Daniel Beauvois
Pouvoir trtsse et noblessepolotraise en Ukraine L7g3-193
Pouvoir russe et noblesse polonaise
en Ukra...
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Daniel Beauvois
Pouvoir trtsse et noblessepolotraise en Ukraine L7g3-193
Pouvoir russe et noblesse polonaise
en Ukraine 1 79 3 -18 3 0
MONDES RUSSES Etutt
Soci6t6s Nations DE, Sous r-a DTRECTToN Wladimir Berelorvitch Francine-Dominique Liechtenhan SergeiV.Mironenko
Coxsgrr-scrENTrFreuE Boris Ananitch, Alexandre Avdee'n',Roger Bartleet. Nexis Berelorvitch, Andr€ Berelorvitch, Daniel Beauvois, Alain Blum, Yves Cohen, Frangois-Xavier Coquin. Sarah Dar.ies,Sabine Dullin, -N,[arcFerro, Sheila Fitzpatrick, Nexandre Foursenko, Catherine Goussef, Andrea Graziosi, Suzan Gross-Salomon, Peter Holquist, Andreas Kappeler. Sergei Karp, Vladimir I{ozlor', Moshe Lcs'in, -\lartine .\lespoulet, Claire t\louradian, Vladislav Nazaror,, N1arie-PierreRe]', Antonella Salomoni, Jutta Scherrer, Alessandro Stanziani, Piotr Stegnl', Norman Stone, Aiexandre Tchouibarian, Antonello Venturi, Nicolas \{"erth. Piotr Zaboror'. L a c o l l e c t i o n u M o n d e s r u s s e s .E t a t s ,S o c i 6 t 6 s ,N a t i o n s ) e s t c o n s a c r 6 e i l ' h i s t o i r e d e l a R u s s i ee t d e l ' U R S S d l ' 6 p o q u e m o d e r n e e t c o n t e m p o r a i n e . E l l e
e u i a m o d i f i 6e n p r o f o n d e ul er t r a v a idl e l ' h i s r 6 p o n d) u n es i t u a t i onno u v e l l q qui, encorer6cemment, toriende cetteaire.L'ouverture de fondsd'archives lescontours d'une permet,peu) peu,de pr6ciser 6taientierm6s,voireignor6s, m u l t i p l i e d r e s t h b m ed se h i s t o i r qe u i n ' e s ct o n n u ee n c o r eq u ' e np o i n t i l l 6e t d e Parmiceux-ci seulement ) entrevoirla richesse. recherche donton commence s o n tp r i v i l 6 g i 6l es sd o m a i n essu i v a n t sl :a c o n s t i t u t i odne l ' E t artu s s o - s o v i 6 t i q u e , de et l'6tudedespratiques colonialeet nationale, y comprisdanssadimension g o u u " i n " m e nett d ' a d m i n i s t r a t iaouns sbi i e n) l ' e c h e l ldee l ' E t aqt u es u rl e p l a n - la Russie danssescontactsext616gional, municipalet celuide l'entreprise rieursd , i p l o m a t i q u em s ,a i sa u s s i6 c o n o m i q u eest c u l t u r e l s- l ' h i s t o i r ed e s du social. russe- Ia constitution sciences sociales dansl'espace L ac o l l e c t i o ns,' a p p u y a ns tu rd e sd o c u m e n tds' a r c h i v esso u v e nitn 6 d i t se t f r u i t d ' u n e6 t r o i t ec o l l a b o r a t i oanv e cl e s c h e r c h e u rrsu s s e sp,a r t i c i p ep l e i n e m e n t a u xn o u v e l l eest n 6 c e s s a i r6evso l u t i o nhsi s t o r i o g r a p h i q u e s .
Daniel Beauvois
Pouvoir russe et noblesse polonaise en Ukraine 1793-1830
-GCNRSEDIT 15.rueMalebranche 75005Paris
Illustration de couverture : Types de noblespolonaisdeclass6s, dans le villagede Tchernobl{. Extrait desAlbums de Dominique de La Flise, medecin des domaines de I'Etat dans la province de Kiev, 1854, Acad6mie des Sciencesd'Ukraine, Kyiv, 1996,t.I, p. 46 et t. II, p. 504.
En applicationdu Code de la propri6t6 intellectuelle, CNRS EDITIONS interdit toute reproductionint6graleou partielle du presentouvrage,sousr6serr.edes exceptionsl6gales. , C \ R S E D I T I O N S .P a r i s , 2 0 0 3 ISBN : 2-271-061-.1-1
SOMMAIRE
Sommaire Introduction
Chapitre premier Ou I'on n'ira pas et ou il faut revenir I-a tentation des belles histoires . Le fond de I'histoire L'etat de la questionnobiliaire Chapitre II Q u e l t r a i t e m e n tp o u r l a n o b l e s s es a n st e r r e ? . . . . . . . . . . . . . . . . . I-a transition des partages l-a tentation du nettol'age par le vide Paul I"', Derjavine, Czartoryski, trois etats provisoires du statut nobiliaire d e ss a n s - t e r r.e. . . . . . . . . . . . . . . . Le sommet des bonnesintentions Le d6classementpr6pare avant I'insurrection Si l'insurrectionde norrembren'ar.aitDaseu lieu ? .......... Chapitre III La noblessepossedantesousI'eil de Saint-Petersbourg Des dietinesaux premieresassemblees nobiliaires La loi electoralede 1805 et I'apparentdialogue La r.agueantifrangaiseet les confiscations ........ Rigueur en Podolie, clemence en Volhl.nie : les probldmesd'integrationen 1815 La trds suspectepolice polonaisedes campagnes Les debris de I'autonomienobiliaired ia veille de 1830 Chapitre IV Naissanceet connaissanceen Ukraine Nation nobiliaire,nation polonaiseet nationaliterusse .......... Les 6co1esd'Ukraine et le paternalismenobiliaire .............. L e s E c o l e sn o b i l i a i r e s: o u v e r t u r eo u i m D a s s e? . . . . . . . . . . . . . . . . .
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locale.Les districtspossedaientencore un bureau de mar6chal, simple annexe de celui de province, mais il n'y avait plus aucune foule d reunir d la base, aucun d6pute d choisir, aucun r,peuple nobiliaire 'i (nar6d szlachecki)qui ptrt maintenir les vieilles illusions .Et maintenant) apres l'amnistie, on en voit rerrenir sans honte vers leur famille et se livrer a toutessortesde mefaits... Cette lettre s'attacheensuite d montrer que, depuis I'annexion, tous les gouverneurs successifsont souffert de 1'Quelle belle et innombrable arm€e cela eirt constitue pour Constantin ! Le projet d'oukase allait sansdoute trop loin dans la flatterie pour I'ordre equestre polonais, dont les tradition etaient un peu trop glorif6es.Au moment ou Gourie'n'dechainai,t,comme on I'a vu au chapitre precedent, une campagne de recherche de suspectsglissespartout d la faveur de la guerre, une telle envoleene pouvait que d6plaire aux r,vrais Russes,t.r,Nous ne doutons pas, faisait dire le texte au tsar, que les nobles ne rivalisent de zdle pour embrasserla carriere des armes qui est naturelle et chdre dr leur dignite... ,r, puis il enum6rait les avantages accordes d I'ordre equestre. Chaque province constituerait des regiments qui porteraient son nom : Vilna, Podoiie, etc., divis6s en six escadrons)auxquels seraientdonnes les noms des districts, command6s par des officiers polonais du cru. La priorite, pour I'enr6lement, serait donnee d ceux qui arriveraient tout equipes, avec leur cheval. Des remplacements seraientpossibles,d raison de deux soldats pour un noble. Ces soldats auraient pu 6tre pris parmi les serfs ou parmi la szlachta sans terre et auraient dO 6tre remplac6ss'ils etaienttues.Les blessesauraientreEuune pension,m6me s'ils n'avaient pas servi dix ans. Au bout de dix ans, ils auraient obtenu le grade de lieutenant, auraient pu 6tre decoresde quelquesmedailleset recevoir 24 deciatinesde terre - on ne disait pas ou les prendre - ou bien une somme de 250 roubles. Si naives et coercitives qu'elles paraissent,ces id6es se voulaient int6gratrices de la noblessepolonaise d I'empire. Elles croyaient aussi r6pondre aux aspirations locales en flattant vaguement des souvenirs chevaleresquesdepasses,bref, ellescroyaient aller audevant du Polonais tel que I'imaginaient les Russes. Elles etaient au diapason des efforts que fit I'empereur, de 1815 d 1819, pour manifestersa sollicitudeaux nobles d'Ukraine, en passantdeux fois par I{iev pour se rendre d Varsovie,en 1816 et 1817, en sejournant chez les Branicki, d Biala Cerkiew, en pronongant son fameux discours lors de la premidre diete du Royaume de Pologne demars-avril 1818, d Varsovie, ou reparurent les promesses de r6union avec les provinces occidentales de I'empire. A l'issue de cette diete, il pria Novossiltsov de preparer une constitution pour la Russie qu'on appellerait Charte d'Etat. Elle devait donc €tre proche de celle de Varsovie. Les conservateurs s'inquieterent en apprenant que le secretaire frangais du s6nateur, Deschamps, I'avait deidrredig6e et que P. A. Viazemski I'avait traduite en russe et presenteed I'empereur pendant l'6te 1819. Lorsque, pour rediger I'acte final, Novossiltsov fut charge de faire traduire du latin quelques textes des accords polono-lituaniens qui avaientpr6cedeI'Union de Lubiin de 1569, ceux de 1419 et 1551,Ia voix de N. M. Karamzine, comme en 1809, osa,comme on le sait,s'opposerd cellede I'empereur. Il lut, dans le cabinet imperial de Tsarskoie Selo, le texte qu'il avait prepare : l'Aais d'rm citoyen russe,qui sonna le glas des projets : < Votre Majest6 peut-elle, en toute conscience,nous enlever la Bi6lorussie, la Lituanie, la Volhynie, la Podolie, des
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Lo noblesseposs6donte sousl'eil de Soint-P6tersbourg
proprietes de la Russie acquisesavant m€me votre regne ? ,r,demanda l'historiographe officiel. Certains peuvent dire que les partages de Catherine furent injustes, < mais Votre Majeste agirait plus injustement encore en imaginant racheter sa faute en partageant la Russie. Nous avons acquis la Pologne par le glaive, voild notre droit ! Tous les Etats ne sont-ils pas fond6s sur ce droit ? Tous sont issus de conqu€tes.La Pologne est une propriete l6gale de la Russie. Il n'existe pas de droit ancien en politique, ou alors il faudrait que nous restaurions les khans de Kazan et d'Astrakhan, la republique de Novgorod, la principaute de Riazan, etc. C'est tout ou rien 62.,i
La trds suspecte police polonaise des campagnes Ainsi les petites avanc6eset les petits reculs dans la stagnation de la vie nobilaire des provinces annex6escontinudrent-ils, sans que jamais aucune grande mesure integratrice ne ffit prise. Ces r,proprietes legalesde la Russie r restaient un vaste champ ou les Polonais perpetuaient des formes administratives ext6nu6eset oi le pouvoir tsariste ne reussissaitpas d s'affirmer clairement. Le caur du probldme restait, comme depuis le debut, la surpopulation nobiliaire (par comparaison avec le reste de I'empire) qui faisait planer un doute sur 1'Le zele ne se reveilla, en fait, qu'assez lentement, et le monument catholique d la gloire d'Alexandre ne fut acher'6, dans la capitale de I'orthodoxie, qu'en 1846 68. Ce besoin des tres riches de se mettre en valeur, I'incapacite des 61usnobles d assurer seuls la stricte rigueur du servage,l'insuffisance du personnel dans la chancellerie des gouverneurs, tout cela etait les facettes paradoxales d'une region encore mal contr6lee par la Russie.Limitee d I'extr€me par I'oukase de 1805 sur les 6lectionsnobiliaires et par le malthusianisme de I'int6gration au iin,l'administration ne pouvait offrir une carridre, mdme aux propri6taires qui I'eussentsouhait6. L'exclusivisme elitiste devenait un obstacle, m6me si un aristocrate loyaliste der,enait gouverneur. Nous avons vu la faible marge de mancuvre de GiZecki en Volhynie. Au d6but des annees1820, une situation comparablese cr6a en Podolie. En 1822,le comte Mikolaj Grocholski fut nomme gouverneur par interim, puis confirme en 1823, jusqu'en 1831. Son principal interlocuteur fut le marechal de cette province, le comte I{onstanty Przezdziecl (izby dozorcze)provinciales, c'est-d-dire des chambres nobiliaires d'administration scolaire, dont il ne fallait pas trop reveler la fonction pour ne pas cabrer les enseignants.Pour bien preparer le prince qui s'appr€tait d aller lui m€me examiner sur place les conditions de transformation du gymnase de Krzemieniec en lycie, Rudzki, secretairede la commission (chez qui I'appellation apparait pour la premiere fois), lui adressa plusieurs m6moires, debut 1817, lui repetant inlassablementsur quelles bases mat6rielles la noblesseentendait baser sa privatisation de I'etablissementsemi-sup6rieur qui s'annonqait.Les affairesde I'ancien Fonds de l'Education nationalene concerneraient plus que les chambres du Tresor, c'est-d-dire I'Etat, et les chambres de tutelle devaient gerer la vie scolaire presente. Aucune recherche sur les biens ex-i6suitesne serait plus possible. Il y aurait forclusion pour toutes les appropriations illicites. Ces dispositions etaient enrobeesdans des projets aussi grandiosesque du temps de Czacki, et quelque peu irr6alistes dans une bourgade dont les rues n'etaient m6me pas pavees. Il failait agrandir la bibliotheque, installer divers laboratoires, construire un h6pital, un institut r'6terinaire, un atelier de mecanique, un nouveau mandge et des 6curies, un pensionnat, une ecole de district, 1'6colede gouvernantes proietee depuis longtemps, cr6er des chaires d'architecture, d'obst6trique, de chirurgie, de trigonometrie, d'astronomie':. En 1817, Czartoryski se rendit d Vilna, oi il institua une direction des ecoles confi6e d un comite de quatre professeurs et d'ou il revint assez m6content, deiil marque par les critiquesde la noblessed'Ukraine. En avril 1818, en revanche,apresla Diete de Varsovie, qui marqua le sommet et la fin des promesses d'Alexandre I"', quant d la r6union du Royaume avec les rrprovinces polonaises,r de I'empire, et ou le prince curateur put glisser quelques mots au tsar sur le lycded creer d Krzemieniec 46. il partit, imm6diatement aprds, vers cette Ukraine qui etait le berceau de sa famille. Il y passatout l'6te 1818, apres son mariage avec Anna Sapieha (elle avait dix-huit ans et lui quarante-sept) et s'appliqua d prendre connaissancede I'etat des ecoles. Il en visita quelques unes) de district et m6me de paroisse, passa par [.uck, Woronczyn)
11. Lta:agi nad proibanti Konisji Wolyitskiei (Remarques sur les demandes de la commission de Volh-vnie)' 1 8 1 6 , B i b l . u n i v e r s i t a i r ed e V i l n i u s , K . C . 4 1 ' p . 2 1 3 . . { 5 . P r o j e t d e F . S . R u d z k i ( 1 8 1 7 ) , B i b l . J a g . ' C r a c o v i e ,4 5 6 9 . .+6.A. J. Czartorl'ski ir A. N. Golicyn, 7 mai 1818' Bibl. Czart., Cracovie, 6388' en franEais.
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Pouvoirrusseet noblesse oolonoise
Lubar, \Tolosowce, Machn6wka,Zytomierz, Winnica, laissant dans les registres des trois provinces des remarques sur la maniere d'enseigner, sur les matieres d developper, etc. Il fonda m6me une ecole de district dans I'un de ses chAteaux d MiEdzybo2 4', mais il ne vit que des directeurs et pas d'eleves - ceux-ci etaient en vacances. Le s6four du prince Adam tourna donc aux rencontres mondaines, toutes les grandes familles locales se prEcipitant pour 6tre pr6senteesd ce grand ami du tsar, du moins le croyait-on encore, et cela le flattait beaucoup, comme il I'ecrivait d son vieux pdre: Cette visite prolong6e en Ukraine du curateur eut une influence determinante sur la mise en conformit6 du gymnase de I{rzemieniec avec les vceux de la noblesseet avec l'esprit de Saint-Petersbourg.Le prince decida - contre l'avis de I'universite - de la mise d la retraite de I'obstine directeur Sciborski et d'autres professeurs gdnants. Il realisale vieux r6ve de Razoumovsky lorsqu'il cr6ait les directeurshonorairesen 1811 : il trouva le directeur ideal pour le lycte. Cet ideal etait realiseen la personne d'un grand propri6taire de Volhynie qui 6tait en m6me temps un des podtes neoclassiquesles plus connus de Pologne, Aloyzy Felirlski, auteur de I'hymne officiel du Royaume, Bo2ecoi Polskq (r,Dieu saur.ela Pologne ,r,ou quelques louanges d Alexandre accompagnaient un contenu assezpatriotique), et de trag6dies tres pris6es. Comme Jean Potocki, il unissait le gorit et la connaissancedes arts et lettres d une fortune qui le mettait sur un m6me pied social que les nobles acharn6sd contrdler I'enseignement.Il n'avait, certes, aucun grade universitaire, mais cela etait maintenant une vertu dans I'Europe des rois retablis sur leur tr6ne, dans la Russie d'Araktcheiev et dans la Volhynie de Felix Plater. Czartoryski expliqua, sansles convaincre, aux professeurs de Vilna qu'un tel notable aurait un prestige infiniment plus grand qu'un < modeste,i universitaire ae. Tout 6tait ainsi pr€t pour la transformation concrEtisant la preeminence de I'elite nobiliaire: le 1116decembre 1818, Alexandre I" signa I'oukase qui creaitle lycte'. r,Prenant en consid6ration le fait que les dispositions de Notre acte du 29 juillet 1805 concernant le gymnase de Volhynie n'ont jusqu'd present, pas ete suivies d'effet, et que les provinces de Podolie, de Volhynie et de Kiev, tres eloign6esde Vilna, ont absolument besoin d'un etablissementsuperieur d'enseignementqui puisse - au moins dans certaines parties - remplacer une universit6 pour la jeunesse noble, J'ordonne de changer le nom du gymnase en celui de lycte et de mettre en application rapide les dispositions du statut sus-cit6, au moyen des fonds de I'education 50.,r L'application ne fut nullement rapide et seul le nom changea, car le statut dont il etait question, trop modifi6, ne fut jamais confirme pour de multiples raisons. La principale fut, sans doute, le manque d'attention du prince curateur, qui, croyant le
.17.Brouillons des remarcluesde la main du prince, Bibl. Czart., Erv. 637'1 48. A. J. Czartor-vskid A. K. Czartor-vski,27 juin 1818, ibid., 6032. 49. A. J. Czartoryskr d J. Sniadecki, 18 janvier 1S19, Bibl. Jag., 3104. 5 0 . R i b l . C z a r t . , C r a c o v i e , 6 3 7 4 ,p . 1 0 3 e t s u i r ' .
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probleme regle, s'absentapendant deux ans, promenant sa femme dans toutes les capitales occidentales. Ce delai fut mis d profit par les universitaires de Vilna pour une contre-attaque. En Russie, au contraire, la reaction gagna beaucoup de terrain (n'oublionspas qu'en 1818Ia province de Kiev est detach6ede Vilna), et on s'apergut qu'appul,er les nobles volhyniens aussi imbus d'6litisme qu'ils fussent, c'6tait aussi soutenir une certaine idee de la Pologne. Par ailleurs,Feliriski, drpeine nomm€, mourut) au desespoirde Czartoryski. Au retour de celui-ci, il 6tait trop tard. Il est vrai que le projet de statut renove du lycte constituait un defi d la mince couche d'intellectuels qui essayaitde faire 6voluer les structures sociales.Czartoryski, naguere si eclaire, y reprenait toutes les volontes des m6moires dont l'avait abreuv6 Rudzki. Le lycde 6tait mis sous la responsabilit6 exclusive du curateur, le seul lien avec Vilna se limitait d un rapport annuel ( pour information,r. Comme les finances provenaient du seul mecenat, le contr6le - pas seulement mat6riel - du fonctionnement du lycbeetait confi6, comme pr6vu, d une chambrede nttelledont les trois membres devaient 6tre elus en assembleenoble. On entrait ld en contravention flagrante avec le r6le de ces assemblees, d6fini par la charte de Catherine, sans parler de la destruction des principes de I'Instruction publique de 1803. Cette chambre de'u'ait€tre pr6sid6e par un directeLt honorairede district et completee par deux religieux designespar les evdques catholiques romains de [-uck et de Kamieniec, ce qui annongait la fin des vell6it6s laiques, h6ritees de la Commission polonaise de 1773. Elus pour trois ans et reunis quatre fois par an) ces notables auraient decide des affectations, nominations et licenciements, seraient intervenus dans les programmes et la discipline. Les professeurs eussent ete ramen[s au r6le d'6ducateurs d la solde et aux ordres de leurs gdnereux bienfaiteurs -t1. Le ministere avait beaucoup d'autres objections, car on etait entre dans l'6poque du malthusianisme dans la collation des grades (sur lequel nous allons revenir) et on ne concevait pas que ceux d'6tudia,?tou de candidatfussent d6livres d Krzemieniec, car ils conf6raient des rangs. La pretention dejd ancienne du lycte de contr6ler lui-m6me la censure des publications pour I'Ukraine n'etait pas non plus admissible pour Golitsyn, qui, enfin, n'avait pas accepte la forclusion des appropriations ill6gales des terres exjesuiteset voulait poursuivre cette affaire jusqu'au bout. La lutte que I'entourage de F. Plater, et que Czartoryski lui-m€me, mendrent jusqu'en 1824, c'est-d-dire jusqu'au rattachement administratif g6neral des 6coles de Volhynie et de Podolie d Kharkov et d la fin de tous les espoirs culturels polonais - ne fait que mettre en 6vidence I'impasse ou avait conduit le choc des deux conceptions : celle de I'intangibilite de la societ6 d ordres et celle de I'emergence d'un monde de la meritocratie bas6esur le savoir. En 1821 et 1822, les faiseurs de projets de Volhynie, par la plume de Rudzki, tenterent inlassablementde contrecarrer I'hostilit6 de Vilna aux yeux du curateur et du ministre. Accus6s d'€tre les h6ritiers de I'anarchie polonaise, les membres les plus actifs de 1'assembl6enoble de Zytomierz se drapaient, au contraire, dans la dignit6 des heritiersde la Commission de I'E,ducationNationale de 1713. En de grandesenvolees
51.Ibid., UslazaaLiceun Krzemienieckiego,czyli dodatek do dyplomau (Statut du l1'c6e de Krzemieniec ou compl6ment ir l'oukase), debut 1819.
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polonoise Pouvoirrusseet noblesse
pleines d'emphase, ils montraient que, de m6me que leurs anc6tres n'6taient que des citoyens desinteressesdont I'activit6 n'al'ait famais 6t6 int6gree au Gouvernement polonais (ce qui etait vrai), eux-aussi agissaient en membres de la nation nobiliaire, soucieux de la perennit6 de l'ordre equestre. Cet acharnement d se vouloir les seuls detenteurs du civisme etait une reaction de defense par anticipation, face d une menace qui n'etait pas encore massive,mais seulementun spectrequi, d long terme) lorsqueles elevespassespar les ecolesauraientadopte les ideesde leurs maitres,pourrait devenir un vrai danger pour I'integrite des prerogatives de ia narssance. Jusqu'd ces ann6es,les r,citoyens i) crurent pr6server et 6largir le seul pouvoir qu'on avait semble leur laisser : le contrdle du saloir. A une demande de Golitsyn du l2 janvier 1821 pour obtenir, enfin, un plan de mise au clair de la questiondes biens cidevant j6suites, les commissaires volh5rniens r6pondirent par un plaidoyer du 4 novembre 1821, qui exprimait le nec pltts ttltra des theories aristocratiques sur le nEcessairecontrdle de la connaissance. Oublier toutes les malversations foncieres, prEserver\e stattt qtto des propriet6s, 6tait pr6sent€ comme la condition indispensable pour mettre un terme d f inquietant developpement de I'r, esprit de corporation,r chez les universitaires. Les signataires de ce texte 6loquent disaient ne pas comprendre pourquoi on leur interdisait d'appartenir d la hierarchie scolaire,alors que les ministres russessuccessifsavaient defendu ce principe. Ils ne poss6daientpas les dipl6mes, mais n'etaient-ils pas cultives ? Ces professeursqui s'erigeaienten corps autonome constituaient un scandaleet une brar.ade.Plut6t que de choisir un noble cultive, I'universit6 pr6f6rait < remplir les chaires de sujets mediocres, mais choisis parmi sesmembres [...] Un Gouvernement) soucieux des besoins du pays, osait ecrire la noblesseassembl6ed Zytomierz, doit se persuader de la n6cessite)tout en laissantaux etablissementsd'enseignement la charge de I'education, de confier leur contr6le d des autorites s6par6es,r. Puisque les institutions nobiliaires locales a','aientete laisseesdans leurs prerogatives judiciaires et qu'elles les exergaient avec zele ( ? !), il n'etait pas normal que seul le ministere de I'Instruction publique restat pri\'6 de cette aide si pr6cieuse.Et le mepris des r,savants'r eclatait dans la suite : r,Dans la situation actuelle, il faut avouer que i'universit6 est le ressort de tout ce qui est entrepris dans nos provinces quant d I'instruction. Elle agit par sesmembres et ce sont eux qui contr6lent, c'est-d-dire qu'elle est juge et partie [...] I1 est presque impossible qu'un tel corps, compose de personnes exclusivement pr6occupees de theories scientifiques, et d cause de cette vocation particulidre, ne pouvant entrer dans le d6tail des besoins du pays, puisse adapter I'instruction d la vie publique, juger correctement des resultats.,r Rejetant toute promotion par le merite, I'ordre equestre polonais d'Ukraine, loin d'evoluer dans le sens de la sedition, comme les etudiants nobles de Vilna qui se reunissaient alors - minoritairement, il est vrai - en societessecrdtesau diapason des mouvements radicaux de I'Europe du temps, ne r€vait que de verrouiller la fermeture elitaire de la noblesse de I'empire russe dans laquelle il imaginait qu'on I'acceptait d Saint-Petersbourg.En voulant tenir en main la formation des g6n6rationsmontantes, il pretendait, ne pas pr6ser.n'erseulement ses privileges fonciers ou le pouvoir de la fortune, il pensait s'inscrire dans la lutte politique contre l'hydre r6volutionnaire : r, Cette fagon de se moderer reciproquement empdcherait d'aboutir aux r6sultats que
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l'Europe eprouve actuellement, ld ou les Peres de Famille et les Citoyens sont depouill6s de toute influence 52.u L'universit6, informee de ces pretentions (le ministere voyait sans doute sans deplaisir s'aggraver le schisme de Krzemieniec, qu'il n'allait plus tarder d exploiter, mais par une s6parationtoute autre que celle que souhaitaientles < citoyens 'r), repondit par une violente mise en cause de la pr6tendue citoyennete des propri6taires. L'6cole, loin d'apparaitre en parasite social, 6tait presenteepar les professeursde Vilna comme la veritable institutrice de la nation (qui changeait de sens) et la sup6riorite nobiliaire hardiment rejetee 53. Si le prince curateur avait ete present pendant cette discussiontheorique capitale, il eirt probablement fait pencher la balance dans un sens beaucoup plus favorable aux nobles d'Ukraine, car, en partant pour son long voyage, en 1819, il avait adress6aux directettrshonorairesdes recommandations qui montrent combien il avait 6te gagne par I'id6e d'une immixtion necessairedes propri6taires dans la vie scolaire, materielle et pedagogique. L,a rupture de Czartoryski avec les Lumieres s'exprima rarement de maniere aussi claire. r,Il faut encore et surtout, 6crir,ait-il aux notables confirmes dans cette fonction, que les ecoles,sidgesde la scienceet de 1'espritpublic, der.iennentcelui de la religion et des bonnes mceurs.,rPour cela des relations etroites avec le clerge local etaient n6cessaireset notre prince, jadis si ec1air6,declarait : r,IJn jeune homme qui a de la morale doit avoir la pr6f6rence sur celui qui etudie bien. , Il s'agissaitd'endiguer la vague d'immoralisme dont toute la Russie officielle faisait d6sormais sa b6te noire. I-es r.rais directeurs, en tant qu'enseignants,6taient trop suspectspour extirper ce mal, mais les directeurs honoraires, prot6ges par la vertu que donnait la fortune, devaient 6tre non seuiementles gardiens de la religion, mais ceux de la fixit6 sociale- et cela etait particulierement vrai dans les autres ecoles que Krzemieniec, ld ou la szlachta czvnszowa en','oyaittrop largement sesfils. r,Parmi les principaux motifs de corruption chez nous, 6crivait le prince (alors, souiignons le, qu'aucune societ6secrdten'avait encore ete eventeerni dans les ecoles,ni d I'unir,ersite),il faut compter le deraisonnablebesoin de s'6lever,ce degorit des enfants pour la condition de leurs parents, que I'on peut malheureusementobserr.erdans toute la jeunesse polonaise. Les bonnes mceurs se forment d la maison, sous I'ceil et d I'exemple des parents. Quel penchant d la vertu un enfant conserve-t-il s'il apprend d mepriser la condition de sesparents,leur faqon de penseret d'agir ? Je n'ai pas besoin d'enum6rer les suitesfAcheusesde cet 6tat d'esprit. Vous jugerez vous-m6mes combien il importe que les €ldr,es,en 6tudiant les matidres qui leur sont n6cessaires,ne prennent pas leur 6tat en ar.ersion,qu'ils comprennent et se fortifient dans I'idee que celui qui se hausseau-dessusde la ligne de sespossibilitesse pr6pare l'amertume et I'inquietude de toute une r.ie, que les 6tudes doivent surtout nous serr.ir d bien remplir le r61equi nous est imparti dans notre etat et les obligations qui en d6coulent 54.,r
(Projet sur les commissions de tutelle) et lettre de pr6sentation,.1novembre 52. Projehto konu:sjLtclt tlozorcz,yclt 1 E 2 1 ,i 3 i b l . J a g . O . r a c o v i e , : 1 5 6 9p. p . 2 7 1 , - 2 8 9b, r o u i l l o n ; p p . 2 8 8 - 2 9 5 . t e \ t c d u c l a i r ,e n p o l o n a i s . (Sur les projets de cr6ation d'une -a3.() Projektuclt ustanottieniaosohrrcjadtttinistracji.ftrrL&rszu eLlttkttc-\,nego administration s6pareedu Fonds de 1'6ducation),8 avril 1822, i&irl.,pp. 30;l-308. 5.{. Archives de l'Acad6mie des Sciencesde Pologne (A.P.A.N.), \,'arsovie,lbnds Cl-rmaj.90.
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Pouvoirrusseet noblesse oolonoise
Bien qu'au diapason de I'evolution des id6es sur I'enseignementdans tout l'empire (ces directives de Czartoryski sont en accord avec la politique scolaire de Golitsyn et annoncent la formule de Chichkov , en 1824, selon laquelleI'instruction n'est n6cessaire que comme le sel - en tres petite quantit6), la noblessepolonaise d'lJkraine, pas plus que celle de Lituanie, ne pouvait plus sauver I'autonomie dont elle avait beneficie jusqueJd dans le domaine culturel, car desormais le facteur national devenait redhibitoire. Le dernier effort que fit Czartoryski, en 1824, pour obtenir le statut du lycde de Krzemieniec en invoquant la tranquillite de ses 6ldves, par contraste avec I'agitation politique du reste de I'arrondissement5s,resta vain, il perdit son poste et le contr6le des 6coles polonaises d'Ukraine fut donn6 d Kharkov qui les laissa dormir jusqu'd leur totale russificationen 1831. Un resultat capital du d6veloppement des 6coles dans ces regions doit cependant 6tre soigneusement note. Cette proto-intelligentsia, si vivement encourag6e avant 1815, puis si violemment combattue,6tait, au cours de la troisieme d6cennie du XrX' siecle,sur le point de s'6panouir et de faire craquer la societe d ordres. Lorsqu'en 1828 S. G. Stroganov avait pense associer plus dtroitement encore la noblesse terrienne au contr6le des ecolesde I'empire, Speransky,rentr6 en grAceet maintenant pilier du regime de Nicolas I", avait emis une r6serve qui disait tout : la noblesse pouvait, certes, apporter beaucoup, d condition d'r, exclure de cette mesure les arrondissements de Dorpat et de Vilna, pour des raisons qui tiennent d la constitution de leurs etablissements et d causede la propension atbrde des habitants d I'instntction, qui n'exige du gouvernement aucune mesure en dehors du cercle habituel s6,>.
Les 6coles nobiliaires
: ouverture ou impasse ?
Cette < propension aver6e,i etait devenue un fait inquietant qui d6s6quilibrait le poids culturel des principales composantessocio-nationalesde I'empire. Les responsablesdu pouvoir ne pouvaient I'ignorer. En 1809, dans les cinq arrondissementsscolaires(Petersbourg,Moscou, Kharkov, Kazan et Vilna), 32 gymnases accueillaient 2 838 elevesdont 1 305 - soit presque la moitie - dans I'arrondissement de Vilna. Dans les 126 6coles de district de I'empire etudiaient 12 839 6levesdont 7 422 dependaient de Vilna, soit bien plus de la moiti6. En 1824, le poids relatif des r,provinces polonaises,i avait diminu6, mais, avec leurs 22 120 6levesdu primaire et du secondaire,ellesfournissaient encore 30,2 % des effectifs scolaires et pres du double du premier arrondissement russe, celui de Kharkov 02 660) 51. Parmi les ecoles secondairespolonaises, celles d'Ukraine se distinguaient par leur taille. Le gymnase, puis lycte de l{rzemieniec devint, d partir de 1810, le plus gros
55. A. J. Czartoryski i A. N. Golicyn, 29 ar.ril 1824, Bibl. Czart., Cracor.ie.6388. 56. E. ScHrIrDr, Istoija srednih...,op. cit., p. 265. 57. Ces chiffres et ceux qui suivent, avec des courbes, des tableaux et des cartes, se trouvent dans D. Beauvois, Lt.tmiireset Socittt..., op. cit.,tome II, pp. 688-691.
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ftablissement de I'arrondissement, devant celui de Vilna. Avant le rattachement d Kharkov, l'evolution de ses effectifs fut la suivante :
1 8 0 5: 2 8 0
1806:422
l80l :434
1 8 0 8: 4 0 4
1809:413
1 8 1 0: 6 1 2
1 8 1 1: 6 9 3
1817:519
1818:545
1819 : 567
1 8 2 0: 6 3 0
1 8 2 1: 6 7 8
1822:685
Effectif du gyrnnase, puis lyc6e de Krzernieniec Parmi les cinq plus grosses ecoles polonaises suivantes, trois se trouvaient en Ukraine rive droite. Elles accueillaient, selon les ann6es, entre 400 et 500 6leves: le gymnase de Winnica, les ecoles basiliennes de Bar et de Lubar (auxquelles il faut ajouterHumad, rattach6ea ISarkov en 1818, mais maintenuejusqu'en 1830). L'ecole de district de MiEdzyrzecz se situait dans la tranche de 300 d 400 eldvesen 1822 et,la m6me ann6e, Or,vrucz, Berdyczorv, Niemir6rv dans celle de 200 d 300 61dves.Les autres 6taient dans des tranches plus faibles. Zytomierz, t-uck, Teofilpol, $Tlodzimierz, Kamieniec, MigdzyboZ etaient entre 100 et 200, tandis que I{lewaii, D4browica et Ol]'ka avaient moins de 100 6leves. L'6volution du nombre total, par province, des eldrrespolonais d'Ukraine fut la suivante :
1803
1808
1816
1822
Vor-HvNrE
t571
r978
2070
2613
PoDOLIE
t621
t397
t728
r461
605
/oz
569
3797
4137
KIEV
Totaux
+10 /
4134 (au morns .1700ar.ecla pror, de I{er)
Effectif des 6coles d'Ukraine rive droite Sur I'ensemble des huit provinces annex6es,Ia Volhynie venait au deuxidme rang pour les effectifs scolaires(20,5%),la Podolie n'en ayant environ que 10 %' Cette proportion, sans doute d cause de I'eloignement et des conflits de mentalit6' ne se retrouvait pas d l'universite de Vilna, qui fut, de 1803 d 1831, la plus importante de I'empire pour les effectifs (300 en 1808,900 en 1824, 1300 en 1830, loin devant Moscou et Dorpat). En effet, sur les 825 etudiants de I'annee 1822-1823, seuls 6,66 % venaientde Volh-vnie,3,5l o/ode Podolie et2,06ok dela province de Kiev. Sans entrer dans une analysedetaillee du contenu des enseignementsqui s'6loignerait de notre propos, il nous faut bien remarquer que cette r,propension averee a
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Pouvoirrusseet noblesse oolonoise
I'instruction r, choquante pour Speransky, traduisait, de la part des eleveset de leurs parents, une attente et une confiance face d l'enseignement.La qualite des enseignants et des programmes n'6tait nullement, de maniere generale, mise en question avec la virulence des mentors aristocratiques de Krzemieniec. La finalite vague et g6nereuse des Lumieres suffisait d pousser vers l'6cole, dont on sentait qu'elle pouvait apporter des competenceset une culture, aussi indispensablesa la vie courante qu'au maintien d'une identite. Aussi floue que restAtla visee des Lumieres, l'6cole apportait une socialisation et une soif d'ideal dont ces regions avaient ressenti le besoin depuis cinquante ans ou plus. Certes, les projets d'enseignementpratique restaient inappliqu6s, la specialisation professionnelle, m6me d I'universite, restait embryonnaire (medecine, enseignement,clerg6), mais, d travers tous les obstaclesque nous avons vus, la direction des ecoles impulsee de Vilna, avec sa production centralisee de manuels et de directives pedagogiques, donnait d I'enseignement une unite et un esprit qui engendraient des gen6rations nouvelles, l'esquisse d'une possible intelligentsia d qui ne manquait qu'une carridre pour s'exercer- et qui, pour quelques-uns,apres 1831, s'exerga dans I'emigration, donnant des ing6nieurs, des medecins, des techniciens divers, des litt6rateurs.Le droit, si utile d la modernisation, restait une sorte d'ornement dans une societe ou toutes les fonctions juridiques et judiciaires etaient un privildge de naissance, mais, paradoxalement, il etait enseigne des l'6cole secondaire, selon un manuel de H. Stroyno'uvskiqui repandait tous les principes du u droit naturel ,i, c'est-ddire une instruction civique qui suscitait immanquablement une frustration devant les archaismes polonais et les blocages russes. De m€me, I'enseignement du professeur d'economie de Krzemieniec, Chofiski, auteur d'un manuel inspire d'Adam Smith, toutes les donnees theoriques pour une J. B. Sa1,et 1,. H. Jacob, donnait a ses 61e'n'es rupture a'n'ecl'6conomie basee sur le seru'age.cr6ait d'6normes potentialit6s dans ce monde fige. Tous les domaines de I'enseignementouvraient des fenCtressur des ideaux profondement diff6rents de ce que vivaient les eleves dans leur famille. Les 6co1es d'Ukraine produisirent en litterature, sous d'autres cieux et plus tard, des poetes et des ecrivains comme S. Goszczyfski (eleve de Humaii ouJ. Slorvacki (fils d'un professeur de Krzemieniec), qui surent exprimer tout le tragique des relations des maitres polonais avec leurs serfs ukrainiens. A.{ais,d c6te de ces quelques 6lus, combien de reprou'n'6s? L'6teignoir de la Sainte-Alliance nous ramdne d notre sujet, celui de I'inertie et de la paralysiesocialessciemmentprovoquees. L'origine presque entierement nobiliaire des eldves des provinces ci-de'u.antpolonaises - noblesseterrienne ou szlachta czynszo\va- constituait leur caractdre le plus original par rapport d ceux du reste de I'empire. Ces provinces ne connaissaientdonc pas le m6me probleme que celles de I'interieur de I'empire ou la noblesse,comme on sait. tremblait devant la mont6e des raznoiincy. IJne statistique de 1826 montrait la realite de cette mont6e parmi les eleves des g-vmnaseset son insignifiance dans les g-vmnasesde 1'arrondissementde Vilna. Sur les 4 309 eldvesde ces etablissementsrelevant de Petersbourg,de Moscou, de Kharkor', de Itazan et de Dorpat. 1 691 etaient fils de nobles ou de dignitaires de la cour. I-es autres etaient fils de fonctionnaires de I'Etat ou des r.illes,de marchands, de mieiianje, d'artisans, de soldats, de popes, de paysans iibres et m6me de quelques serfs. Dans la d6pendancede Vilna, on avait, au contraire. 1 952 nobles srn 2 224 6leves de gymnase. Les rares roturiers etaient ici surtout
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mieszczanie(121 eldves),fils de popes, probablementuniates (65 eldves)et quelques paysans (85 eleves),sfirement plus lituaniens qu'ukrainiens --8. Ceci nous montre que les elevesdes provinces relevant de Vilna n'avaient pas trop d craindre les premieres mesures de protection des structures sociales que prit A. K. Razoumovsk-ven 18 1 1. Alors que le paragraphe 1zlde I'Acte de Confirmation de I'universit6, en 1803, assimilait le grade d'6tudiant, c'est-d-dire la simple entree d I'universit6, au rang XIV du iin, que le grade de kandidat donnait le rang XII, celui de nmgisterle rang IX et celui de docteur le rang VIII, conf6rant la noblesseh6reditaire, I'oukase du 10 novembre 1811 ne liberait les 6tudiants des classesimposablesqu'd I'issue du cursus universitaire (sans preciser quand ce cursus etait cens6 s'achever). Ceia, disait I'oukase,visait d 6viter les inscriptions de ceux qui voulaient echapper d la capitationet s'adonnerd I'oisivet6se.Le 11 mars 181r1,la lutte contre la roture prit un tour beaucoup plus net. Razoumovsk-vdecida alors que le grade d'etudiant ne serait plus donn6 aux membres des classesimposables. Il faudrait les appeler < auditeurs libres ,r,ce qui 6r'iterait de les integrer au iin. A partir de ce moment, des attestationsde noblessedevaient 6tre exigeespour entrer d I'universite 60. Cette exigencearracha au recteur Jan Sniadeckiun cri de protestation d'autant plus hardi qu'il savait son poste perdu : rrCette ordonnance, ecrivit-il au ministre, abaissela ciassedes gens de lettres (notons cette consciencede groupe) et la met au niveau de la dernidre classe des habitants du pays. L'universite s'est vue obligee de publier cet ordre, ce qui ne manquera pas de d6courager les 6coliers des provinces. La retraction de cette loi, qui ne semble faite que pour mettre des bornes d la propagation des l,umidres et qui, par consequent,est si contraire aux vues bienfaisantesde I'empereur, parait indispensablementn6cessaire61.,i Dans une lettre d A. J. Czartoryski, le recteur montrait la contradiction avec les principes enoncesen 1803 : r,Un enseignementpour tous et non pas un monopole pour une certaine classe d'habitants. Un homme qui acquiert des rangs par son instruction ne peut, par ld m6me, appartenir aux skazki (listes, on I'a vu, des imposables par district), car le rang le plus bas en exclut deld son beneficiaire...,rRazoumo\,sky etait traite de