prérévolutionnaire Le premier à avoir véritablement placé la liberté des contrats au sommet de la hiérarchie morale et juridique est le Flamand Hugo Grotius au XVIe siècle, dans son célèbre traité sur le droit de la guerre et de la paix. La liberté contractuelle recouvre deux choses: d'abord le droit d'abandonner ou de déléguer partie de ses droits sur son propre capital humain, selon des clauses convenues à l'avance et décidées en commun, pour acquérir d'autres droits concédés en échange par l'autre cocontractant; ensuite la garantie judiciaire de l'exécution des clauses ainsi convenues. Fait essentiel de l'ordre juridique classique, et traduction de l'inaliénabilité du droit de propriété sur soi, les clauses du contrat s'imposent non seulement aux parties prenantes, mais aussi au juge qui est éventuellement appelé à intervenir en cas de conflit. La liberté contractuelle impose une absence de vice du consentement. Elle exclut l'adhésion forcée, et suppose la liberté de ne pas contracter. Le contrat est dit «authentique» lorsqu'il est conclu devant un officier public, ou «simple» (il suffit que les volontés se soient exprimées de façon saisissable). Les motifs ou les mobiles des contractants sont indifférents au juge. Enfin, le contrat a force obligatoire: il s'impose aussi bien aux parties, au juge qu'au législateur (qui ne peut appliquer rétroactivement les effets d'une loi à des contrats conclus antérieurement). Il n'entraîne pas d'effet sur les tiers non-contractants. Tels sont les principes mis en place au moment de la codification par les révolutionnaires des grands principes du droit individualiste moderne. Auparavant, sous l'Ancien Régime, un juge pouvait encore délier un contractant du devoir de respecter ses engagements si les termes du contrat ne lui paraissaient pas présenter les garanties d'un
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échange «juste». La mission du juge ne se limitait pas à garantir l'inviolabilité des contrats (la justice commutative). Son rôle était également d'assurer le maintien d'une certaine justice distributive, considérée comme le fondement de l'ordre social de l'époque. De ce point de vue, le droit du travail actuel traduit l'expression d'un spectaculaire retour aux traditions juridiques de l'époque prérévolutionnaire. Aujourd'hui, il n'est pas excessif d'affirmer que plus aucun des grands principes fondateurs de la liberté contractuelle n'est intégralement respecté. Par exemple, un principe aussi élémentaire que la « liberté du travail» n'assure plus véritablement la liberté de contracter avec un employeur puisque, si vous avez moins de 16 ans, la loi vous prive du droit de vous faire embaucher; si vous avez en revanche plus de 65 ans, vous ne pouvez plus librement cumuler une retraite et un travail salarié (exception faite des militaires qui conservent ce droit - devenu un « privilège» ). Les clauses du contrat ne sont plus librement fixées par les parties. Si vous désirez constituer votre propre épargne pour vous protéger des vieux jours, vous pouvez le faire; mais cela ne vous relève pas de l'obligation légale de cotiser régulièrement à un régime d'assurance vieillesse dont les termes vous sont unilatéralement imposés par le législateur. De même, vous n'êtes pas libre d'organiser librement votre propre système de protection contre les périodes de chômage ou le risque de baisse de vos revenus. Celui-ci vous est imposé par l'État. Le travailleur n'est pas libre de négocier avec son employeur ses horaires de travail. Ceux-ci sont flXés par le texte d'un contrat type prévu par la loi (la convention collective de votre branche ou de votre entreprise). Les motifs ou les mobiles ne sont plus indifférents au juge. Quand l'employeur décide de rompre le contrat de travail, il doit en signifier les motifs, qui seront pris en compte par le juge en cas de conflit. Une démission n'ouvre pas les mêmes droits qu'un licenciement. Et, selon les motifs du licenciement, les réactions de l'administration ou des tribunaux seront différentes. Le contrat de travail individuel n'a plus nécessairement force obligatoire si les clauses qu'il contient diffèrent de celles qui figurent dans le contrat type de la convention collective du secteur d'emploi.
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Enfin, le contrat de travail a des effets sur les tiers puisque désormais le contrat type d'une convention collective peut être étendu, par décision administrative, à des entreprises ou des salariés qui ne sont pas parties à cette convention. Attardons-nous un instant sur ce problème des conventions collectives, très représentatif des nouvelles mentalités juridiques qui imprègnent le droit du travail contemporain.
Les conventions collectives: des ententes obltgatoires Les conventions collectives sont des accords passés entre une ou plusieurs organisations syndicales de salariés et d'employeurs. Ces accords déterminent leur champ d'application territorial et professionnel et sont conclus pour une durée déterminée ou indéterminée. Ils peuvent être passés au niveau d'une entreprise (accords collectifs d'entreprise) ou au niveau d'une branche industrielle. Ils ne peuvent être contraires aux lois et réglements en vigueur Oe Code du travail par exemple). Pour que de telles conventions soient dénoncées, il faut l'unanimité des organisations signataires, employeurs et salariés. Elles peuvent être étendues à d'autres entreprises ou même à d'autres branches après négociation en commission des organisations syndicales représentatives. Ces extensions peuvent être demandées par l'une des organisations partie prenante ou à l'initiative du ministère du Travail. Les conventions de branche conclues au niveau national contiennent des dispositions qui concernent l'exercice du droit syndical dans l'entreprise, les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le financement de leurs activités sociales; les niveaux d'équivalence des qualifications; le niveau de salaire applicable à chaque catégorie professionnelle, ainsi que les modalités de révision. Selon la loi, doivent être inclus dans ces dispositions sur les salaires: le salaire minimal; les coefficients hiérarchiques; les majorations de salaires pour travaux pénibles; les modalités d'application du principe « à travail égal, salaire égal»; les congés payés; les conditions d'embauche; les conditions de la rupture du contrat de travail avec le délai-congé et l'indemnité de licenciement; les modalités de fonctionnement de la formation professionnelle, des centres d'apprentissage, de la forma-
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tion permanente; l'égalité professionnelle entre homme et femme; l'égalité de traitement entre salariés français et étrangers; les conditions particulières pour le temps de travail des femmes enceintes, pour le personnel qui travaille à temps partiel, à domicile ou à l'étranger, ou encore dans le cadre de contrats temporaires; enfin les procédures de conciliation. Ces conventions collectives peuvent être passées ou étendues à d'autres niveaux que le niveau national. Par ailleurs, le ministre du Travail, après avis de la Commission nationale des conventions collectives, peut en rendre l'application obligatoire, Il est prévu que : en cas d'absence ou de carence des organisations de salariés ou d'employeurs se traduisant par une impossibilité persistante de conclure une convention ou un accord de branche d'activité ou d'un secteur territorial déterminé,
le ministre chargé du Travail peut, à la demande d'une organisation représentative intéressée ou de sa propre initiative, sauf opposition écrite et motivée de la majorité des membres de la Commission nationale de la négociation collective: rendre obligatoire dans le secteur territorial (ou professionnel) considéré une convention ou un accord de branche déj! étendu ! un secteur territorial (ou professionnel) différent. ..
Ces détails sont connus. Leur lecture est fastidieuse. Mais leur sécheresse même fait mieux apparaître la véritable nature de ces dispositions législatives. Il s'agit ete mécanismes juridiques utilisés par les pouvoirs publics pour imposer, le plus légalement du monde, des ententes horizontales obligatoires entre travailleurs, d'une part, et entre firmes, d'autre part. Les accords collectifs d'entreprises assurent une forme d'intégration verticale entre les salariés et leurs patrons. Le contrat de travail issu de ce système n'est plus que la traduction juridique d'un statut légal ayant préséance sur les dispositions des contrats individuels; un statut que personne ne peut plus dénoncer ou amender sans obtenir l'accord unanime de ses partenaires. On est revenu aux plus beaux jours des traditions corporatives de l'époque prémoderne.
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LE DROIT DU TRAVAIL CONTRE LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Cette réaction du droit moderne à l'encontre de la liberté contractuelle prend racine dans l'influence exercée par les syndicats sur le marché politique. Elle s'est nourrie de la peur que les hommes ont de ce que Hayek appelle «l'ordre spontané du marché». On peut déplorer l'existence d'un marché du travail. Mais si on peut en limiter l'étendue, et réglementer le fonctionnement de certains de ses aspects, on ne pourra jamais en éliminer totalement l'existence tant qu'il restera des hommes prêts à louer à d'autres les services de leur capital humain. On peut nationaliser les agences de placement, il est plus diffidle d'interdire les petites annonces dans les journaux, ou tout simplement le bouche à oreilles aux portes des usines. Qui dit marché, dit loi du marché - c'est-à-dire loi de l'offre et de la demande. Sur un marché du travail, c'est elle qui détermine le montant des rémunérations. Si les entraves aujourd'hui portées à la liberté des contrats de travail ne sont pas aussi vivement dénoncées qu'elles le devraient c'est qu'instinctivement la plupart des gens ont du mal à admettre que le salaire ne soit pas directement lié à la rémunération d'un besoin, d'un effort ou d'un mérite personnel. Ainsi que l'explique le Pr Hayek, la fonction du salaire n'est pas, comme on le croit le plus souvent, de rémunérer les gens pour ce qu'ils ont fatt, mais de stgnaler ce qu'ils devraient faire, dans leur propre intérêt comme dans celui de tous. Le prix du travail ne récompense pas les mérites des individus mais leur révèle la valeur que leurs semblables portent à leurs services, sachant que chaque service a lui-même autant de valeurs différentes qu'il y a de gens pour porter un jugement dessus [81]. Bien évidemment, quand la rémunération de son propre travail ne correspond pas à ce que l'on attendait, on ressent un vif sentiment d'injusttce que l'on reporte sur l'institution, c'est-à-dire le marché. On se sent alors légitimement fondé à s'efforcer de soustraire par tous les moyens son revenu aux variations de l'offre et de la demande. La
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solution consiste à contrôler les forces de marché, c'est-à-dire à s'opposer au libre jeu des contrats volontaires entre individus libres. La justice du salaIre et l'Injustice du marché
Ce désir de voir la rémunération du travail récompenser les besoins, l'effort, le talent ou les mérites, et de la soustraire aux forces du marché, est, ainsi que le souligne Hayek, un signe d'immaturité de notre esprit. On ne peut exiger d'un «ordre spontané» qu'il se conforme à des principes moraux de justice. En toute rigueur, seuls des comportements humains peuvent être considérés comme «justes» ou « injustes ». Et cela par rapport à des règles définies au préalable et non des résultats que l'on juge plus ou moins «désirables». Par exemple, il ne viendrait à l'esprit de personne d'imaginer qu'une équipe de football puisse être disqualifiée au seul prétexte qu'elle vient de gagner par un écart de 10 buts à 0 qui ne reflète pas la véritable valeur relative des deux équipes. La disqualification ne peut être prononcée que s'il est prouvé que certains joueurs n'ont pas respecté les règles du jeu. Le résultat du match ne peut être considéré comme étant en soi «juste» ou« injuste ». Il est conforme ou non à ce qui était «prévisible », vu les résultats passés des équipes en présence. Mais il serait absurde d'exiger de l'arbitre qu'il impose par exemple un résultat nul sous le seul prétexte que les adversaires ont dans le passé gagné autant de matches l'un que l'autre. Le marché est une sorte de jeu - à somme positive, et non nulle comme un match de sport de loisir - , où la règle centrale est l'échange volontaIre. Les résultats qui en découlent sont légitimes dès lors qu'ils sont obtenus dans le respect des règles de l'échange. Nul ne peut dire s'ils sont «justes» ou «injustes », car nous ne disposons d'aucun principe éthique à caractère postttf qui soit suffisamment incontestable pour s'imposer à tous et permettre de juger ce que devrait être une distribution « juste» des revenus. En revanche, il existe des principes éthiques négatifs qui permettent d'établir quand un résultat n'est pas légitime, et ne saurait donc être juste: quand les règles de juste conduite individuelles qui déterminent les conditions de fonctionnement du marché ont été
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violées par quelqu'un. C'est à ce titre qu'on peut affirmer qu'un transfert (contraint) de revenus d'un individu courageux et travailleur vers un paresseux, d'un être responsable vers un irresponsable, d'un individu compétent vers un incompétent, ou bien d'un chanceux vers un malchanceux, d'un homme honnête vers un malhonnête, ou pire encore d'un groupe d'hommes politiquement sans influence, vers un autre groupe d'individus bénéficiant des avantages du pouvoir, est condamnable parce qu'il viole les deux principes fondamentaux d'une société libre et ouverte : le respect des droits de propriété et la liberté des contrats.
Une tradition déja longue et anctenne La façon la plus traditionnelle de soustraire le prix du travail au marché est de former des ententes entre les offreurs pour maintenir les salaires au-dessus du niveau qui s'établirait en situation de concurrence. Ces ententes ne sont pas une spécificité de notre époque. Aussi loin qu'on remonte dans l'histoire, elles ont toujours existé, et elles ont toujours été également combattues. Avant d'être finalement légalisées à la fin du XIxe siècle, les compagnonnages ou les syndicats (du côté des ouvriers), les jurandes, les métiers et les corporations (du côté des patrons) survivaient comme des organisations semi-clandestines. Le syndicalisme plonge ses racines dans les «métiers», les compagnonnages et les corporations du Moyen Age. Dès 1539, les ouvriers imprimeurs de Lyon et de Paris pratiquaient le «tric» ou monopole. Par serment, les ouvriers s'engageaient à cesser le travail dès que l'un d'entre eux avait à se plaindre de son patron. Ils se donnaient des chefs et faisaient «bourse commune ». Sitôt le tric ou la grève décidés, ils menaçaient de battre et de mutiler ceux qui trahissaient la consigne. La moindre des sanctions était leur expulsion des rangs de la confrérie. Les griefs de l'époque n'étaient déjà pas très différents de ceux dont les syndicats d'aujourd'hui se plaignent pour justifier leurs privilèges juridiques: les salaires étaient insuffisants, les avantages en nature Oogement, nourriture) étaient de qualité détestable, les
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horaires étaient trop stricts j enfin, une récrimination fréquente de l'époque concernait l'embauche des apprentis: ils étaient trop nombreux et les patrons les employaient à toutes sortes de tâches qui n'avaient rien à voir avec un programme de formation. En 1539, le pouvoir royal, par l'édit de Villers-Cotterets, interdit toute coalition patronale et ouvrière. Mais l'interdiction n'eut pas d'effet. En 1572, le roi consentit à limiter le nombre d'apprentis à deux par presse. En contrepartie, les ouvriers acceptèrent de ne plus être nourris par leurs patrons. La durée de l'apprentissage fut limitée à trois ans. L'usage du fouet interdit. L'habitude fut prise d'imposer à celui qui désire rompre son contrat de travail l'obligation d'annoncer sa décision avec un délai de huit jours. En 1662, les ouvriers papetiers d'Avignon se mettent en grève. En 1664, c'est au tour des boulangers de Bordeaux et des cordonniers de Toulouse. En 1679, ce sont les rubaniers de Paris. Dans son fameux '/raité des grains, Boisguilbert écrit : On voit dans les villes de commerce des 7 à 800 ouvriers d'une seule manifacture s'absenter tout à coup et, en un moment, en quittant les ouvrages imparfaits, parce qu'on leur voulait diminuer d'un sou leur journée; les prix de leurs ouvrages étant baissés quatre fois davantage; les plus mutins usent de violence envers ceux qui auraient pu être raisonnables. Il y a même des statuts parmi eux, dont quelques-uns sont par écrits, et qu'ils se remettent de main en main, par lesquels il est porté que si l'un d'entre eux entreprend de diminuer le prix ordinaire, il soit interdit de faire métier.
Au XVIIIe siècle, les compagnonnages - qui sont pourtant proscrits - deviennent de plus en plus puissants. A Montpellier en 1730, le procureur du roi dénonce les compagnons menuisiers qui ont constitué un «syndicat », ainsi que les « gavots » qui ont fait de même. Les grèves portent aussi souvent sur les avantages en nature que sur les salaires. Ainsi les Montgolfier, le 25 février 1781, ont une grève générale de leurs ateliers sur les bras : deux ouvriers, Fougères dit le Homard et son compagnon Nourrisson dit le Comtois, jettent à terre les plats qu'on leur présente j licenciés, ils obtienrlent de leurs camarades une grève de solidarité.
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Mes ouvriers, écrit Montgolfier, ont tous préféré partir sans leur compte en m'exposant à perdre environ 3 000 livres de matière en fermentation qui a un pressant besoin d'être ouvrée au risque d'une perte entière.
Autre sujet fréquent de contestation: l'aménagement des horaires. Lorsque les patrons décident d'organiser le travail moitié avant midi, moitié après, c'est la grève. Les compagnonnages ne sont pas des associations locales, mais internationales dont les réseaux de relations s'étendent bien au-delà des frontières. Non seulement les compagnons sont cartellisés, mais les patrons et les artisans forment leurs propres ententes. L'esprit général des communautés, remarque Turgot dans son édit de 1776 portant suppression des jurandes et communautés de Commerce, Arts et Métiers, est de restreindre le plus qu'il est possible le nombre des maîtres, de rendre l'acquisition de la maîtrise d'une difficulté presque insurmontable pour tous les autres que les enfants des maîtres actuels. A ce but sont dirigées la multiplication des frais et des formules de réception, les difficultés du chef-d'œuvre toujours jugé arbitrairement, la cherté et la longueur inutile des apprentissages, la servitude prolongée du compagnonnage, les institutions qui ont pour objet de faire jouir les maîtres gratuitement pendant plusieurs années du travail des aspirants.
Le plus important est la police de l'entente Officiellement supprimés en 1776, les corporations et compagnonnages n'en ont en réalité pas beaucoup souffert puisqu'en 1791 le célèbre décret d'Allarde les supprime à nouveau, et que le mardi 14 juin de la même année la non moins fameuse loi Le Chapelier interdit les coalitions de travailleurs. Votée à l'unanimité par l'Assemblée, elle interdit les grèves et les associations temporaires ou non d'ouvriers. Elle admet les réunions de citoyens à condition qu'ils ne nomment ni président, ni syndic, ni secrétaire, et ne prennent aucune décision pour défendre «leurs prétendus intérêts communs». Loin d'innover, elle reprend la plupart des interdictions déjà énoncées maintes fois par le pouvoir royal. Les associations de travailleurs ne vont pas pour autant disparaître. Elles renaissent sous forme de sociétés mutuelles qui affichent des
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idéaux charitables, et volent au secours des travailleurs les plus malheureux, mais qui ne servent pas qu'à cela. Leurs fonds servent aussi à financer les grèves. Sous la Restauration, les compagnons prennent un nouvel essor. Entre 1830 et 1840, ils suscitent de nombreuses grèves et émeutes. En publiant un livre célèbre sur le compagnonnage, Perdiguier rend le mouvement encore plus populaire. C'est seulement sous le Second Empire, avec le développement de l'industrie moderne, que le compagnonnage en tant qu'organisation représentative du monde ouvrier disparaît, supplanté par de nouvelles formes de mouvements protestataires nés dans les fabriques de Grande-Bretagne. Décimés sous la Commune, étrangers aux mots d'ordre plus politiques du syndicalisme, divisés, les compagnons disparaissent de la scène ouvrière au profit de nouvelles associations auxquelles on donne le nom de « syndicats» . Depuis un siècle, les syndicats tiennent le devant de la scène. Quand on y regarde de plus près, on constate cependant qu'ils n'ont jamais réussi à reconstituer véritablement la puissance que les compagnonnages avaient atteint à certaines époques. Les statuts et les droits qu'ils ont depuis lors arrachés aux pouvoirs publics ne sont pourtant pas sans rappeler toute la grille de privilèges contre lesquels le pouvoir politique, qu'il soit royal ou républicain, n'avait cessé de lutter. Que ce soit toujours la même logique qui inspire l'action de ces différentes organisations n'a rien pour étonner. Qu'il leur importe plus de faire la police de leur entente que de réellement militer pour l'amélioration du bien-être et de la protection des travailleurs, s'explique par les caractéristiques même de l'action collective, telles qu'elles ont été décrites par l'économiste américain Mancur OIson [1421. Pour mobiliser un groupe d'intérêt à l'état latent, et obtenir par une action collective ce que l'on ne peut réaliser par la seule action individuelle, il est vital de contrôler, d'une part les comportements de ceux qui, à tout moment, peuvent être tentés de faire « cavalier seul» ; d'autre part tous les autres qui seraient prêts à travailler à un salaire inférieur à celui exigé par les membres du syndicat Oes «jaunes», les briseurs de grèves, etc.). Une telle police est inévitablement coûteuse. Si l'on peut obtenir qu'elle soit assurée
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par l'État lui-même, aux lieu et place du syndicat, c'est tout bénéfice. Telle est précisément la finalité du Droit du travail. la capture de la loi par les syndicats
Donnons quelques exemples de cette stratégie de «capture». Prenons tout d'abord l'embauche. Regardons ce que dit la réglementation du travail. Premier constat: les intermédiaires chargés de rapprocher les offres et demandes en contrepartie d'espèces sonnantes et trébuchantes sont interdits. Le bureau de placement payant a été supprimé par une ordonnance du 24 mai 1945. Les bureaux de placement gratuits qui existaient alors ont été mis sous un contrôle public sévère. Depuis lors, il n'est plus possible d'en créer de nouveaux. Le seul intermédiaire légal est l'Agence nationale pour l'emploi. L'article 311-1 du Code du travail stipule que: « ... les services de l'État sont seuls habilités à effectuer le placement des travailleurs ». Ne sont en principe autorisées que les petites annonces dans les journaux, sous réserve de pouvoir identifier clairement le nom de l'entreprise demandeuse. L'intérêt d'une telle législation, apparemment anodine, s'analyse aisément si on se place du point de vue du syndicat. Il s'agit d'éviter une segmentation du marché et des candidatures qui se fasse au détriment des intérêts des organisations ouvrières. Des agences de placement privées et rémunérées fonctionneraient en effet selon des principes fort voisins des agences matrimoniales, sur le marché du mariage. Leur intérêt serait d'offrir un éventail d'emplois le plus large possible, et répondant au nombre de critères le plus grand. Pour satisfaire les demandes des entreprises, la concurrence amènerait certains à introduire dans leurs fichiers des critères tels le sexe, la race, la religion, mais aussi l'adhésion et le militantisme syndical, présent ou passé. Le système favoriserait le recrutement de populations à faible taux de syndicalisation, au détriment des autres. En contrôlant le monopole de l'embauche, les syndicats s'évitent ce genre de désagrément. Prenons un autre aspect: l'entrée sur le marché du travail. Elle aussi est sévèrement contrôlée. Si un enfant a des dons d'artiste qu'il
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pourrait exploiter dans un spectacle, ses parents doivent obligatoirement obtenir une dérogation individuelle du préfet, avec avis d'une commission regroupant des membres du Conseil départemental de la protection de l'enfance, ainsi que le directeur départemental du Travail et de la Main-d'œuvre. Cette commission détermine la part de la rémunération dont le montant sera laissé aux parents. Le reste est obligatoirement versé sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations pour y constituer un pécule que l'enfant récupérera à sa majorité. Ces lois sur la protection de l'enfance sont un moyen de restreindre l'entrée sur le marché du travail et créer ainsi une rente au profit de ceux déjà installés dans la vie active. Une MgtslaNon malthusienne
Selon la même logique, le contrat d'apprentissage est une technique pour feiner l'em~auche et contrôler le nombre d'entrées dans une profession ou un métier. C'est ainsi que l'article 117 du Code du travail spédfie que: ... aucun employeur ne peut engager d'apprentis s'il n'a fait l'objet d'un agrément par le comité départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi... Cet agrément est accordé après avis du comité d'entreprise.
L'exigence d'un diplôme pour exercer une profession est une autre technique, à l'exemple du certificat d'aptitude professionnelle demandé pour les coiffeurs ou du doctorat de spécialité exigé des médecins. En sus de ces contrôles quantitatifs, il existe un autre moyen pour réduire le nombre de travailleurs candidats à un emploi dans une entreprise ou dans une branche professionnelle. Il suffit d'élever le coût d'embauche individuel des nouveaux salariés. C'est le rôle que jouent par exemple les législations « antidiscriminatoires ». C'est aussi l'effet qu'entraînent certaines distributions sélectives d'avantages en nature comme les congés payés ou le treizième mois de salaire. Les lois Auroux sur le contrôle du travail temporaire et les contrats à durée déterminée avaient pour but évident de freiner la substitua-
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bilité d'un travailleur à l'autre. L'interdiction du cumul d'emploi, la ftxation d'un nombre d'heures de travail maximal, mais aussi l'exigence de rémunérer les heures supplémentaires à un taux supérieur au taux de salaire principal, ont pour objectif commun de réduire l'élasticité de l'offre de travail. Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, l'intérêt du syndicat est de réduire autant que possible le taux de rotation des emplois. A chaque nouvelle génération de travailleurs, il faut en effet reconstituer l'entente (voir ce que cela coûte au syndicalisme étudiant). Les législations sur le temps partiel mais aussi le travail temporaire y concourent. Enftn, la procédure d'extension des conventions collectives répond de façon évidente au souci de réduire la mobilité des salariés, et donc la concurrence qu'ils se font au sein d'une même branche professionnelle. Cette mainmise des syndicats sur le Droit du travail atteint des sommets avec les privilèges spéciaux attribués aux délégués du personnel ainsi qu'aux délégués syndicaux. Le Code du travail prévoit que l'élu a le droit d'exercer son activité pendant son temps de travail (activité donc ftnancée en partie par l'employeur). Ceci représente une matinée par semaine qui est «de plein droit considérée comme du temps de travail» (art. 1. 424-1). Le chef du personnel est tenu de mettre à disposition des délégués du personnel un local. Les cotisations des syndicats peuvent être désormais prélevées sur le lieu du travail. Les délégués peuvent circuler librement dans l'entreprise lorsqu'ils sont dans l'exercice de leur mission syndicale. Le temps passé aux réunions diverses avec le comité d'entreprise, le chef du personnel, etc., est lui aussi décompté comme du temps de travail. Comme les parlementaires, ils ont leur droit à leur immunité : ils ne peuvent être licenciés sans l'autorisation de l'inspecteur du travail, ni l'avis du comité d'entreprise (c'est-à-dire de leurs pairs). Comme par hasard, le mode d'élection est le scrutin de liste à deux tours avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne dont on sait d'expérience qu'il est celui qui protège le mieux les candidats des organisations institutionnalisées contre les retournements d'humeur des électeurs de base. Enftn, n'oublions pas que seules les organisations
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syndicales qualifiées de «représentatives» au plan national ont le droit de présenter des listes. Il n'existe en vérité pas un article du Code du travail qui ne puisse être interprété à travers cette grille d'analyse (exception faite d'un article qui interdit à un employé de s'établir à son compte à proximité de son dernier employeur et de lui faire concurrence). Pour s'en convaincre, nous nous attarderons sur un problème particulier: les indemnités de licenciement en cas de rupture de contrat. Les IndemnItés de Itcenclement et le théorème de Coase
Imaginons l'exemple suivant. Un patron, pour une raison ou une autre, paie ses ouvriers au-dessus de ce qu'ils lui rapportent réellement. Pour rétablir ses comptes, il désire licencier une part importante de son personnel. Les salariés licenciés se trouvent confrontés à deux possibilités : soit un chômage transitoire d'une durée d'un an avec la reprise d'un emploi équivalent à la fin de la période; soit un chômage transitoire également d'un an mais avec au bout du compte l'obligation de se contenter d'un emploi financièrement moins intéressant. On imagine que la probabilité de réalisation de ces deux hypothèses est, pour chaque individu, identique. Par ailleurs, on pose (pour le besoin de nos calculs) que le licencié a encore 20 années d'activité professionnelle avant d'arriver à la retraite. Que le personnel compte en moyenne 20 ans d'ancienneté dans l'entreprise, et que le salaire moyen y est de 10000 F par mois. L'employé utilise son inactivité à prospecter pour retrouver un nouvel emploi. On suppose qu'il retrouve un travail au bout d'un an et qu'il a une chance sur deux de récupérer un emploi identique au précédent. Si l'emploi qu'il a ainsi retrouvé est identique à celui qu'il vient de perdre, son nouveau salaire est égal à l'ancien. Si, en revanche, il doit se contenter (on pose par hypothèse que c'est pour le reste de sa vie active) d'un emploi différent, on imagine que le salaire qui lui est alors versé est plus faible, seulement de 8 000 F. Dans le premier cas, la perte attendue est transitoire et se chiffre à un total de 120000 F. Dans le second cas, la perte transitoire est la
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même (120000 F), mais s'y ajoute une perte permanente de 24000 F par an (2000 F par mois). Actualisée par rapport à ce qui lui reste de vie active, cette perte permanente représente une somme totale de 1 098 240 F correspondant au capital qu'aurait produit un placement de 24 000 F par an à un taux d'intérêt moyen et normal de 8 %, si l'ouvrier n'avait pas été licencié et avait économisé lui-même cette somme. Si cet employé n'a pas d'aversion ni de préférence particulière pour le risque (hypothèse de neutralité vis-à-vis du risque), la valeur de la perte attendue - avec une chance sur deux de retrouver un emploi identique - se monte au total à 669 120 F [120 000/2 + (1 098 240 + 120 000)/2). Dans le cas où la loi enlève à l'entreprise la possibilité de rompre le contrat de travail de son fait (par exemple parce qu'elle éprouve certaines difficultés commerciales), l'employeur contraint de garder des effectifs qu'il doit continuer à payer au même salaire, alors qu'il aurait pu en faire l'économie. L'existence de la loi lui coûte 120000 F par employé et par an. Actualisée au coût du marché, la perte totale qui lui est ainsi occasionnée par la législation est considérable, car si cene somme avait été économisée chaque année et placée à un taux d'intérêt normal de 8 %, elle lui aurait rapporté au bout de 20 ans un capital total de 5 491 200 F. En revanche, dans cette hypothèse, le salarié ne supporte aucun coût. A partir de là, plusieurs commentaires s'imposent. Le principe de l'échange volontaire des droits
Le premier correspond au célèbre théorème de l'économiste américain Ronald Coase [42]. Autoriser la rupture unilatérale du contrat de travail par l'employeur crée un dommage à l'employé. En revanche, l'interdire lui crée, personnellement, un dommage encore plus grand. C'est ce qu'on appelle le principe de la réciprocité du dommage. Le dommage fait à l'employeur en lui interdisant de rompre unilatéralement le contrat de travail correspond au salaire payé à un employé dont les aptitudes ne seront plus utilisées. Le dommage fait à l'employé en l'autorisant est égal à l'ensemble des revenus perdus si l'emploi retrouvé ne rapporte pas un revenu au moins égal à celui qui a
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été perdu du fait du licenciement. Comme la perte supportée par l'employeur excède celle de l'employé, le patron a intérêt à lui racheter le droit de le mettre à la porte. Pour cela, il lui suffit d'offrir une indemnité supérieure à 669 120 F. C'est le principe de l'échange
volontaire des droits. Ce principe entraîne une conséquence particulière : il fait que les employés seront en définitive indifférents au choix de ceux qui seront licenciés et qui partiront au chômage. L'employeur pourra librement choisir de faire partir en priorité les moins productifs, sans provoquer de protestation puisqu'ils ne perdront rien au change (cependant que lui y gagnera). La possibilité de négocier librement un échange volontaire des droits rend indifférente la solution d'attribution des droits qui sera sélectionnée par l'employeur. On croit généralement que la suppression ou le maintien de l'interdiction de licenciement affecte le nombre de chômeurs. En fait, ce qui se passe est assez différent Lorsque la rupture unilatérale du contrat de travail par l'employeur est interdite, on peut séparer les employés en deux catégories: ceux qui causent à la firme un préjudice supérieur à 669 123 F et les autres. En effet, parmi les ouvriers susceptibles d'être licenciés, il y en a dont les talents peuvent être réutilisés à des tâches moins productives qu'auparavant. S'ils sont gardés par l'employeur parce qu'il y et contraint, le dommage qu'ils lui créent est inférieur à celui causé par les autres. Dans de telles circonstances, la possibilité d'échanger les droits permettrait à l'entrepreneur d'acheter la démission des moins productifs par une indemnité supérieure à 669 120 F; et, donc, de leur offrir l'opportunité de se retrouver finalement avec un revenu supérieur à celui qu'ils se trouveraient contraints d'abandonner du fait de leur licenciement. A l'inverse, si la législation autorise les employeurs à procéder à des licenciements sans indemnité, ce sont les employés qui supportent le dommage créé. Mais ceux qui sont susceptibles d'être employés avec profit dans d'autres postes de l'entreprise, au point que leur départ causerait à la firme un manque à gagner qui pourrait au pire être égal à 669 120 F, ont intérêt à racheter à leur employeur le droit de rester dans l'entreprise en lui proposant d'accepter une diminution de leur salaire qui, au maximum, pourraît être de 24 000 F par an. Dans
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cette éventualité, tous les autres salariés sont licenciés. Mais, comme dans le cas précédent, ce sont les mêmes employés les moins pro-
ductifs qui se retrouvent au ch6mage. Il est vrai que, dans le premier cas, c'est l'employeur qui supporte le fardeau de l'ajustement. Dans l'autre, ce sont les employés licenciés. Cependant, comme pour un impôt, le poids final de l'ajustement ne retombe pas nécessairement sur celui qui a été désigné pour cela.
L'ajustement se retourne contre ceux que le législateur croit protéger Si le droit de causer le dommage est attribué aux salariés situation où les salariés ont la capacité de faire retomber les coûts de l'ajustement économique sur l'entreprise en lui imposant de racheter les démissions -, l'employeur fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter de se retrouver acculé dans une telle position. Il cessera d'embaucher du personnel nouveau plus tôt qu'il n'aurait autrement le souci de le faire, afin de limiter le risque d'affronter l'épreuve d'un licenciement. Son comportement d'ajustement aura pour conséquence d'allonger les files d'attente du chômage et d'aggraver le taux naturel de chômage dans l'économie. S'il s'agit d'une firme que la nature de ses prestations rend particulièrement sensible aux aléas de la conjoncture, l'entrepreneur réagira en offrant moins d'emplois permanents, et en faisant davantage appel à des contrats de soustraitance ou encore des solutions de travail temporaire ou à durée déterminée. Conclusion: l'ajustement se retourne contre les salariés, bien que la législation ait la prétention de les garantir contre ce genre d'aléa. Toutefois, les bénéficiaires sont aisément identifiables: ce sont les salariés en poste dans les entreprises. En revanche, les victimes le sont beaucoup moins: c'est la masse anonyme et non organisée des «chercheurs d'emplois ». On comprend mieux la popularité qu'une telle mesure rencontre dans la population, et auprès des militants syndicaux en particulier. tout le monde voit l'avantage. Mais personne ne voit le revers de la médaille. A l'inverse, si c'est l'employeur qui se voit attribuer par la législation le droit de causer le dommage - situation symétrique où
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l'employeur a la capacité de faire retomber sur les salariés les coûts de l'ajustement économique - les salariés s'organiseront pour l'éviter. Ils s'assureront contre le chômage, en cotisant à une compagnie d'assurance ou une mutuelle. Pour limiter les risques de ne pas retrouver un emploi équivalent, ils cesseront d'investir dans le «capital spécifique» de l'entreprise. L'effet sera une mobilité accrue des employés et donc, statistiquement, un taux de chômage naturel plus élevé, mais avec vraisemblablement une durée moyenne d'attente plus faible. Ainsi, dans les deux cas, on obtient un taux de chômage plus élevé et indépendant de la distribution des droits. En revanche, dans le premier exemple, la durée moyenne du chômage aura tendance à être plus longue que dans le second. En tout état de cause, le taux de chômage serait plus faible si les employés et leurs employeurs avaient dès le départ la latitude de négocier leur contrat de travail en toute liberté. En effet, le risque de rupture serait pris en compte dès l'embauche, par des clauses spéciales correspondant à ce que chacun anticipe. Dès lors, chaque partenaire serait incité à investir dans l'autre un montant «optimal» correspondant au risque anticipé, et rien ne pousserait plus les employés à une mobilité, ou au contraire à une résistance à la mobilité excessives.
Une législation qui n'est pas Innocente
Dans une société où la liberté des contrats ne serait plus un vain mot, employeurs et employés s'arrangeraient pour minimiser leurs risques. Des solutions contractuelles permettant de satisfaire au mieux les uns et les autres seraient trouvées. Chacun y gagnerait un revenu final réel plus élevé, et le taux de chômage serait vraisemblablement inférieur. Avec la législation actuelle, ces échanges de droits ne sont pas possibles. Les articles 321-7 et 321-9 du Ccx:le du travail interdisent aux employeurs de racheter à leurs employés le droit de les licencier et de transformer ainsi un licenciement en démission. De la même manière, les conventions collectives ferment à tout salarié la
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possibilité de racheter son licenciement en acceptant de rester pour un salaire moindre. Ces dispositions restrictives sont dans la logique de l'intérêt syndical. Si ces échanges étaient possibles, ils représenteraient autant de brèches dans le dispositif de contrôle monopolistique de la maind'œuvre par le syndicat. Ils auraient pour effet de le priver de toute efficacité. L'intérêt des organisations syndicales est d'en prohiber l'exercice. Le Code du travail, une fois de plus, répond à cette attente. Dans un système qui autoriserait l'échange libre des droits, il importerait peu que les patrons aient le droit ou non de licencier. Le problème fondamental n'est pas celui du droit de licencier, mais de la liberté contractuelle. La législation en vigueur autorise plus ou moins le licenciement unilatéral. Elle donne donc aux employeurs le droit de causer un dommage à leurs employés. Mais plutôt que de les autoriser à « racheter» leur licenciement, elle interdit expressément cette pratique, qu'elle croit compenser par l'obligation légale faite à l'entreprise de leur payer des «indemnités de licenciement». Celles-ci sont généralement considérées comme l'une des conquêtes sociales les plus importantes de notre époque.
Question: Est-ce que la protection offerte au salarié par le versement de ces indemnités légales est au moins aussi avantageuse que ce que serait leur situation dans un régime de liberté contractuelle? Le montant des indemnités de licenciement est obligatoirement fIxé par les conventions collectives. Un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation stipule que ... les juges ne peuvent reconnaître à un salarié le droit à une indemnité de licenciement contestée par l'employeur sans se référer à une convention, à un texte législatif ou réglementaire, ou à un usage précisé.
Selon l'usage établi, le montant de l'indemnité est calculé proportionnellement à l'ancienneté dans la fIrme. Le salaire servant de base au calcul est généralement le salaire mensuel moyen des trois derniers mois, multiplié par le nombre d'années d'ancienneté dans l'entreprise.
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Dans notre exemple hypothétique, l'ancienneté étant de 20 ans, et le salaire de 10 000 F, le montant de l'indemnité serait de 200 000 F j c'est-à-dire une somme qui est très loin de correspondre au préjudice réel estimé à 669 120 F. Le revenu des employés serait beaucoup mieux protégé dans un régime où ils auraient le droit d'acheter leur démission ou de racheter leur licenciement. Alors pourquoi cette législation? A quoi sert-elle vraiment? On pourrait penser qu'il s'agit d'une sorte de mécanisme d'assurance, l'employeur retenant sur les salaires l'équivalent d'une prime reversée à l'employé au moment de son licenciement. Mais, si c'était le cas, l'indemnité devrait être calculée en fonction du préjudice subi. Or il n'en est rien.
La ltberM contractuelle serait une metlleure protection que l'Indemnité de ltcenclement Imaginons une situation où l'employeur a le droit de licencier moyennant le paiement obligatoire d'une indemnité de 200 000 F, et où on demanderait au salarié licencié de choisir entre deux options : ou il accepte l'indemnité et il part sans autre moyen de recours j ou il accepte de rester mais à un salaire moindre, et il perd bien évidemment le bénéfice de toute indemnité. Le préjudice d'un licenciement étant estimé à 669 120 F, les termes de son calcul individuel sont alors les suivants. S'il part, il touchera 200 000 F, mais il subira néanmoins un préjudice de 469 120 F. S'il reste, son préjudice sera de 24 000 F capitalisé sur 20 ans, soit 1 098 240 F. Donc il ne restera pas. Prenons l'autre cas de figure. L'employeur est privé de son droit de licencier. Il ne peut se débarrasser de ses éléments les moins productifs qu'en leur achetant leur démission à un prix égal au préjudice subi, c'est-à-dire 669 120 F. Imaginons maintenant qu'on lui dise : vous avez le choix entre licencier mais avec le paiement d'une indemnité de 200 000 F, et continuer à racheter la démission de vos salariés. Que va-t-il faire? Bien évidemment choisir la première option. Il obtiendra le départ de ceux dont il ne désire plus la présence au prix de 200 000 F au lieu de 669 120 F. Le fait qu'on impose aux employeurs un régime de licenciement avec indemnités, et qu'on interdise l'achat des démissions, signifie que les entreprises
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sont davantage incitées à licencier que ce ne serait le cas s'il leur était interdit de licencier, mais avec possibilité d'achat des démissions. Dans les deux cas, on a une situation qui débouche sur davantage de licenciements que ce ne serait le cas quel que soit le régime légal du droit de licencier (autorisé ou non), mais avec liberté contractuelle totale. La conséquence du droit actuel est une augmentation du taux de chômage naturel dans l'économie - mais pour des raisons et par des mécanismes différents de ceux qui sont habituellement avancés par les organisations patronales. L'indemnité de licenciement joue ainsi le rôle d'une taxe sur les employés pour les dissuader de négocier des baisses de salaires qu'il serait de leur intérêt d'accepter, et qui, du point de vue de leur revenu, les mettraient dans une situation plus favorable que celle qui résulte en définitive de la législation. Simultanément, elle joue également le rôle d'une subvention à l'employeur pour lui permettre de licencier à moindres frais les ouvriers dont il veut se séparer. Dans les deux cas, ce sont les salariés qui sont perdants. Abandonnons donc la vision angélique des syndicats. Tout se passe comme si la préoccupation centrale était beaucoup plus de décourager les velléités que certains salariés pourraient avoir, dans une conjoncture défavorable, d'accepter une révision de leurs avantages salariaux, plutôt que la défense de l'emploi et du niveau de vie à long terme des travailleurs. Il est des circonstances (de crise par exemple), où beaucoup de salariés accepteraient de négocier une révision de leurs salaires pour rester autant que possible dans l'entreprise où ils travaillent. Il en est d'autres qui accepteraient facilement de démissionner si cela leur rapportait plus que d'être licenciés ou de rester dans leur emploi actuel. Mais, dans la logique syndicale, de telles actions individuelles sont extrêmement dangereuses. Si elles se généralisaient, elles rendraient le contrôle de l'entente impossible. Voilà pourquoi, pour les syndicats, en toutes circonstances, tout est meilleur que la liberté.
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Les crises, le chômage et les syndicats
Le chômage est un phénomène plus complexe qu'un simple défidt de créations d'emplois nouveaux, ainsi que le décrit l'approche macroéconomique traditionnelle. Comme nous allons le voir, l'approche microéconomique complète cet éclairage. La montée continue du nombre de chômeurs n'est pas seulement une conséquence de la crise, le produit de facteurs conjoncturels ou structurels plus ou moins accidentels (chocs pétroliers, concurrence internationale, nouvelles technologies, etc.), ni l'expression d'une fatalité technologique. Elle est aussi la résultante de changements démographiques Oa montée des jeunes), sodologiques (développement du travail féminin) et institutionnels (rôle du salaire minimal, progrès de la protection sociale) qui se traduisent par une augmentation du «taux de chômage naturel». Tel était le message diffusé par la Nouvelle konomle à la fin des années 70. Depuis lors, les esprits ont évolué. La faillite du modèle keynésien est largement reconnue (encore plus depuis les échecs socialistes qui auront eu un excellent pouvoir pédagogique). Dans l'étude du marché du travail, les économistes se tournent désormais vers une méthodologie résolument microéconomique, même ceux qui disent encore
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CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS
travailler dans l'optique de Keynes (théorie des marchés internes et segmentés). Un personnage aussi influent que le professeur Edmond Malinvaud admet la présence, à côté d'un chômage de type keynésien (dû à une insuffisance de la demande globale), d'un chômage dit «classique », qui serait la conséquence d'un coût trop élevé du travail [118]. Les facteurs institutionnels commencent à être pris en compte, même si ce n'est que de façon encore bien timide. Par exemple, Jacques Lesourne reconnaît la responsabilité dans le développement du chômage de ce qu'il a baptisé 1'« oligopole social»c'est-à-dire des groupes sociaux organisés qui, dans les années 60 et 70, ont fait pression sur les pouvoirs publics pour obtenir l'indexation généralisée des salaires, la hausse du salaire minimal et l'écrasement des hiérarchies salariales, la baisse de la durée du travail (à revenu constant), le renforcement de la réglementation du travail, etc. [112]. Même dans les syndicats, on note une prise de conscience progressive des méfaits du corporatisme professionnel. Ces évolutions sont bienvenues. Elles restent cependant partielles et manquent souvent de recul. Ce n'est pas en additionnant une série de causes autonomes qu'on obtient une théorie, ni même une véritable explication de la crise de l'emploi. Nous vivons dans une société où fait toujours aussi cruellement défaut une véritable théorie de l'emploi et du chômage. Une théorie qui, tout en englobant les différentes explications proposées par les uns et par les autres, et tenant compte des particularités de l'environnement institutionnel contemporain O'émergence d'une «société salariale» dominée par des procédures collectives de négociation), permettrait de rendre compte non seulement des crises d'aujourd'hui, mais également de celles d'hier. Ce chapitre propose d'établir un pont entre la théorie des syndicats et la théorie du chômage et des crises économiques. Appuyée sur la loi de Say (injustement reléguée aux oubliettes par les macroéconomistes contemporains), ainsi que sur les apports de l'analyse monétaire moderne (théorie des monnaies «concurrentielles »), l'idée centrale est que la véritable origine des crises et des dépressions qui frappent le marché du travail ne doit pas être recherchée dans des troubles autonomes de la «demande globale» (concept keynésien dérivé d'erreurs logiques), mais dans les rigidités
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de tous ordres que produit, dans nos démocraties contemporaines, l'activité des groupes de pression organisés. Il n'est pas question de se plaindre pour la énième fois de ce que les charges salariales des entreprises françaises, ou le « niveau général des salaires» (une expression qui en réalité ne veut rien dire), seraient trop élevés - la plainte traditionnelle du patronat. L'argument est tout différent: ce qui est en cause est la capacité acquise par un nombre croissant de groupes privés d'imposer, de manière durable, des prix et des rémunérations déconnectés de ce qui résulterait du jeu d'un marché libre fonctionnant dans le cadre d'un État de droit respectant les droits de propriété et la liberté des contrats; et, partant de là, l'ensemble des pratiques collectives, juridiques, législatives ou monétaires responsables de cette situation. Parce que leur nature même de «bien collectif particulier» favorise le développement de pratiques, d'attitudes, de règlements et de législations contraires aux exigences de flexibilité des prix et de la stabilité monétaire, les organisations syndicales sont paradoxalement des institutions qui fabriquent du chômage, du sousemploi, de l'appauvrissement, et donc du ressentiment. Elles ne sont pas seules en cause. Tous les groupes organisés qui, par des moyens incompatibles avec le respect des principes fondamentaux d'un État de droit civilisé, interfèrent avec la liberté de décision des entrepreneurs, ou font pression sur le législateur pour se faire attribuer des privilèges, portent peu ou prou une part de responsabilité. Il n'est pas de notre propos de faire porter aux seuls syndicats la responsabilité de la crise de l'emploi. Celle-ci est avant tout le produit d'attitudes et de comportements profondément ancrés dans les mentalités de la population et de ses dirigeants. Mais il n'empêche que l'activité des syndicats joue un rôle particulièrement crucial dans le déroulement de ce processus.
LE PRINCIPE DE LA LOI DE SAY La plupart d'entre nous avons oublié qu'il fut une époque où le rôle des syndicats était placé par les économistes au centre des interrogations sur l'origine du chômage et des dépressions
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économiques. Cela se passait dans les années 1920 et 1930, juste avant que la publication de la Théorie générale de Keynes ne vienne (à tort) jeter le discrédit sur tout ce qui s'était fait avant et qui n'allait pas dans le sens du keynésianisme. Depuis quelques années, on redécouvre les apports de cette époque grâce aux traductions de Mises et d'Hayek j mais aussi à la réimpression des travaux de William Hutt - certainement de tous les économistes de sa génération celui qui a consacré le plus de temps et d'ardeur à réfuter Keynes et à mettre en cause la responsabilité du mouvement syndical j non pas par antisyndicalisme primaire, mais par soud scientifique de rétablir une vérité que beaucoup reconnaissent implicitement, mais que, pour des raisons politiques faciles à discerner, personne, aujourd'hui comme hier, n'ose regarder en face [90, 91). Pour les Keynésiens, lorsqu'il y a un chômage important, tout est clair. Ce ne peut venir que d'une défaillance de ce que Keynes a appelé « la demande globale ». La présence du chômage, nous diton, est la preuve que les ménages et les entreprises ne dépensent pas assez. Et s'il en est ainsi, c'est parce que les consommateurs épargnent trop, et que les entrepreneurs n'investissent pas assez à cause Ooi fondamentale) des taux d'intérêt trop élevés (phénomène de la « trappe monétaire»). La solution consiste donc à compenser par la dépense publique les insuffISances de la dépense privée spontanée. On s'engage dans une politique de déficit budgétaire et, par voie de conséquence, de monnaie facile. A cela, les « Autrichiens» répliquent qu'on ne peut valablement raisonner à partir d'un concept aussi artificiel que celui de la demande globale. La demande globale, expliquent-ils, ça n'existe pas. C'est un faux concept. Il n'y a probablement pas de loi économique plus ancienne, et plus fondamentale, mais aussi plus méconnue que la loi de Say. Ses premières formulations datent des physiocrates, notamment Mercier de la Rivière. On la retrouve chez Turgot. Mais c'est Jean-Baptiste Say qui, en 1803, dans son célèbre Tralt~ d'Économie politique, lui donne sa forme définitive (sans toutefois avoir clairement conscience de toutes ses implications) (168). Au XIxe siècle, elle occupe également
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une place importante dans l'œuvre de Mill. Elle a fait au cours des dernières années un retour en force dans la littérature économique anglo-saxonne sous la plume des supply stders et autres partisans de l'économie de l'offre. Cette loi est souvent résumée par la courte phrase: «L'offre crée sa propre demande.» Ce qui est interprété comme signifiant que dans une économie capitaliste il ne saurait y avoir de situations durables d'excédent d'offre, tout processus de fabrication d'un bien destiné à être vendu engendrant nécessairement la création d'un revenu grâce auquel ce bien peut être vendu. Les Keynésiens en ont conclu que les économistes «classiques», leurs adversaires, niaient que puissent apparaître des situations durables de crise économique et de chômage massif et permanent j message que perpétuent les enseignements universitaires dominants. En réalité, le contenu de la loi de Say est à la fois plus subtil et plus complexe que cette interprétation. S'il y avait peut-être des gens qui, dans les années 30, pensaient comme le décrivent les manuels keynésiens, ce n'était pas le cas de tous les économistes «prékeynésiens ». Correctement reformulée, la loi de Say n'exclut pas la possibilité de situations de sous-emploi.
Ce que la lot de Say dtt et ne dtt pas La loi de Say est un raisonnement axiomatique qui établit quatre propositions.
1. n n JI a que la productton de quelque chose qut donne le pouvoir de consommer Jean-Baptiste Say part du constat « qu'on ne peut se procurer ce que l'on achète qu'avec ce que l'on a produit ». n s'agit d'une simple observation de bon sens qui n'a pas à être démontrée (un axiome) : on ne peut se procurer des biens et des services que l'on désire qu'en échange d'autres biens et services que l'on a soi-même produits, ou en échange de l'argent que l'on a précédemment acquis en échangeant des biens et des services que l'on avait soi-même produits. Autrement dit, l'origine de ce que l'on appelle la demande ne se trouve pas dans l'acte de destruction de valeur que représente la
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consommation, mais dans l'acte de production qui crée la valeur ainsi disponible pour être consommée. On ne peut consommer que si quelqu'un a produit. D'où l'expression: «c'est l'offre qui constitue la demande », non pas au sens (absurde) que tout produit offert sur le marché distribuerait nécessairement les moyens d'une demande correspondante, comme cela est parfois abusivement interprété; mais au sens qu'il ne peut y avoir d'acte économique créateur de valeur qui ne crée de manière concomitante un pouvoir d'achat donnant au producteur les moyens d'acquérir une valeur équivalente parmi l'ensemble des biens produits par d'autres et n'entrant pas en concurrence avec ce que luimême fabrique. Conclus ton : on ne peut pas dissocier la «demande» qui s'adresse aux produits d'un secteur de 1'« offre» d'autres produits qui en est l'origine et la contrepartie. Pour comprendre ce qui se passe au niveau de la demande, il faut commencer par analyser les facteurs qui agissent sur l'évolution de l'offre des autres produits non concurrents. C'est en ce sens qu'il s'agit d'une approche qui donne la priorité à l'économie de l'offre.
2. La notton de « demande globale» est un concept qut n'a aucun fondement dans le r~el, et qut ne peut que fausser l'analyse Se procurer un bien ou un service quelconque implique nécessairement que l'on cède simultanément à d'autres le pouvoir d'acquérir l'ensemble des autres biens et services que l'on aurait pu consommer en contrepartie de ce même pouvoir d'achat. Autrement dit, tout achat marchand n'est jamais que la manifestation d'un acte par lequel on ~change des drotts sur une certaine partie du flux global des biens et services produits contre l'acquisition d'une autre partie de ce flux. Cette interdépendance entre toutes les demandes, mais aussi le fait que ce qui est demande pour les uns, est offre pour les autres, fait que l'addition des demandes individuelles de biens finals et de biens intermédiaires pour donner une «demande globale» n'a pas de sens. La notion de demande globale est un faux concept; Un spécialiste de la comptabilité nationale peut toujours, moyennant certaines précautions statistiques, additionner l'ensemble des demandes individuelles de biens finals et intermédiaires pour calculer un
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agrégat. Mais cette entité statistique, résultat global de ce calcul d'agrégation, est dépoUlvue de toute signification économique. Elle n'est qu'un résultat arithmétique dont la véritable genèse est à rechercher dans les échanges de droits auxquels l'interdépendance de toutes les demandes donne lieu. Ce qui compte alors, pour l'économiste qui essaie de comprendre la nature des phénomènes sociaux, ce n'est pas l'agrégat, mais les procédures d'échanges de droits qui en sont la base et qui n'ont pas de sens indépendamment des conditions et des motivations individuelles qui leur donnent naissance. Keynes n'ignorait pas l'existence de cette difficulté méthodologique. Mais il la résolvait en introduisant l'hypothèse que les variations de la demande globale se répartissaient proportionnellement entre tous les biens produits. Dans ce cas, il n'y avait effectivement plus de problème. Similairement, les notions de «produit national» ou de « niveau général des prix », ou de «niveau général des salaires» n'ont pas plus de sens. La macroéconomie keynésienne est fondée sur une tlluston stattsttque et conceptuelle. On n'a pas le droit d'expliquer les crises et les dépressions économiques en invoquant la défaillance d'une «demande globale» que personne ne peut ni définir ni évaluer.
3. Parler de batsse de la demande n'a de sens que par rapport aux produtts de secteurs « en parttculterll On peut additionner les baisses de la demande enregistrées dans divers secteurs, et même dans tous les secteurs, pour dire qu'il y a un déficit de la demande en gbl~al - c'est-à-dire une surestimation générale de la demande par les agents économiques à un moment donné. Mais cela n'a pas de sens de présenter l'ensemble de ces récessions particulières comme la conséquence d'une crise «généraie» de la demande (on ne peut pas expliquer des situations particulières par un facteur qui, lui-même, ne serait que le produit de l'addition de ces situations particulières). Toute récession gbl~ale supposerait une baisse simultanée de toutes les demandes qui s'adressent en parttculter à chaque secteur. Et comme - proposition 1 - la demande, avons-nous vu, n'est que la contrepartie de ce qui est « offert» ailleurs dans l'économie O'offre de produits non
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concurrents), on est ramené au principe que toute baisse de la demande qui concerne en particulier certains (ou tous les) secteurs ne peut être que le résultat d'une réduction préalable de l'offre (et donc des revenus) dans certains (ou dans tous les) autres secteurs produisant des produits, ou livrant des services non concurrents. Conséquence: ce corollaire de la loi de Say implique que si on veut identifier les origines d'un chômage généralisé il faut s'interroger sur ce qui peut conduire certains producteurs, ou tous les producteurs, à réduire leur offre j et cela indépendamment de toute explication faisant intervenir un phénomène de défaillance autonome de la demande. Traditionnellement, on considère qu'il y a, en la matière, quatre explications possibles: - l'organisation par les fabricants de biens de consommation finals d'ententes visant à mettre fin au jeu de la libre concurrence et permettant ainsi aux producteurs de pratiquer des prix plus élevés (et d'obtenir davantage de profits) j - la mise en place par les propriétaires de certains facteurs de production, ou des fabricants de biens intermédiaires, de cartels ayant pour fin d'imposer des prix plus élevés à leurs clients (ce qui, renchérissant leurs coûts, les conduirait à réduire leur offre pour maintenir des rendements financiers compétitifs) j - le succès de certains salariés organisés en syndicats à obtenir de leurs employeurs des taux de salaires plus élevés que ceux que commanderait leur productivité (d'où des coûts plus lourds et une réduction de l'offre, toutes choses égales d'ailleurs) j - enfin, la soumission autoritaire des entreprises à des contraintes légales et réglementaires dont l'effet est d'alourdir leurs coûts unitaires (avec des conséquences identiques à celles qui précèdent). Mais lorsqu'on reste dans le cadre de marchés Itbres où n'existe aucune entrave légale à l'entrée de nouveaux producteurs susceptibles de faire concurrence à ceux qui sont déjà installés, il est erroné de raisonner comme si tout acte de coopération volontaire entre firmes privées devait nécessairement entraîner une restriction durable de l'offre. Ceci n'est possible que si l'entente ou le cartel bénéficie du secours de l'État pour limiter l'entrée de nouveaux concurrents (par exemple par la mise en place de «barrières» dont l'origine se trouve
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dans des -réglementations professionnelles ayant soi-disant pour objectif de « moraliser» le marché!). Conséquence: des quatre cas de figure ci-dessus, en réalité seuls les deux derniers, l'action d'organisations syndicales s'appuyant sur des «privilèges» d'état et l'intervention autoritaire de la puissance publique dans la liberté de gestion des entreprises (généralement pour couvrir les intérêts particuliers de certaines d'entre elles organisées en groupe de pression efficaces), peuvent être invoqués pour expliquer l'origine d'une défaillance durable de l'offre de certains secteurs - et donc de la demande s'adressant aux autres.
4.« L'équtltbre est la condition naturelle de l'économie», mats d la condition que les prix soient vraiment des prix libres La loi de Say est généralement interprétée comme définissant l'impossibilité pour une économie capitaliste de s'écarter durablement du plein emploi des ressources. Il s'agit d'une interprétation qui, bien que fort répandue, est abusive. Elle oublie les conditions qui doivent nécessairement être réunies pour que «la loi des débouchés» s'applique. Imaginons une économie où les préférences individuelles seraient stables et données une fois pour toutes, ainsi que les procédés et techniques de fabrication. On prend cette économie lorsqu'elle est arrivée ~ son état d'équilibre, lorsque les marchés ayant joué leur rôle d'information, d'orientation et de coordination, chaque facteur, chaque produit, chaque service a trouvé son «prix de marché»: le prix qui fait: 1) que tout ce qui a été produit trouve preneur, cependant qu'~ ce prix, les entrepreneurs ne sont pas tentés d'«offrir» (ou de produire et de mettre en marché) plus que ce qui est susceptible d'être complètement écoulé j 2) que tous les facteurs de production prêts ~ s'employer pour un certain prix sont effectivement employés, de telle sorte qu'il ne reste aucune ressource sans emploi Arrêtons-nous un instant sur l'industrie qui fabrique les produits X. Ceux-ci sont écoulés ~ un «prix de marché» déterminé, d'une part, par l'échelle de valeurs des préférences personnelles des consommateurs finals j d'autre part, par la nature et la structure des coûts de production de l'entreprise, coûts eux-mêmes déterminés par l'état de la technologie et les prix auxquels on se procure les facteurs
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nécessaires. L'« offre» du producteur résulte de l'interdépendance de ces éléments qui, dans l'hypothèse ici envisagée, sont des données parfaitement connues. La rotation infinie d'une économie toujours identique à elle-même excluant toute incertitude, le producteur, quel qu'il soit, ne peut pas produire plus que le marché n'est preneur «aux prix du marché». L'entrepreneur a besoin d'ouvriers, de matières premières, de produits semi-finis achetés à d'autres usines. Il lui faut aussi des machines, du capitaL .. Chaque facteur est rémunéré à son prix de marché. Partant de là, une égalité s'impose: la valeur marchande de la production Oa valeur ajoutée, la valeur créée) est égale au produit du nombre d'articles fabriqués et vendus par le prix qui permet à toute l'offre de s'écouler; mais elle est aussi égale à l'ensemble des rémunérations versées aux différents facteurs (travail + épargne) en contrepartie de leur apport, plus le total des achats intermédiaires Cà leur prix de marché). Les revenus ainsi distribués sont utilisés par les propriétaires des facteurs de production pour se procurer ce dont ils ont besoin. peutêtre quelques articles X mais aussi une quantité d'autres produits et services offerts par d'autres entreprises et d'autres industries. Ce qui est vrai pour X l'est aussi pour les autres entreprises. Chaque industrie, finale ou intermédiaire, distribue des revenus utilisés par les propriétaires des facteurs pour acquérir un ensemble de biens finals. La demande qui s'adresse à chaque industrie, ou à chaque entreprise, est ainsi le résultat de l'addition de l'ensemble de ces demandes particulières nourries par les revenus distribués aux facteurs de production tant aux stades finals qu'intermédiaires des chaînes de fabrication. Dans le cas de figure ici étudié - celui d'une économie où les prix de marché sont déjà connus, parfaitement déterminés, et définitivement stables - il en résulte de ces conditions mêmes que, par construction, la «demande» totale qui s'adressera en fin de circuit à chaque fabricant Oa somme de toutes ces demandes particulières) sera égale au total des sommes distribuées à l'origine, et donc à 1'« offre» initiale. C'est l'Égaltté de Say, dite encore loi des débouchés, qui correspond à la formule traditionnelle: « l'offre crée sa propre demande », en ce sens que, dans ce cas particulier, la
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productiori d'un produit entraîne la distribution en cascade de revenus qui vont nourrir un ensemble de demandes particulières pour le produit ainsi fabriqué, dont l'addition en valeur sera égale à la valeur première créée lors de la mise en marché initiale. Même si l'on ne peut pas généraliser pour dire que «la demande globale finale» est par définition égale à 1'« offre globale initiale» (ce qui, ainsi que nous l'avons vu, n'aurait conceptuellement aucun sens car il est faux de parler de demande et d'offre globales), cette égalité s'applique à tous les produits du marché. On est dans ce que Mises appelle une «économie à rotation uniforme» i une économie où les marchés en parttculler sont «en équilibre », et où l'on peut effectivement dire qu'il y a toujours un pouvoir d'achat suffISant pour assurer un débouché de consommation à l'ensemble des flux particuliers de produits et services offerts par les entrepreneurs. L'idéal est réalisé: celui d'une économie où toutes les activités se trouvent parfaitement coordonnées. Mais il faut bien garder à l'esprit les conditions extrêmement restrictives dans lesquelles ce résultat purement axiomatique (qui se déduit entièrement des prémisses posées au départ) a été atteint. L'égalité de la loi des débouchés n'a été démontrée que parce que nous avons posé comme principe au départ que chaque facteur, chaque produit, chaque service avait atteint son prix de marché, et que celui-ci était donc connu a priori.
Comment disparaissent la demande et l'emploi Regardons alors ce qui se passe lorsque, pour une raison ou pour une autre, la liberté des prix n'est plus respectée. Imaginons qu'à la suite d'une longue grève, et grice aux pressions exercées :l l'égard de certains personnels (piquets de grève, occupation des locaux ... ), les syndicats d'une industrie Y réussissent à imposer :l leurs employeurs d'augmenter les salaires de 20 % audessus du taux du marché qui prévalait jusque-là dans la profession. Que va-t-i1 se passer? La réponse figure dans tous les manuels élémentaires. Le coût unitaire du facteur travail ayant augmenté, les entreprises concernées vont réduire leur demande. Elles diminuent la quantité globale
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d'heures de travail dont elles sont demandeuses (cependant qu'en revanche les salaires plus élevés vont attirer davantage de candidats à l'emploi aux portes de l'usine). Mais qui dit moins de travail pour les hommes, dit aussi moins de travail pour les machines. La hausse de leurs coûts unitaires conduit les entreprises à réajuster leurs programmes de production. Toutes choses égales d'ailleurs, l'industrie Y réduit son offre. Elle produit moins en ce sens que, pour une courbe de demande donnée, les entreprises répondent en se ftxant des objectifs de fabrication tels qu'elles créeront désormais au total moins de valeur nouvelle, et que moins de consommateurs seront satisfaits que ce n'était le cas avant que leurs structures de coûts soient modiftées. A son tour, cette réduction de l'offre des entreprises du secteur Y signifie que, toutes choses égales d'ailleurs (pour une même demande), elles distribueront globalement moins de revenus pour rémunérer les propriétaires des facteurs de production et passeront moins de commandes d'achat aux entreprises des secteurs situés en amont. Cette diminution du flux total d'« intrans» (travail, capitaux financiers, biens de production et biens intermédiaires) implique que les propriétaires de facteurs réduisent leurs achats d'autres biens et services; puisque les industriels situés en amont réduisent également leurs programmes de production, diminuent leur offre de travail, effectuent moins d'achats, etc. On a un effet de multiplicateur qui se diffuse dans toute la matrice interindustrielle. A chaque étape, on enregistre une diminution des moyens réels d'achat distribués aux facteurs, jusqu'à ce que peu à peu l'effet induit en amont devienne négligeable. Lorsqu'on arrive au terme du processus, on se retrouve dans une situation où tant la demande ftnale pour le produit X que toutes les autres demandes particulières adressées aux autres secteurs seront plus faibles. Certains répliqueront que de tels enchaînements peuvent être neutralisés par l'introduction de nouvelles machines et de nouveaux équipements qui permettraient de compenser les effets de la hausse des salaires sur les coûts. C'est la thèse que défendent souvent les syndicats pour justifter leur action: pousser, par quelque moyen que ce soit, à la hausse des rémunérations du travail stimulerait le progrès
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technique, l'investissement et la productivité (effet Ricardo). Mais pour que cela soit vrai, il faudrait supposer qu'il existe des réserves inemployées de capitaux, machines, matériels et matériaux immédiatement disponibles. Ce qui est contraire à l'hypothèse de départ qu'il y a plein emploi et parfaite coordination. Toute mécanisation supplémentaire ne peut se faire qu'en détournant certaines ressources des emplois présents vers lesquels le marché les avait orientées, et donc en provoquant une hausse de leurs prix qui « exporte» en quelque sorte vers d'autres secteurs les problèmes de coûts (et leurs répercussions sur la production, puis la demande) rencontrés dans l'activité Y. Tant qu'il ne s'agit que d'une industrie parmi un grand nombre d'autres, l'effet est limité. Mais imaginons que les syndicats obtiennent inopinément une loi qui impose brutalement une augmentation de 20 % dans toutes les industries (un peu comme cela s'est passé au moment des événements de mai 1968). Le scénario vécu par l'industrie Y se reproduit dans toutes les autres industries dont le secteur Y est directement ou indirectement client, ainsi que dans les industries dont celles-ci sont elles-mêmes clientes, et ainsi de suite. Dans les secteurs intermédiaires, à l'ajustement imposé par le déplacement de la courbe de demande s'ajoute un autre facteur de réduction de l'offre dû à la hausse imposée des coûts salariaux. Résultat: c'est la boule de neige. Chaque secteur met au chômage du travail, et éventuellement des machines. La chafne de la loi des ~bouchés est interrompue. Chaque secteur ne retrouve plus en fin de cycle l'équivalent en demande de la valeur que lui-même a mise à l'origine dans le circuit. C'est la crise. On entre dans un processus récessif de nature cumulative qui converge vers une limite (que les Keynésiens définiraient sans doute comme un «équilibre de sousemploi »). L'imposition par la contrainte (que ce soit celle, légale, de la puissance publique et de ses lois et règlements, ou celle d'organisations privées ayant recours à des moyens d'intimidation violents) d'un prix du travail plus élevé que sa valeur naturelle de marché fait purement et simplement disparaître toute une partie de l'offre, et donc de la demande pour les autres secteurs. Il y a
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destruction de valeur, destruction de pouvoir d'achat, destruction de demande. La
d~églementation
restaure la demande
Nous avons pris l'exemple d'une hausse « contrainte» des rémunérations. Mais le même raisonnement s'applique à toutes les entraves réglementaires qui affectent la liberté de décision, et donc le comportement des producteurs, qu'il s'agisse par exemple de la limitation autoritaire de la durée du travail, ou de la réduction obligatoire de l'âge de mise à la retraite. De telles mesures ont pour conséquence de réduire l'offre de travail disponible dans le pays, et entraînent donc un relèvement de la productivité marginale du travail par rapport à la productivité marginale du capital. Dans le partage final de la plus-value produite, la part allant aux salaires sera désormais plus importante, et celle du capital plus faible. Mais la diminution de la quantité offerte de travail entraîne aussi, toutes choses égales d'ailleurs (rappelons-nous la réponse à l'effet Ricardo, et l'hypothèse d'une situation originelle de plein emploi), une réduction du volume total des biens produits, et donc une diminution de la taille globale du gâteau final à se partager. Résultat: les salariés gagnent plus, relativement à ce que gagnent les propriétaires de capitaux; mais on produit moins, on consomme moins, et tout le monde est, globalement, moins riche (même si certaines catégories de salariés se retrouvent, selon les circonstances, avec un salaire réel amélioré). Comme dans le cas précédent, le cycle de la loi des débouchés est interrompu, cassé. Par rapport à la situation d'origine, il y a disparition d'une partie de la production, et, en conséquence, d'une partie des emplois et des revenus qui nourrissaient les demandes particulières initialement adressées à chaque activité. Imaginons maintenant qu'après une alternance politique, le gouvernement décide de revenir immédiatement sur l'augmentation autoritaire et massive des salaires décidée par son prédécesseur. Que se passe-t-il? La réponse ne nécessite pas de longs développements. Le retour à la liberté des salaires, et donc des salaires à leur prix de marché, va faire reparcourir le chemin inverse.
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Le retour des salaires à leur valeur de marché abaisse les coûts de production de l'industrie Y. On embauche. On remet les machines en route. Autant de revenus nouveaux qui sont dépensés par les propriétaires des facteurs. Les commandes aux industries d'amont augmentent en proportion du déficit que les réductions initiales de commandes y avaient creusé (pas d'effets inflationnistes). L'effet amplificateur qui, dans le précédent scénario, jouait dans le sens d'un renforcement des facteurs récessifs, fonctionne en sens inverse. Chaque secteur entraîne le redressement des industries qui bénéficient: 1) de la reprise des commandes de biens de production; 2) de la reprise des achats par les consommateurs disposant d'un revenu accru. La reprise de la production entraîne la reconstitution de la demande disparue. La loi des débouchés est rétablie. Chaque secteur retrouve le niveau de demande et d'activité qui était le sien à l'origine (parce qu'on raisonne à préférences constantes) et que l'on prend volontairement le parti d'ignorer les effets perturbants de la monnaie (qui, d'ailleurs, n'a par définition pas de place dans un système hypothétique d'où est exclue toute incertitude). On est de nouveau en plein emploi.
Progrès technique et coordination Nous nous sommes limités à un cadre d'analyse statique impliquant une constance des techniques employées. Il faut maintenant introduire une perspective plus dynamique et de plus longue période, faisant intervenir des processus de croissance. Imaginons une situation nouvelle: l'apparition d'une technologie qui permet à l'industrie X de fabriquer les mêmes produits, mais dans des conditions d'économie plus grandes. Le problème est d'identifier les conditions qui doivent être réunies pour que le progrès technique et l'innovation n'entraînent pas une diminution de l'emploi. Point de départ: on a une situation où la concurrence entre les fabricants conduit à l'apparition et à la diffusion d'une nouvelle technologie qui permet de produire X avec moins d'heures de travail et une moindre consommation d'un input particulier (par exemple,
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moins de métal). L'innovation est mise au point dans une entreprise en particulier. Cette nouvelle technique réduit ses coûts de production en dessous de ceux de ses confrères et lui permet donc d'offrir plus du même produit pour moins cher (l'innovation a sur l'offre un effet exactement inverse de celui des entraves à la production; c'est en quelque sorte son sym~trlque). Gommons les phases intermédiaires. Les concurrents, tous fabricant également le produit X, adoptent la même technologie. Ils alignent leurs prix. Les mêmes besoins de consommation sont satisfaits par un produit qui coûte moins cher à fabriquer (dont la production utilise moins de ressources rares), et qui est vendu en plus grande quantité à un nouveau prix inférieur à l'ancien. Bt/an:
- d'un côté, on a des consommateurs qui satisfont exactement les mêmes besoins, mais en dépensant moins. La totalité du revenu injecté au début du cycle (avec l'ancienne technologie) n'est plus absorbée complètement par l'achat de la même quantité d'articles (fabriqués avec la nouvelle technique). Les consommateurs qui achètent X disposent d'un surplus de pouvoir d'achat qu'ils peuvent affecter à l'achat d'autres biens non substituables tels que Y et Z ; - de l'autre, on a une industrie qui fabrique et vend les mêmes biens, qui satisfait les mêmes services, mais qui, pour répondre à la demande de ses clients, a besoin de moins de travailleurs, et de moins de consommations intermédiaires achetées à d'autres entreprises; - enfin, on a des industries (Y et Z) à qui les consommateurs demandent plus de ce qu'elles produisent, et qui, pour y faire face, ont besoin d'acheter de nouvelles machines et d'embaucher de nouveaux travailleurs pour les faire fonctionner. Pour que la loi des débouchés ne soit pas interrompue, il faudrait que les ressources (capital financier, main-d'œuvre, matières premières, produits semi-finis, biens intermédiaires) qui n'ont plus d'usage dans l'industrie X soient transférées vers Y et Z. Si l'on pouvait réaliser ce transfert instantanément et sans coût, l'égalité de départ serait maintenue; on a simplement un transfert de création de valeur de X vers Y et Z, ces deux secteurs se substituant à X pour distribuer un pouvoir d'achat d'une valeur monétaire égale à
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l'économie des coûts (et donc de rémunérations distribuées) réalisées en X. On a une simple « dérivation». La somme physique de tout ce qui est produit est plus grande (articles Y et Z en plus). Plus d'utilités individuelles sont satisfaites. On a un phénomène de « croissance». Cependant, en économie de marché se pose un problème. Par définition, l'économie libérale est une économie décentralisée. Ce ne sont pas les mêmes gens qui décident de ce que l'on va faire dans les industries X, Y ou z. Ce ne sont pas les mêmes gens qui achètent les machines et disposent a priori du capital nécessaire. Ce ne sont pas les mêmes qui mettent ces machines au travail et qui les font effectivement tourner, etc. Par ailleurs, personne ne peut enjoindre aux propriétaires des inputs libérés en X de les employer obligatoirement pour produire des biens Y ou Z si rien ne les incite à accomplir volonta1rement ce transfert. Autrement dit, pour que le circuit des débouchés ne soit pas altéré, on se heurte à un problème de coord1naNon qui se décompose lui-même en un double problème d'1nformatton et d'incitation: information des dirigeants des entreprises des secteurs Y et Z sur les ressources disponibles, et information des salariés licenciés en X, ou des propriétaires de capitaux et de ressources libérés par X, sur les nouveaux emplois offerts en Y et Z; incitation pour les salariés libérés de X à accepter les emplois qu'on leur propose en Y et Z, et, à l'inverse, incitation pour les entreprises des secteurs Y et Z de faire les efforts nécessaires pour attirer la main-d'œuvre ainsi disponible et obtenir d'elle qu'elle accepte de s'engager chez eux plutôt que de rester inactive. On pourrait imaginer une autorité centrale prenant sur elle d'affecter autoritaire ment les ressources aux emplois où elle estime qu'on en a le plus besoin. C'est la solution socialiste. Mais on peut montrer (Hayek) que, dans le monde réel, cette autorité centrale ne pourra jamais accéder à l'ensemble d'informations qui serait nécessaire pour s'acquitter efficacement de cette tâche. Le planificateur, même avec les ordinateurs les plus performants, se heurtera toujours à deux problèmes insolubles: l'impossibilité absolue de traiter en temps réel la masse formidable des données qui changent constamment de valeur; l'impossibilité de jamais mettre dans les ordinateurs l'ensemble des informations, des connaissances
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et des savoir-faire tacites qui interviennent chaque jour dans les décisions de milliers d'individus, sans que ceux-ci soient jamais capables d'en donner une formulation explicite.
Une exigence essentielle: la flexibtltté des prix et des salaires Comment la société libérale résout-elle ce problème? par le mécanisme des prix. Ceux-ci agissent comme des signaux pour indiquer aux agents économiques là où il faut investir, là où il faut produire plus, ou au contraire produire moins - et cela tout en leur apportant une motivation pour répondre positivement à ces appels: le profit qui reste lorsqu'un entrepreneur est le premier à répondre aux opportunités nouvelles de production révélées par le calcul économique. Revenons à notre exemple. L'industrie X réduit sa demande de travail ainsi que les achats à ses fournisseurs. Des ouvriers sont mis au chômage. Des machines sont à vendre, ou à louer, qui, dans la limite de leurs spécificités pourraient être utilisées ailleurs. y et Z ne peuvent répondre instantanément à l'accroissement de demandes dont ils font l'objet. Il faut rationner la clientèle: les prix des produits Y et Z augmentent. C'est le mouvement des prix relatifs (baisse des possibilités de satisfaction des anciens salariés de X et des propriétaires de ses anciennes machines, hausse des prix des produits Y et Z, et donc perspectives accrues de profits dans ces deux activités) qui, dans l'économie de marché, va inciter les détenteurs de ressources à affecter volontairement les facteurs dont ils ont le contrôle à l'accroissement de la production en Y et Z. Cela ne se fera pas instantanément. Les salariés licenciés en X peuvent ne pas être au courant des emplois offerts en Y et Z. Habitués à de hauts salaires payés par les entreprises du secteur X, ils peuvent rester insensibles aux offres à première vue insuffisantes qui leur sont faites par les employeurs en Y et Z, préférant attendre une embauche hypothétique dans un secteur payant mieux. De même, des indemnités publiques de chômage généreuses réduisent peut-être le
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coût d'attendre que quelque chose plus conforme à leurs vœux leur soit proposé. Par ailleurs, le capital, lui aussi, est souvent difficile à déplacer. Une machine à usage spécifique se reconvertit difficilement ... Ces « imperfections» dans l'information, la communication, la mobilité des ressources et des hommes font que (si elles n'ont pas été anticipées, et donc «assurées par avance ») des pertes vont bel et bien apparaître dans le circuit des débouchés. Des pertes qui entraînent un assèchement de certaines demandes, et donc un risque de chômage dit « frictionnel» s'étendant au-delà des seuls individus qui, licenciés par les entreprises du secteur X, restent «volontairement» sans emploi parce qu'ils refusent encore les offres qui leur sont faites par les employeurs Y et Z. Imaginons: 1) que l'État distribue des indemnités de chômage relativement longues et élevées, telles que les gens qui se retrouvent sans emploi peuvent continuer à vivre sans trop de problèmes pendant fort longtemps - si ce n'est même en faire un style de vie lorsque l'écart entre le total des indemnités reçues et le salaire que la personne pourrait obtenir sur le marché est trop faible; 2) que les syndicats qui contrôlent les employés du secteur X soient en mesure d'imposer aux employeurs de maintenir des salaires élevés, tels que même ceux qui se retrouvent au chômage préfèrent attendre pour éventuellement prendre la place d'un sortant (départ à la retraite). Admettons que, de leur côté, les syndicats des salariés des secteurs y et Z aient obtenu qu'on exige des candidats à un nouvel emploi un diplôme professionnel nécessitant une longue formation préalable; qu'ils aient également obtenu de leurs employeurs des normes de production telles que, en raison de leurs coûts, cela limite les différentiels de salaires que les entreprises de Y et de Z peuvent offrir pour attirer la main-d'œuvre de X. Toutes ces actions ont pour résultat de réduire l'intérêt, le degré de motivation que chaque propriétaire de ressources a à changer d'emploi. Cons~quence: le flux des transferts de X vers Y et Z, ou de tout autre secteur en déclin vers d'autres secteurs en expansion, va nécessairement se faire, mais très lentement. Il se fera nécessairement car les entrepreneurs qui opèrent dans les secteurs en expansion ont
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absolument besoin de se procurer les facteurs de production indispensables à la réalisation de leurs projets j mais le rythme de ce transfert sera lent par rapport à ce qu'il aurait pu être. Or, entre-temps, dans une économie développée, on a tous les jours un nombre considérable d'innovations, dans de nombreux secteurs. Si les effets «désorganisateurs» du changement de technologie en X ne sont pas rapidement neutralisés par la mobilité des facteurs en Y et Z, si cette mobilité est freinée, voire entravée par des pratiques, des règlements et des comportements malthusiens imposés par les syndicats, les pouvoirs publics ou les corps professionnels, ils vont se cumuler avec ceux induits par les innovations des autres secteurs. Moyennant quoi on retrouve un processus de nature cumulative qui est l'une des raisons d'un chômage massif et d'une dépression durable par télescopage d'un grand nombre de «minicrises locales».
Le
probl~me:
ce sont les entraves instituNonnelles aux mouvements
de prix relaNfs
La raison de ce chômage, de cette crise, n'est pas le progrès technique (qui permet d'avoir plus pour moins cher), mais l'incapacité des prix relatifs à assurer une mobilité suffisamment rapide des ressources de façon à éviter l'accumulation de crises sectorielles locales (en partie autonomes, mais aussi en partie auto-entretenues par leurs interdépendances). Cette incapacité est liée non pas à la nature de l'économie de marché, mais à son contexte institutionnel : à l'accumulation d'entraves volontaires, légales ou réglementaires, ainsi qu'à des situations de rapports de force qui y freinent le jeu des prix et salaires relatifs. Lorsque ces entraves sont trop nombreuses et cumulent leurs effets locaux, on a, comme précédemment, une situation où, sans que l'on sache apparemment pourquoi, les industriels voient leur demande s'évaporer: les affaires plongent j les chômeurs se multiplient, et le volume des capacités inemployées explose sans qu'il soit jamais besoin d'invoquer un quelconque choc exogène qui, à un moment ou à un autre, aurait provoqué un effet déflationniste.
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Ainsi le chômage massif, même s'il prend l'apparence d'un déséquilibre macroéconomique, a sûrement une composante microéconomique, parce qu'il provient en partie de l'articulation de minicrises locales, amplifiées par des facteurs propres à l'ordre politique et social des institutions.
LA LOI DE SAY ET LA MONNAIE Traditionnellement, on reproche à la loi de Say de raisonner sur des modèles simplifiés d'économie de troc et donc de perdre toute validité dès lors que l'on passe à des représentations complexes d'économies monétarisées. En réalité, il n'en est rien. Si nous avons cette impression, c'est parce que les Keynésiens ont donné une image simpliste et tronquée des travaux de leurs prédécesseurs, accréditant à leur encontre un ensemble de préjugés dont on redécouvre qu'ils étaient infondés. Regardons ce qui se passe lorsqu'on introduit la médiation d'un système monétaire. Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler que la monnaie n'est ni un numéraire abstrait, ni un simple étalon de valeur et de prix qui n'aurait pour fonction que de faciliter le déroulement des transactions. La monnaie est un instrument intermédiaire d'échange à l'origine duquel se trouve nécessairement un bien économique réel qui apporte aux agents économiques des services spécifiques, et qui n'est devenu support monétaire que parce que son marché est si largement accessible que les gens en désirent uniquement pour l'offrir ultérieurement dans des échanges interpersonnels. Cet instrument d'échange est un bien économique comme un autre, qui a une valeur et est pourvu d'un prix en raison de ses mérites propres - c'est-à-dire des services d'encaisse qu'il rend aux individus. Cette monnaie existe parce que, dans un monde où il y a toujours du mouvement et du changement - donc de l'incertain - les gens désirent conserver une certaine provision d'instruments de paiement. Son montant est déterminé par la demande délibérée d'encaisses liquides qui émane des besoins subjectivement ressentis
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par les agents: c'est ce qu'on appelle les encatsses liquides déslr~es. Et comme pour tous les autres biens, ce sont les changements dans le rapport entre la demande de l'offre de monnaie qui entraînent les changements dans le taux d'échange entre la monnaie et les biens vendables, et donc son pouvoir d'achat (son « prix»). Plaçons-nous alors dans la perspective d'un système où, comme dans tous les pays d'aujourd'hui, l'offre de monnaie est centralement « contrôlée» par des institutions étatiques. On imagine que, soudain, de manière imprévisible, l'autorité en charge de la monnaie réduit son offre à un niveau inférieur au stock total des encaisses liquides désirées. S'il était possible d'imaginer un monde d'information parfaite et sans coût, tout le monde apprendrait instantanément la nouvelle. Connaissant avec perfection les paramètres qui déterminent son équation de production, et partageant avec tous les autres la même information, chaque producteur réagirait immédiatement en baissant ses prix de manière à maintenir stable la relation entre le stock global de monnaie en circulation, la quantité totale de produits échangés, et le volume d'encaisses liquides désiré. Dans un tel univers, il importerait peu que l'offre de monnaie augmente ou diminue. Cela ne changerait rien au déroulement du circuit des échanges physiques. La monnaie serait parfaitement « neutre ». Toute incertitude quant à l'avenir étant bannie, personne n'éprouverait le besoin de conserver des liquidités. Tout individu sachant avec précision de quelle quantité de monnaie il aura besoin à telle ou telle date, il n'y aurait même pas besoin d'une monnaie autre qu'une simple unité de compte abstraite et indéterminée. De même, si nous vivions avec un système de monnaies concurrentielles, il n'y aurait pas de problème. Les différentes monnaies en circulation étant parfaitement substituables, toute réduction de l'offre par l'un des producteurs se trouverait instantanément compensée par un accroissement de la demande pour les autres monnaies. Seule varierait la composition des encaisses désirées sans que la valeur des monnaies disciplinées par la concurrence, et donc la valeur réelle des encaisses détenues soient effectuées. Là encore, la monnaie serait neutre.
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Le danger vient des monnaies d'État
Dans l'univers concret de nos institutions actuelles, les choses se présentent évidemment de manière très différente. Mais cela y est exclusivement dû au fait que nous vivons dans des systèmes où la monnaie est un monopole public. Contrairement à ce qu'assument la plupart des modèles économiques habituels, les mouvements de la masse monétaire n'affectent pas toutes les activités économiques et industrielles de manière uniforme, ni au même moment. Il n'y a pas synchronisme. Tout dépend de leur « localisation» par rapport aux points d'entrée de la monnaie dans le circuit des échanges. Admettons que l'industrie A soit la première concernée du fait d'une réduction de dépenses publiques qui affecte exclusivement ses produits (et qui n'est pas accompagnée d'une réduction des impôts). La baisse du volume de ses ventes entraîne un appauvrissement de ses moyens de trésorerie auquel elle réagit en réduisant la quantité réelle de biens qu'elle achète aux autres secteurs. Ceux-ci, à leur tour, voient leur chiffre d'affaires baisser. Mais, à la différence des entreprises du secteur A, il leur est plus difficile d'identifier la cause du phénomène qui perturbe la réalisation de leurs anticipations, et donc d'en tirer les leçons qui devraient s'imposer; et cela d'autant plus qu'on se situe à un stade intermédiaire éloigné de la production finale. L'événement étant imprévu, et personne n'étant en mesure d'en connaître immédiatement la nature, il n'y a pas de raison de modifier les règles de gestion habituelles. Chacun s'efforce donc de reconstituer ses encaisses nominales à un niveau considéré comme normal et dicté par l'expérience passée - alors qu'en réalité la valeur réelle des encaisses détenues a déjà augmenté du fait de la hausse de la valeur de la monnaie. Chacun réduit ses achats à ses fournisseurs (et donc accepte temporairement de produire moins), ou bien fait plus d'efforts pour conquérir de nouveaux clients (en proposant par exemple de meilleures conditions de prix). Mais cette restriction, même temporaire, de l'offre des secteurs amont signifie que moins de ressources réelles sont disponibles pour acquérir les produits des autres activités, notamment les produits de l'industrie A.
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«
Qui commencera le premier?
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il
On retombe sur le mécanisme cumulatif par lequel une diminution initiale de la production d'un secteur conduit à une baisse de la demande qui s'adresse à un grand nombre d'autres, puis, par un processus itératif, à de nouvelles baisses qui réduisent le total des demandes particulières qui s'adressent à lui. La loi des débouchés est interrompue: comme précédemment chaque activité ne retrouve plus l'intégralité de la valeur initialement créée. Celle-ci a partiellement disparu, aspirée par la distribution de faux droits et la demande de reconstitution des liquidités. Entre-temps, des machines, des usines des hommes et des compétences ont été mis au chômage. Quelle sera l'intensité du phénomène? Tout dépend de la méthode choisie par les producteurs pour rétablir leurs encaisses au niveau désiré. L'idéal serait que les entreprises travaillant pour la demande finale réagissent en baissant leurs prix plutÔt qu'en décidant de réduire temporairement leurs fabrications. En cherchant à compenser ce qu'elles viennent de perdre par la conquête de nouveaux clients, elles éviteraient le déclenchement d'un ficheux processus récessif. Mais on se heurte alors au problème du cc Qui commencera le premier? » : celui qui, le premier, prend l'initiative de baisser ses prix, encourt également le risque, si ses fournisseurs ne réagissent pas de la même manière, de se pénaliser lui-même par rapport li des concurrents qui bénéficieraient, eux, de fournisseurs acceptant de pratiquer temporairement des prix plus bas. Consdquence: les prix ont toutes chances de représenter la dernière donnée que l'entrepreneur acceptera de modifier en cas de récession (si celle-ci se révèle plus durable et plus grave que ce à quoi il s'attendait). On retrouve un paradoxe collectif caractéristique d'une situation de dilemme du prisonnier. L'ajustement li la modification initiale de la valeur relative de la monnaie et des biens marchands se fera d'abord par un processus de réduction de la production (et donc par la récession), avant qu'un mouvement progressif de modification des
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prix relatifs n'amène lentement le rétablissement d'un nouvel état de coordination des projets individuels, et donc le retour à une nouvelle structure approchant le plein-emploi. En manipulant la production de monnaie et en introduisant une modification inattendue de la valeur interne de la monnaie, les autorités publiques ont provoqué sur les flux réels d'échanges marchands des effets identiques à ceux qui résultent de l'apparition d'entraves artificielles à la liberté des transactions, ou de restrictions volontaires à la production. Les conséquences du principe de non-neutralité
Prenons maintenant une situation inverse. On suppose que les autorités décident de manière inattendue d'émettre une quantité additionnelle de papier monnaie afin de financer un projet de dépenses supplémentaires sans lever de nouveaux impôts. Les prix des articles que le gouvernement a décidé d'acheter augmentent immédiatement, tandis que les prix des autres marchandises restent temporairement inchangés. Cependant, le processus continue. Les gens qui ont vendu les biens achetés par l'Administration se retrouvent avec une abondance inattendue de disponibilités monétaires à laquelle ils réagissent en augmentant leurs propres achats d'autres biens jusqu'à ce que leurs encaisses retrouvent un niveau considéré comme normal. Les prix des biens et services que ces gens-là achètent en plus grande quantité augmentent à leur tout, et ainsi de suite. Personne n'étant en mesure d'identifier l'origine précise de sa nouvelle situation d'aisance financière momentanée, la hausse se propage d'un groupe d'articles et d'un secteur à l'autre, jusqu'à ce que tous les prix et les taux de salaires aient augmenté (sans que cela se fasse de manière uniforme), et que toutes les encaisses individuelles soient revenues à leur niveau habituel. La flexibilité des prix étant beaucoup plus grande à la hausse qu'à la baisse (pour une raison logique qui tient à ce que les délais de transmission, d'un stade de la production à l'autre, et d'aval vers l'amont, jouent cette fois-ci en faveur de celui qui est le premier à modifier ses prix), l'ajustement aux nouvelles conditions de l'environnement monétaire se fait sans que se manifeste aucune restriction
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de l'offre. Au contraire, l'avance que prennent les prix de certains producteurs par rapport à ceux de leurs fournisseurs crée un sentiment favorable de plus grande prospérité, même si cela ne dure qu'un temps. La plupart du temps, les économistes arrêtent leur raisonnement à ce point. Ce faisant, ils négligent que s'il y a ajustement, celui-ci se fait d'une façon qui est loin d'être synchrone; et que cela a une très grande importance pour la suite des événements. Examinons en effet ce qui se passe. Les prix augmentent de manière à éponger dans chaque secteur l'excédent de monnaie créée initialement par la décision des pouvoirs publics. Mais ils n'augmentent pas simultanément, ni dans les mêmes proportions. Pendant que le processus se déroule, certaines gens profitent de prix plus élevés pour les biens et services qu'ils vendent, cependant que les prix des choses qu'ils achètent n'ont pas encore augmenté, ou n'ont pas augmenté autant. A l'inverse, il y a des gens malchanceux qui vendent des biens et des services dont les prix n'ont pas monté, ou qui n'ont pas monté autant que les prix des choses qu'ils doivent acheter pour leur consommation quotidienne. Pour les premiers, la propagation graduelle de la hausse est une bonne fortune; pour les seconds, une calamité. Lorsque le processus parvient à son terme, la richesse des individus a été modifiée dans des sens divers, et des proportions variées. Certains se sont enrichis, d'autres appauvris. Mais comme les préférences varient selon les individus, leurs catégories sociales, ou encore leurs niveaux de revenus, entre-temps d'importants changements sont intervenus dans la demande, et dans la manière dont elle se répartit entre les secteurs de distribution. Ce faisant, pour que l'état initial de coordination de la loi des débouchés ne soit pas dérangé, ce qui compte n'est pas la hausse générale de tous les prix, mais les mouvements individuels de prix qui font qu'en fin de compte la nouvelle structure des prix observés correspondra ou non au nouvel état de la demande et des raretés relatives.
n faudrait un véritable miracle Si des rigidités institutionnelles et artificielles empêchent les prix localement pratiqués de s'aligner sur les changements intervenus
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dans les taux d'échange mutuels des biens et services, rien, même la décision d'imprimer des quantités constamment croissantes de monnaie supplémentaire, n'évitera que se diffuse peu à peu un état général de dislocation des marchés. Pour que l'état initial de coordination soit maintenu malgré tout, il faudrait en effet que ces nouvelles quantités de monnaie parviennent aux différents secteurs et aux entreprises en proportion exacte avec le déficit de demande dont chacun est localement victime. or il faudrait évidemment un véritable miracle pour qu'il en soit ainsi. Résultat: de plus en plus d'entreprises découvrent qu'elles continuent de produire des biens pour lesquels il y a de moins en moins de clients. D'autres s'essoufflent à courir après une consommation qui se révèle constamment supérieure à leurs anticipations. Des usines se montent dont on découvre, lorsqu'elles sont prêtes à fonctionner, que leurs débouchés ont disparu. A l'inverse, des entrepreneurs en plein développement éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver sur le marché national les machines, les matériels ou les compétences dont ils ont besoin en quantités croissantes. Ne comprenant pas l'origine de ces difficultés, les autorités du pays s'inquiètent de la «perte de compétitivité» de leur industrie, et se plaignent du protectionnisme des autres ... L'incapacité du système de prix à répondre de manière satisfaisante aux besoins de coordination des projets individuels crée une évaporation cumulative de la demande et met au chômage une quantité croissante de ressources mal dirigées. Par ailleurs, nous avons raisonné en supposant que les entreprises avaient a priori une connaissance parfaite du prix de marché de leurs produits. Il va de soi que, dans la réalité quotidienne des affaires, ce n'est pas le cas. Le prix de marché est une grandeur abstraite dont les entreprises essaient constamment de se rapprocher grâce aux instruments du calcul monétaire et aux sanctions indicatives du compte de pertes et profits. Ces calculs se font à partir des prix des biens et services en monnaie, tels qu'ils sont recensés par les comptabilités privées au fur et à mesure des achats. Ils sont corrigés par la perception subjective que chaque chef d'entreprise a de l'évolution du pouvoir d'achat de la
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monnaie qu'il utilise dans ses transactions, à partir de son expérience personnelle passée et des informations que lui fournit sa profession.
Une part Irréductible de ch6mage et de sous-emploi est Inévitable Si nous étions en mesure de produire des monnaies concurrentielles au pouvoir d'achat parfaitement stable, il n'y aurait aucun problème. Mais, en raison de la nature publique de la monnaie, l'objectif d'une telle stabilité est hors d'atteinte. Il en résulte que, par définition, dans l'univers institutionnel qui est le nôtre, tout calcul économique restera imparfait, et qu'on ne pourra jamais distinguer clairement entre les pertes et les profits qui sont authentiques, et les pertes et les profits comptables à caractère apparent dus aux variations imprévues du pouvoir d'achat de l'unité de compte utilisée. Tant que l'amplitude de ces pertes et profits apparents reste limitée, l'inconvénient est mineur. Nous ne connaissons pas de moyen plus efficace que le marché libre et le calcul économique décentralisé pour réaliser la coordination des activités humaines. Mais, dès qu'on aneint des rythmes de création monétaire élevés, l'importance de ces effets comptables prive les signaux du marché, et les calculs individuels de la plus grande part de leur signification cognitive. Les chefs d'entreprise continuent de faire leur travail, du mieux qu'ils peuvent, en restant fidèles aux enseignements de leur expérience. Mais les résultats du marché montrent qu'ils se trompent plus souvent. Des erreurs de jugement de plus en plus fréquentes, et de plus en plus graves sont commises. Cette accumulation de mauvais calculs implique qu'une quantité croissante de biens ne trouve plus les acheteurs attendus. Un processus de dislocation industrielle s'amorce, qui force la mise au chômage d'un volume grandissant de ressources et de compétences. Il se révèle d'autant plus durable et profond que l'on continue de mettre en circulation des quantités de plus en plus importantes de monnaie. A court terme, l'inflation (non anticipée) agit comme un euphorisant. En bénéficient ceux dont les activités se situent le plus près des points d'entrée de la nouvelle monnaie. Mais, à long terme, ses effets dislocateurs ne sont pas
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moins certains que ceux des politiques de déflation. Peu il peu le public prend conscience qu'il y a « crise ». La généralisaHon de l'Axiome de Say
Au total, cette généralisation de l'axiome de Say nous rappelle les difficultés d'atteindre un état de parfaite coordination et de plein emploi stable: dans un monde où le changement est l'expression même de l'action humaine, et donc permanent, où la monnaie est précisément une création des hommes pour s'y adapter, et en même temps un facteur de changement elle-même, tl est tn~ttable que subsiste une part t'fTéducttble et fluctuante de ch(Jmage et de sousemplot, Itée non pas d une défaUlance du marché, mais d la présence de rtgtdttés naturelles qu 'tl n'est pas en notre pouvotr de modtfler (par exemple les rigidités qui découlent de l'opacité de l'information, ou des limites aux capacités de la connaissance humaine), ou qu'tl n'est pas dans notre tnté1"nt de modtfler (par exemple lorsque ces rigidités résultent d'actes coopératifs « volontaires» dictés par l'intérêt réciproque des partenaires, comme dans le cas des «contrats implicites» entre employeurs et employés, ou celui d'ententes privées non protégées par l'appui de règlements ou d'influences politiques). Mais elle met également en évidence que l'intensité et l'amplitude de ces mouvements de sous-emploi et de chômage seront d'autant plus fortes que: 1) nous travaillons dans un univers où le jeu des forces corporatives, ainsi que l'influence des doctrines dominantes, conduisent il multiplier les entraves artificielles il la liberté de produire et d'échanger; 2) nous vivons dans un monde où la régulation monétaire n'est pas assurée par la concurrence des monnaies, mais est confiée il l'État qui est incapable de respecter les disciplines budgétaires qui, autrefois, limitaient la capacité des pouvoirs politiques il jouer avec la création monétaire. On retrouve l'idée que le ch(Jmage, tel qu'tl est de plus en plus vécu par un nombre croissant d'hommes et de femmes, est le produtt caractértsttque de la peroerston étattque des tnstttut10ns poltttques et monétatres du xx- st~cle.
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L'erreur des Keynésiens
Imaginons que, soudain, les particuliers et les entreprises accroissent de 20 % le montant des encaisses liquides qu'ils conservent à titre de précaution. Ce changement de comportement a sur le circuit des échanges les mêmes effets restrictifs qu'une décision autoritaire du gouvernement ayant pour conséquence de réduire de 20 % le volume global de la circulation monétaire. D'où la réaction des Keynésiens: il faut que l'État, par une action monétaire (ou budgétaire) compense le déficit du pouvoir d'achat en circulation. Que la conséquence immédiate soit de freiner les affaires et de créer du chômage, aucun doute. Mais il faut se demander quelle est l'origine d'une telle variation. Pourquoi les ménages changeraient-ils leur comportement? Il n'y a que deux possibilités : ou bien la cause est liée aux activités de l'État lui-même (comme lorsque, par exemple, intentionnellement ou par mégarde - comme ce fut le cas aux États-Unis en 1932 -, il mène une politique déflationniste qui conduit les agents à anticiper une hausse du pouvoir d'achat futur de la monnaie); ou bien cela n'a rien à voir avec l'État et résulte de choix purement individuels et libres. Lorsqu'il est impossible d'invoquer une cause d'ordre monétaire, une seule explication est possible: si les gens désirent conserver plus d'encaisses, c'est parce que des événements (des innovations, par exemple ou des événements politiques réduisant l'incertitude et les risques associés à des placements longs), ont modifié l'échelle de leurs préférences en faveur des placements futurs, au détriment des usages présents. La variation du rapport des encaisses détenues est simplement la manifestation d'un changement dans la structure temporelle des demandes de consommation ou d'investissement. Du point de vue du circuit économique, ce changement induit sur l'emploi et les revenus des effets dont la nature n'est pas différente de ce qui se passe lorsque des changements de technologie (ou de goûts) modifient la structure des prix relatifs des biens produits. Tout dépend de la plasticité des prix (notamment d'un prix particulier, celui de la monnaie: le taux d'intérêt). Si les marchés, les marchés monétaires et financiers en particulier, se heurtent à un minimum
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d'entraves institutionnelles, et réagissent avec une grande flexibilité, les effets de cette perturbation resteront temporaires et limités. Le circuit de la loi des débouchés ne sera véritablement violé que si la réallocation des ressources vers de nouveaux emplois mieux adaptés à la nouvelle structure temporelle des demandes, est freinée par des rigidités ne devant rien à la dynamique propre de relations contractuelles libres. Admettons maintenant que les pouvoirs publics décident de compenser l'augmentation des encaisses individuelles par une émission de monnaie nouvelle d'un pouvoir d'achat global identique. L'espoir est qu'on pourra ainsi neutraliser l'effet récessif de l'accroissement d'épargne. L'émission d'un montant de monnaie nouvelle équivalent au déficit créé par la variation des encaisses détenues devrait rétablir la situation initiale, et permettre de rétablir le circuit économique dans son état initial.
La solution n'est
pas de batsser les salaires, mats de leur rendre la
ltbert~
Mais, pour que cette injection de fonds publics rétablisse le circuit interrompu, il faudrait que la nouvelle monnaie soit distribuée entre les secteurs en proportion avec le déficit de demande dont chacun est en définitive victime. Or, cela est impensable car cela supposerait que les pouvoirs publics aient une parfaite connaissance des préférences individuelles. Ce qui se passera sera très différent. Certains secteurs connaîtront un affiux temporaire de liquidités excessives qui nourrira un vent d'achats supérieur à ce qui serait nécessaire pour juste y combler les effets de la chaîne récessive. Non seulement la chaîne des débouchés ne sera pas rétablie, mais la hausse des prix des premiers engendrera une série de mouvements relatifs qui compliqueront encore le problème en y ajoutant leurs propres effets de dislocation. R~sultat: l'inflation n'est jamais un remède; elle n'est qu'une illusion qui, à terme, ne fait qu'ajouter ses propres problèmes à ceux auxquels elle était initialement censée apporter une réponse.
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La grande idée des Keynésiens a été que la pratique d'une inflation modérée constituait un moyen de résoudre les problèmes posés par l'inflexibilité à la baisse des taux de salaires. Ce serait vrai si la cause de tous les maux venait effectivement et uniquement du nIveau général des salaIres. Mais, ce qui précède nous rappelle qu'une telle notion n'a pas de sens, et que ce qui compte pour expliquer les fluctuations de l'emploi et des revenus sont les prix relatifs - c'est-à-dire l'adéquation de la structure des taux relatifs de salaires à l'évolution de la structure des demandes de biens. Parce qu'elles négligent les effets dislocateurs de l'inflation, l'incapacité des politiques keynésiennes à éviter le retour d'une crise était donc inévitable. C'est ce qui s'est passé. La grande erreur des discIples de Keynes a été de ne pas voIr que ce quI est en cause n'est pas tant la capacité du mouvement syndIcal à Imposer au marché
un prix du travaIl « en général» trop élevé, que celle des syndIcats à profiter de leur pouvoIr de chantage sur la socIété pour geler le mouvement relatif des rémunérations en ayant recours à des techniques telles que l'indexation, la généralisation de la négociation collective, l'extension des mécanismes de «grille », etc.). La déflatton n'est pas le « symétrIque» de l'Inflatton
De la loi de Say les gens tirent souvent la conclusion que, pour sortir de la crise, les économistes libéraux préconisent purement et simplement de baisser les salaires. Ce qui paraît monstrueux, et a beaucoup fait pour les déconsidérer auprès de l'opinion. Il y a effectivement des gouvernements qui, dans les années 30, ont imposé une baisse autoritaire de tous les salaires (ou de certains salaires seulement, généralement ceux de la fonction publique). Mais rien n'est plus faux que de croire que des économistes libéraux pourraient préconiser une forme ou une autre de déflation comme remède aux situations de crise économique prolongée. Dans une économie à institution monétaire d'État, le principe de non-neutralité de la monnaie suggère en effet qu'en aucun cas une déflation - obtenue par exemple par une réduction de 20 % de l'offre globale de monnaie - ne peut être envisagée comme le symétrique d'une inflation qui augmenterait l'offre de monnaie dans les mêmes
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proportions. Croire qu'après une période d'inflation, il suffirait d'une déflation du même ordre de grandeur pour annuler ses effets est une illusion. Pour que cela soit possible, il faudrait en effet que les mouvements de prix suivent un cheminement exactement tnversé; ce qui, dans le monde réel, paraît impensable puisque cela supposerait que le temps n'existe pas (pas de changement). Les économistes farouchement anti-keynésiens comme Mises et Hayek, s'ils étaient par définition contre toute politique d'inflation, n'ont jamais proposé l'inverse. Pour eux, la déflation était tout aussi néfaste que l'inflation. La solutton ne constste donc pas il batsser autorltatrement (ou en trichant, par l 'tnj/attonJ les salatres, mats il leur rendre la ltberté afin de leur faire retrouver une jlextbtltté naturelle - c'est-à-dire la flexibilité qui serait la leur dans un monde où les seules rigidités repérables seraient celles qui résultent d'accords contractuels (ou implicites mais privés) acquis dans le cadre d'institutions de droit minimisant les effets de la violence et du chantage collectif.
LE CHÔMAGE ET LA GRÈVE
En résumé, toutes nos institutions sociales partagent un point commun: elles introduisent toujours plus de rigidités dans les prix relatifs, et réduisent donc la mobilité des facteurs i ce qui est à l'origine des troubles de la demande ou de l'emploi qui font la crise. Prenons l'exemple des négociations collectives, généralement présentées comme un progrès décisif dans la réalisation d'un consensus national sur la hiérarchie des revenus. Comme le contrôle des prix, comme les politiques autoritaires des salaires, il s'agit d'institutions dont les effets de blocage sont évidents. C'est d'ailleurs l'effet recherché, puisque l'objectif des négociateurs est de déconnecter les rémunérations des influences du marché afin d'y substituer l'autorité d'un «accord national» - c'est-à-dire pour entériner et reproduire les inégalités de revenus précédemment acquises au profit des groupes de pression organisés.
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Les procédures de négociation collective bloquent le mécanisme de deux façons. D'abord en liant les revenus et les rémunérations entre eux, ce qui élimine le libre jeu du marché au niveau des secteurs, des sous-secteurs et des entreprises. Plus les décisions sont centralisées, et embrassent un grand nombre de métiers, d'activités, d'entreprises et de qualifications, plus il devient difficile de faire fonctionner les mécanismes de réallocation entre les « micromarchés ». Bien sûr, certaines possibilités de « flexibilité» individuelle sont prévues. Mais on se heurte alors au deuxième problème: plus une négociation est centralisée, plus elle concerne un nombre important de groupes et de communautés, plus lentes seront nécessairement les discussions et les prises de décision.
CMmage classique, ch6mage institutionnel Jamais une négociation nationale ne pourra déterminer les salaires (ou les prix) qui permettraient de rectifier la multitude de déséquilibres locaux qui, en conséquence du mouvement naturel de la vie économique et du progrès technique, affectent les micromarchés. Les planificateurs interviennent avec des normes nationales, régionales, sectorielles, etc. Mais, ces normes sont par nécessité aveugles aux besoins d'ajustement locaux, et ne peuvent empêc.her l'accumulation de microcrises dont l'addition fait la crise tout court. Au contraire, elles y surajoutent leurs propres contraintes arbitraires, et donc leurs propres effets pervers. Conséquence: nous vivons dans des économies mixtes dont la caractéristique est, sans annuler totalement le jeu des forces du marché, de les limiter à des niveaux d'agrégation intermédiaires plus ou moins élevés (selon les problèmes). C'est absurde. Plus cette tendance durera, plus elle s'affirmera, moins les mécanismes de coordination fonctionneront, plus grande sera la pression récessionniste, la dépression, le chômage, et donc la tentation inflationniste pour en retarder les conséquences. C'est une hérésie de croire qu'une «coordination» supérieure peut se substituer aux multiples procédures de coordination microlocales ou microsectorielles. L'addition de microcoordinations donne une coordination
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globale. Mais l'inverse n'est pas vrai. C'est toute l'illusion de la macroéconomie traditionnelle dénoncée par Hayek dans son discours du Prix Nobel 1974. C'est ce chômage qui représente le véritable chômage «classique », décrit par les auteurs d'avant Keynes, pas celui que Keynes présente dans ses écrits, ni même celui aujourd'hui réinventé par Edmond Malinvaud; mais celui que Mises présente sous le qualificatif de «chômage institutionnel» [1311.
Le ch6mage résulte non pas de ce que le « niveau général des salaires» est trop élevé et qu'il faudrait le réduire. Mais de ce que la jlexibiltté des salaires et des prix est, pour des raisons institutionnelles et politiques, trop faible pour permettre aux réallocations de ressources de se dérouler dans des condtttons compatibles avec le maintien du plein emploi. Ce chômage se décompose en deux. Il y a d'abord le chômage que Mises qualifie de catallactique: la part de chômage qui est en tout état de cause inévitable parce que liée aux imperfections irréductibles de la nature des choses et de l'information humaine, et qui vient de ce que, par définition, dans le monde concret qui est le nôtre, du fait de l'existence du temps et du mouvement permanent des préférences et des innovations, ainsi que du caractère radicalement incertain de toutes nos décisions, on ne pourra jamais ambitionner d'assurer à cent pour cent l'étanchéité de la loi des débouchés. Ce ch6mage est la contrepartie naturelle de la liberté d'agir, et représente la rançon inéluctable du progrès. Puis vient le chômage tnstitutionne~ celui qui tient aux cent et une manières dont nous nous débrouillons pour multiplier les entraves et les exceptions à la liberté de décision des entrepreneurs et qui, lui, pourrait être évité si nous ne nous étions pas laissés infester par de fausses théories. A son tour, ce chômage institutionnel se décompose en trois éléments : - d'une part, l'accroissement de chômage qui résulte de l'ada;ptation des comportements individuels aux nouvelles normes institutionnelles (par exemple l'allongement des durées de recherche d'un nouvel emploi du fait de l'amélioration des systèmes de
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protection contre la perte d'emploi, ou parce que la rigidité des salaires décourage la mobilité intersectorielle) j - d'autre part, la part de chômage supplémentaire qui découle de tout ce qui, par la loi ou par l'action de certains groupes privés (ou la combinaison des deux) aggrave l'état des rigidités j - enfin, la part de chômage qui résulte de l'instabilité conjoncturelle que crée le contrôle monopolistique de la monnaie par des institutions d'État soumises à leur tour à l'influence des groupes de pression organisés. Le résultat est une analyse qui lie le chômage au développement des interventions de l'État et aux effets d'entraînement qu'il exerce sur l'essor de l'activité des groupes de pression, en particulier des syndicats. On est amené à penser que le chômage est la caractéristique des sociétés évoluées mangées par la gangrène étatique. Le produit d'une perversIon de la démocratie
La véritable origine des crises et dépressions qui frappent le marché du travail ne doit pas être recherchée dans les troubles autonomes d'une «demande globale» défidente, mais dans la prolifération des entraves monétaires et des rigidités artifidelles qui, dans nos régimes d'économies mixtes, perturbent le libre jeu des contrats privés. Parmi ces entraves figurent évidemment toutes les rigidités d'origine réglementaire, administrative ou législative qui, sous l'alibi d'une politique sociale de « protection du travail », ont pour effet de déconnecter un nombre croissant de prix et de rémunérations du jeu d'un marché libre fonctionnant dans le cadre d'un État de droit garantissant à chacun le respect de ses droits de propriété et de la liberté des contrats. Figurent également les politiques délibérées d'inflation et d'atteinte au pouvoir d'achat de la monnaie (qui ne sont pas autre chose que des opérations camouflées de vol collectif et de dest1UCl1on du calcul économique individuel). Ou encore toutes ces subventions, officielles ou occultes, directes ou indirectes, dont la rationalité n'est autre que de fausser les mécanismes de la concurrence au profit des groupes qui bénéficient des amitiés politiques les plus solides.
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Nous savons aujourd'hui où se trouve la source de ce phénomène. Tout commence avec l'effacement de la notion classique d'« État de droit », et la trahison de la conception libérale de la démocratie au profit de l'idée moderne de souveraineté illimitée de la majorité. Ainsi que l'a expliqué Hayek, dès que le pouvoir législatif devient illimité, dès lors qu'il devient possible pour une majorité d'utiliser son droit de contrainte au profit des intérêts de tel ou tel groupe particulier, le pouvoir majoritaire se retrouve otage des groupes de pression en position de monnayer leur soutient parlementaire ou électoral. Dans de telles circonstances, il est de plus en plus difficile pour la loi d'être l'expression d'une vision commune. Le résultat du travail législatif est le fruit d'un processus de marchandages politiques et électoraux. Il n'a plus rien à voir avec l'expression d'une conception réellement majoritaire des règles de vie nécessaires au fonctionnement pacifique d'une société civilisée. Le corps social se transforme en un bateau ivre, dérivant au gré des coalitions de rencontre. On a un résultat - en termes de contraintes imposées aux individus qui n'a plus rien à voir avec ce sur quoi il serait possible de dégager un consensus majoritaire. Puisque désormais on considère normal que l'état prenne aux uns ce qu'il juge bon de donner aux autres, il est inévitable que tous ceux qui partagent des intérêts communs trouvent légitime de s'organiser pour résister aux entreprises de spoliation que d'autres nourrissent à leur égard, ou encore pour utiliser à leur tour, à leur propre bénéfice, le pouvoir de contrainte, apanage de la fonction politique. On entre dans un engrenage cumulatif où la définition des droits n'est plus le produit de règles générales et abstraites acceptées pacifiquement par tous, mais l'aboutissement d'un processus où un nombre croissant de groupes et de sous-groupes organisés en forces de pression et de chantage s'affrontent pour kidnapper à leur avantage le monopole de la violence étatique, et obtenir ainsi, par la voie du «marché politique », ce qu'il faut bien appeler des privilèges» (qui ne sont euxmêmes que la contrepartie d'autres privilèges gagnés de haute lutte par d'autres groupes par rapport auxquels, tout à fait légitimement, on ne veut pas se trouver en reste). Dans cette perspective, nous sommes tous en cause. Il n'est pas possible de jeter plus la pierre à l'un qu'à l'autre. L'efficacité politique
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des lobbies agricoles, ou la capacité de certaines entreprises privées et publiques à circonvenir à leur avantage l'autorité des administrations, ne sont pas moins coupables que l'habileté des syndicats à nous faire croire qu'ils parlent au nom des intérêts de tous les travailleurs. Il n'en reste pas moins que, dans cette jungle, les syndicats ouvriers bénéficient d'un avantage institutionnel qui les met à part, et, en conséquence, aggrave leur responsabilité (sans pour autant réduire celle des autres) : il s'agit du droit de grève. La grève, ou le droit au chantage...
Imaginez que vous entriez en possession d'une belle fortune. Vous investissez dans l'industrie, une industrie lourde (comme l'acier). L'investissement est important, il a une longue durée de vie, et une fois que vous avez fait vos plans, vous êtes pour longtemps prisonnier de votre décision. On ne se débarrasse pas d'une aciérie - ou de tout autre investissement industriel à caractère spécialisé - comme on se débarrasse d'une obligation, ou même d'une action en bourse. Le propriétaire capitaliste, s'il est un homme riche, est aussi un homme dont la fortune est « immobilisée» dans des emplois dont il n'est pas toujours aisé de se dégager (même lorsqu'il existe un marché financier actiO. C'est un «prisonnier», un « otage» pourrait-on dire; otage de tous ceux qui, à un moment ou à un autre peuvent être tentés d'utiliser les moyens de chantage que leur offre leur position au sein des systèmes complexes de production mis en place et financés par cet homme. L'exemple qui traduit le mieux cette position d'otage est celui offert par la théorie des quasi-rentes [99]. Un imprimeur reçoit une commande très spéciale qui l'oblige à acheter une machine ultrasophistiquée. Avant de l'acheter, il est convenu avec son client d'un prix pour rémunérer ses services. Ce prix couvre les frais d'achat et d'amortissement de la machine, ainsi que les frais de production et la rémunération normale des services de l'entrepreneur. On suppose qu'en l'absence de cette commande particulière, la seule possibilité que le propriétaire de la machine ait
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soit d'en louer l'usage pour un autre travail dont la valeur marchande est seulement la moitié du revenu que devrait lui rapporter l'affaire conclue avec son premier client. S'il n'est pas très sérieux, ou s'il ne se préoccupe guère de ce que risque de lui coûter demain sa mauvaise réputation, celui-ci peut être tenté d'utiliser la situation dans laquelle il se trouve pour lui imposer une révision unilatérale du prix convenu, et le fixer à un niveau très inférieur. A la limite, revenant sur sa parole, on peut imaginer qu'il impose à son fournisseur de faire le travail à la moitié du prix originellement convenu. Compte tenu des coûts de transaction nécessaires pour reconvertir la machine à un nouvel usage (plus les coûts que représente la recherche d'un nouveau client) et sachant qu'en raison de son caractère spécifique le prix de revente de la machine est très faible, l'entrepreneur à intérêt à accepter, même à moitié prix. Il perdra de l'argent, mais cette perte sera moins grande que celles qu'il aurait à subir dans toutes les autres solutions possibles. La différence entre le prix contractuellement accepté, et le prix finalement imposé par le comportement indélicat de son client, représente la quasi-rente que ce dernier s'approprie au détriment de l'entrepreneur. C'est une véritable « expropriation» de valeur, un vol qui s'applique à une valeur produite par l'entrepreneur et sienne en toute justice. Ce genre de comportement crée un double préjudice. A l'encontre de l'imprimeur bien entendu, et de ses salariés. Mais aussi à l'encontre de la collectivité tout entière. Les investissements auront en effet tendance à bouder les activités où, en raison de leurs caractéristiques propres, de tels abus sont possibles j et cela même s'ils n'ont pas d'autre choix que de s'investir dans des secteurs a priori moins rentables. L'économie y perdra en efficacité. C'est pour cela qu'existent les tribunaux et que leur rôle est de faire appliquer les contrats - et ainsi de réduire les probabilités de ruptures abusives. La réduction des risques encourus par les entreprises est alors un facteur de plus grande efficience économique : plus de capital investi, plus forte productivité, donc des salaires plus élevés. L'action de la justice est un « bien» économique comme un autre. La grève est une stratégie qui n'est pas fOndamentalement différente de celle du client de l'imprimeur. Il s'agit également d'un
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chantage où l'entrepreneur est l'otage du syndicat qui réussit à obtenir de ses membres une cessation concertée du travail. La grève a, sur le circutt économique, les mêmes effets négatifs que
les autres formes d'entraves Si l'entrepreneur cède, le préjudice est identique. Préjudice pour l'entreprise qui supportera des coûts plus élevés, perdra des commandes, financera plus difficilement son développement futur. Préjudice pour l'entrepreneur: qui dit coûts plus élevés, perte de marché, dit aussi chute du cours des actions et de la valeur de la firme. La différence entre le prix des actions avant et après la grève mesure l'effet d'expropriation, le transfert de richesse, la quasi-rente dont les propriétaires sont victimes. Préjudice collectif enfin: un secteur où les syndicats sont puissants et les grèves fréquentes est un secteur dont les capitaux auront tendance à s'échapper, pour s'investir dans d'autres activités à moindre productivité. Même s'il est relativement immobile, on ne peut pas « exploiter» le capital de manière permanente. A son tour, il «se met en grève », en s'investissant ailleurs. Les capitaux ainsi déplacés généreront moins de profits, moins d'épargne, moins d'accumulation. La productivité des gens auxquels ils fournissent un emploi étant moins forte que celle des gens auxquels ils auraient donné du travail s'ils étaient restés dans leur secteur initial de placement, ils nourrissent en définitive des salaires, et donc des pouvoirs d'achat, plus faibles. La grève est une stratégie privée qui a sur l'activité, les revenus, l'emploi... des effets négatifs identiques à ceux qu'entraînent toutes les autres formes d'entraves à la production évoquées plus haut.
Toutes les grèves ne sont pas spoliatrices. Lorsqu'un arrêt de travail intervient dans une entreprise dont les dirigeants s'efforcent de maintenir, contre leur propre intérêt, un niveau des salaires inférieur à celui de leurs concurrents, la grève agit comme une sorte d'auxiliaire des forces du marché : elle hâte une évolution qui, sans elle, aurait mis plus de temps à se réaliser. Mais l'expérience, et l'aveu même des syndicats (dont l'ambition est de hisser tous les salaires audessus de leur prix de marché) montrent qu'il s'agit là de situations très exceptionnelles.
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Le droIt de grève, un défI à l'État de droIt
Ces deux situations ont beaucoup en commun. Dans les deux cas, des personnes privées, agissant pour leur propre compte ou de concert, s'approprient une valeur quI ne leur appartIent pas, et réduisent simultanément le pouvoir d'achat d'un grand nombre d'autres qu'elles ne connaissent pas et qui, elles, ne tirent aucun avantage de ce transfert. Mais il y a néanmoins une grande différence. Dans les affaires, lorsqu'un conflit de ce genre oppose deux entrepreneurs, on fait appel aux tribunaux. Leur rôle est de retrouver les engagements souscrits et de les faire appliquer. Lorsqu'il n'y a pas de contrat écrit, on se tourne vers la coutume et les usages commerciaux en vigueur. Celui qui a causé un tort à l'autre se voit imposer de le réparer en lui versant une indemnité compensatrice. Conséquence: même si on ne peut pas totalement l'éliminer, ce genre de comportement reste une exception. Le contexte institutionnel en freine la généralisation, et limite donc son coût C'est ainsi que le droit favorise l'efficience et la croissance économique. Là encore, l'idéal n'existe pas. Les fraudeurs, les escrocs, les indélicats, les parasites font partie de l'univers humain et de sa diversité. On n'arrivera jamais à éliminer tous les comportements opportunistes. Mais les principes juridiques du respect des contrats et de la responsabilité personnelle des auteurs d'actes frauduleux ou indélicats, permettent précisément d'en limiter l'ampleur. Bien sûr, il faut tenir compte des coûts de fonctionnement de la justice. Lorsqu'il s'agit de conflits mineurs, où les enjeux financiers ne sont pas trop importants, ceux qui sont lésés hésitent souvent à déposer plainte et à poursuivre en raison des délais et des coûts que cela implique. Mais, même dans ces cas, l'expérience montre que, lorsqu'il y a liberté des contrats, les professionnels s'organisent spontanément pour élaborer des systèmes de clauses contractuelles dont la caractéristique est de réduire les avantages personnels que les tricheurs sont susceptibles de retirer de ces pratiques. Au total, lorsque l'État ne réduit pas arbitrairement les conditions d'exercice de la liberté de contracter, tout se passe comme si le libre fonctionnement
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du marché conduisait à une sorte d'« optimum» de fraude ou de chantage. Lorsqu'il s'agit de syndicats et de grèves ouvrières, les choses sont fort différentes. L'une des caractéristiques du droit du travail n'est pas seulement de multiplier les protections individuelles contre les excès de pouvoir des employeurs, mais aussi de sortir l'exercice effectif du droit de grève du régime commun de la responsabilité. La France, sur un plan formel, est encore un pays où le laxisme du droit au regard de la réglementation des actes de grève reste relativement limité. C'est en Angleterre et dans les pays nordiques que l'évolution a été le plus loin, avec la mise en place d'un régime juridique qui accorde l'impunité aux syndicats, aux militants et à leurs dirigeants, même lorsque le déroulement d'une grève s'accompagne de voies de fait et d'actes délictueux de droit commun. Mais, au-delà de ces différences apparentes, l'évolution est un peu partout la même: au nom d'une conception abusive de la protection des faibles contre les forts, l'habitude s'est prise d'accepter des militants des mouvements ouvriers et des grévistes tout un ensemble de pratiques, d'actes et de comportements qui sont en théorie contraires au droit, et qu'on ne tolérerait pas de la part d'autres personnes.
La
loi abaisse les « coats de la violence» seulement pour certains
Par exemple, on accepterait difficilement de voir un client occuper le bureau d'un fournisseur, le molester et le frapper pour obtenir de lui qu'il baisse son prix: voie de fait passible de la correctionnelle. Dès lors que ce sont des syndicalistes, appartenant à une grande centrale, qui séquestrent des cadres, on s'agite, on proteste, mais il n'est pas certain que l'on dépose toujours plainte; et lorsque plainte il y a, on n'est pas toujours assuré que la procédure ira jusqu'à son terme. Les entreprises qui craignent des représailles syndicales encore plus violentes et coûteuses, hésitent à porter les agressions dont elles sont les victimes devant les juges. Les responsables de l'ordre public, le gouvernement lui-même, hésitent parfois à faire appliquer les décisions de justice ...
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Lorsqu'un sous-traitant annonce à son client qu'il a décidé de cesser de travailler sur la commande qui lui a été passée, à moins qu'on ne la lui paie plus cher, le juge ne prend pas de gants: il s'agit d'un banal cas de rupture de contrat qui sera sanctionné comme tel et n'ouvrira pas d'autres droits que ceux qui figurent dans le contrat. Lorsque des fournisseurs s'entendent pour ne plus livrer un même client, il s'agit d'un acte de boycott concerté, puni au nom des lois antitrusts. Lorsque des travailleurs s'organisent pour cesser le travail, on considère qu'il y a simplement suspension temporaire du contrat de travail, et non rupture. Même s'il peut refuser le paiement des heures non travaillées (ce qui souvent n'est pas effectiO, l'employeur ne peut refuser de reprendre le gréviste, ni demander aux organisations responsables réparation des dommages commerciaux qui résultent de leur opération de chantage. Tout se passe comme si l'employé était devenu en quelque sorte propriétaire de son job O'évolution contemporaine du droit du travail s'analysant, notamment à travers les lois Auroux, comme un effort systématique pour renforcer cette « propriété »). Résultat: ce qui est le droit commun lorsqu'il y a violence dans notre société, a cessé d'être le droit dès lors qu'il s'agit d'activités ou même de violences syndicales perpétrées ou non à l'occasion de conflits du travail. Il y a des réactions, des sursauts, des efforts pour renverser le courant (cf. la nouvelle législation britannique introduite par le gouvernement de Madame Thatcher) [77]. La situation diffère en degré selon les pays, ou selon les circonstances politiques. Mais partout s'est affirmé le même principe: ce qui est noir pour tous est blanc pour le syndicat. On est revenu, dans le domaine du droit du travail, comme nous l'avons déjà souligné, à une sorte de société féodale où c'est le statut qui faU le droit 1 Du point de vue de l'équité, on ne peut pas dire que la justice y trouve son compte. Du point de vue de l'efficacité économique, ou même de la justice devant l'emploi ou le risque du chômage, les choses sont encore plus graves: de tels privilèges (car ce sont des prlvl~ges, au sens propre du terme) signifient qu'Il y a au moins une partie de la population pour qui le droit de faire chanter les autres, ou de se livrer ta de véritables opérattons d'extorsion par la violence, est désormais gratuU, dAltvré de toute sanction et responsabtlltl.
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De tous les groupes de pression, les syndicats sont les seuls pour qui les coûts de la violence (ou du chantage) sont les plus bas, et ont été les plus abaissés. Ils auraient eu tort de s'en priver. Cette violence a les mêmes effets économiques que les restrictions forcées de production imposées par la contrainte publique. D'où la conclusion que, parmi tous les groupes de pression qui assiègent la société, les syndicats portent une responsabilité particulièrement directe dans le développement de ces conséquences de la violence économique que sont le chômage et le sous-emploi (q.l'ils sont pourtant les premiers à dénoncer véhémentement). Il n'est pas difficile d'imaginer ce que peut être la réponse des défenseurs de l'institution syndicale. Essayons de la reconstituer. j'existe, nous dira le syndicat, au nom de la liberté d'association, reconnue par la Constitution en application de la Déclaration des droits de l'homme. Si tout homme a le droit de s'associer avec d'autres personnes de son choix, pourquoi pas les salariés? Le leur interdire, comme c'était le cas au siècle dernier, revient à les traiter en êtres inférieurs, en sous-hommes. C'est par définition le contraire d'une attitude libérale. Tel est précisément l'objectif du syndicalisme que de leur rendre leur pleine dignité d'êtres humains. Si les syndicats existent, c'est parce qu'il existe une inégalité de rapport de forces entre le salarié, lorsqu'il est isolé, et son employeur. Mon rôle, en tant que syndicat, est de corriger, de compenser cette assymétrie par l'union des travailleurs.
L'altbt « uttlttariste» du syndtcat Nous avons vu dans un autre chapitre ce qu'il faut penser de cet argument. Mais regardons comment continue sa logique. La force qui permet de compenser l'inégalité de négociation entre l'employeur et l'employé, ne vient pas seulement de la réunion des salariés en un syndicat, mais également et surtout du droit qui lui est reconnu de décider et de mener une action de grève. C'est cette capacité de cesser collectivement le travail qui, en donnant aux travailleurs le moyen d'infliger des coûts non négligeables à l'employeur, permet effectivement de corriger l'assymétrie dont ils sont traditionnellement les victimes sur le marché.
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Autrement dit, dans cette optique, le syndicat n'est que l'organe qui permet aux travailleurs d'acc~der à la grève qui, elle, est le v&itable instrument qui permet de supprimer l'inf&iorlt~ du sala~. Maintenant, ajoute le syndicat, encore faut-il pour que l'inégalité soit vraiment compensée, que le patronat n'ait pas les moyens de saboter mon action. Comment? En utilisant les services de « jaunes». Si les entreprises ont le droit d'embaucher d'autres gens pour remplacer, ~ leurs postes, les grévistes, la grève ne sert plus ~ rien. En jouant les jaunes contre les grévistes, on rétablit les conditions initiales pour lutter, contre lesquelles le syndicat a précisément été créé. Il est donc légitime que nous réclamions la légalisation de l'activité des piquets de grève. Mais, si des briseurs de grève se présentent, que vont faire mes gars, si ceux d'en face n'écoutent pas leurs appels ~ la solidarité? Nous exigeons donc le droit de recourir ~ la violence pour les empêcher de passer et de saboter ainsi notre action. Au nom de quel principe? Le même que celui qu'utilisent les syndicats anglo-saxons pour justifier la pratique de la c/osed shop; au nom de l'argument que l'action du syndicat est un « bien collectif », avec tous les inconvénients que cela représente. Si nous réussissons ~ faire fléchir le patronat, tous les gars en profiteront, même ceux qui n'ont pas activement collaboré. Même les « jaunes ». Ce faisant, même si je travaille pour eux, les salariés ne viendront pas m'aider, sauf si je trouve des moyens puissants pour les y inciter, voire les y contraindre. Le problème est d'ailleurs d'autant plus grave qu'en période de grève, la raréfaction de la main-d'œuvre fera monter les salaires offerts aux « jaunes ». En l'absence de tout mécanisme compensateur, le marché joue en faveur du patron, et contre l'action syndicale. C'est pourquoi nous sommes bien obligés d'utiliser la contrainte ~ l'égard de tous ceux qui ne rejoignent pas spontanément nos rangs. Cette contrainte se justifie par le gain collectif qui résultera de notre action collective; ou, dit ~ l'envers, par le « coût collectif» que l'individu impose ~ la collectivité par le fait qu'il se comporte en passager clandestin sur notre action militante.
L'argument a une structure strictement utilitariste: si tous les individus ne collaborent pas, un «gain collectif» ne sera pas produit, qui aurait pu l'être s'ils avaient collaboré. Comme la structure des incitations du marché est telle qu'elle ne les conduit pas ~ collaborer, il faut bien les «contraindre» pour que ce «bien collectif» soit produit.
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A ceux qui feraient remarquer qu'une telle légitimation de la violence conduit à l'anarchie, que ce qu'on accorde aux associations d'ouvriers il n'y a pas de raison de le refuser aux associations d'agriculteurs, de taxis, de routiers, etc., lorsqu'il barrent les routes, brûlent ou attaquent la propriété d'autrui, le syndicat rétorquera fort simplement: « Vous voulez éviter la violence, fort bien. Il y a un moyen très simple. Faites une loi qui prescrira que lorsque la grève est votée par une majorité, elle est obligatoire pour tous les autres. »
Comment cet alibi s'effondre Une telle réponse est évidemment contraire à la conception libérale du «droit au travail» (conçu comme « la liberté de travailler »). Mais, reconnaissons qu'elle ne manque pas de force logique : « De deux choses l'une, répliquera le syndicaliste; ou bien c'est à toute forme de contrainte que vous vous opposez, ou bien c'est seulement à la contrainte des syndicats. Si vous êtes dans le premier cas, vous ne pouvez pas refuser la contrainte syndicale et accepter celle de la police. Vous devez tout refuser en bloc: et le syndicat, et la police, et l'État, puisque ces institutions se fondent pareillement sur un argument de « bien collectif ». On ne peut pas avoir deux poids deux mesures. A l'inverse, si vous acceptez que des arguments de bien collectif justifient l'existence de l'État, d'une police, d'une justice, vous devez, pour rester cohérent, accepter l'existence des syndicats; et comme les syndicats ne pourraient exister si la loi ne prévoit pas un certain nombre de dispositions pour contraindre les salariés à soutenir leur action, vous devez accepter la reconnaissance de ces privilèges et superprivilèges que les syndicats réclament pour fonctionner et produire ce bien collectif qui ne sera jamais produit si nous n'avons pas les moyens d'être efficaces. » « Là encore, conclura le syndicat, c'est une question de cohérence. Ou vous acceptez l'argument « utilitariste» de la supériorité du bien collectif et vous devez reconnaître que nos demandes sont justifiées. Ou vous ne l'acceptez pas, mais c'est alors l'existence même de l'État que vous devez également remenre en cause. » L'argument est apparemment imparable. La violence syndicale serait-elle légitime, comme l'est celle de l'État?
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Réponse: l'argument est imparable, mais pour autant seulement que l'on accepte la validité des deux thèses sur lesquelles il est logiquement construit: la thèse de l'assymétrie, et l'idée que le syndicat apporte un «bien collectif»; un bien collectif qui n'est pas seulement de nature microéconomique (au bénéfice d'un petit nombre d'hommes, membres d'une collectivité restreinte, et partageant un intérêt commun), mais également macroéconomique - à savoir: bon pour tout le monde, pour tous les salariés, quelle que soit leur industrie ou leur activité. Si l'on démontre, comme cela a été fait dans ce livre que ces deux postulats sont faux: 1) que la thèse de l'assymétrie découle d'un nonsens conceptuel, fruit d'une erreur de raisonnement; 2) que le postulat selon l'action des syndicats pourrait permettre à tous les travailleurs de bénéficier d'un pouvoir d'achat plus élevé est également le produit d'une série d'erreurs de logique économique; alors tout s'effondre, tous les arguments utilisés pour justifier les privilèges des syndicats disparaissent. Il n'existe aucun argument économique par lequel on puisse justifier que l'exercice du droit de grève bénéficie de privilèges juridiques hors du droit commun. Le problème,
ce sont les privilèges
Le droit d'association - donc le droit de former, d'animer ou de militer au sein d'un syndicat - est l'un des droits fondamentaux couverts par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. De même, le droit de faire grève - c'est-à-dire le droit de participer à une cessation concertée du travail - est une liberté fondamentale qui découle du fait qu'on ne peut reconnaître à aucun individu un droit de propriété sur la personne de quelqu'un d'autre. Ce qui fait problème, ce sont les privilèges hors du droit commun que les syndicats réclament pour eux et pour leurs membres.
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Annexe au chapitre 4 Le travailleur« propriétaire JI de son emploi?
Le syndicat tient sa puissance d'un droit inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946: la grève. Il a le pouvoir légal d'user de la violence, ou de la menace de la violence, même s'il est minoritaire, pour contraindre l'employeur, par un arrêt concerté du travail, à renégocier le contrat de travail sans que celui soit rompu. La grève ne rompt pas le contrat, elle le suspend. L'employeur ne peut se séparer d'un gréviste pour le seul motif qu'il désire renégocier le contrat de travail. En revanche, la suspension du contrat interrompt le paiement. L'employeur n'est pas tenu de payer le salaire des gens en grève, bien que très souvent une des conditions de la reprise du travail est précisément le paiement des journées de grève. La grève perlée (faute d'un arrêt concerté du travail), et la grève politique (sans remise en cause des clauses du contrat) sont interdites. L'occupation des locaux en dehors des heures ouvrables est prohibée pour atteinte au droit de propriété. Les piquets de grève sont interdits pour atteinte à la liberté du travail, comme l'est également le loci, out (sauf cas de force majeure). L'employeur peut prendre du personnel de remplacement (mais ne peut pas faire appel à du personnel d'agences de travail temporaire). Il peut soustraiter ou déplacer sa production dans une autre usine. Aucune protection n'est accordée aux grévistes si la grève est illicite. Dans le cas contraire, le gréviste ne peut subir aucun préjudice par suite de son action collective; en particulier aucune mesure discriminatoire en matière de paiement ou d'avantage en nature lié à l'emploi ne peut être commise à son égard par le patron. La prime d'assiduité peut toutefois être supprimée. Dans beaucoup de pays, les piquets de grève sont autorisés, l'occupation des lieux aussi. Dans certains (au Québec par exemple) la loi interdit expressément à la firme de faire appel à du personnel temporaire, à une sous-traitance, ou encore de déménager sa production. La France, sous cet angle, n'est pas le pays le plus rigoureux. Cependant, le droit de grève demeure une atteinte profonde au droit de propriété à la fois des patrons comme des employés non syndiqués. Il est anormal que le
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contrat de travail ne soit pas rompu alors qu'une des parties en dénonce précisément certaines clauses (le salaire). En toute rigueur, l'employeur devrait être délié du contrat lorsqu'il y a refus des employés de continuer à travailler aux mêmes termes de l'échange, et pouvoir faire appel à d'autres personnes prêtes à travailler pour le prix précédemment offert. S'il ne trouve personne à ce prix, il l'augmentera, et de nouveaux contrats seront renégociés à un salaire plus élevé. Lorsqu'un employé reçoit une offre d'emploi ailleurs à un salaire plus rémunérateur, rien ne l'empêche de proposer à son patron de renégocier les termes de son contrat. Si ce dernier refuse, il a la liberté de démissionner. Cette assymétrie est choquante en droit. On démontre qu'elle se fonde sur des arguments économiques contestables.
Un droit-créance n'est pas un droit individuel Le fait que la loi autorise l'arrêt concerté du travail dans le but de renégocier les termes du contrat de travail, sans entraîner sa rupture, revient à reconnaître aux salariés un «droit de propriété» sur leur emploi. Mais ce droit de propriété ne peut être satisfait qu'au prix d'une double violation des droits de propriété de l'employeur et des non syndiqués prêts à s'embaucher éventuellement à un prix inférieur. Par définition, un droit qui ne peut être satisfait qu'au prix de la violation d'autres droits individuels, ne peut être considéré comme un droit, au sens de la Déclaration des droits de l'homme. Il ne peut pas exister de «droit à l'emploi ». Seul existe le droit individuel au travail, c'est-à-dire le droit à la liberté de travailler. Toute entrave privée ou institutionnelle qui a pour conséquence d'enlever à un individu la possibilité de travailler dans un emploi qu'il est volontairement prêt à accepter aux conditions qui lui sont offertes, est une atteinte à ses droits personnels. Personne n'a une créance sur la société qui l'autorise à exiger qu'on lui offre un emploi auquel il aurait droit. Un droit-créance n'est pas, et ne peut pas être un droit, même si le législateur désire qu'il en soit ainsi. Un droitcréance n'est qu'un objectif souhaitable fixé à la politique des pouvoirs publics. Ce n'est qu'une manière commode et politiquement payante d'affirmer que l'objectif de ceux qui gouvernent doit être autant que possible d'assurer aux citoyens les meilleures conditions d'emploi et de travail possibles. Fixer cet objectif à l'action des pouvoirs publics ne signifie pas pour autant que les droits individuels des personnes doivent y être sacrifiés puisque, par construction, la caractéristique de ces droits est de définir les limites morales de l'action que l'État ne doit pas franchir. L'une des découvertes de la théorie économique est de démontrer que l'objectif souhaitable défini par la notion d'un droit-créance à l'emploi ne
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peut être réalisé au mieux que dans une société qui respecte les contraintes de l'État de droit, et condamne, moralement, mais aussi par l'action de sa justice, toutes les violences individuelles ou collectives, privées ou institutionnelles, faites aux droits individuels.
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Les syndicats et la démocratie
Les syndicats ont leurs lettres de noblesse en matière de démocratie. La liberté syndicale est venue compléter la liberté d'association en 1874. EIIe est une des libertés publiques fondamentales, et c'est à juste titre qu'on peut la considérer comme un droit du citoyen. Des syndicats particulièrement courageux se sont dressés contre des gouvernements totalitaires et ont permis à leurs concitoyens de reconquérir leur liberté. Le syndicalisme reste bâillonné en Union soviétique comme il l'était dans la plupart des pays communistes. Traditionnellement, il était soumis à la hiérarchie du Parti, suivant un principe que Lénine avait clairement posé: Il faut user de tous les stratagêmes, user de ruse, adopter des procédés illégaux, se taire parfois, parfois voiler la vérité, à seule fin d'entrer dans les syndicats, d'y rester et d'y accomplir malgré tout la tâche communiste.
On ne peut donc manquer de saluer comme il convient les syndicats comme Solidarité qui, en dépit des risques courus, ont plaidé pour la liberté syndicale et pour les libertés publiques. Ils ont réussi. Bravo et merci. Le rôle démocratique du syndicat n'a pas échappé au pape JeanPaul II dans son encyclique Laborum Exercens. S'appuyant sur son
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expérience polonaise, Jean-Paul II n'hésite pas à considérer le syndicat comme le garant de la liberté et de la dignité des travailleurs contre les abus du pouvoir politique. Il est d'ailleurs à remarquer que, chaque fois que les syndicats ont contribué à la cause de la démocratie, c'était en arrachant au pouvoir politique des libertés supplémentaires. A l'inverse, quand les syndicats prétendent s'en prendre au pouvoir patronal dans une optique de lutte des classes, ils ont fait alliance avec le pouvoir politique et ont agi dans le sens d'une restriction des libertés plutôt que d'un élargissement On comprend ainsi l'erreur qui a été commise naguère avec le Programme commun de la Gauche, qui non seulement conduisait les socialistes à pactiser avec les ennemis philosophiques de la liberté mais associait étroitement pouvoir politique et pouvoir syndical, au point d'assimiler purement et simplement démocratisation et syndicalisation. Sans doute le Programme commun offrait-il sur un plateau le pouvoir aux syndicats dans les entreprises et dans nombre de cellules sociales. Mais ce cadeau empoisonné signifiait que les syndicats étaient désormais condamnés à appuyer le gouvernement en place dans son désir de défaire le système capitaliste. Rien de tout cela ne s'est produit Mais au niveau des principes les syndicats avaient trahi la démocratie en s'inféodant aux dirigeants politiques. Il nous faut rechercher pour quelles raisons le syndicalisme, qui peut être le fer de lance de la démocratie, peut aussi en devenir le fossoyeur.
La
pol1ttsatton syndicale
Il y a d'abord la vieille idée de Lénine: se servir des syndicats comme d'un levier idéologique au service des partis. Dans cet esprit, la grève ne doit plus être «économique », c'est-àdire recherche des améliorations de salaires ou de conditions de travail pour les salariés, mais «politique»: concourir à la déstabilisation de l'État capitaliste et à la prise de pouvoir par le prolétariat. Marx lui-même avait prôné une action d'usure des gouvernements par la grève :
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L'agitation, expliquait-il, est purement économique lorsque les ouvriers tentent par le moyen de la grève en une seule usine, ou même une branche d'industrie, d'obtenir des capitalistes privés une réduction du temps de travail; en revanche, elle est politique quand ils arrachent de force une loi fIXant ~ huit heures la journée de travail [1261.
On aura noté au passage que la grève politique est générale, et qu'elle aboutit à modifier l'équilibre politique du pays de façon durable en provoquant un changement dans le Droit du travail. On trouvera une autre formulation de la politisation de l'action syndicale dans une thèse plus récente, appelée «thèse radicale» ou «théorie du cycle politico-économique marxiste », dont l'origine remonte à l'économiste de Cambridge, Kalecki [971. A la suite de Kalecki, un certain nombre d'économistes ont estimé que la manière dont le syndicat pouvait mener une lutte politique était l'exploitation du cycle économique [171, 21, 651. A supposer que le cycle économique soit une fatalité du système capitaliste (ce qui reste à prouver), il y aurait des phases du cycle, et notamment les phases de dépression et de relance, pendant lesquelles les syndicats se trouveraient être les alliés objectifs de l'État contre les capitalistes. Cela peut paraître curieux puisque l'État est censé être l'instrument d'oppression entre les mains des capitalistes, mais l'apparente contradiction s'évanouit - pour ces auteurs - quand on considère qu'en période de crise les gouvernements (quelles que soient leurs couleurs politiques) prennent des mesures de relance qui font aussi bien l'affaire des capitalistes que celle des syndicats. Les syndicats obtiennent à cette occasion des augmentations de salaires nominaux (qui renforcent leurs positions) et surtout des législations qui leur sont plus favorables. Cette thèse est contestable - ne serait-ce que parce qu'on peut douter de la possibilité pour les syndicats de provoquer et d'exploiter un cycle économique dont l'origine est davantage liée au dirigisme étatique qu'à l'organisation systématique du chômage par les capitalistes. Mais il est intéressant de noter que de très nombreux syndicalistes, formés à l'école des marxistes et des néomarxistes, retiennent de la leçon que le but à rechercher est d'obtenir des changements durables dans le Droit du travail, et que l'on peut
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compter sur l'État pour offrir ces changements - pour peu que l'État soit mis en difficulté par une conjoncture politique ou sociale à laquelle on peut toujours donner un coup de pouce. Mais est-il réellement nécessaire que le syndicat soit « politisé» pour se livrer à ce calcul? Le syndicat peut très bien influencer le politique sans pour autant vouloir faire de la politique. C'est un problème d'intérêts bien compris des deux côtés: hommes politiques et syndicats peuvent faire cause commune à l'issue d'un marché prometteur. Quel est ce marché? Le politique utilise la législation pour attribuer des privilèges légaux aux syndicats j en échange, les syndicats soutiennent le politique. Le comportement des syndicats sur ce que l'on appelle « le marché politique» est alors simplement celui d'un groupe de pression.
Faire pression pourquoi? Les syndicats, en dehors de la prise complète du pouvoir dans la société, peuvent attendre beaucoup d'une présence sur le marché politique. Au minimum on peut évoquer: de l'argent, des privilèges, de l'influence. L'argent « politique» n'est pas la seule source financière des syndicats. Théoriquement, les syndicats devraient fonctionner, pour l'essentiel, avec l'argent des cotisations syndicales. Mais les cotisations rentrent mal, surtout depuis quelques années, et les cotisations mettent les dirigeants syndicaux en situation de dépendance (plus ou moins réelle) par rapport à «la base ». L'argent politique est donc un relais doublement appréciable, et dans certains syndicats français, il est au moins aussi important que l'argent des cotisations. Les sommes que perçoivent les syndicats sont principalement composées en France des crédits d'heures syndicales que reçoivent les délégués syndicaux. Annuellement, ces crédits représentent quelque chose comme 2 millions d'heures, soit, aux taux moyen de 37,50 F, 75 millions de francs. Ce n'est pas grand-chose apparemment, mais pour un syndicat comme la CFDT, ce qui est perçu au titre des heures syndicales est supérieur au montant total des cotisations versées par les adhérents.
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Il faut ajouter aux crédits d'heures syndicales les mines d'or que représentent les budgets des comités d'établissements et d'entreprises. Certains exemples sont spectaculaires, au point d'avoir parfois défrayé la chronique. Le comité d'entreprise d'Électricité de France perçoit 1 % des factures d'électricité émises en France. Celui de la Régie Renault emploie 2000 personnes, dispose d'une bibliothèque plus importante (en nombre de volumes) que la Bibliothèque nationale. Le comité d'entreprise de la SNCF gère un patrimoine immobilier de plusieurs milliards de francs, etc. Sans doute ces ressources appartiennent-elles aux comités. Mais on sait pertinemment que les syndicats ont fait main basse sur les comités. Sans doute ces ressources sont-elles en partie dues à l'initiative des entreprises (et singulièrement des entreprises publiques) i mais les entreprises n'agissent le plus souvent que dans un cadre tracé par le législateur, quand ce n'est pas à la demande expresse du pouvoir politique. Si Renault est devenue la «vitrine sociale» de la France, cela a été dû bien davantage à l'intervention des gouvernements successifs, sous la pression de la CGT, qu'aux désirs des directions qui se sont contentées de subir. Mais l'argent ne suffit pas à asseoir la puissance syndicale. Il a fallu trouver auprès du politique de nombreux privilèges qui viennent garantir l'efficacité du cartel. Le privilège qui fait le plus couler d'encre dans notre pays est celui de la représentativité. Cette représentativité permet aux syndicats qui en bénéficient, d'une part de participer aux négociations collectives, d'autre part de disposer d'un monopole de présentation des candidats aux élections sociales qui désignent les délégués du personnel et les élus aux comités d'entreprises i c'est-à-dire qui établissent en fait le pouvoir syndical légal à l'intérieur de l'entreprise. Les lois Auroux ont même ajouté un nouveau monopole: celui de l'expression des salariés. Or, comme on le sait, la représentativité n'est accordée qu'à un très petit nombre de syndicats français, et au niveau des confédérations syndicales, seules cinq d'entre elles y ont accédé, grâce à l'adoption de critères de représentativité qui n'ont rien de «démocratiques ». De sorte que les syndicats très discrédités dans les rangs des salariés, et dont les effectifs fondent comme neige au soleil, continuent à parler au nom
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de l'ensemble du personnel, et par leur signature engagent tous les salariés d'une entreprise, voire même d'une branche. Cette situation constitue un privilège légal considérable, qui conforte le cartel. Il faut bien reconnaître que ces privilèges français sont peu de choses en comparaison de ce que les syndicats ont réussi à obtenir dans les pays anglo-saxons (mais qui sont sérieusement remis en cause aujourd'hui). Ces privilèges syndicaux sont aussi de plus en plus mal perçus par nombre de personnes. Jusqu'à une période récente, les instances patronales trouvaient un certain intérêt à avoir en face d'elles comme négociateurs des «partenaires sociaux» bénéficiant de la fameuse représentativité i depuis quelques années, les chefs d'entreprises se demandent si les vrais partenaires ne sont pas les salariés de leurs propres entreprises, considérés personnellement et en toute indépendance des intermédiaires syndicaux. De leur côté les salariés de la «base» supportent de moins en moins le joug syndical et le manifestent soit en s'abstenant dans les élections sociales soit en déclenchant des grèves «sauvages» que les syndicats tentent de récupérer avec la complicité de l'État ou des entrepreneurs. Les syndicats savent donc pertinemment que leurs positions sont souvent suspendues à des privilèges, qu'ils essaient d'élargir, mais comme ils savent aussi que ces privilèges sont mal reçus de certains et pourraient être remis en cause, ils cherchent également à obtenir du politique les moyens d'accroître leur audience et de faire partager leurs thèses. A la recherche d'influence, les syndicats demandent donc aux pouvoirs publics des «biens politiques» qui leur permettent de démontrer à la population qu'ils sont les défenseurs de l'intérêt général. Parmi ces biens politiques, il y a la politique macroéconomique elle-même, que les syndicats cherchent à infléchir dans le sens de l'expansion et de la relance, qu'ils croient compatibles avec le plein emploi (mais qui ne crée en fait qu'inflation et chômage). Mais il y a aussi d'autres «biens politiques» réclamés par les syndicats: nationalisations, subventions à certaines entreprises, réduction de la durée du travail hebdomadaire, abaissement de l'âge de la retraite, accroissement des salaires minimaux, équipements collectifs et sociaux, aménagement du territoire, etc. Dans tous ces
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cas, les syndicats peuvent se parer, aux yeux du grand public, des mesures prises par le pouvoir politique. A l'avant-garde du progrès social, les syndicats espèrent empocher les profits de la démagogie politique. Cependant, pour que l'influence des syndicats dans l'opinion publique soit durable, il faut qu'ils apportent la preuve que ledit «progrès social» ne peut exister sans eux. D'où leur pétition pour se voir reconnaître le label de «biens publics» pour leurs initiatives, et pour obtenir le monopole de représentativité qui va de pair. Mais comme Mancur OIson l'a indiqué, un syndicat qui obtiendrait beaucoup de biens politiques sans avoir pris la précaution d'obtenir un monopole serait victime des free rlders, c'est-à-dire de tous ceux qui «bénéficieraient» des initiatives politico-syndicales sans payer quoi que ce soit aux syndicats (142). Hubert Landier explique que les syndicats français ont justement souffert de n'avoir pas assez « verrouillé» leur monopole et ont donc dû subir une perte d'influence (102). Mais on peut aussi soutenir l'idée que les syndicats s'occupent moins en France d'avoir une influence sur le grand public que d'exercer une influence sur les hommes politiques directement. Tant que le pouvoir est à leurs côtés, ils sont tranquilles. Cela explique pourquoi les syndicats inspirent de moins en moins confiance aux Français, mais ont une position toujours aussi forte dans la vie politique et sociale: ils ont pour eux la législation et les droits acquis; ils désamorcent toute volonté de changement de la part des hommes politiques. En fin de compte, la théorie économique rend assez bien compte de ce que veulent les syndicats sur le marché politique avec le modèle proposé par l'économiste canadien Albert Breton (23) qui lie la «demande de politique» des syndicats à quelques considérations principales: le revenu financier que les syndicats retirent de la politique, les avantages spécifiques que les syndicats obtiendront pour leurs adhérents, les avantages indirects que les syndicats obitendront pour tous, et, en contre-partie, les «prix fiscaux» que représentent tous ces résultats pour l'ensemble des contribuables. Cela ne veut pas dire que les syndicats se préoccupent de l'incidence fiscale des mesures qu'ils cherchent à obtenir du politique, mais que les syndicats sont en mesure d'apprécier les réactions de rejet qu'ils
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susciteraient en allant trop loin dans leur demande de politique. Le comportement des syndicats en tant que demandeurs de politique est donc conforme à celui de n'importe quel groupe de pression. On retrouve ici toutes les conclusions de la théories des lobbies formulée par Gary Becker [191, avec notamment quelques points très importants : les syndicats, comme tout groupe de pression, doivent plaider qu'ils agissent au nom de l'intérêt général, et non de leurs intérêts particuliers. Ils doivent se présenter comme producteurs de «biens publics» et obtenir un monopole de représentation en conséquence. Les syndicats, comme tout groupe de pression, réalisent un véritable investissement lorsqu'ils recherchent des biens politiques, parce que ces biens politiques leur permettront à leur tour de disposer d'un flux régulier de finances et de pouvoir. L'investissement justifie donc que les syndicats prennent du temps et des moyens pour arriver à leurs fins. Les syndicats ne «perdent pas leur temps» sur le marché politique, bien au contraire ils s'y constituent un capital qu'il pourront exploiter durablement. Ils sont donc plus occupés à arpenter les antichambres du Parlement et des ministères qu'à écouter les réactions des bureaux et des ateliers. De la même façon que certains industriels en difficulté attendent davantage des décisions d'un ministre complaisant que des gains de productivité qu'ils pourraient réaliser dans leurs entreprises, ou des contrats qu'ils pourraient négocier à l'étranger. Ou de la même façon que les paysans français attendent davantage de Bruxelles et du protectionnisme européen que de la modernisation de leurs techniques de production et de commercialisation.
Faire pression comment? On comprend les objectifs poursuivis par les syndicats sur le marché politique, mais comment interpréter l'attitude des hommes politiques? Pourquoi font-ils alliance avec les syndicats? C'est que les syndicats peuvent rendre un certain nombre de services aux politiciens, notamment à l'occasion des élections. De sorte que si les syndicats demandent des interventions, les politiciens en offrent. Pour reprendre encore ici une expression d'Albert Breton, il y a une «offre de politique ». De quoi va-t-elle dépendre?
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En quoi les syndicats sont-ils utiles au politique? La réponse est à rechercher dans l'obsession électorale, le fait que les hommes politiques, avant tout autre objectif majeur, s'occupent de maximiser leurs chances d'être élus ou réélus. Ce comportement des hommes politiques est désormais bien analysé par la science économique. Ce sont les travaux pionniers de James Buchanan et Gordon Tullock qui ont fortement contribué à démystifier le jeu politique [30]. Ce jeu n'est pas tellement agité par l'intérêt général - qu'au demeurant il est impossible de déduire d'une procédure de vote, comme le montrent le paradoxe de Condorcet et le fameux théorème d'Arrow - que par l'intérêt que les hommes politiques trouvent personnellement à être élus (pour satisfaire des ambitions idéologiques ou par goût du pouvoir ou par cupidité, c'est un autre problème). Dans leur désir d'élection, les hommes politiques rencontrent de manière générale des interlocuteurs privilégiés qui sont les groupes de pression, et parmi ces interlocuteurs et ces groupes les syndicats sont souvent les plus « intéressants». Les syndicats ont pour les politiques un premier avantage ; ils sont des agents électoraux de qualité, et diminuent les coûts de la campagne. Ce sont des «grands électeurs », qui peuvent influencer le vote des citoyens. Pourquoi cette influence? Elle a au moins quatre
ratsons. La premtère est appelée le «paradoxe de l'électeur»; cette expression signifie qu'un citoyen est fier d'avoir un droit de vote (en fonction du principe du suffrage universel un homme une voix), mais qu'il a en même temps conscience que ce droit de vote individuel est complètement inefficace [189]. Le citoyen qui vote est plus libre, grâce à l'individualisation du vote, mais l'individualisation du vote n'est d'aucun secours parce que l'électeur a bien compris que ce n'est pas une voix qui change l'issue de l'élection. Il est alors tenté d'agréger sa voix à d'autres, et de noyer son individualité dans un vote collectif; c'est le mot d'ordre syndical. Dewdème ratson du vote syndical: le syndicat appartient à la classe média, il produit des informations destinées à la collectivité j il dispense donc l'électeur d'aller se renseigner sur les programmes et
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les candidats, dispense les candidats d'aller trouver individuellement l'électeur. Le syndicat est un intermédiaire réducteur de coûts d'information politique. Quelques slogans bien conçus, une campagne dans la presse, sur les lieux de travail, permettent de «guider» l'électeur; comme le fait remarquer Gordon Tullock, la persuasion syndicale se fait d'autant plus facilement que ses coûts sont faibles, car le syndicat dispose déjà des moyens d'information voire de conditionnement nécessaires. Une trotstème ratson de l'influence syndicale est à rechercher dans le phénomène abstentionniste. Rosenthal et Sen ont étudié les liens entre conjoncture politique et participation électorale [1661. Ils en concluent que les abstentionnistes sont très sensibles aux mots d'ordre des coalitions, et en particulier des coalitions syndicales. En demandant à leurs adhérents de s'abstenir, les syndicats obtiennent ainsi un pouvoir de marchandage (log-rolltng) vis-à-vis de la classe politique, surtout s'il y a deux tours d'élection. De même - et c'est le dernier point fort des syndicats - il apparaît que les chômeurs participent au vote plus intensément que le reste de la population et sont en général plus sensibles aux mots d'ordre syndicaux. Ainsi, les syndicats ont intérêt à «monnayer» leur influence électorale auprès des hommes politiques. Ils le feront d'autant mieux qu'ils apparaîtront politiquement neutres, et susceptibles de faire la balance entre les deux camps en présence (dans le cas d'un schéma d'élections bipolaires). C'est une application au syndicat du fameux théorème de «l'électeur médian» de Buchanan et Tullock: les hommes politiques organisent leur campagne non pas en fonction des électeurs convaincus (dont ils pensent être définitivement propriétaires des votes), mais des indécis qui peuvent faire pencher la balance [186]. Chaque fois que les syndicats peuvent feindre l'indécision, ils seront plus efficaces. Cela expliquerait pourquoi les syndicats français sont, tout compte fait, moins puissants: ils sont trop politisés, c'est-à-dire trop proches des partis politiques pour laisser planer un doute sur les consignes de vote (ou d'abstention) qu'ils donneront. Si les syndicats français ont quelque avantage à faire prévaloir auprès des hommes politiques, c'est surtout celui de réducteurs des coûts d'information. Cet avantage n'est pas
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négligeable, quand on sait qu'il y a en général une corrélation étroite entre les frais de campagne et le résultat des élections [148]. Au total, les syndicats ne manquent pas de moyens de faire prévaloir leur point de vue dans les compétitions électorales, et d'obtenir des promesses de la part des hommes politiques. Mais se pose un problème, bien connu en politique: les promesses seront-elles tenues? Comme tous les autres groupes de pression, les syndicats peuvent espérer que les hommes politiques seront fidèles à leurs promesses sous peine de ne pas être réélus la prochaine fois. Mais cela ramène la sanction - au demeurant incertaine - à l'échéance électorale suivante, c'est-à-dire souvent trois ou quatre ans plus tard (tout dépend de la façon dont se présente le calendrier électoral). A la différence des autres groupes de pression, les syndicats disposent d'un moyen efficace pour obtenir sans délai la livraison des produits politiques qui leur sont promis. Ce moyen est celui de l'action dans le secteur public, et notamment de la grève dans le secteur public, arme absolue du pouvoir politique syndical.
L'arme absolue du pouvotr poltttque syndtcal Le secteur recouvre non seulement l'administration traditionnelle
productrice de services publics, mais aussi les entreprises publiques. Ce secteur public ne cesse d'augmenter, sous l'effet même du jeu du marché politique. Le secteur public a pour première caractéristique de faire de l'État un employeur, et bien souvent le premier employeur du pays. En France, l'État se trouve à la tête de 6 SOO 000 salariés, soit 28 % de la population active. La deuxième caractéristique est que ce secteur échappe, pour l'essentiel, aux rigueurs du marché et de la concurrence. C'est clair pour les services publics dotés d'un monopole - et ils sont nombreux. Mais c'est également vrai pour les entreprises publiques dites « du secteur concurrentiel ». Car la concurrence en question est tout à fait théorique: les entreprises publiques bénéfident du soutient de l'État sous diverses formes et ne courent pratiquement aucun risque de disparaitre, même si leurs performances sont mauvaises. La belle indépendance dont jouit le secteur public à l'égard de tout impératif
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de rentabilité permet d'assurer une stabilité de l'emploi presque totale, et de déconnecter niveau de rémunération et niveau de productivité. Ces conditions sont idéales pour l'action syndicale. Ainsi, à travers l'État employeur, les syndicats peuvent chercher à atteindre les hommes politiques, pour les mettre en demeure de tenir leurs promesses et de leur donner les avantages attendus. Ils reçoivent le renfort très appréciable de la bureaucratie. Au sein du secteur public, les bureaucrates occupent une place à part, et de plus en plus large, Car ce sont eux qui mettent en application les choix politiques effectués. De leur comportement dépendent les mesures favorables ou défavorables aux syndicats. Or, les bureaucrates, euxmêmes syndiqués, ont intérêt à ce que la pression syndicale soit puissante. Les bureaucrates obéissent à une logique qui a été bien analysée par William Niskanen [1371. Le jeu du bureaucrate est d'élargir sans cesse son pouvoir - qui détermine à son tour son revenu. Et, dans l'administration, le pouvoir se mesure à l'importance du budget géré. Les bureaucrates ont donc tendance à privilégier toutes les décisions politiques qui vont dans le sens d'un gonflement des budgets publics. Comme l'action syndicale se traduit nécessairement par un surcroît de charges budgétaires, elle entre dans les vues de la bureaucratie. Un échange de bons procédés s'organise entre bureaucratie et syndicalisme, d'autant plus facile que les syndicats ont investi dans la bureaucratie et ont créé un «syndicalisme de corps»: les bureaucrates soutiennent l'action syndicale, et les syndicats donnent à la bureaucratie pouvoir et budget. Dans cette affaire, ce sont les hommes politiques qui sont court-circuités. Ils croient gouverner j en réalité le pouvoir véritable leur échappe parce qu'il y a eu coalition entre la bureaucratie et les syndicats. C'est la «syndicratie », pour employer une expression de Gérard Bramoullé. Il n'est pas jusqu'à la politique budgétaire qui échappe réellement aux dirigeants politiques: la pression de la syndicratie aboutit à imprimer aux dépenses publiques un rythme qui est choisi par les syndicats, et non par le Parlement. Supposons toutefois qu'en dépit de cette complicité entre bureaucrates et syndicats, en dépit de la présence syndicale dans les entreprises publiques, les hommes politiques ne fassent pas ce que
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souhaitent les syndicats. Il reste aux syndicats un dernier recours d'une efficacité totale : la grève. La grève dans le secteur public est plus puissante que la grève dans le secteur privé parce qu'elle touche l'ensemble du pays. Le syndicat se trouve en possession d'un instrument d'exercice de violence légale utilisé stratégiquement pour tenter de paralyser toutes les activités : transports, électricité, télécommunications. Différente par son efficacité, la grève dans le secteur public est aussi différente par sa nature. Pour les salariés de l'industrie privée, action directe signifie action sur l'employeur en dehors des pouvoirs publics j pour les salariés de la fonction publique, action directe signifie action sur les pouvoirs publics qui sont les employeurs [1041. La grève cesse d'être microéconomique pour devenir macropolitique. Les syndicats disposent ainsi d'un pouvoir quasi militaire, qui grandit avec le secteur public lui-même. Voilà pourquoi les syndicats ont été les plus chauds partisans des programmes de nationalisations, et les plus violents adversaires du «démantèlement des services publics», c'est-à-dire des privatisations. C'est donc sans doute une erreur, pour les gouvernements qui prétendent s'affranchir des pressions syndicales, que de ne pas privatiser les entreprises ayant un «caractère de service public», alors même que ce sont ces entreprises qui sont la base du pouvoir absolu des syndicats. Par comparaison, les entreprises publiques du secteur concurrentiel encourent au minimum le contrôle par les clients, alors qu'ici les usagers sont les otages de l'action syndicale. En même temps que les usagers, les dirigeants politiques sont euxmêmes piégés par les syndicats, Et, en même temps que les usagers et les dirigeants politiques, la démocratie elle-même se trouve menacée. La
démocratie recule avec les
conqu~tes
syndtcales
Le droit de grève est, comme nous l'avons déjà rappelé, une sérieuse entorse à l'état de droit. Il n'en a pas toujours été ainsi. On peut rappeler que le droit de grève a été un droit reconnu à tout travailleur, individuellement, en
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1864, c'est-à-dire vingt ans avant la reconnaissance des syndicats (1884). Mais, dès que les syndicats ont été reconnus, le droit de grève est devenu un droit collectif et une «liberté publique». Ce faisant, le législateur a accepté le principe d'une règle juridique conduisant une coalition à se faire justice à elle-même. Sans doute le caractère individuel du droit n'a-t-il pas complètement disparu: le travailleur a le choix entre travailler ou cesser de travailler. Mais l'exercice du droit de grève est toujours collectif. Le pouvoir de la coalition est incontestable. Et ce pouvoir ne peut être efficace que s'il est nuisible. Contrairement aux autres libertés, la liberté de grève exercée collectivement devient une liberté de nuire. Cette nocivité est consubstantielle à la grève i car la grève ne peut réussir que si le dommage causé à l'employeur ou à l'État est assez grave pour l'amener à céder. Elle est donc une possibilité légale de s'engager dans une épreuve de force [1731. L'État a concédé là une «délégation de violence» qui porte atteinte à son monopole de la contrainte. Quand un État n'a plus le monopole de la contrainte, il n'y a plus d'État. Assez curieusement, il y a une dialectique entre la croissance de l'État et la faiblesse de l'État. Par la croissance du secteur public, l'État devient la proie plus facile de tous les corporatismes, et singulièrement du syndicalisme qui dispose de plus du pouvoir quasi militaire. Rappelons le diagnostic d'Hayek: De nombreux défauts graves de l'institution gouvernementale contemporaine, défauts largement reconnus et déplorés, mais que l'on croit être la conséquence inévitable de la démocratie, résultent en fait seulement du caractère illimité de la démocratie actuelle. L'on n'a pas encore vu clairement ce fait fondamental que dans cette forme de gouvernement, lorsqu'un pouvoir quelconque est reconnu par la constitution du gouvernement, celui-ci peut être contraint à l'appliquer même contre son meilleur jugement, si les bénéficiaires sont l'un de ces groupes «charnières» qui tiennent à leur merci la majorité gouvernementale. Il s'ensuit que l'appareil des intérêts organisés, qui n'a d'autre but que d'exercer une pression sur les gouvernements devient le mauvais génie le plus redoutable qui force le gouvernement à des actions nuisibles ... Le gouvernement démocratique, s'il est nominalement omnipotent, devient par là-même extrêmement faible; ses pouvoirs illimités en font l'enjeu que se disputent les divers intérêts et il doit
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donner satisfaction i suffisamment d'entre eux pour s'assurer l'appui d'une majorité [81].
A l'arbitraire des syndicats qui s'exerce ~ travers le droit de grève, tel qu'il est organisé aujourd'hui (et spécialement dans le secteur public) s'ajoute l'arbitraire des syndicats ~ travers la bureaucratie. Raymond Aron faisait ce diagnostic: C'est une vieille idée, mais une idée encore vraie, que l'extension progressive des activités étatiques entraîne la prolifération des décisions ou des règlements administratifs, sur lesquels le contrôle démocratique par les représentants de la nation s'exerce malaisément. L'État moderne devient de plus en plus bureaucratique et de moins en moins démocratique, si l'on veut suggérer par cette formule le rôle croissant des fonctionnaires et le déclin des législateurs. Qu'il y ait li un danger pour les droits individuels, qu'il importe donc de garantir ceux-ci ou de les protéger, il faudrait un optimisme aveugle pour le nier.
Les bureaucrates sont devenus des « surcitoyens ~ qui échappent ~ tout contrôle j mieux: qui placent les dirigeants politiques sous leur coupe. Car, vis-~-vis des hommes politiques, les bureaucrates disposent de l'information qui leur manque, et leur intervention est absolument nécessaire pour traduire dans les faits les projets politiques auxquels les politiciens se sont engagés devant leurs électeurs. Il est peu probable, comme on l'entend souvent dire, que la bureaucratie puisse être contenue par un renforcement du contrôle des élus sur les fonctionnaires, parce qu'en réalité les élus ne peuvent fonctionner sans les fonctionnaires. Ainsi, peu ~ peu, la nation s'est livrée aux pressions des syndicats. Pressions efficaces grâce au droit de grève, grâce ~ l'étendue du secteur public, et grâce ~ la bureaucratie. Mais pressions efficaces ~ un tel point qu'elles privent en définitive les dirigeants politiques de tout pouvoir, et qu'elles vident la démocratie de tout contenu. A cela certains opposeront sans doute que s'il en est ainsi, c'est une compensation utile dans nos démocraties contemporaines poiIr juguler le pouvoir de l'argent et l'arbitraire des possédants j ce serait une manière de redonner aux travailleurs des libertés « réelles».
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Il est douteux qu'on puisse définir la démocratie comme une situation d'équilibre social où des groupes exerçant des pressions diverses aboutiraient à une situation tolérable pour tous. En effet, on ne voit pas par quel miracle la volonté hégémonique des uns serait exactement compensée par celle des autres. Comme son nom le suggère, l'hégémonie a une vocation totale, voire même totalitaire. Pour les libéraux, la démocratie ne se conçoit que dans un état de droit. Elle est un moyen de protéger les minorités contre les abus du pouvoir politique, contre l'arbitraire des majorités, et non pas d'imposer à certaines minorités les solutions arbitrairement choisies par d'autres minorités; ni de soumettre les minorités au pouvoir politique sous prétexte qu'il est « démocratique» - c'est-à-dire issu d'un vote majoritaire. Comme le rappelle Hayek, la démocratie, comme toutes les grandes idées sociales, a un contenu purement négatif; elle permet de se garder de l'erreur, elle n'est pas source de vérité. Par ailleurs, il n'est pas évident que les syndicats aient pour souci permanent le rééquilibrage social et la défense des intérêts de leurs adhérents. Il n'est pas sûr que les « conquêtes syndicales» aient été toujours de vraies progrès sociaux. Elles ont à l'inverse arrangé les affaires des leaders syndicaux. En fin de compte, les syndicats, dans leur fonctionnement interne, ne sont peut-être pas aussi « démocratiques» qu'on le dit.
Le syndicat, firme mana8~/e?
Les premiers doutes sur la démocratie syndicale sont apparus lorsque certains économistes se sont lancés dans l'analyse des organisations. Les organisations ne sont pas des « boîtes noires», qui existent par hasard dans la société et produisent des résultats miraruleux. EUes existent pour servir des intérêts bien partiruliers, et qui sont par priorité les intérêts des membres de l'organisation. Ainsi l'État n'est-il pas l'État, mais un ensemble d'hommes politiques, de fonctionnaires ayant leurs propres besoins et leurs propres contraintes. Ainsi, l'entreprise n'est-elle pas l'entreprise, mais des entrepreneurs, du personnel, des actionnaires, des dirigeants. Ainsi,
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le syndicat n'est pas le syndicat, mais des leaders syndicaux et des adhérents. L'étude des organisations consiste donc à découvrir les intérêts personnels en cause et la liaison qui peut s'établir entre ces intérêts. Les travaux de l'école des droits de propriété nous apprennent que le jeu des intérêts individuels au sein d'une organisation est réglé d'après la façon dont sont distribués les droits de propriété. L'exemple le plus simple est celui de l'entreprise. Pour savoir comment fonctionne une entreprise, il suffit de se demander qui est titulaire du droit de propriété. Si l'entreprise est individuelle, il y a intersection, voire même confusion, entre le patrimoine de l'entrepreneur et le capital de l'entreprise. Dans ces conditions, l'entrepreneur a tout intérêt à ce que le capital de l'entreprise soit valorisé. A l'autre extrême, si l'entreprise est publique, il n'y a pas de propriétaire bien identifié; c'est tout le monde et personne à la fois (res utltus res nulltusJ; il serait donc très surprenant que quelqu'un se sente responsable au point de tirer tout le parti possible de l'entreprise, car qui bénéficierait personnellement de cette recherche de performance? Un cas intéressant, et qui nous rapproche des syndicats, est celui où l'entreprise est la propriété de certains, mais est dirigée par d'autres. C'est ce que l'on appelle la « firme managériale». Dans une société par actions, il y a d'un côté les actionnaires, propriétaires du capital social, et de l'autre les dirigeants ou managers, qui exercent vraiment le pouvoir de gestion de l'entreprise (164). La théorie de la firme managériale indique quelles sont les difficultés qu'elle va rencontrer: les managers ne vont-ils pas gérer l'entreprise dans un sens peu conforme aux intérêts des actionnaires? Quel avantage les managers trouvent-ils à distribuer des dividendes, à valoriser les actifs? Quel est le contrôle que les actionnaires peuvent réellement exercer sur des managers qui ont pour eux la compétence, l'information? Ordinairement, les économistes se montrent assez pessimistes sur l'efficacité des contrôles juridiques prévus par le droit des sociétés: les actionnaires ne peuvent utilement participer aux assemblées générales et sanctionner les dirigeants. Exercer ce type de contrôle serait trop coûteux, et sans doute inefficace. Fort heureusement, les actionnaires
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ont un contrôle indirect à travers le marché financier. Comme le rappelle Henry Manne, les dirigeants sont menacés par la baisse des cours des actions des entreprises qu'ils gèrent [121]. Une offre publique d'achat est possible chaque fois que quelqu'un d'étranger à l'entreprise estime qu'elle est actuellement mal dirigée, son capital social mal valorisé, et se propose de faire mieux. L'OPA est une sanction à laquelle n'échappent pas des dirigeants qui ne feraient pas correctement leur métier. Mais l'OPA n'est possible que si les dirigeants perdent la confiance des actionnaires. Ainsi les actionnaires sont-ils, en dernière analyse, en mesure d'exercer un contrôle efficace. C'est le « vote avec les pieds », encore appelé exit ou « procédure de mobilité» : ceux qui sont mécontents s'en vont. En quoi cette analyse de la firme managériale concerne-t-elle les syndicats? Elle permet de mieux comprendre ce qui se passe dans les relations entre les leaders syndicaux et les adhérents. Les leaders syndicaux sont comparables aux managers, et les adhérents aux actionnaires. Comme dans une firme managériale se pose le problème du contrôle. Comme les actionnaires, les adhérents n'ont qu'un pouvoir théorique de contrôle juridique. Les adhérents ne participent pas vraiment à la vie de leurs syndicats, et quand bien mêmes ils assisteraient aux assemblées générales et voteraient pour la désignation des leaders, ils n'ont pas les moyens de porter un jugement véritable sur l'action passée et future des candidats. Comme les actionnaires, il leur faudrait engager des coûts d'information considérables pour se renseigner sur la vie du syndicat. Comme les managers, les leaders syndicaux ont l'avantage de l'information. Ils connaissent leurs dossiers, ceux de l'entreprise ou de la branche. Mais là s'arrête la ressemblance entre syndicats et firme managériale. Apparaissent deux différences fondamentales : sur les droits de propriété, sur les buts de l'organisation. On peut admettre que les adhérents du syndicat sont propriétaires pour une part du capital du syndical Ce capital n'est pas constitué que des actifs immobiliers ou mobiliers détenus par le syndicat. Il contient encore et surtout le pouvoir politique que le syndicat a réussi à se faire reconnaitre Oes «biens politiques» obtenus par pression sur
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le marché politique). Mais quel droit véritable confère cette propriété du capital syndical? A la différence de l'action de l'entreprise sociétaire, la part de propriété du capital syndical n'est pas négociable. L'adhérent a sans doute la possibilité de changer de syndicat. Mais il ne peut pas négocier son départ du syndicat actuel. D'ailleurs, dans bien des cas, l'adhérent n'a qu'un pouvoir de choix très limité: lorsque, par exemple, le syndicat a obtenu le monopole de la représentativité dans son entreprise ou dans sa branche. Voter avec ses pieds n'est donc pas toujours possible. Quand on sait, par ailleurs, que la puissance politique des syndicats ne se mesure pas au nombre de leurs adhérents, mais au capital non transférable qu'ils ont constitué, le départ des adhérents ne gêne pas fondamentalement les leaders syndicaux. On peut d'ailleurs se demander s'il n'existe pas une sorte d'entente implicite entre syndicats pour segmenter le marché du travail et éviter ainsi la mobilité des adhérents. Cette idée est accréditée: d'un côté, par le fait que le nombre de secteurs où il y a une véritable concurrence syndicale est faible en comparaison de celui des secteurs où un syndicat domine largement les autres; d'un autre côté, par le fait que ce sont tous les syndicats qui perdent des adhérents en même temps. Le vote avec les pieds se traduit donc davantage par une désaffection des salariés :l l'égard du syndicalisme que par passage d'un syndicat :l l'autre. Ainsi les leaders syndicaux sont :l l'abri de la concurrence, alors que les managers de l'entreprise lui sont soumis. Le syndiqué ne peut revendre utilement ses droits de propriété. La deuxième grande différence entre dirigeants d'entreprises et de syndicats est que les syndicats sont réputés être des institutions :l but non lucratif. Dans une entreprise, le profit assure la survie de l'organisation :l terme. Sans profit, les dirigeants ne peuvent espérer aller loin, sauf si l'entreprise bénéficie de subventions ou de protections. Le syndicat est une entreprise subventionnée, qui tire sa pérennité des avantages qu'il se fait reconnaître sur le marché politique. A la différence de l'entreprise qui doit rendre compte à ses propriétaires des chances de survie et de l'évolution du capital en longue période, le syndicat n'a vis-à-vis des syndiqués que des
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obligations de courte période. L'absence de véritable droit de propriété, et l'inutilité du profit, orientent tout naturellement l'action des dirigeants syndicaux vers des résultats immédiats, aussi spectaculaires que possible. Ces résultats ruineront peut-être dans quelques années l'entreprise et le secteur considérés, et avec eux les travailleurs, mais qu'importe? Les syndiqués de demain ne sont pas ceux d'aujourd'hui, et ceux d'aujourd'hui veulent «tout et tout de suite». Faute de pouvoir capitaliser un profit, et dans le but d'assurer leur popularité sur-le-champ et d'être réélus, les leaders syndicaux ont une préférence pour les succès à court terme, qui sont souvent des victoires à la Pyrrhus! On comprend alors qu'une grève, même quand elle ne rapporte pas en longue période plus qu'elle ne coûte aujourd'hui sera poursuivie, parce que les coûts de la grève seront supportés en fait par des adhérents futurs. «Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras» est une devise qui inspire l'action syndicale. Mais elle peut rapidement conduire à des attitudes du type «Après moi le déluge ». Ces comportements, qui seraient dans d'autres circonstances considérés comme suicidaires, sont dans la logique des intérêts des leaders syndicaux et des avantages immédiats des syndiqués. On voit mal, à l'inverse, des actionnaires sacrifier délibérément les chances de plus-value future du capital social en liquidant sur-Iechamp tous les actifs d'une entreprise, ou en accumulant le passif. Conclusion: les syndiqués ne peuvent avoir une vision lucide des conséquences de l'action des leaders syndicaux et ne peuvent en conséquence les contrôler efficacement.
Les syndiqués sont-ils satisfaits ? Analyser les relations entre les syndiqués et leurs leaders en terme de contrôle, par assimilation à l'entreprise (et pour mieux marquer la différence avec l'entreprise) est peut-être toutefois insuffisant. Après tout, le pouvoir et le contrôle sont-ils les véritables aspirations du personnel? Les syndiqués pourraient très bien ne tirer aucun profit véritable de l'action des syndicalistes, mais n'en être pas moins satisfaits.
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Certains économistes, dont de nombreux Français comme Guy Caire ou Sabine Erbes-Seguin, opposent les comportements de maximisation et de satisfaction. Tous les individus, ni tOutes les organisations, disent-ils, n'ont pas pour but de maximiser un résultat. Ils ne recherchent pas nécessairement l'efficacité. «Le militant ouvrier paraît au premier abord le contraire de l' homo œconomicus [371. » Il existerait en effet des satisfactions qui échappent au calcul économique. Guy Caire insiste, par exemple, sur le militantisme ou le désir d'améliorer la condition des travailleurs en général. Sabine Erbes-Seguin souligne la volonté de participation. Apparaît ainsi une autre conception de la démocratie, qui n'est plus ici ni un « mécanisme», ni un « antidote de l'autorité», mais comme une «volonté de participation ». La démocratie serait la possibilité pour les syndiqués de participer à la formulation, à la ratification et à la mise en œuvre de la politique syndicale [61]. En d'autres termes, les syndiqués se trouveraient satisfaits, quel que soit leur sort, du seul fait que ce sort aurait été largement conditionné par des décisions auxquelles ils auraient participé. La distinction entre maximisation et satisfaction est en fait artificielle et largement tautologique dans la mesure où la maximisation s'applique habituellement à des satisfactions. Elle peut vouloir simplement signifier que les satisfactions sont tantôt quantifiables (c'est le cas des satisfactions pécuniaires), tantôt non mesurables, et on réserverait le nom de «satisfactions» à celles-ci. Il est vrai qu'il n'y a jamais eu de doute sur le fait que les syndicats pouvaient présenter des revendications non pécuniaires. Bien souvent, comme on l'a démontré, les leaders syndicaux ont intérêt à agir sur les conditions de travail plutôt que sur le niveau de salaire. Cela ne veut pas dire pour autant que les travailleurs soient inconscients de leurs intérêts ni incapables de faire un calcul avantages-coûts. Admettons que les aspirations des travailleurs les poussent plutôt à du « mieux-être» qu'à du « plus-avoir» j et que leurs satisfactions proviennent non pas des résultats acquis par l'action syndicale, mais du seul fait qu'ils aient pu y participer. Si tel est le cas, a-t-on quelque raison de croire que ces aspirations vers la satisfaction seront comblées? Seront-elles seulement prises en
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compte? On peut en douter, car on ne peut considérer le syndicat comme un groupe homogène. On sait pertinemment, depuis les analyses de Mitchels, qu'il existe une oligarchie syndicale [130]. C'està-dire que si tous les syndiqués sont des militants (ce qui reste à démontrer), tous les militants ne sont pas égaux. Les leaders syndicaux ont en effet leurs intérêts spécifiques, qui est d'accroître leurs moyens et leur pouvoir - avec toutes les satisfactions pécuniaires ou non pécuniaires que cela leur apporte. Au niveau inférieur des militants, seuls ceux qui agissent dans le sens voulu par les leaders ont une chance d'être promus. Un jeu s'organise à l'intérieur de la bureaucratie syndicale, qui consiste, comme l'a démontré Tullock, à introduire des biais successifs par pertes d'information [187]. Comme il est certain que l'information confère le pouvoir, les supérieurs hiérarchiques n'ont aucun intérêt à transmettre la totalité de l'information qu'ils détiennent; ce qui fait que le leader n'est pas davantage informé des aspirations de la base que la base n'est informée des intentions du leader. Dans ces conditions, parler de «participation» est très audacieux. La démocratie syndicale risque d'être un simulacre; la réalité est celle d'une centralisation et d'une perte de l'information. Un tel résultat ne saurait surprendre : il est en effet de plus en plus coûteux de se procurer l'information au fur et à mesure que l'on veut « participer» activement à la vie du syndicat. Pour les gens du sommet, le syndicat est leur raison d'être, alors que pour le syndiqué de base il ne risque apparemment que le montant de sa cotisation. Si le syndiqué de base veut davantage participer, il devient un militant de rang supérieur, et il entre alors dans le jeu décrit plus haut. Sans doute quelques naïfs pourront-ils s'en tenir à quelques signes formels de démocratie et de participation: assemblées générales, votes, expression. Mais ils devraient s'apercevoir assez vite que le pouvoir leur échappe, et que les leaders sont assez jaloux de leurs privilèges. De ce point de vue, il est assez remarquable que les lois Auroux aient consacré le droit à l'expression des salariés, mais en s'empressant de réserver l'usage de ce droit aux représentants syndicaux! Le patronat a répliqué très adroitement en donnant la parole au personnel, dans le cadre des cercles de qualité, par exemple. Mais faire circuler l'information est plus utile à l'entrepreneur qu'au leader syndical. Car
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l'entrepreneur gagne en résultats et en profits quand il fait réellement participer son personnel, alors que le leader syndicaliste y perd en pouvoir! Il se peut donc, en concluston, que certains militants soient satisfaits par l'action syndicale. Mais il s'agira plus vraisemblablement des militants engagés à un niveau suffisant pour retirer des avantages spécifiques de l'action syndicale que des militants de base, dont l'opinion importe peu aux leaders syndicaux, pourvu qu'ils ne contestent pas le pouvoir syndical.
Les syndtqués sont-Us compltces ? L'absence de contestation des leaders n'est-elle pas justement la marque de l'adhésion des syndiqués? Même en supposant que les syndiqués ne participent pas effectivement à la vie syndicale, ne sont-ils pas liés à leurs leaders syndicaux par une complicité évidente? Complicité de classe, disent certains. Complicité contractuelle, disent d'autres en invoquant les « contrats implicites»: tout se passe comme si les syndiqués étaient d'accord, et avaient passé une entente avec leurs leaders, puisque les leaders sont toujours en place, et qu'il n'existe pas de véritable concurrence entre leaders syndicaux. Cette thèse de la complicité a été démantelée par le professeur anglais John Burton . n applique aux syndicats la fameuse théorie de l'ex1t-volce [331 à laquelle il ajoute un troisième élément, la loyalty. Que peut faire un syndiqué qui est mécontent de ses leaders? Il peut voter avec ses pieds, c'est-à-dire aller dans un autre syndicat ou quitter les secteurs syndiqués pour aller vers d'autres secteUrs. Facile à dire, plus difficile à faire. Il faut en effet exclure le cas où les syndicats s'arrangent entre eux pour se partager le marché du travail, et ne se concurrencent pas. n faut aussi exclure tous les cas où le salarié subit une perte de revenus en se déplaçant Dans la plupart des cas, comme l'a analysé Tiébout [1831, le syndiqué est prisonnier du syndicat. La loi peut renforcer cette dépendance, notamment par le jeu des closed shops ou de la représentativité. Les syndicats ont en tout cas bien prévu l'affaire en « quadrillant» le marché du travail, en fractionnant les travailleurs et en augmentant les coûts de la mobilité. Faute d'avoir
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pu s'échapper à temps, les travailleurs se retrouvent victimes de rigidités syndicales, dans la peau de chômeurs naguère surprotégés par leurs syndicats. Il y a, il est vrai, une autre solution: c'est de faire entendre sa voix. La votee, la contestation, peut ébranler les leaders syndicaux. Mais qui en prendra l'initiative? Se lancer tout seul dans la bataille syndicale est coûteux. Pourquoi le faire d'ailleurs; d'autres ne le feront-ils pas tôt ou tard? Cet attentisme est révélateur d'une attitude de free rider: c'est le paradoxe de la participation. Personne ne se donnera la peine de participer à la prise de décision collective; chaque adhérent mécontent attend que les leaders actuels soient changés ... mais ne fait rien pour. Ces coûts d'attente étant d'autant plus élevés que le syndicat sera plus grand, on en tire une conclusion qui ne manque pas d'intérêt: les syndicats plus grands ne confèrent pas plus de pouvoirs à leurs leaders parce qu'ils représentent davantage de syndiqués, mais simplement parce qu'un plus grand nombre de syndiqués rend encore plus difficile la contestation des leaders! En d'autres termes, les leaders des grands syndicats sont indéboulonnables. Comme le dit G. Adam: ... de toutes les grandes organisations politiques et sociales les syndicats possèdent le système de fonctionnement le plus stable et le plus formalisé: les règles sont connues de tous et ne souffrent pas d'exception [1].
On comprend mieux, dans ces conditions, pour quelles raisons le jeu des leaders syndicaux est de faire grandir la taille de leurs syndicats: plus d'adhérents, cela signifie des adhérents plus passifs; plus d'adhérents, c'est aussi plus de pouvoir sur le marché politique. Il reste alors aux adhérents mécontents de se résigner à leur sort et de faire contre mauvaise fortune bon cœur: c'est la« loyauté» à l'égard des leaders, attitude qui consiste à accepter le leader et en retirer le plus possible. Le comportement à l'égard des chefs syndicaux est alors le même que celui que l'on peut avoir à l'égard de l'État. On a intérêt à obéir; on a avantage à retirer des leaders quelques privilèges spécifiques. Georges Stigler a montré qu'il n'y a là
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rien de surprenant [176) : c'est un sous-produit du dirigisme, c'est une conséquence du fonctionnement du marché politique. Par la réglementation, les politiciens accroissent la rentabilité du marché politique pour les entrepreneurs politiques eux-mêmes, et pour les groupes qui financent ou consomment largement les biens politiques. Plus la réglementation est importante, plus le pouvoir des groupes est fort. Or les syndicalistes ont l'immense avantage d'opérer dans un domaine où la réglementation est omniprésente. Et il y a à cela une bonne raison: c'est que les syndicalistes ont eux-mêmes contribué à la multiplication de la réglementation. La boucle est donc bouclée: ce qui renforce le pouvoir des syndicalistes à l'intérieur des syndicats, c'est qu'ils sont un pouvoir fort à l'extérieur des syndicats, sur le marché politique. Ce n'est pas la démocratie qui légitime le pouvoir des leaders syndicaux. Ces leaders sont au contraire titulaires d'un pouvoir que rien ne peut contrôler, et surtout pas les syndiqués. Les syndiqués ne sont ni complices, ni satisfaits, puisque leurs intérêts ne peuvent se rencontrer avec ceux qui inspirent l'action syndicale, et qui concernent les leaders bien plus que la base. Les syndtcats au cœur de la crls.e de la démocratte
Ce qui se passe avec les syndicats n'est hélas qu'une des formes que revêt la crise de la démocratie. Celle-ci est décrite avec lucidité par Hayek: Le système ne produit rien de ce qui correspondrait réellement ~ une opinion majoritaire, mais fonctionne de façon ~ produire d'abord et avant tout ce que chacun des groupes dont le soutien électoral est indispensable pour former une majorité, doit concéder aux autres, en échange de leur soutien sur ce que lui, désire.
Le syndicat tire aujourd'hui tout son pouvoir de sa présence sur le marché politique, comme groupe de pression particulièrement efficace, Il est sans doute le plus efficace de tous, parce qu'il dispose, avec le droit de grève et spécialement le droit de grève dans le secteur public, d'une arme presque absolue.
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La façon dont cette altération de la démocratie a été justifiée est significative. Comme toujours, on a essayé de vanter les mérites des syndicats comme producteurs de « biens publics» : facteurs de paix sociale, structures de dialogue et de participation, forces rééquilibrantes sur un marché du travail asymétrique, agences réductrices de coûts de transaction sur un marché du travail éclaté. Les prétextes n'ont pas manqué. En fait, la réalité est plus prosaïque. Il s'agit d'un cartel qui entend opposer la loi politique à la loi éco:iOmique. Et ce cartel fonctionne au bénéfice de ses leaders, et souvent au détriment de ses membres. Toute volonté de réaction des syndiqués - et des non syndiqués - a été d'avance neutralisée par le verrouillage du droit du travail. Et tout effort d'évolution du droit du travail se heurte à l'arme donnée par le droit de travail: le droit de grève dans sa forme actuelle. Cette conclusion est-elle définitive, et doit-on désespérer de l'avenir des syndicats et de la démocratie? Pas nécessairement, parce qu'il reste sans doute deux possibilités de restaurer et la démocratie et le syndicalisme libre. La première possibilité est le recours à la concurrence. Réintroduire la démocratie dans les syndicats peut se faire à condition que les leaders syndicaux actuels et les syndicats qu'ils dirigent cessent de bénéficier d'un quelconque monopole de représentation et d'un quelconque pouvoir de cartel. La libéralisation du marché du travail, la redécouverte du contrat individuel, la modification des procédures d'élections sociales, la réforme du droit de grève, pourraient rendre à chaque travailleur sa complète liberté à l'égard des syndicats. Il n'est pas vrai que cela signifierait nécessairement la mort des syndicats. Il leur resterait encore et toujours cette fonction irremplaçable d'association volontaire propre à épargner aux travailleurs les coûts de la recherche d'emplois et de conditions de travail qui leur conviennent, et propre à fournir un certain nombre de services qui sont collectifs, sans être publics. Des syndicats ainsi conçus ne tiendraient pas leurs adhérents en otages. Ils pourraient, pour certaines de leurs activités, être concurrencés par d'autres organisations, à but lucratif ou non lucratif:
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conseils en placement, prestataires de loisirs, compagnies d'assurance, établissements d'enseignement ou de formation, etc. Mais imaginer une telle mutation syndicale, c'est admettre par làmême une réforme en profondeur de la société étatisée, et prôner la déréglementation. Car la source de toutes les perversions de la démocratie est bien là. Si l'État et le marché politique ne s'étaient pas faits distributeurs de «droits », c'est-à-dire de rentes, les groupes de pression n'existeraient pas. Les syndicats n'ont été que la réaction intelligente à la philosophie de l'État providence. Mais ils aboutissent aussi à être les serviteurs de l'État totalitaire, à moins que la confusion soit totale entre État et syndicats, comme le veut la doctrine marxiste. Les travailleurs doivent bien comprendre qu'ils ne pourront jamais conquérir l'État et qu'ils seront toujours les sujets de l'État. Il faut donc sortir l'État du circuit des travailleurs, du domaine social, pour le cantonner dans les domaines où il est encore aujourd'hui irremplaçable: la fourniture des vrais biens publics que sont aujourd'hui la défense collective, la police et la justice. La seule façon de sauver la démocratie n'est pas d'inventer la démocratisation de la politique, mais de réduire le champ d'action de la politique. Alors, et alors seulement, les travailleurs et les citoyens pourront librement participer à cette démocratie du quotidien que l'on appelle la concurrence et le marché, sans plus subir l'arbitraire et les illusions de l'État providence. Moins d'État, c'est plus de vraie démocratie l tous les niveaux.
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TABLE ANALYTIQUE
Introduction, 1 1. Pourquoi les syndicats? 5 L'argument de J'assymétrie de pouvoir, 6 L'un peut tout, l'autre ne peut rien, 7 - Le travail n'est pas une denrée homogène, 9 - Un vol de concept, Il - Ne pas confondre le général et le particulier, 13 - L'employeur ne peut pas imposer n'importe quoi,14. L'argument de J'indétermination des salaires, 15. L'élargissement des marchés réduit l'indétermination, 17 - Peut-on exploiter les patrons? 19 - Un exemple: L'Argentine, 20. L'argument du progrès socia~ 21 L'essor du marketing social, 22 - Ne pas prêter aux syndicats ce qui revient au capitalisme, 23. L'argument du pouvoir d'acha~ 24 La chaîne causale est inversée, 24 - Le faux effet Ricardo, 26. La vraie fonction des syndicats: des groupes de pression à vocation
redistributive, 27
Les nouvelles données Institutionnelles, 28 - Les vieiIles lois économiques ne jouent plus, 30 - La théorie du syndicat-cartel, 31 Priorité au court terme, 33 - Objectif nO 1 : rationner l'acœs au métier, 35 - La logique corporative, 36 - Le précédent des professions libérales, 37 - Les miIle manières de boucler un monopole, 39 Même le salaire minimal..., 39 - Fausses indignations et fausses vertus, 41.
212
TABLE ANALYTIQUE La fécondité de J'hypothèse économique, 42
La vérité sur les contrats collectifs, 43 - L'alibi du consensus, 45 - Le dernier recours: le contribuable, 46 - Le syndicaliste vu comme un entrepreneur, 48 - Sa préoccupation: les «passagers clandestins», 49 - La logique de la concentration syndicale, 51 - La dynamique de l'adhésion obligatoire, 52 - France: le législateur supplée aux faiblesses du syndicalisme politique, 54 - Comment l'État assure leur financement obligatoire, 56.
2. Les syndicats sont-ils utiles? 59 Les arguments de Freeman et Medo./f, 61. Les deux armes du travailleur: le départ et la protestation, 61.
Les syndicats réduisent les «coûts de transaction» internes de la filme, 63. 1. Les b:arIs de salaires, 64 - 2. Les avantages en nature, 66 - 3. Les dïmrences de mobili~ 66 - 4. Les ajustements conjoncturels, ô7 - 5. L'importance de l'ancienneté, 67 - 6. Le taux de satisfaction des salari&, 67 - 7. Les effets sur la productivit!, 68 - 8. L'effet sur les profits, 68 - 9. La puissance politique, 69 - 10. Le d~lin des adh~ons syndicales, 69.
Les déficiences de J'analyse de Freeman et Medo./f, 70.
Il s'agit de faux cc biens collectifs», 71 - Un handicap qui n'existe pas, 73 - Les écarts de rémunération peuvent être expliqués par d'autres éléments du marché du travail, 74 - Le coût économique du monopole syndical est beaucoup plus élevé qu'ils le disent, 75 - La rente apportée par l'entente syndicale est gaspillée en investissements visant à la protéger, 78 - L'escroquerie de l'effetproductivité, 81 - Des faits statistiques compatibles avec une autre interprétation du rôle des syndicats, 83 - Aucune preuve de la supériorité de leur modèle, au contraire, 86 - Il y a ententes et ententes, 88. Annexe au chapitre 2 : Pourquoi le déclin du syndicalisme? 90
3. Droit du travail ou droit au travail? 93 Le contrat de travail et le droit de propriété sur soi, 95
Le problème des investissements cc incorporés» aux êtres humains, 97 - Le problème des investissements spécifiques à l'entreprise, 98 L'apport de la théorie économique, 99.
TABLE ANALYTIQUE
213
Le droit du travail contre le contrat de travail, 100 Retour à l'ordre juridique prérévolutionnaire, 102 - Les conventions collectives: des ententes obligatoires, 104.
Le droit du travail contre le marché du travail, 106 La justice du salaire et l'injustice du marché, 107 - Une tradition déjà longue et ancienne, 108 - Le plus important est la police de l'entente, 110 - La capture de la loi par les syndicats, 112 - Une législation malthusienne, 113 - Les indemnités de licenciement et le théorème de Coase, 115 - Le principe de l'échange volontaire des droits, 116 L'ajustement se retourne contre ceux que le législateur croit protéger, 118 - Une législation qui n'est pas innocente, 119 - La liberté contractuelle serait une meilleure protection que l'indemnité de licenciement, 121.
4. Les crises, le chômage et les syndicats, 123 Le principe de la loi de Say, 125. Ce que la loi de Say dit et ne dit pas, 127 - Comment disparaissent la demande et l'emploi, 133 - La déréglementation restaure la demande, 136 - Progrès technique et coordination, 137 - Une exigence essentielle, la flexibilité des prix et des salaires, 140 - Le problème, ce sont les entraves institutionnelles aux mouvements de prix relatifs, 142. La loi de Say et la monnaie, 143
Le danger vient des monnaies d'État, 145 - «Qui commencera le premier? », 146 - Les conséquences du principe de non-neutralité, 147 - Il faudrait un véritable miracle, 148 - Une part irréductible de chômage et de sous-emploi est inévitable, 150 - La généralisation de l'axiome de Say, 151 - L'erreur des Keynésiens, 152 - La solution n'est pas de baisser les salaires, mais de leur rendre la liberté, 153 - La déflation n'est pas le «symétrique» de l'inflation, 154.
Le chômage et la grève, 155 Chômage classique, chômage institutionnel, 156 - Le produit d'une perversion de la démocratie, 158 - La grève, ou le droit au chantage, 160 - La grève a sur le circuit économique les mêmes effets négatifs que les autres formes d'entraves, 162 - Le droit de grève, un défi à l'État de droit, 163, La loi abaisse les «coûts de la violence» seulement pour certains, 164 - L'alibi «u til itariste » du syndicat, 166 - Comment cet alibi s'effondre, 168 - Le problème, ce sont les privilèges, 169.
214
TABLE ANALYTIQUE
Annexe au chapitre 4: Le travailleur «propriétaire» de son emploi? 170.
5. Les syndicats et la démocratie, 173 La politisation syndicale, 174 Faire pression pourquoi? 176 Faire pression comment? 180 L'arme absolue du pouvoir politique syndica~ 183 La démocratie recule avec les conquêtes syndicales, 185 Le syndicat, firme managériale ? 188 Les syndiqués sont-ils satisfaits? 192 Les syndiqués sont-ils complices? 195 Les syndicats au cœur de la crise de la démocratie, 197
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Imprimé en France Imprimerie des Presses Universitaires de France 73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme Juin 1990 - N° 363gB