Peter Coulmas
l LES CITOYENS DU MONDE Histoire du cosmopolitisme
Traduit de l'allemand par Jeanne Étoré
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Peter Coulmas
l LES CITOYENS DU MONDE Histoire du cosmopolitisme
Traduit de l'allemand par Jeanne Étoré
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du Livre
Albin Michel
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation-Maison des Sciences de l'homme, Paris et de Inter-Nationes, Bonn.
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/9 9S Toute aventure humaine, quelque singulière qu'elle paraisse, engage l'humanité tout entière. Jean-Paul Sartre,
Saint Genet, comédien et martyr
Édition originale allemande: WELTBÜRGER: GESCHICHTE EINER MENSCHHEITSSEHNSUCHT
©1990 by Rowohlt Verlag GmbH, Reinbek bei Hamburg
Traduction française: © Éditions Albin Michel S.A., 1995 22, rue Huyghens, 75014 Paris ISBN 2-226-07906-8 ISSN 1158-4572
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Avant-propos
C'est la première fois que l'on tente d'écrire une histoire du cosmopolitisme de ses origines à nos jours. Dans aucune des langues que je connais, je n'ai trouvé de titre correspondant. Les études sur le cosmopolitisme à différentes époques, en particulier aux deux plus importantes, l'époguel!.dléni§.tigue et le sont nombreuses. Ne serait-ce qu'au cours de ces dernières décennies, alors que le sujet n'intéressait plus guère, d'importants ouvrages ont paru - surtout en français, en anglais et en italien - traitant de ces périodes et de différents aspects du cosmopolitisme: les voyages, l'exil, l'étranger. Nous manquons toutefois de présentations générales. On a certes publié de nombreux traités - d'histoire des idées ou des institutions - sur l'internationalisme 1, où des chapitres particuliers analysent aussi lepnénomènedu cosmopolitisme. Mais en dépit de nombreux recoupements, il s' issues il est vrai d'une racine universaliste commune,
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dernier est de nature unitaire et vise l'humanité entière comme un groupe social unique, tandis que l'internationalisme se fonde sur les nations 2 ll, dit une définition trop étroite, mais commode et par conséquent répandue. On peut se demander pourquoi seules des périodes particulières de l'histoire du cosmopolitisme ont été étudiées. C'est précisément qu'il d'histoire du cosmopolitisme dans sa totalité, en tout cas pas au sens où ifpeut y avoir une histoire de la polis grecque, de l'architecture des temples birmans ou de la microbiologie, autrement dit d'un sujet se trouvant en perpétuelle évolution historique. Le cosmopolitisme, que ce soit en tant qu'idée ou en tant que
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comportement, ne présente aucune continuité à travers les millénaires - ni dans le cadre d'une histoire de la pensée, ni dans celui d'une histoire événementielle. Les interruptions sont même visibles en lexicologie. Dans le Historisches Handworterbuch der Philosophie3, nous trouvons un article, abondamment nourri de citations et de références, qui, après les auteurs de l'Antiquité depuis Anaxagore jusqu'à saint Augustin, saute un millénaire. Après une rapide allusion à Dante, on passe sans transition aux textes de référence de la Renaissance jusqu'à nos jours, d'Érasme à Oswald Spengler. Il semblerait que dans l'intervalle le cosmopolitisme ait été inexistant. réalité, il allcul1.ç période de l'histoirege,
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.. avait disparu de la conscience des éléments cosmopolites subsistaient, certains individus se considéraient et se comportaient comme des tenants du cosmopolitisme, qui régnait en maître en certains points du monde - par exemple à Constantinople sous 1'« ère byzantine ». Cela a donné naissance à un cosmopolitisme 1conjoncturel - après ou avant la lettre: le concept n'était pas J employé, pas même pensé, mais il se créait des situations dont l'enfi semble des caractéristiques se ramène pour nous au phénomène du 1 cosmopolitisme. Les couraQts cosmopolites - transposés dans l'audelà, mais même en ce qui concerne le monde d'ici-bas -., ont été par lstreligion_et la philosophie chrétienté était une communauté de fidèles aux yeux de qui ni les frontières ni les origines n'avaient la moindre importance. En outre, au !; Moyen Age, sur les dangereuses routes d'Europe, circulaient des voyageurs de tous les pays. Pèlerins, commerçants, gens du voyage se rencontraient, et ces contacts les initiaient au cosmopolitisme. En cette époque de petites communautés fermées, il était extrêmement et de pouvoir raconter chez SOI 'ce que 1on avait decouvert adleurs. Le suis un_5::it? - , puis érigé par _trine rédOminante our.. __ _ .tes _une cu ture mixte2.E__ 0 ue et repris -après u?J).9gd d'un. _ml __ .et à l'époque des .., . grands empires, des empires unlvëi-
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AVANT-PROPOS
saux, beaucoup de civilisations en ont connu. Les religions universelles proclament à l'échelle de la planète leurs vérités comme seules sources de salut. La Chine ne se définissait-elle pas comme l'empire du Milieu, aurour duquel se disposaient en cercles concentriques les autres pays par ordre d'importance décroissante? Dans l'association originale de ses différents éléments, le syndrome ..
.. et n'a.·pas d'h()!.I1QIQggedans.d'.Çlutres '6Vffisation.s. La primauté universellement reconnue de la civilisation internationale d'inspiration européenne, que tous les pays du monde s'efforcent d'adopter et d'assimiler à l'heure actuelle, reflète le caractère spécifiquement européen de cette aspiration au cosmopolitisme 5. Celui-ci est le produit de fuct
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COSMOPOLIS
fait de la pression du pouvoir d'en haut, mais parce que les besoins de la population avaient chanE;é. Les éléments fondamentaux de l'ordre traditionnel de la polis furent remis en question.
Le droit des dieux s'effondre
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La stabilité de la polis, cimentée par la loi et la coutume, commença à se défaire. Dans tous les domaines, à partir du VIe et surtout au ye siècle, un mouvement se fit sentir dans la société grecque qui la rendit plus réceptive à tous les germes de nouveauté. Il s'instaura' une atmosphère extraordinaire d'ouverture à la communication. Que cette ouverture ait été possible, en ces temps de sttuctures fermées et d'appartenances exclusives, reste un des phénomènes les plus étonnants au seuil de l'âge classique. L'exclusivité de la polis fut brisée. Les personnages de cette époque ne se contentaient plus d'être corinthiens ou thébains, pas même d'être grecs: ils savaient qu'ils l'étaient. Mais le panhellénisme des jours de fête ne constituait pas un ciment solide dans la vie quotidienne. Ainsi l'esprit indépendant éprouva-t-ille besoin de s'attacher et de se vouer à la communauté plus vaste, même si elle était abstraite, des citoyens du monde. --Dans cette conjoncture se forma une nouvelle catégorie sociale, à qui son mode de vie itinérant conférait une vision plus vaste. Ce furent les sophistes, maîtres itinérants qui, sans poste fixe, allaient de ville en VIlle portant leur savoir et leur message, et devinrent une véritable institution de la vie grecque. Ils poursuivaient une tradition. Aux temps homériques, les rhapsodes allaient de cour en cour assumant par leurs chants, qui réjouissaient leur auditoire, à la fois la fonction de chroniqueurs, qui retenaient et transmettaient ce qui valait la peine qu'on s'en souvienne, et de porteurs d'informations nouvelles, apprenant et communiquant aux autres au cours de leurs voyages toutes les nouveautés méritant d'être connues. A la fin de l'époque archaïque étaient venus s'y ajouter les hérauts, oracles et autres voyageurs allant de place en place et formant une classe à part, privilégiée et bien considérée. Cela produisit au sein de la société sédentaire une nouvelle forme de mobilité qui élargit les horizons. Les membres des classes conservatrices considéraient que les sophistes jouaient avec les mots, ils passaient pour des «trafiquants de la nourriture de l'âme », qui «colportaient une fausse sagesse creuse 14 », ou encore, comme Xénophon le fait dire à Socrate, ils étaient des « putassiers 15 », parce
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'ils vendaient leurs maximes contre de l'argent - « ils parlent ur tromper 16 ». Le terme « sophiste» a conservé cette connota',on péjorative dans le langage actuel. ,; En réalité, les sophistes représentaient un nouveau type humain " . faisait son apparition parce qu'il correspondait à un besoin ial. La vie initialement simple et clairement organisée au sein la cité s'était compliquée parce qu'avec l'augmentation de la pulation, avec les activités économiques et les procédures du gouoement démocratique de plus en plus diversifiées, les vieilles us nobles de la kalokagathia (valeur physique et morale) ne suffi, ieot plus à remplir les tâches nouvelles. Le cheminement com,tiqué des échanges commerciaux, qui demandaient des accords '